Intervention de Nathalie Loiseau

Réunion du 21 mars 2018 à 14h30
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 22 et 23 mars 2018

Nathalie Loiseau :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est un plaisir pour moi de vous retrouver ici pour préparer avec vous le Conseil européen des 22 et 23 mars prochains. Ce rendez-vous important donnera lieu, en réalité, à plusieurs réunions différentes, que j’aborderai successivement.

Le Conseil européen à proprement parler se déroulera jeudi après-midi. Il reviendra sur plusieurs sujets assez classiques, qu’il s’agisse du semestre européen ou du marché unique. Il devra, notamment, fixer l’objectif de faire adopter d’ici la fin de la législature deux priorités européennes : le paquet numérique, sur lequel les travaux commencent à peine, et le projet d’union de l’énergie, qui doit permettre d’atteindre les objectifs de transition énergétique très ambitieux que l’Union s’est fixés pour 2030. Nous y reviendrons, si vous le souhaitez.

Je voudrais surtout relever que le Conseil européen devrait soutenir notre approche d’une Europe plus protectrice en abordant de façon positive trois domaines sensibles dans lesquels le point d’équilibre européen évolue progressivement en notre faveur.

Tout d’abord, il s’agit de la mention d’une « forte politique industrielle européenne », qui est une priorité pour nous, mais qui ne va jamais de soi à l’échelle de l’Union.

Sur le commerce, ensuite, l’appel pour que les colégislateurs trouvent un accord afin de mieux contrôler les investissements et un meilleur équilibre dans l’ouverture des marchés publics va clairement dans notre sens. Nous souhaitons que la discussion permette aussi d’évoquer la mise en œuvre des mesures de défense commerciale et de rappeler combien il est nécessaire que les futurs accords commerciaux prennent pleinement en compte l’accord de Paris. Je relève que le Conseil européen devrait demander à la Commission de présenter une stratégie de réduction des émissions de gaz à effet de serre compatible avec cet accord.

Enfin, le projet d’autorité européenne du travail proposé par le président de la Commission, M. Jean-Claude Juncker, vise à aller vers une plus grande convergence sociale par le haut, dans l’esprit de la révision de la directive sur le détachement des travailleurs.

Au-delà, le Conseil européen reviendra sur la décision prise par les États-Unis d’augmenter les droits de douane sur leurs importations d’aluminium et d’acier, pour des motifs allégués de sécurité nationale, au détriment, notamment, de l’industrie européenne. La Commission, soutenue par les États membres, travaille avec les États-Unis pour obtenir une exemption en faveur de l’Union. Néanmoins, elle se prépare également, si cela devait se révéler nécessaire, à prendre des mesures de sauvegarde de nos intérêts industriels et de rééquilibrage de nos échanges, dans le respect des règles de l’Organisation mondiale du commerce. C’est cet équilibre que le Conseil européen devrait refléter.

Les chefs d’État et de gouvernement continueront leurs échanges réguliers sur la refondation de l’Europe. Le thème choisi par le président Tusk pour ce Conseil est la fiscalité du numérique. La discussion portera sur la proposition, rendue publique aujourd’hui même par la Commission, de taxer les GAFA – Google, Apple, Facebook et Amazon – en prélevant une part limitée des revenus générés par leurs activités numériques en Europe. La France, vous le savez, porte fortement ce dossier avec l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne.

Même si ces discussions sont toujours difficiles et s’il faut sans doute, à terme, un cadre international, chacun voit bien qu’il y a un vrai enjeu européen dans la régulation d’un secteur d’activité nouveau.

Vendredi matin, les vingt-sept chefs d’État et de gouvernement se réuniront en format « article 50 ».

L’enjeu est double. Il s’agira d’abord de faire un état de lieux des négociations de l’accord de retrait du Royaume-Uni. Ce projet d’accord reprend les trois questions prioritaires traitées en décembre – les droits des citoyens, l’Irlande et le règlement financier –, mais aussi les questions de gouvernance et la transition.

Michel Barnier a fait état, lundi dernier, d’importants progrès, mais il a aussi souligné qu’il restait des points à trancher ou à préciser. C’est le cas, par exemple, des marchés publics, de la gouvernance de l’accord ou encore de la question irlandaise. Sur ce dernier sujet, le principe est posé d’un alignement réglementaire, proposé par l’Union européenne, mais il n’y a pas de vision commune quant à ses modalités.

