Intervention de Jean-Louis Lorrain

Réunion du 8 juin 2011 à 14h30
Bioéthique — Discussion en deuxième lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Louis LorrainJean-Louis Lorrain :

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la commission des affaires sociales semblait faire preuve jusqu’à ce matin d’une constance en matière de bioéthique, de sorte que je ne me permettais pas de juger ses décisions, mais seulement de les refuser ; jusqu’à ce que nous acceptions le fameux amendement.

Le choix de mon groupe de soutenir la position du Gouvernement relève non pas d’un aveuglement ou de la soumission, mais de la convergence d’une réflexion engagée bien en amont et fondée sur le respect et la dignité du vivant.

Une loi de bioéthique ne devrait pas seulement être une réponse à des attentes utilitaires d’usagers, de chercheurs. Elle doit fixer un cadre. Il ne peut s’agir du fruit d’un consensus, d’un compromis, dont les règles auraient été élaborées par les utilisateurs.

La vision biomédicale est souvent sacrifiée au profit d’une vision sociétale fondée sur la transparence, le jugement moral d’authenticité et la compréhension par tous.

À droite, nos difficultés de compréhension se manifestent, il faut bien le dire, par une hésitation, voire une confusion ; à gauche, c’est par une cohérence libertaire et la recherche d’une neutralité éthique.

Le but de l’action politique est le service du bien commun, y compris par la fixation d’interdits.

Nous pouvons soutenir que les autorisations encadrées correspondent seulement au respect de procédures et nous affirmons que la matérialisation de l’humain peut être l’enjeu de projets industriels et économiques.

À l’origine de nos difficultés, il y a une conscientisation superficielle, qu’on trouve dans des déclarations de cet ordre : « l’avenir de la médecine est en danger », « la médecine française se prive de possibilités dans un environnement concurrentiel », « l’homme est maître de son destin »…

Assurément, certaines valeurs doivent être défendues, par un personnalisme attentif, par exemple. Mais l’observation quotidienne de notre société n’est pas suffisante pour comprendre les enjeux de la bioéthique.

Les déclarations des grands thuriféraires alimentent des discours opposés. Il en va de même des résultats scientifiques lorsqu’ils sont extraits de leur contexte, d’autant qu’ils font souvent l’objet dans l’instant d’une surutilisation.

Gilles Lebreton nous invite à une réflexion sur l’identité de l’homme : au fond, le véritable objectif de la loi relative à la bioéthique est de cerner le concept de personne humaine. Celui-ci est la synthèse d’une identité psychologique, d’une identité sociale et d’une identité civile. En droit, cette unité autour du sujet le rend détenteur de droits fondamentaux destinés à le protéger.

La confusion qui s’attache à nos débats, et qui laisse les non-initiés indécis, peut s’expliquer par un manque d’accord sur la définition de l’embryon, c’est-à-dire sur son identité. C’est ainsi que la notion de conflit d’intérêts s’invite dans nos débats, alors que ceux-ci devraient seulement porter sur des idées, des convictions et des engagements.

Dans l’esprit de nos concitoyens, l’inacceptable d’hier devient l’interdit d’aujourd’hui, avant d’être l’autorisé de demain. Alors, nous ne comprenons plus : nos valeurs seraient à géométrie variable, fluctuant en fonction des évolutions technologiques et de la pression sociétale.

Il n’est pas question de sacraliser, de figer des concepts immuables. Il s’agit en revanche de se confronter à de nouvelles interrogations. Nous devons tenter de les éclairer et de trouver des réponses, dans le souci du plus grand bien.

À propos de l’identité de l’embryon, faut-il retenir la « personne humaine en devenir » ou la « personne humaine potentielle » ? La question n’est pas hors de propos, car elle conditionne notre choix face à l’interdit.

Dans son avis n° 8 du 15 décembre 1986, le Comité consultatif national d’ethnique a estimé que l’embryon appartenait à l’ordre de l’être, non à celui de l’avoir. La notion de « projet parental » nous est apparue trop faible pour garantir une protection à l’embryon, voire pour le faire accéder à un statut juridique.

Le concept de « personne humaine en devenir » semble plus compatible avec le principe d’autorisation de la recherche sur l’embryon. Nous lui préférons néanmoins le concept de « personne humaine potentielle », compatible pour sa part avec le principe d’interdiction assorti de dérogations : il ne s’agit assurément pas d’un acquis, mais d’un choix.

Je souscris à l’amendement déposé par mon groupe, qui est conforme au dispositif adopté par l’Assemblée nationale ; celui-ci, il est vrai contraignant pour la recherche, se veut protecteur pour l’embryon.

Non identifié, l’embryon n’est ni une personne ni un objet ; au nom du respect du vivant, il doit cependant bénéficier d’une protection.

Aujourd’hui, il nous faut renouer avec les grands principes qui fondent l’identité de la bioéthique : parmi eux, je veux citer la dignité de la personne humaine, l’indisponibilité du corps humain, la gratuité et l’anonymat du don, ainsi que l’intégrité de l’espèce humaine.

La contrainte imposée à la recherche ne procède pas d’un déni de la raison scientifique ni d’un refus du progrès. Il s’agit d’une mise en garde contre la fascination exercée par les nouvelles technologies. Il s’agit aussi d’un refus de remettre au secteur industriel ou plus généralement au champ économique la maîtrise de la santé publique.

Le projet de loi mentionne des « progrès médicaux majeurs », notion vague qui concernerait les recherches à visée diagnostique et préventive. Si les cellules souches embryonnaires servent au criblage et à la modélisation des maladies, elles constituent des outils : elles permettent de tester des molécules nouvelles en diminuant le coût des essais.

J’observe que le modèle animal – cela a été dit – fait l’objet de réserves énoncées par les directives européennes. On comprend mal, en regard, les résistances qui se manifestent au sujet de l’utilisation des cellules pluripotentes.

Le 31 mars 2011, l’Agence de biomédecine a estimé : « L’utilisation des IPS ne fait aucun doute dans le domaine de la modélisation de maladies, en particulier initialement d’origine génétique, la preuve du concept étant déjà obtenue dans certaines pathologies humaines. »

Il est de bon ton de parler de pragmatisme, d’utilitarisme et de refus de l’obscurantisme. Pour ma part, je me refuse à envisager la science du seul point de vue de son potentiel économique et industriel.

L’application de nos valeurs visant à la protection du corps humain peut être entravée par des choix qui se veulent progressistes et éthiquement neutres.

La sanction viendra de l’Europe, et l’on peut le regretter. Quand, le 10 mars 2011, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu un avis relatif à la brevetabilité de l’embryon humain et à son utilisation à des fins industrielles et commerciales, ce fut pour les refuser.

J’ai le plus grand respect pour notre rapporteur, il le sait. Cependant, lorsqu’il parle d’un « interdit symbolique », il vise seulement l’écume et la dimension superficielle du symbole ; il en ignore la signification profonde : l’aide à la compréhension. Il fait valoir que le respect de l’être humain est garanti par l’article 16 du code civil ; je lui réponds que l’encadrement éthique y est insuffisant. L’éthique est reléguée à un système de normes qui doivent être respectées. Il s’agit donc d’un système libertaire qui n’est pas le nôtre.

L’inquiétude de nos concitoyens se porterait sur la bioéthique. Je refuse de me réfugier derrière une transparence qui rend invisible : je lui préfère l’information et la formation sur les sujets de société.

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