Londres espère, dans ce contexte, pouvoir faire état d’un accord, au moins politique, sur la transition, principalement afin de rassurer les investisseurs. Nos grands principes sont respectés, notamment la limitation dans le temps au 31 décembre 2020, la pleine application de l’acquis et l’impossibilité pour le Royaume-Uni de continuer à participer au processus de décision. Le Conseil européen devra néanmoins, tout en saluant les progrès, rappeler fermement que rien n’est agréé tant que tout n’est pas agréé.

Le deuxième objectif des Vingt-Sept sera de se mettre d’accord sur des lignes directrices qui permettront à Michel Barnier de négocier le cadre général des relations futures entre l’Union européenne et le Royaume-Uni.

Nous devons préserver une approche d’ensemble cohérente : certes, nous préférerions que les Britanniques restent dans le marché unique ou dans l’union douanière à l’issue de la période de transition, mais, s’ils ne peuvent accepter les quatre libertés et qu’ils veulent pouvoir passer librement leurs propres accords commerciaux, le seul modèle possible pour l’Union européenne est celui d’un accord de libre-échange, avec un équilibre à respecter entre les droits et les obligations qui s’y rattachent. Cela implique que certains domaines, comme les services financiers, fassent l’objet de mesures autonomes de l’Union.

D’autres thèmes pourront donner lieu à des accords spécifiques, comme la coopération policière et judiciaire ou la politique étrangère et de sécurité commune. Il faudra cependant insister sur la nécessité de respecter entièrement l’autonomie du processus de décision de l’Union européenne.

Le Conseil européen devrait enfin mentionner la pêche, compte tenu de son importance et de la nécessité de trouver un équilibre entre accès aux zones de pêche et possibilité de vendre les produits de la mer britanniques dans le marché unique. Sur ce secteur, le principe de l’accès des pêcheurs européens aux zones de pêche britanniques pendant la période de transition a été clairement réaffirmé.

Les chefs d’État et de gouvernement se réuniront ensuite à dix-neuf en formation « sommet zone euro ». La France propose une approche, ambitieuse, qui consiste à avancer à court terme sur l’union des marchés de capitaux et l’union bancaire, y compris en mettant en place un filet de sécurité, mais aussi en allant vers la création, à plus long terme, d’une capacité budgétaire propre de la zone euro. Il s’agit de contribuer à une véritable stabilisation macroéconomique et de pouvoir maintenir les investissements dans des politiques qui soutiennent la productivité, en particulier en matière de recherche et d’innovation.

Nous travaillons étroitement sur ces questions sensibles avec le nouveau gouvernement allemand. Nous sommes déterminés à suivre le calendrier défini par le Président de la République et la Chancelière Merkel, qui a été repris par le Conseil européen de décembre. Aussi le Président et la Chancelière ont-ils rappelé, vendredi dernier, que nous travaillons au sein du couple franco-allemand à une feuille de route dans la perspective du Conseil européen de juin. Un rendez-vous franco-allemand est envisagé dès le mois d’avril, sans doute un autre en mai : vous voyez que nous sommes déterminés à avancer.

Les chefs d’État et de gouvernement évoqueront au dîner les questions internationales les plus urgentes. Ils marqueront leur totale solidarité avec le Royaume-Uni, après l’attaque de Salisbury, dont tout conduit à penser que la Russie est responsable.

Sur les Balkans occidentaux, nous souhaitons bien distinguer ce qui relève du processus d’élargissement, qui doit rester très exigeant et pour lequel les conditions d’un progrès ne semblent pas encore remplies, et l’appui qui peut et doit être apporté à ces pays, sous la forme d’un « agenda positif », pour les aider dans leurs réformes. Ce sera tout l’enjeu du sommet qui se tiendra le 17 mai prochain à Sofia.

Il est enfin possible qu’une discussion s’engage à nouveau sur les actions menées par la Turquie en mer Égée, vis-à-vis tant de la Grèce que de Chypre.

Je me tiens maintenant à votre disposition mesdames, messieurs les sénateurs, pour vous écouter et répondre à vos commentaires et à vos questions.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion