Séance en hémicycle du 21 mars 2018 à 14h30

Résumé de la séance

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La séance

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La séance est ouverte à quatorze heures trente.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a émis un avis favorable – 13 voix pour, 6 voix contre et 5 bulletins blancs ou nuls – à la nomination de M. Gilles Leblanc aux fonctions de président de l’Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

L’ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 22 et 23 mars 2018.

Dans le débat, la parole est à Mme la ministre.

Debut de section - Permalien
Nathalie Loiseau

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est un plaisir pour moi de vous retrouver ici pour préparer avec vous le Conseil européen des 22 et 23 mars prochains. Ce rendez-vous important donnera lieu, en réalité, à plusieurs réunions différentes, que j’aborderai successivement.

Le Conseil européen à proprement parler se déroulera jeudi après-midi. Il reviendra sur plusieurs sujets assez classiques, qu’il s’agisse du semestre européen ou du marché unique. Il devra, notamment, fixer l’objectif de faire adopter d’ici la fin de la législature deux priorités européennes : le paquet numérique, sur lequel les travaux commencent à peine, et le projet d’union de l’énergie, qui doit permettre d’atteindre les objectifs de transition énergétique très ambitieux que l’Union s’est fixés pour 2030. Nous y reviendrons, si vous le souhaitez.

Je voudrais surtout relever que le Conseil européen devrait soutenir notre approche d’une Europe plus protectrice en abordant de façon positive trois domaines sensibles dans lesquels le point d’équilibre européen évolue progressivement en notre faveur.

Tout d’abord, il s’agit de la mention d’une « forte politique industrielle européenne », qui est une priorité pour nous, mais qui ne va jamais de soi à l’échelle de l’Union.

Sur le commerce, ensuite, l’appel pour que les colégislateurs trouvent un accord afin de mieux contrôler les investissements et un meilleur équilibre dans l’ouverture des marchés publics va clairement dans notre sens. Nous souhaitons que la discussion permette aussi d’évoquer la mise en œuvre des mesures de défense commerciale et de rappeler combien il est nécessaire que les futurs accords commerciaux prennent pleinement en compte l’accord de Paris. Je relève que le Conseil européen devrait demander à la Commission de présenter une stratégie de réduction des émissions de gaz à effet de serre compatible avec cet accord.

Enfin, le projet d’autorité européenne du travail proposé par le président de la Commission, M. Jean-Claude Juncker, vise à aller vers une plus grande convergence sociale par le haut, dans l’esprit de la révision de la directive sur le détachement des travailleurs.

Au-delà, le Conseil européen reviendra sur la décision prise par les États-Unis d’augmenter les droits de douane sur leurs importations d’aluminium et d’acier, pour des motifs allégués de sécurité nationale, au détriment, notamment, de l’industrie européenne. La Commission, soutenue par les États membres, travaille avec les États-Unis pour obtenir une exemption en faveur de l’Union. Néanmoins, elle se prépare également, si cela devait se révéler nécessaire, à prendre des mesures de sauvegarde de nos intérêts industriels et de rééquilibrage de nos échanges, dans le respect des règles de l’Organisation mondiale du commerce. C’est cet équilibre que le Conseil européen devrait refléter.

Les chefs d’État et de gouvernement continueront leurs échanges réguliers sur la refondation de l’Europe. Le thème choisi par le président Tusk pour ce Conseil est la fiscalité du numérique. La discussion portera sur la proposition, rendue publique aujourd’hui même par la Commission, de taxer les GAFA – Google, Apple, Facebook et Amazon – en prélevant une part limitée des revenus générés par leurs activités numériques en Europe. La France, vous le savez, porte fortement ce dossier avec l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne.

Même si ces discussions sont toujours difficiles et s’il faut sans doute, à terme, un cadre international, chacun voit bien qu’il y a un vrai enjeu européen dans la régulation d’un secteur d’activité nouveau.

Vendredi matin, les vingt-sept chefs d’État et de gouvernement se réuniront en format « article 50 ».

L’enjeu est double. Il s’agira d’abord de faire un état de lieux des négociations de l’accord de retrait du Royaume-Uni. Ce projet d’accord reprend les trois questions prioritaires traitées en décembre – les droits des citoyens, l’Irlande et le règlement financier –, mais aussi les questions de gouvernance et la transition.

Michel Barnier a fait état, lundi dernier, d’importants progrès, mais il a aussi souligné qu’il restait des points à trancher ou à préciser. C’est le cas, par exemple, des marchés publics, de la gouvernance de l’accord ou encore de la question irlandaise. Sur ce dernier sujet, le principe est posé d’un alignement réglementaire, proposé par l’Union européenne, mais il n’y a pas de vision commune quant à ses modalités.

Londres espère, dans ce contexte, pouvoir faire état d’un accord, au moins politique, sur la transition, principalement afin de rassurer les investisseurs. Nos grands principes sont respectés, notamment la limitation dans le temps au 31 décembre 2020, la pleine application de l’acquis et l’impossibilité pour le Royaume-Uni de continuer à participer au processus de décision. Le Conseil européen devra néanmoins, tout en saluant les progrès, rappeler fermement que rien n’est agréé tant que tout n’est pas agréé.

Le deuxième objectif des Vingt-Sept sera de se mettre d’accord sur des lignes directrices qui permettront à Michel Barnier de négocier le cadre général des relations futures entre l’Union européenne et le Royaume-Uni.

Nous devons préserver une approche d’ensemble cohérente : certes, nous préférerions que les Britanniques restent dans le marché unique ou dans l’union douanière à l’issue de la période de transition, mais, s’ils ne peuvent accepter les quatre libertés et qu’ils veulent pouvoir passer librement leurs propres accords commerciaux, le seul modèle possible pour l’Union européenne est celui d’un accord de libre-échange, avec un équilibre à respecter entre les droits et les obligations qui s’y rattachent. Cela implique que certains domaines, comme les services financiers, fassent l’objet de mesures autonomes de l’Union.

D’autres thèmes pourront donner lieu à des accords spécifiques, comme la coopération policière et judiciaire ou la politique étrangère et de sécurité commune. Il faudra cependant insister sur la nécessité de respecter entièrement l’autonomie du processus de décision de l’Union européenne.

Le Conseil européen devrait enfin mentionner la pêche, compte tenu de son importance et de la nécessité de trouver un équilibre entre accès aux zones de pêche et possibilité de vendre les produits de la mer britanniques dans le marché unique. Sur ce secteur, le principe de l’accès des pêcheurs européens aux zones de pêche britanniques pendant la période de transition a été clairement réaffirmé.

Les chefs d’État et de gouvernement se réuniront ensuite à dix-neuf en formation « sommet zone euro ». La France propose une approche, ambitieuse, qui consiste à avancer à court terme sur l’union des marchés de capitaux et l’union bancaire, y compris en mettant en place un filet de sécurité, mais aussi en allant vers la création, à plus long terme, d’une capacité budgétaire propre de la zone euro. Il s’agit de contribuer à une véritable stabilisation macroéconomique et de pouvoir maintenir les investissements dans des politiques qui soutiennent la productivité, en particulier en matière de recherche et d’innovation.

Nous travaillons étroitement sur ces questions sensibles avec le nouveau gouvernement allemand. Nous sommes déterminés à suivre le calendrier défini par le Président de la République et la Chancelière Merkel, qui a été repris par le Conseil européen de décembre. Aussi le Président et la Chancelière ont-ils rappelé, vendredi dernier, que nous travaillons au sein du couple franco-allemand à une feuille de route dans la perspective du Conseil européen de juin. Un rendez-vous franco-allemand est envisagé dès le mois d’avril, sans doute un autre en mai : vous voyez que nous sommes déterminés à avancer.

Les chefs d’État et de gouvernement évoqueront au dîner les questions internationales les plus urgentes. Ils marqueront leur totale solidarité avec le Royaume-Uni, après l’attaque de Salisbury, dont tout conduit à penser que la Russie est responsable.

Sur les Balkans occidentaux, nous souhaitons bien distinguer ce qui relève du processus d’élargissement, qui doit rester très exigeant et pour lequel les conditions d’un progrès ne semblent pas encore remplies, et l’appui qui peut et doit être apporté à ces pays, sous la forme d’un « agenda positif », pour les aider dans leurs réformes. Ce sera tout l’enjeu du sommet qui se tiendra le 17 mai prochain à Sofia.

Il est enfin possible qu’une discussion s’engage à nouveau sur les actions menées par la Turquie en mer Égée, vis-à-vis tant de la Grèce que de Chypre.

Je me tiens maintenant à votre disposition mesdames, messieurs les sénateurs, pour vous écouter et répondre à vos commentaires et à vos questions.

Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe de l ’ Union Centriste et du groupe socialiste et républicain. - M. le président de la commission des affaires européennes applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

J’indique au Sénat que la conférence des présidents a décidé d’attribuer un temps de parole de huit minutes aux orateurs de chaque groupe politique et de cinq minutes à la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, la commission des affaires européennes et la commission des finances interviendront ensuite durant huit minutes chacune.

Le Gouvernement répondra aux commissions et aux orateurs, puis nous aurons, pour une durée d’une heure maximum, une série de questions avec la réponse immédiate du Gouvernement ou de la commission des affaires européennes. Ainsi, tout sénateur présent dans l’hémicycle pourra intervenir s’il le souhaite.

Dans la suite du débat, la parole est à M. Franck Menonville, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Franck Menonville

Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les présidents de commission, mes chers collègues, nous sommes face à une actualité européenne et internationale extrêmement dense.

Je souhaiterais évoquer en préambule deux faits qui rappellent combien, même dans un monde devenu multipolaire, les agissements des États-Unis et de la Russie sont toujours au premier rang de nos préoccupations.

Tout d’abord, le président Donald Trump vient d’exiger de l’Union européenne un abaissement des barrières douanières et réglementaires sur les produits américains. Ajoutons à cela la taxation des importations d’acier et d’aluminium. J’espère que la commissaire européenne Cecilia Malmström, actuellement à Washington, trouvera une issue favorable à ce dossier.

Ensuite, je voulais également souligner la réélection du président russe Vladimir Poutine. Quoi qu’on en pense, c’est une donnée avec laquelle notre diplomatie doit continuer de travailler. La Russie détient en effet, on le sait, une des clés de la résolution du conflit syrien.

L’actualité récente m’amène également à évoquer la montée des populismes en Europe. Les dernières élections italiennes le confirment, hélas, avec les scores élevés du Mouvement 5 étoiles et de la Ligue. Néanmoins, cette réalité politique occulte à tort les vraies attentes d’une majorité de citoyens européens : ils veulent, non pas moins d’Europe, mais plus d’Europe pour faire face à des défis dont on sait que la seule dimension nationale ne suffira pas à les résoudre.

Je pense en particulier au phénomène migratoire. Sans l’intervention de l’Union européenne, il aurait débordé encore un peu plus les États membres qui l’affrontent en première ligne. Faut-il alors rappeler à tous ces partis eurosceptiques que, dans le monde tel qu’il est aujourd’hui, le repli sur soi n’est pas la solution ?

En réponse à la crise migratoire, l’Europe a mené un certain nombre de politiques qu’il faut poursuivre et approfondir, que ce soit le développement de la coopération avec les pays d’origine ou de transit, le renforcement du contrôle aux frontières extérieures ou encore la gestion des flux par des dispositifs tels que les accords de réadmission. Je n’oublie pas non plus la réforme du régime d’asile européen, sur laquelle il faudra encore avancer.

Le Conseil européen est censé parvenir à mettre au point une « politique migratoire durable » d’ici à juin 2018. Espérons qu’il y parvienne ; pour cela, il faudra que les États membres aient la même vision de l’Europe : celle d’une communauté de destin, et non pas celle d’un simple marché unique.

J’en viens ainsi au cas du Royaume-Uni, un pays qui a voulu jouer sa propre carte du destin, mais qui essaie aujourd’hui de ne pas trop se couper de l’Europe.

Il sera bien sûr largement question du Brexit au prochain Conseil européen. Comme vous le savez, mes chers collègues, il ne reste que six mois pour négocier le traité de sortie, un nouveau traité bilatéral et la période de transition entre les deux statuts.

Force est de constater que la marge de manœuvre entre les lignes rouges britanniques et les principes fondamentaux de l’Union européenne est extrêmement étroite.

Trois points sont essentiels ; nous sommes nombreux, me semble-t-il, à y tenir. Je citerai la garantie des droits des citoyens européens résidant au Royaume-Uni et des citoyens britanniques sur le territoire de l’UE, la solution à la question irlandaise et le règlement financier.

Avant-hier, une étape a été franchie grâce à un accord entre Londres et Bruxelles sur la période de transition pendant laquelle le Royaume-Uni bénéficierait des avantages du marché unique.

Nous pouvons y adhérer, car personne n’a au fond intérêt à une relation déséquilibrée avec un pays qui reste malgré tout lié à l’histoire de l’Europe et un partenaire commercial important.

Je souhaite à présent aborder un autre sujet majeur : la fiscalité du numérique.

À ce jour, deux critères ont été arrêtés : la taxe viserait les entreprises qui se présentent comme un réseau social ou comme une plateforme d’échange. Les rentrées fiscales annuelles pourraient atteindre entre 5 et 8 milliards d’euros par an à l’échelle de l’Union européenne ; c’est une bonne chose au regard des enjeux budgétaires de l’Union.

Au-delà de l’aspect financier, on ne peut que partager l’objectif d’envoyer un signal politique aux citoyens de l’Union en leur prouvant la détermination de Bruxelles à lutter activement contre l’injustice fiscale.

Je voudrais poursuivre mon intervention sur les perspectives de l’Union européenne plus de soixante ans après le traité de Rome.

Profitons de l’amélioration de la conjoncture économique pour oser une véritable refondation de l’Union européenne, même si la fenêtre est limitée, compte tenu des élections prévues en mai 2019. La France et l’Allemagne ont promis une impulsion commune pour réformer la zone euro et relancer l’Union européenne. On ne peut que s’en réjouir. La grande coalition nouvellement réinstallée autour de la Chancelière Merkel pourra nous y aider.

Lors de son discours à la Sorbonne, en septembre dernier, le Président de la République a affirmé que les défis lancés à l’Union et à ses États membres exigeaient de faire revivre une ambition politique européenne sur le plan interne comme sur le plan externe.

Le groupe du RDSE partage cette volonté. Pour qu’elle s’accomplisse, il faut que soient défendus nos valeurs, nos préférences collectives et nos intérêts communs tant géopolitiques qu’économiques. C’est le sens de « l’Europe souveraine » défendue par le Président de la République.

Je souhaiterais revenir sur cette défense de nos préférences collectives en me concentrant notamment sur l’agriculture. Comme vous le savez, madame la ministre, les agriculteurs ont fermement exprimé des craintes quant à leur avenir lors du récent Salon international de l’agriculture.

Le groupe du RDSE reste très vigilant quant aux accords de libre-échange que négocie actuellement l’Union européenne. Le Sénat est d’ailleurs très mobilisé à ce sujet : il prend régulièrement l’initiative de propositions de résolution européenne invitant à la protection de nos filières agricoles les plus fragiles. C’est le cas de la proposition de résolution relative aux échanges européens avec le Mercosur, portée par Jean-Claude Requier, président de notre groupe.

Enfin, en tant que sénateur d’un territoire rural, je voudrais relayer les inquiétudes de nos agriculteurs sur la réforme de la politique agricole commune, la PAC, même si cela n’est pas à l’ordre du jour du Conseil européen. Les sénateurs du RDSE sont opposés à toute renationalisation. La PAC ne doit pas être une variable d’ajustement budgétaire. Il nous semble essentiel, et non négociable, que cette politique reste « commune », conformément au C du sigle PAC. Le cadrage financier prévu pour mai prochain nous permettra sûrement d’y voir plus clair et, je l’espère, de ne pas sacrifier ceux qui ont contribué à la richesse et au progrès économique de l’Europe.

Pour conclure, je tiens à rappeler que la construction européenne est consubstantielle au groupe du RDSE. Je réaffirme donc qu’il faut plus d’Europe et mieux d’Europe ! C’est la solution qu’il faut à ce monde tourmenté, comme s’y emploie très bien le Président de la République, à qui nous apportons notre soutien sur le projet européen.

Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe de l ’ Union Centriste et du groupe socialiste et républicain. - M. le président de la commission des affaires européennes applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

M. le président. La parole est à Mme Fabienne Keller, pour le groupe Les Républicains.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Fabienne Keller

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi, dans ce débat préalable au Conseil européen qui aura lieu demain et vendredi, d’aborder plus particulièrement trois sujets : le Brexit, la zone euro et les questions fiscales, avec un focus d’actualité sur les GAFA.

Comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, le Brexit sera l’un des points importants abordés lors de ce Conseil européen.

Beaucoup de discussions se sont tenues durant les dernières semaines. Vous avez mentionné le compromis qui vient d’être trouvé. La date du 31 décembre 2020 marquera bien la fin de la période de transition. L’Union européenne a obtenu gain de cause sur beaucoup d’éléments qu’elle défendait : les droits des citoyens européens, mais aussi la non-participation du Royaume-Uni aux décisions politiques durant la transition. Elle a toutefois aussi fait quelques concessions concernant le règlement des différends ; si j’ai bien compris, il sera renvoyé à un comité mixte, et non à la Cour de justice de l’Union européenne comme nous le souhaitions.

Le projet de lignes directrices pour définir le cadre de la future relation entre l’UE et le Royaume-Uni annonce d’âpres négociations. Un projet a été établi par M. Donald Tusk en réponse au discours de Mansion House, où la Première ministre britannique avait posé des conditions. Selon M. Tusk – vous avez d’ailleurs repris cette position, madame la ministre –, dans ces conditions, seul un accord de libre-échange serait possible, un accord qui couvrirait les biens, mais ne dirait mot sur les services financiers.

Madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer ce qui s’est décidé hier, au cours de la réunion ministérielle, concernant l’inclusion des services financiers dans le futur accord ? C’est évidemment un sujet important, en particulier pour le développement des services financiers à Paris et dans l’Europe des Vingt-Sept à la suite de la sortie du Royaume-Uni de l’Union.

Je voudrais évoquer un deuxième sujet relatif au Brexit, celui, tellement délicat, de l’Irlande du Nord. Personne n’ignore que c’est un point sensible de la négociation, car on traite là de la seule frontière terrestre entre le Royaume-Uni et l’Union. L’objectif premier était d’éviter la recréation d’une frontière physique entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande, ce afin de maintenir l’accord du Vendredi saint, dont je rappelle que c’est le dernier accord de paix conclu au sein de l’Union européenne, il y a une vingtaine d’années à peine.

La conclusion qu’en ont tirée les négociateurs européens, en vue de protéger l’intégrité du marché unique, est la nécessité pour l’Irlande du Nord de ne pas s’éloigner du cadre réglementaire communautaire. Or un important désaccord a vu le jour sur ce point, lors de la publication du projet d’accord de retrait. L’Union proposait ainsi de maintenir l’Irlande du Nord dans l’union douanière si les négociations n’aboutissaient pas à aucun accord. Cette proposition a été initialement rejetée par le Royaume-Uni, mais Mme May semble avoir évolué sur ce point et accepte peut-être à présent cette solution comme un dernier recours.

Madame la ministre, pouvez-vous nous éclairer sur cette situation, très délicate ? Pensez-vous, comme les représentants britanniques, que la future coopération en matière douanière pourra être suffisamment puissante pour éviter le retour d’une frontière physique ou le déplacement de la frontière en mer d’Irlande tout en préservant les intérêts européens, alors même que les Britanniques souhaitent quitter l’union douanière ?

Plus largement, quelle stratégie le Gouvernement entend-il mener, en coopération avec ses vingt-six partenaires, pour que ces négociations progressent de manière favorable ? Je voudrais ici souligner le rôle tout à fait remarquable, mais parfois difficile, qu’assure le grand négociateur qu’est Michel Barnier.

J’en viens à mon deuxième grand sujet : la zone euro. Vous avez rappelé, madame la ministre, qu’en raison des récentes élections allemandes le projet franco-allemand pour la réforme de la zone euro ne sera pas présenté lors de ce Conseil européen. Vous avez indiqué que deux sommets franco-allemands auraient lieu prochainement ; je m’en réjouis. Ils traiteront de cette question et peut-être, plus largement, de l’avenir de l’Union européenne.

À propos de la zone euro, je voudrais insister sur deux points : l’union bancaire et le parlement de la zone euro.

Je rappelle que le projet d’union bancaire comporte trois piliers, qui ont pour but de limiter les risques de défaillance des banques européennes et de protéger les épargnants. À la suite de la crise que nous avons connue, ces points sont fondamentaux. Or il semblerait aujourd’hui, madame la ministre, qu’un certain nombre de difficultés techniques – mais nous savons bien que le technique cache toujours le politique – pourraient mettre en péril un accord. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Le deuxième point, qui me tient personnellement très à cœur, est le projet de parlement de la zone euro. Avec M. Éblé, président de notre commission des finances, nous avons participé, les 19 et 20 février dernier, à la conférence sur l’article 13 du traité de stabilité, qui fait le point sur le semestre européen.

Je rappelle que cette conférence réunit des représentants des commissions des finances des parlements nationaux, ainsi que des parlementaires européens et des membres de la Commission européenne. C’est un lieu de dialogue particulièrement intéressant ; les échanges sont riches et utiles, cela permet de mieux comprendre les positions des différents États membres. Néanmoins, à ce stade, cela ne conduit à aucun avis concret et à aucune prise de position.

C’est pourquoi, madame la ministre, je voudrais ici soutenir la création d’un parlement de la zone euro. Il s’agirait non pas de nouveaux élus, mais d’élus des parlements nationaux et du Parlement européen, ainsi que de Commissaires. Ce parlement constituerait un lieu de dialogue et d’échanges au niveau européen et national ; il trouverait naturellement son lieu de réunion à Strasbourg, capitale européenne.

L’objectif de cette initiative est bien sûr de mieux coordonner les politiques économiques et monétaires des pays de l’Union européenne et d’assurer la coordination des travaux à l’échelle nationale et européenne. Je voudrais rappeler que le représentant du Bundestag présent à la « conférence article 13 » a salué cette idée et l’a clairement soutenue.

Madame la ministre, pourriez-vous nous indiquer si ce projet progresse et, plus globalement, nous dire la position du gouvernement français concernant le parlement de la zone euro ?

J’en viens à mon dernier point : la fiscalité. Je voudrais traiter du sujet des GAFA, mais surtout de l’ACCIS, l’assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés. Ce projet d’assiette commune, qui est en quelque sorte préparatoire à la convergence des taux, a été relancé en 2016 par la Commission européenne et adopté par le Parlement européen le 15 mars dernier sur le rapport de notre collègue député européen Alain Lamassoure.

L’ACCIS constituera un ensemble de règles communes en matière d’imposition pour les entreprises transfrontalières des vingt-sept pays de l’Union. L’idée est de limiter l’intérêt des délocalisations de résultats, de valeur ajoutée, de marges, entre des pays de l’Union européenne. Cela permettrait d’avoir un système unique, donc d’harmoniser l’assiette fiscale entre les États membres, et d’éviter ainsi les niches, exemptions et avantages fiscaux qui créent un différentiel entre les pays.

S’agissant plus particulièrement des GAFA, le commissaire européen Pierre Moscovici a annoncé tout à l’heure qu’il progressait sur ce sujet, dont j’imagine qu’il fera l’objet de discussions lors du prochain Conseil européen. M. Moscovici devrait proposer, demain, la taxation à 3 % du chiffre d’affaires des entreprises de ce secteur à partir d’une certaine taille.

Je rappelle qu’il est également proposé, notamment par Alain Lamassoure, que le projet de l’ACCIS intègre une disposition spécifique aux GAFA de manière à pérenniser la possibilité de les fiscaliser.

En tout cas, cette fiscalité plus juste et plus équitable est un sujet très sensible pour nos concitoyens ; une règle mieux respectée et harmonisée est attendue par l’ensemble des Européens. Madame la ministre, là encore, pouvez-vous faire le point pour nous sur ce dossier ?

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à M. André Gattolin, pour le groupe La République En Marche.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Conseil européen qui se tiendra les 22 et 23 mars prochains restera peut-être dans les annales de l’institution. Certes, il est à ce jour difficile de présumer que son caractère particulier dépendra de l’importance des décisions qui y seront prises, mais une chose est certaine, c’est que ce Conseil sera particulier au moins par sa forme et la nature des questions qu’il sera amené à soulever.

Sur la forme, tout d’abord, le prochain Conseil européen entérine dans les faits l’idée que l’Union européenne ne peut aujourd’hui avancer qu’à plusieurs vitesses. Il débutera en effet dans un format à 28, avant de passer rapidement à un format à 27 – sans le Royaume-Uni – pour s’achever à 19, au format propre de la zone euro. Nous faisons donc, à l’échelle du Conseil européen, ce que nous rechignons encore à faire clairement à l’échelon de la Commission et du Parlement européens, à savoir engager un processus de discussion et de décision bien distinct entre les États membres les plus intégrés et les autres.

Ce Conseil européen sera aussi particulier dans sa forme en ce que son ordre du jour est, pour une fois, relativement restreint, en tout cas plus raisonné et moins hétéroclite dans les sujets à aborder que lors des Conseils passés. La démocratie y gagne toujours en clarté et en lisibilité des choix.

Sur le fond, le Conseil européen ne pourra cependant pas manquer d’évoquer la soudaine et brusque tension diplomatique entre le Royaume-Uni et la Russie, à la suite de la tentative d’empoisonnement perpétrée à Salisbury à l’endroit de Sergueï et Ioulia Skripal. La réaction britannique à cette énième tentative d’assassinat laissant planer une intervention des services russes a été forte, très forte, et d’une ampleur sans précédent depuis la fin de la guerre froide.

Le 14 mars dernier, la Première ministre, Theresa May, annonçait en effet l’expulsion de vingt-trois diplomates russes. Le lendemain, les gouvernements français, allemand et américain exprimaient leur solidarité avec Mme May. Dans la foulée, la ministre de l’intérieur britannique, Mme Amber Rudd, accueillait favorablement la demande parlementaire de réouverture des enquêtes sur quatorze décès suspects – quatorze, pas moins ! - survenus sur le territoire britannique au cours des quinze dernières années.

Nous ne pouvons nous empêcher de tirer deux enseignements importants dans ce contexte.

Premier enseignement, malgré sa décision tonitruante de quitter l’Union européenne, le Royaume-Uni n’est pas une île : il a, sur ce sujet comme sur bien d’autres, besoin du soutien et de la coopération de ses alliés européens. Chaque jour qui passe ne manque d’ailleurs pas de rappeler aux autorités britanniques cette vérité qui dérange…

Second enseignement, cette affaire a incidemment l’avantage de ressouder un peu politiquement l’opinion britannique, mais aussi la majorité et le gouvernement de Mme May, sérieusement mis mal par les divergences de plus en plus nombreuses quant à leur gestion post-référendaire du pays.

En creux, l’affaire Skripal met cependant en lumière la mansuétude coupable dont les gouvernements britanniques successifs ont fait preuve à une époque où leur objectif principal était d’attirer massivement sur leur territoire, en particulier sur la place de Londres, les investissements de quelques oligarques peu recommandables.

La réalité qui se fait jour aujourd’hui, c’est que le Royaume-Uni, contrairement à ce que disent ses médias et une grande partie de sa classe politique, a souffert non de trop d’Europe, mais de son attitude répétée de cavalier seul en Europe et de son manque absolu de vision sérieuse de sa place au sein de l’Union européenne.

En effet, ce que l’aventure inédite du Brexit met très concrètement en lumière aujourd’hui, c’est le coût réel de la non-Europe. Certes, l’Union européenne est loin d’être parfaite et nous sommes les premiers à appeler à sa refondation. Bien plus, du fait même de son caractère institutionnel et politique complexe et inachevé, elle a du mal à répondre simultanément à toutes les crises qui la traversent et à relever tous les défis auxquels elle est confrontée. Aussi, nombre de voix s’élèvent partout en Europe pour déclarer que l’Union européenne aurait finalement échoué à réaliser son credo fondateur, celui d’instaurer durablement un espace de paix et de prospérité sur le continent européen.

C’est vrai, des tensions de plus en plus nombreuses émergent ou réémergent ces dernières années au sein de l’Union européenne entre certains de ses États membres, voire au sein même de ces États, comme en Catalogne, en Flandre ou en Écosse. Il est vrai aussi que, depuis la crise financière de 2008, la croissance dans l’Union européenne et dans la zone euro demeure assez atone au regard de celle qui est observée ailleurs, aux États-Unis et surtout dans les pays émergents.

Mais c’est oublier un peu vite le rôle majeur joué par l’Union européenne non seulement dans la réconciliation franco-allemande – tout cela est acquis –, mais aussi dans la consolidation démocratique de pays comme l’Espagne et le Portugal ou encore dans la réunification allemande, dans la réconciliation entre l’ouest et l’est de l’Europe, dans la pacification des Balkans orientaux et, last but not least, dans la fin de la guerre civile en Irlande du Nord.

Sur ce dernier point, le blocage idéologique et souverainiste dont souffre encore le gouvernement britannique dans les négociations actuelles sur les questions de la frontière irlandaise va à l’encontre de la réalité historique, à savoir le poids de l’Union européenne et le rôle capital qu’elle a joué dans le règlement de cette guerre civile aux relents de guerre de religion.

Pourtant, cette réalité a été écrite noir sur blanc dans un très intéressant rapport du mois de décembre 2016, rédigé par nos collègues de la Chambre des Lords, soulignant le rôle majeur de l’Union européenne dans le processus de paix, notamment au regard des garanties apportées par l’Union européenne dans l’application concrète de l’accord de Belfast de 1998, de son effet sur la transformation des relations bilatérales et l’apaisement des tensions communautaires en Irlande du Nord et de l’impact considérable qu’ont eu et continuent d’avoir les financements européens en Irlande du Nord.

Alors oui, c’est incontestable, l’appartenance à l’Union européenne est encore et toujours source de pacification. Souhaitons que Mme May revienne vite à la raison et accepte la proposition juste et mesurée formulée par les négociateurs européens sur la question irlandaise.

L’Union européenne est donc un espace de paix, mais aussi toujours un espace de prospérité. Certes, il faut bien le dire, cette prospérité est à présent relative et assez fragile. Aussi est-il indispensable de la relancer : c’est notamment pourquoi la France propose de renforcer la zone euro, d’harmoniser les politiques fiscales et industrielles, de taxer les revenus des grands groupes du numérique.

Toutefois, le coût d’une future non-appartenance à l’Europe s’observe déjà très concrètement dans l’évolution récente et à venir de la croissance au Royaume-Uni. Il est en effet déjà loin le temps où, en 2014, l’ex-Premier ministre, M. David Cameron, plastronnait et promettait la tenue d’un référendum sur le maintien ou non dans l’Union européenne. Cette année-là, le Royaume-Uni affichait une insolente progression de 3, 1 % de son PIB, quand la zone euro n’était qu’à 1, 3 %. Aujourd’hui, les courbes ne cessent de s’inverser, puisque toutes les prévisions pour l’année en cours et les années à venir laissent entrevoir un différentiel important au bénéfice de la zone euro.

J’espère, madame la ministre, qu’à l’occasion de ce Conseil européen la France et ses partenaires auront à cœur de ramener nos amis britanniques à plus de raison, en leur rappelant peut-être cette belle formule du grand écrivain anglo-australien Arthur Upfield : « Ce que l’on croit n’a aucune importance. Seuls les faits comptent. »

Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Ouzoulias

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, aux premiers temps de la République romaine, au début du Ve siècle avant notre ère, à plusieurs reprises, la plèbe décida et organisa sa sécession en se rassemblant hors de la Ville pour protester contre les abus de pouvoir des patriciens, le poids des dettes qui pesaient sur elle et son exclusion des magistratures. En s’insurgeant de la sorte, elle voulut montrer son opposition à une forme de gouvernement qui l’excluait et qui ignorait son souhait d’être mieux associée à la vie politique de la cité.

Vous me permettrez de considérer que les électeurs italiens viennent de manifester, par la radicalité de leurs votes, une forme moderne de ce retirement. À l’occasion de ce débat, il nous incombe de comprendre pourquoi le rejet de l’Europe est devenu, dans ce pays fondateur de l’Union européenne, le socle commun des extrémismes et de la xénophobie, d’autant que le séisme politique qui vient de toucher l’Italie s’ajoute à ceux qui ont déjà ébranlé l’Allemagne, l’Autriche, la Lettonie, la Hongrie, le Danemark, la Suède, la Slovaquie.

Dans tous ces pays, une extrême droite résolument raciste et anti-européenne s’est solidement installée dans les parlements et, parfois, dans les gouvernements. Au délitement de l’idée européenne fondée sur la démocratie, la paix, les droits de l’homme et la solidarité, elle oppose la fermeture des frontières, la chasse aux étrangers, le repli identitaire et, souvent, la volonté de constituer de nouvelles entités nationales au-delà ou en deçà des limites actuelles des États. Des élections européennes se dérouleront, dans un peu moins d’un an, au mois de mai 2019. Chers collègues, tremblons à l’idée, de moins en moins invraisemblable, que ces forces puissent devenir la principale composante du futur Parlement européen.

Comment en est-on arrivé là ? Comment l’Italie, pays connu depuis toujours comme l’un des plus actifs partisans de la construction européenne, s’en éloigne-t-elle aujourd’hui avec autant de violence ?

D’aucuns ont estimé, non sans raison, que l’afflux de réfugiés dans la péninsule avait contribué à déstabiliser une société déjà fragilisée par la crise. Il est vrai que l’Italie comme la Grèce ont dû gérer cet accueil sans grande aide de l’Union européenne, dont la plupart des membres leur ont refusé toute forme de solidarité.

Les organisations non gouvernementales évaluent à plus de 10 000 le nombre de réfugiés qui vivent en Italie, dans des campements de fortune, sans aucune aide. Malgré les appels du pape François, qui exhorte les Italiens à les recevoir dignement, parce que « les pauvres sont [notre] trésor », la peur de l’étranger est devenue la manifestation d’une opposition radicale à la globalisation, dans sa variante européenne, et de ses conséquences toujours plus destructrices.

Parcourez l’Italie du Sud et la Sicile et comprenez, à la vue de leurs innombrables friches industrielles, que le mal est là, dans ces tissus économiques totalement déstructurés par trente années d’une crise sans fin. La carte électorale de l’Italie est aujourd’hui celle de la pauvreté, celle des régions en voie de sous-développement, celle de l’exode des jeunes diplômés vers le nord, dans un mouvement similaire à celui qui avait poussé hors du pays leurs grands-parents et leurs arrières grands-parents.

Au-delà de ces terres du Sud, partout en Europe, vous trouverez des régions entières subissant ce même déclin et manifestant, vis-à-vis de l’Union européenne, le même dédain.

Ainsi, pour les mêmes raisons, les Midlands, accablées par la perte de leurs industries, ont voté massivement en faveur du Brexit. La production manufacturière ne représente plus que 9 % du PIB du Royaume-Uni, et son recul a été le plus dévastateur dans ces régions qui constituaient naguère le cœur historique de la révolution industrielle. Pour leurs chômeurs, ce déclin est associé à la construction européenne et il leur est parfaitement indifférent que la City perde son passeport financier à la suite du Brexit, tant le destin de cet îlot de richesse leur est devenu aujourd’hui étranger.

En France, des processus similaires sont à l’œuvre et je vous rappelle que, depuis quarante ans, la valeur ajoutée de l’industrie manufacturière dans l’économie a été divisée par deux.

Ce reflux général a vidé de leur substance nombre d’anciens bassins industriels.

Ces déclassements de régions entières sont les conséquences d’une redistribution géographique majeure de la production industrielle, qui se réalise maintenant à l’échelle européenne. De nombreux emplois parmi les moins qualifiés ont migré vers l’est de l’Europe et les productions à haute valeur ajoutée sont maintenant concentrées dans un petit nombre de pays de l’Europe du Nord, qui ont maintenu, puis renforcé leur capacité dans ces domaines.

Ces emplois perdus ont rarement été remplacés par de nouveaux postes créés dans d’autres secteurs économiques. Il en résulte de fortes disparités géographiques de la richesse qui ne cessent de s’accroître et qui minent les fondements d’une Europe qui ne peut se perpétuer sans être solidaire.

L’Allemagne est souvent considérée comme la responsable de ces déséquilibres économiques, parce qu’elle aurait imposé une politique économique et monétaire favorable à ses seuls intérêts. La critique est en partie injuste, car son gouvernement a soumis son propre peuple au même ordo-libéralisme, avec les mêmes conséquences sociales.

Dans son rapport du 7 mars dernier, la Commission européenne note ainsi que la faiblesse de la demande intérieure et la stabilité des salaires, associées à une production économique inférieure à celle de 2009, ont eu pour conséquence d’accroître considérablement les inégalités sociales et la pauvreté en Allemagne. Plus de 60 % des richesses de ce pays sont détenues par 10 % de la population, alors que la moitié des ménages les plus pauvres n’en détiennent que 1 %. L’emploi à temps partiel a beaucoup progressé ; surtout, près de trois millions de travailleurs sont obligés d’exercer un second emploi pour vivre. De façon synthétique, le coefficient de Gini, qui mesure les inégalités de traitement, place l’Allemagne au sommet des pays les plus inégalitaires de l’Europe.

Face à cette crise de l’Europe, une nouvelle fois, le renforcement de la relation franco-allemande nous est proposé comme la seule solution possible. Elle est sans espoir à défaut d’une analyse radicale de l’ordo-libéralisme institué comme principe régulateur de l’espace économique européen. Cette doctrine impose l’équilibre budgétaire, l’indépendance monétaire et un niveau élevé de concurrence pour mettre l’entreprise au service de la société et prétendument offrir à chacun de ses membres la faculté d’y prospérer.

Alors que le XXIe siècle nous est présenté comme celui d’une ère sans idéologie, il est urgent d’abandonner ce dogme dont l’état social de l’Europe montre qu’il nous conduit à l’abîme. Notre Union européenne n’a pas besoin de grande déclamation, depuis la colline de la Pnyx ou l’amphithéâtre de la Sorbonne (, pour convoquer les mânes des pères fondateurs de l’Europe, si nous sommes incapables de comprendre qu’il nous faut d’abord trouver, dans l’urgence de la catastrophe qui vient, des moyens pour soulager le quotidien de millions d’Européens qui vivent dans ces territoires de relégation, condamnés par des processus économiques qui les excluent.

Ayons l’audace salvatrice d’affirmer, dans les discussions à venir, que le seul horizon pour sauver l’Europe est celui de la réduction des inégalités. Des politiques en rupture avec les dogmes de l’ordo-libéralisme sont expérimentées en ce moment. Elles prouvent, par leur succès, qu’il est possible de concilier le développement, la redistribution de la richesse et l’indispensable solidarité entre les individus et les territoires. Sortons de la pensée unique pour poser les bases d’une analyse rigoureuse des conséquences sociales des politiques économiques.

Replaçons maintenant l’humain et la société au cœur de nos préoccupations. Soyons humanistes pour tenter d’éviter que l’Europe de demain ne soit plus qu’un espace dédié à la libre circulation des marchandises et livré aux forces antidémocratiques.

Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour le groupe Union Centriste.

Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Président de la République a demandé et obtenu la confiance des Français sur un programme faisant une large place à la construction européenne et à l’affirmation de notre communauté de destin.

À plusieurs reprises, il a exprimé l’ambition européenne de notre pays, qui prend la forme d’une exigence. Il en a présenté les fondements intellectuels et historiques, mais en a également tracé les perspectives lors de son discours de la Sorbonne, auquel il a été fait référence.

À la veille du prochain Conseil européen, le soutien à l’action européenne du Président de la République est plus que jamais nécessaire. Mon propos n’est pas simplement la manifestation de ce soutien, même si je l’assume volontiers, il est aussi l’expression des intérêts de notre pays.

Mes chers collègues, nous pouvons aisément mesurer l’imbrication des enjeux français et des enjeux européens par le nombre, la diversité, l’importance des sujets que vous évoquez les uns et les autres à la suite de l’intervention de Mme la ministre. Cela illustre assez bien vos attentes, ce que vous avez appelé, suivant des formules différentes, le coût de la non-Europe, l’espoir de plus d’Europe ou d’une autre Europe. Quels que soient les points de vue exprimés par les différents groupes, un fil rouge se devine, me semble-t-il : une forme de gravité, peut-être un peu plus lourde encore que celle que nous avons pu entendre lors d’autres débats de ce type.

La République romaine, voire l’Empire romain, puis les Midlands de la seconde moitié du XIXe siècle ont été rappelés à notre attention. Je partage, chers collègues, l’intérêt de cette mise en perspective historique, je la crois même indispensable. J’aurais toutefois tendance à y ajouter, pour le saluer, le travail qui a été accompli depuis la Seconde Guerre mondiale par les gouvernements successifs des États membres de l’Europe – c’est tout à leur honneur -, ainsi que l’ampleur des chantiers entrepris tout autant que – et c’est heureux – les résultats.

Il est important de conserver cette perspective historique, y compris pour le couple franco-allemand, dont on nous disait il y a un instant qu’il était sans espoir. Je considère qu’il est au contraire plein d’espoir ; en tout cas, il est de nouveau opérationnel, avec un axe européen marqué dans le contrat de grande coalition. Mais il existe aussi des prudences rédactionnelles, de sorte que, entre ambition européenne et prudences rédactionnelles, des inquiétudes sur le risque d’un statu quo peuvent surgir. D’une certaine manière, il faut faire attention à ne pas s’en tenir aux formules de style quand on parle du couple franco-allemand. Certes, c’est un élément essentiel, mais il convient de souhaiter que, au-delà de la formule, le contenu soit à la hauteur des enjeux dans les mois qui viennent.

Le thème même du Conseil européen, à savoir l’emploi, la croissance et la compétitivité, pourrait inciter à une forme de statu quo. Je nourris quelques craintes à cet égard tant pour certains, notamment pour les pays du nord de l’Europe, l’Union européenne apparaît dans la durée comme une forme d’îlot de stabilité et de prospérité, du moins par rapport aux malheurs du monde.

Reste que, vous le savez, rien n’est acquis, en particulier pour notre pays, qui a devant lui de nombreuses réformes à mener – nos partenaires nous le rappellent régulièrement – pour regagner une position de leader économique en Europe que nous n’aurions jamais dû quitter et réduire notre taux de chômage, comme l’ont fait avec succès plusieurs de nos voisins.

C’est dire, chers collègues, que la politique économique de la zone euro, sa gouvernance, l’union bancaire, le marché unique des capitaux ont besoin de décisions, que la convergence fiscale, sur laquelle plusieurs d’entre vous ont insisté, est à mettre en œuvre, depuis les taux de l’impôt sur les sociétés en passant par les rescrits fiscaux, sans oublier la fiscalité du numérique, qui confine à la caricature.

Ainsi, Google paierait un impôt représentant 9 % de son chiffre d’affaires hors de l’Union européenne, à comparer au minuscule 1 % – 0, 92 % paraît-il-, payé dans l’Union européenne. Et que dire de Facebook, qui réussirait la performance de descendre à moins de 0, 10 % ?

La question des droits de douane est venue s’ajouter à ces difficultés, avec les initiatives individuelles des États-Unis, qui sont graves par leurs conséquences européennes, mais surtout par le fait que ce pays tourne le dos à toute forme de régulation internationale. Cela vaut pour l’aspect économique, mais aussi pour d’autres grands enjeux plus stratégiques, en particulier la question de l’accord sur le nucléaire autour de l’Iran et la deadline du 12 mai prochain.

Madame la ministre, vous comprendrez que, pour mes collègues comme pour moi-même, la voix de l’Europe soit particulièrement attendue sur ces différents sujets.

Il faut dire aussi que le contexte géopolitique est très lourd, du Moyen-Orient à la Russie, de l’Ukraine à la mer de Chine. Même pour ceux qui ont la foi européenne chevillée au corps, le découplage entre les enjeux géostratégiques, la montée en puissance militaire d’États-continents et les précautions oratoires ou les pudeurs qui peuvent exister en Europe, par exemple autour de la politique de défense, peuvent quelque peu agacer.

Mes chers collègues, à côté des enjeux économiques que je viens d’évoquer rapidement et des enjeux géostratégiques, l’Europe a des défis particuliers à relever, en matière de sécurité, d’immigration, de gouvernance économique.

En matière de sécurité, les risques sont nombreux, qu’il s’agisse des questions de défense ou de lutte contre le terrorisme. Ils trouvent maintenant leur véritable horizon de traitement à l’échelon de l’Europe. Si, en la matière, un seul doute persistait, l’exemplaire obsession de nos amis Britanniques à rester dans le cercle européen de la défense ou le cercle européen de la lutte contre le terrorisme le lèverait.

Il en est de même pour les enjeux en matière d’immigration. Plusieurs d’entre vous ont rappelé qu’à ne pas traiter correctement ces questions on s’exposait à des risques similaires à ceux qui viennent de se traduire sur le plan électoral en Italie.

Cette situation n’est peut-être pas unique, nous la retrouverons d’une certaine manière dans quelques semaines avec la réforme du droit d’asile, qui donne lieu à de nombreux débats dans notre pays. Sur ce sujet, je dois dire que, même pour des observateurs bienveillants vis-à-vis du Gouvernement, cette réforme peut paraître quelque peu surprenante tant la problématique du droit d’asile n’est plus franco-française, mais doit trouver sa place à l’échelon européen.

La gouvernance démocratique a été évoquée. J’aurais souhaité mentionner les consultations citoyennes comme l’importance de la conservation des idéaux, mais le temps me manque.

En conclusion, madame la ministre, je souhaite que, demain et après-demain, le Conseil européen puisse prendre des décisions. Le plus grave est aujourd’hui la non-décision. Au-delà des contenus, dont il ne faut pas se désintéresser, une aspiration forte s’exprime pour que des décisions soient arrêtées et qu’une feuille de route soit fixée.

Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – M. le président de la commission des affaires européennes et M. le président de la commission des affaires étrangères applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à Mme Sylvie Robert, pour le groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Sylvie Robert

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Conseil européen des 22 et 23 mars prochains se déroule dans un contexte où l’instabilité et les inquiétudes s’intensifient. L’imposition de droits de douane sur les importations d’aluminium et d’acier aux États-Unis ainsi que les tensions accrues avec la Russie tendent encore davantage les relations diplomatiques.

En interne, l’Union européenne doit avancer tangiblement sur des dossiers cruciaux, qui détermineront son avenir à moyen terme, parmi lesquels la question de son budget après 2020, la sortie du Royaume-Uni ou encore l’amélioration du dialogue social. Ce Conseil européen a donc un rôle majeur à jouer en termes d’impulsion politique, d’autant plus qu’il se situe à un an des élections européennes. Il sera l’occasion de vérifier, ni plus ni moins, l’ambition des chefs d’État pour l’Europe, à un moment où il se révèle impérieux de conforter le pôle de stabilité, de solidarité et de protection qu’est l’Union européenne.

Dans cette perspective, le profil du futur cadre financier pluriannuel de l’Union européenne sera un signal essentiel. En effet, le Brexit va créer un manque à gagner estimé entre 12 milliards d’euros et 15 milliards d’euros par an, soit 10 % à 15 % des ressources propres de l’Union européenne.

En parallèle, la Commission européenne et les dirigeants des États membres n’ont de cesse d’exprimer leur volonté de voir l’Union européenne monter en puissance sur un certain nombre de missions pour le moins non négligeables. C’est, par exemple, le cas en matière d’asile et de gestion des flux migratoires, de défense et de sécurité européennes, de soutien à l’industrie et à l’innovation. En d’autres termes, le cadre financier pluriannuel post 2020 est une équation : comment répondre à l’ensemble des défis, toujours plus nombreux, qui se posent à l’Union européenne sans la contribution du Royaume-Uni ?

La réponse logique voudrait qu’il faille augmenter le montant du budget actuel. À cet égard, le Parlement européen vient de démontrer, dans sa position adoptée très largement, que, pour remplir a minima ses missions actuelles, l’Union européenne devrait voir son budget porté à 1, 3 % du PIB européen. Pour rappel, il est actuellement à 1 %, alors qu’il représentait 1, 25 % du PIB de l’Union européenne en 1999.

Or la Commission européenne semble aujourd’hui s’orienter vers un plafond maintenu à 1 %, voire à 1, 1 % du PIB européen, tandis que les États membres, à l’occasion du Conseil européen informel du mois de février dernier, paraissent avoir acté une baisse des ressources du budget pour cause de Brexit. Il est pourtant clair que l’on ne peut faire plus avec moins…

Avoir une réelle ambition pour l’Europe aujourd’hui oblige à élargir les ressources propres de l’Union européenne. Par-delà les éventuelles hausses de contribution des États membres, qui sont certes un signal, mais aucunement une solution pérenne, nous ne pouvons pas reporter, encore une fois, les négociations sur cette thématique. C’est le moment idoine !

Par conséquent, madame la ministre, le Gouvernement est-il prêt à appuyer l’idée d’une augmentation des ressources propres de l’Union européenne ? Sans cela, ce sont les politiques européennes essentielles à la matérialisation du principe de solidarité qui risquent d’en subir les conséquences : la PAC et les politiques de cohésion au premier chef. Ce serait une erreur colossale !

Vous connaissez notre attachement, ici, au Sénat, à ces deux politiques structurelles, qui permettent d’établir un lien direct entre Bruxelles et tous les territoires, de lutter contre le sentiment d’éloignement que peuvent ressentir les citoyens européens à l’égard de l’Union européenne, de tout simplement rendre concrètes les avancées si nombreuses que favorise l’Union européenne.

Dans le climat actuel, caractérisé par une montée généralisée du populisme ainsi que par une critique facile à l’encontre des institutions européennes, la PAC et les politiques de cohésion sont précieuses. Il convient de les préserver à tout prix, tout en assurant à l’UE d’avoir les moyens de répondre aux nouveaux enjeux. Il convient de ne pas oublier que le budget européen n’est pas uniquement un instrument financier ; il est l’expression de choix politiques qui traduisent une ambition. Nous avons besoin d’avoir des preuves de cette ambition, et il est temps de convaincre !

Par ailleurs, la réforme de la zone euro, dont la feuille de route doit être adoptée en juin prochain, est l’occasion de marquer une ambition pour l’Europe. Or, eu égard aux dernières réunions au niveau ministériel, des inquiétudes de taille peuvent poindre : l’achèvement de l’union bancaire semble être en difficulté, en particulier sur la question clé du fonds européen de garantie des dépôts ; la réforme du semestre européen risque, quant à elle, d’aboutir à conditionner l’attribution des fonds de cohésion à l’aboutissement de réformes structurelles. Les collectivités ne doivent surtout pas être tenues responsables des choix budgétaires des gouvernements.

Avoir une ambition pour l’Europe, c’est aussi regarder vers l’avenir, donc vers la jeunesse. Le programme Erasmus, peut-être davantage que tout autre de l’Union européenne, a fait ses preuves et est reconnu. De nombreux étudiants ont bénéficié et bénéficient encore de cette ouverture à l’Europe, de la richesse d’un séjour dans un autre pays membre. Au retour de leur expérience, ils deviennent, en quelque sorte, des ambassadeurs de l’Europe et incarnent, concrètement, cette idée d’union des peuples européens.

Ainsi, il est heureux que les ministres de l’éducation aient annoncé, unanimement, leur volonté de renforcer considérablement Erasmus. Certains prônent un doublement de la dotation, fixée à 14, 7 milliards d’euros pour la période 2014-2020, d’autres un triplement. Néanmoins, au-delà de la problématique afférente au montant du programme, il est intéressant de s’interroger sur l’ouverture d’Erasmus à l’enseignement professionnel, voire au secondaire ou aux jeunes diplômés, comme quelques États membres le recommandent. Surtout, nous nous inquiétons du risque de substitution d’un système de bourses à un système de prêts individuels, afin de tenir l’objectif d’un doublement d’Erasmus. Nous aimerions avoir des précisions et des garanties du Gouvernement sur ce point, madame la ministre, car Erasmus doit pouvoir profiter à l’ensemble des jeunes et non à quelques-uns qui auraient un capital financier de départ plus substantiel.

Enfin, dans nos rangs, vous le savez, notre ambition a toujours été sociale. Jacques Delors a lancé ce mouvement indispensable, car le marché unique sans le bien-être social des citoyens européens n’a que peu d’intérêt. Pourtant, ce dialogue social européen s’est amplement essoufflé ces deux dernières décennies. C’est pourquoi nous ne pouvons que nous réjouir des récentes avancées qui consolident le pilier social européen.

La proposition de la Commission concernant la création d’une autorité européenne du travail était attendue. Elle ne sera pas la résultante d’une fusion entre les agences existantes et aura comme principale tâche, en tout cas dans l’immédiat, de garantir la libre circulation des travailleurs, dans le respect des règles européennes en matière de détachement, dont la réforme vient justement d’aboutir.

La proposition sur la coordination des systèmes de sécurité sociale visant à améliorer l’accès à la protection sociale en élargissant la couverture à tous les travailleurs et en rendant plus effectifs les droits sociaux des citoyens fixe des objectifs qui donnent tout son sens à l’Union européenne : protéger et améliorer le quotidien de chacun.

Les vingt principes du socle européen des droits sociaux, proclamés l’automne dernier, assoient cette finalité sociale de l’UE. Sans attendre les actes juridiques européens, qui donneront corps à ces principes, la Commission a encouragé les États membres à les traduire, in concreto, dans leur ordre interne. Il y va de l’égalité entre les femmes et les hommes, de l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée, du dialogue social dans l’entreprise ; en somme, de thèmes sociaux majeurs, à l’actualité contemporaine et aux incidences multiples : le congé de paternité, l’égalité salariale, le rôle de l’entreprise, etc. Où en est le Gouvernement dans la traduction nationale de ce socle européen ?

Mes chers collègues, ce Conseil européen n’est pas anodin : il permettra de jauger l’ambition des États membres pour l’Europe. Nous espérons que le Président de la République saura mettre en conformité ses déclarations avec des engagements tangibles et élevés au service de l’UE et, surtout, au service de ses citoyens.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à Mme Colette Mélot, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.

Debut de section - PermalienPhoto de Colette Mélot

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Conseil européen des 22 et 23 mars sera d’une grande importance pour l’Europe économique et pour l’Europe sociale. Il sera d’abord l’occasion pour les chefs d’État ou de gouvernement de lancer le fameux « semestre européen », en adoptant les priorités économiques de l’Union, fondées sur l’examen annuel de la croissance.

Le « semestre européen » est le principal outil de convergence des économies européennes et s’articule autour de trois axes de coordination : premièrement, les réformes structurelles, qui visent principalement à promouvoir la croissance et l’emploi, conformément à la stratégie Europe 2020 ; deuxièmement, les politiques budgétaires, dans le but d’assurer la viabilité des finances publiques, conformément au pacte de stabilité et de croissance ; enfin, la prévention des déséquilibres macroéconomiques excessifs.

Sur ce dernier point, je me réjouis de la récente décision de la Commission européenne de sortir la France de la catégorie des pays à « déséquilibres macroéconomiques excessifs » pour la première fois depuis dix ans. Le 6 mars dernier, la Commission a en effet publié son diagnostic annuel sur la santé des pays européens, et la France a recueilli un satisfecit pour les réformes entreprises.

Cette nouvelle est encourageante, mais fait peser une responsabilité accrue sur le Président de la République et sur le Gouvernement pour poursuivre l’assainissement des finances publiques et les réformes de structure. Par exemple, le niveau de notre dette publique et l’aggravation continuelle de notre déficit commercial depuis plusieurs années sont des points très préoccupants, …

Debut de section - PermalienPhoto de Colette Mélot

… qui devront faire l’objet d’actions extrêmement fermes à court terme.

Lors de l’examen des lois financières de l’automne, notre groupe a défendu cette logique de responsabilité budgétaire et de réformes structurelles ambitieuses. Elle est pour nous cruciale pour retrouver notre crédibilité en Europe et la capacité d’entraînement politique qui nous a fait défaut ces dernières années.

Ce Conseil européen sera donc éminemment économique, mais son ordre du jour apporte également beaucoup d’espoir aux tenants d’une Europe plus sociale, plus juste et plus solidaire. Je crois en effet que ces deux aspects de la construction européenne vont de pair et que l’Europe sociale a trop longtemps été négligée au profit du marché unique. Le primat du « grand marché » a sans doute été une cause du désenchantement des peuples que nous observons depuis plusieurs années. Il est heureux que l’Union européenne tente enfin de marcher sur les deux jambes de l’efficacité économique et de la justice sociale. L’une ne peut aller sans l’autre.

Un discours du pape Benoît XVI, ce grand européen, m’a beaucoup marquée. En 2007, à Vienne, devant le corps diplomatique, il évoquait avec attachement notre « maison Europe », notre « modèle européen », qu’il qualifiait « d’ordre social qui conjugue efficacité économique avec justice sociale, pluralité politique avec tolérance, libéralité et ouverture ». Il affirmait que ce modèle était menacé par une mondialisation qu’il ne s’agissait pas de combattre - c’est une illusion populiste -, mais de canaliser, de réguler, pour préserver l’autonomie des plus fragiles et le bien-être des générations futures. Je crois qu’il exprimait ainsi le sens profond du projet européen et le rôle historique de ses institutions.

Aussi, je me félicite que l’ordre du jour social de ce Conseil européen soit fourni et ambitieux. La mise en œuvre concrète du « socle de droits sociaux » est par exemple une nécessité pour harmoniser les conditions de vie des travailleurs européens.

La proposition de création d’une « autorité européenne du travail et pour l’accès à la protection sociale » est également une bonne initiative de la Commission : elle permettra de remédier aux failles du marché unique, tout en exploitant tout son potentiel pour la mobilité des travailleurs. Sa mission sera d’encourager la coopération des États membres en matière réglementaire, d’échange d’informations et de médiation. Dans la continuité de l’initiative du Président de la République sur le travail détaché, la France devra soutenir la création d’une institution puissante et efficace, au mandat élargi.

En matière de fiscalité numérique, c’est toujours l’idée d’un équilibre entre l’efficacité économique et la justice fiscale qui devra présider aux mesures qui seront présentées lors du prochain Conseil européen.

Ce dossier est complexe. Il inclut de nombreux facteurs, dans un environnement technologique changeant. Il impose de trouver un équilibre politique entre l’encouragement de l’innovation et la juste contribution aux charges communes. Les plus grands économistes du monde, dont le prix Nobel français Jean Tirole, ont admis que la fiscalité de l’économie numérique est un grand défi contemporain : il s’agit bien ici de prendre en compte des modèles économiques en réseau, qui échappent par nature à la territorialité de l’impôt et qui profitent de surcroît de la concurrence fiscale entre les États membres de l’Union.

Cette question illustre parfaitement pourquoi nous avons besoin de plus d’Europe : seule une Union européenne unie, solidaire et parlant d’une seule voix sera capable de peser face aux géants du numérique américains et, demain, chinois.

Je terminerai donc par ce dernier point : l’Europe doit être plus efficace, je l’ai dit ; elle doit être plus juste, je l’ai rappelé, mais elle doit également être plus unie et plus forte pour défendre ses valeurs et ses intérêts dans le monde.

Avec le départ du Royaume-Uni, la France doit plus que jamais entraîner l’Union européenne vers un avenir de puissance, notamment avec nos partenaires et amis allemands. Le cinquante-cinquième anniversaire du traité de l’Élysée, que nous avons fêté il y a deux mois, a d’ailleurs démontré la volonté du Président de la République et de la Chancelière allemande de relancer le projet européen grâce à la force motrice indiscutable du couple franco-allemand. Pour autant, l’Union européenne compte vingt-huit, bientôt vingt-sept États membres, et chacun aura un rôle essentiel à jouer afin que nous puissions incarner une véritable « Europe puissance ».

Cette « Europe puissance », défenseur de ses intérêts et protectrice de ses valeurs, ne peut néanmoins fonctionner que si tous ses États membres et institutions jouent le jeu. J’en veux pour preuve la récente nomination de Martin Selmayr au poste de secrétaire général de la Commission européenne, dans des conditions inacceptables, qui jette une ombre sur le projet européen. Le président du groupe Les Indépendants, Claude Malhuret, l’a d’ailleurs parfaitement expliqué lors de sa question au ministre de l’Europe et des affaires étrangères, la semaine dernière : « À l’aube des élections européennes, cette nomination dans des conditions obscures est un cadeau aux europhobes, qui vont dénoncer l’opacité, les manœuvres internes et le manque de démocratie qu’ils reprochent à l’Europe. » Il est absolument nécessaire que la France conteste cette nomination lors du prochain Conseil européen, en dénonçant le manque de transparence de la procédure ainsi que la surreprésentation de l’Allemagne au sein des postes clés des institutions de l’Union.

Sans hurler avec les loups populistes et eurosceptiques, les partisans de la construction européenne doivent avoir le courage de critiquer ce qu’ils aiment et qu’ils défendent : non pas dans une critique abrasive, destructrice, haineuse, celle des europhobes, mais dans une critique constructive et bienveillante, avec l’idée de rebâtir la « maison Europe » sur des fondations plus fermes et plus durables.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe La République En Marche, du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste. – M. le président de la commission des affaires européennes applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à M. Stéphane Ravier, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Ravier

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les sujets abordés lors de ce Conseil européen seront multiples. Je me concentrerai donc sur un seul point, et non des moindres, celui de l’adhésion possible de la Turquie à l’Union européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Ravier

Car, au-delà de l’enfumage médiatique et des déclarations d’un certain nombre de nos collègues parlementaires nationaux, la vérité, que nous devons aux Français, est que les négociations entre la Turquie et les mondialistes de l’Union européiste vont bon train. J’en veux pour preuve une réunion prévue le 26 mars à Varna, en Bulgarie, où les dirigeants de l’Union rencontreront le Président turc Erdogan pour faire le point sur les relations entre l’Union européenne et la Turquie.

« Nous devons normaliser les relations avec la Turquie », a soutenu le Premier ministre bulgare lors d’une réunion avec M. Juncker, le 12 janvier à Sofia. Le président de la Commission européenne avait, pour sa part, déploré la détérioration des relations avec Ankara. Je le cite : « La Turquie s’éloigne d’elle-même à grands pas de l’Europe. »

Cette rencontre de Varna veut permettre de renouer le dialogue. Personne ne s’en cache ! « Elle doit nous permettre de partager nos points de vue sur la façon de faire avancer notre relation, sur la base du respect mutuel et de l’intérêt commun », ont insisté MM. Tusk et Juncker dans leur lettre au Président Erdogan.

Alors, nous le disons, nous, au Front national, et nous sommes les seuls : nous ne voulons pas renouer le dialogue avec la Turquie ! Nous demandons, et ce depuis le début des négociations, l’arrêt définitif du processus d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne.

Pourquoi ? Car, mes chers collègues, l’histoire, c’est avant tout la géographie ! Prenez une carte du monde : vous aurez beau la présenter dans tous les sens, la secouer, la rouler en boule, la déployer, la Turquie ne fera toujours pas et ne fera jamais partie du continent européen !

Pourquoi ? Car la Turquie islamique ne fait pas partie culturellement de l’Europe chrétienne ; n’en déplaise aux talibans de la laïcité et aux marchands du temple, l’Europe, c’est avant tout un héritage helléno-judéo-chrétien !

Pourquoi ? Car la Turquie dictatoriale d’Erdogan ne fait pas partie de l’Europe démocratique. Depuis la tentative de pu-putsch de l’été 2016, l’état d’urgence perdure en Turquie, et il est bien évidemment un prétexte pour étendre la répression bien au-delà de la mouvance accusée d’avoir fomenté le coup d’État.

Un rapport du Haut-Commissariat de l’ONU, en date du 20 mars dernier, dénonce les arrestations arbitraires et le renvoi des fonctionnaires. Les chiffres donnent le vertige : 50 000 arrestations, dont 160 journalistes, 150 universitaires ; 150 000 fonctionnaires ont été suspendus ou radiés. On ne compte plus les remises en cause de l’État de droit et de l’indépendance de la justice.

Un siècle après le terrible génocide arménien, les Turcs continuent de persécuter les quelques communautés chrétiennes qui subsistent dans ce pays en pleine réislamisation, délaissant le patrimoine chrétien pourtant multiséculaire.

Avec ses 80 millions d’habitants, l’adhésion de la Turquie fera de l’Europe une autre petite nièce de l’islam et une cible de l’islamisme, comme pourraient le craindre certains intellectuels français. Cela aussi, je tiens à le dénoncer.

Réduction du rôle du Parlement et concentration de ses pouvoirs entre les mains du Président, presse aux ordres, justice sous pression, opposition muselée, islamisme conquérant, décidément, la Turquie ressemble de plus en plus à la Macronie !

Protestations sur de nombreuses travées.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Ravier

… avec cette hypocrisie, car l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne est un processus qui avance masqué, mais qui avance, et à marche forcée, contre l’avis des peuples, contre l’avis des Français et avec le soutien zélé de nos collègues socialistes et Les Républicains au Parlement européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Ravier

La Turquie, qui après avoir reçu 7 milliards d’euros de l’Europe, doit en recevoir 6 milliards de plus dans les trois ans à venir, et ce en échange de la maîtrise des flux migratoires, comme le veut un accord funeste signé en mars 2016.

Insupportable chantage du Président Erdogan ! L’adage chiraquien, qui veut que les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent, prend toute sa signification lorsque M. Erdogan promet de freiner les flux migratoires.

Chiffres à l’appui - ça rentre comme il pleut ! -, ce sont plus de 5 millions de migrants, …

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Ravier

… de clandestins qui ont déferlé sur l’Europe entre 2011 et 2017.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Ravier

Et la Turquie continue d’être une terre de passage, alors que le nombre de traversées mensuelles de la mer Égée continue d’avoisiner les 5 000 !

Alors, madame la ministre, mes chers collègues, je vous le dis, pour des raisons géographiques, historiques, culturelles, politiques et démocratiques : non, définitivement non à la Turquie en Europe !

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – Mme Colette Mélot applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

« Retrouver l’esprit de Rome », plaidait, en février 2017, le rapport du Sénat sur l’état de l’Europe.

Le Brexit, tout autant que les doutes de nos concitoyens exigent que l’on refonde une Europe déjà en crise. C’est cette priorité qu’ont réaffirmée le Président de la République et la Chancelière à Paris, vendredi dernier.

Le rapport du Sénat disait qu’il fallait retrouver un leadership : le couple franco-allemand est désormais à nouveau sur pied. Alors, halte aux dérives bureaucratiques, repoussoir du projet européen, recentrons-nous sur l’essentiel : une Europe offensive, centrée sur ses vraies priorités ! Mon collègue Bonnecarrère les a rappelées : la sécurité, l’emploi, l’immigration, les investissements d’avenir.

L’alternative, mes chers collègues, est claire : le sursaut ou la sortie de l’histoire. En 2050, aucun État européen ne pèsera plus de 1 % de la population mondiale. Seule l’Allemagne fera encore partie des dix premières puissances économiques mondiales. C’est donc à travers l’Union européenne, et elle seule, que les États européens pourront continuer à vivre. C’est aussi en regroupant ses forces que l’Europe pourra préserver son modèle de société et défendre ses valeurs.

Porté par les États-nation, le projet européen doit être renouvelé. Le Sénat avait tracé la « feuille de route » de ce nouveau départ, largement repris dans le discours de la Sorbonne par le Président de la République. Nous ferons mi-avril, avec mon collègue et ami le président Bizet, au sein de notre groupe de suivi du Brexit, le point sur la mise en œuvre de cette « feuille de route » que nous proposerons à l’exécutif.

En quoi l’ordre du jour du prochain Conseil européen nous rapproche-t-il de cette exigence de refondation ? Je laisse à Jean Bizet le soin de s’exprimer, en notre nom à tous les deux, sur la renégociation du Brexit à proprement parler ; je ne ferai que deux remarques, qui recouvrent, mais différemment, les propos de l’orateur précédent.

Ma première remarque a trait aux Balkans occidentaux.

Dans l’ordre du jour, on trouve en effet un point concernant les négociations d’adhésion en cours avec la Serbie et le Monténégro. L’ouverture prochaine de négociations avec l’Albanie et l’Ancienne République yougoslave de Macédoine est envisagée, tandis que la perspective européenne semble plus éloignée pour la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo.

Bien sûr, personne ne peut nier la dimension historique et géopolitique de ce processus, dans une région longtemps qualifiée de « poudrière », où les rivalités stratégiques ont toujours été fortes, avec des jeux d’influence russes, turcs, élargis maintenant à la Chine. C’est dans cette région que la Première Guerre mondiale, dont nous commémorons cette année le centenaire de l’armistice, a démarré. C’est également là que s’est déroulé le premier et dernier conflit majeur qu’ait connu l’Europe à ce jour depuis la Seconde Guerre mondiale.

Mais si l’Union européenne devait s’élargir aux Balkans occidentaux, ce devrait être plutôt pour consolider l’ensemble européen et non pas pour le déstabiliser. Or, franchement, madame la ministre, je vous le demande, la relance de l’élargissement est-elle vraiment souhaitable, au moment même où l’Europe doit se concentrer sur sa refondation, et alors que nos capacités financières vont être réduites par le Brexit ?

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Évidemment, le processus d’adhésion est un puissant levier de réforme dans les pays candidats, dans des domaines essentiels tels que l’État de droit, la sécurité et les migrations, ainsi que pour la pacification des relations à l’intérieur des Balkans. Mais, je le dis fortement à la lumière des précédents élargissements, il ne faudra faire preuve d’aucun laxisme, et les pays candidats devront, le moment venu, être parfaitement prêts. Notre conviction est que l’Union européenne devra l’être également, ce qui sous-entend qu’elle ait pu elle-même mener les réformes institutionnelles et financières nécessaires à sa relance.

Est-il raisonnable d’envisager les premières adhésions, celles de la Serbie et du Monténégro, à l’horizon de 2025 ? Pourquoi se fixer ainsi une échéance, au risque de décevoir les opinions des pays concernés ?

Nous appelons le Gouvernement à la plus grande prudence. Tirons les enseignements du référendum britannique sur le Brexit, en reconnaissant que l’Europe doit d’abord se consolider elle-même avant de poursuivre un processus d’élargissement qui contribue à la défiance des opinions publiques européennes à son égard.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Ma deuxième remarque porte sur la Turquie. Parlons-en !

La Turquie, candidate à l’adhésion depuis 1999, risque de percevoir l’accélération du processus d’élargissement des Balkans comme un affront pour elle-même.

Un sommet Union européenne-Turquie doit avoir lieu le 26 mars prochain à Varna, en Bulgarie. La Turquie souhaite en effet une accélération de son processus d’adhésion, comme nous l’a indiqué, récemment encore, son ambassadeur à Paris.

Nous savons tous, et je le dis à l’orateur précédent, que cette perspective n’est pas crédible, ne serait-ce qu’en raison de la situation des droits de l’homme et des libertés fondamentales actuellement en Turquie.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Si une réaction des autorités était légitime après la tentative de coup d’État du 15 juillet 2016, le régime d’état d’urgence entraîne des atteintes manifestement disproportionnées à la liberté d’expression et une remise en cause de l’indépendance de la justice.

D’autre part, nous le regrettons, la Turquie est à nouveau à l’origine d’une montée des tensions en Méditerranée orientale, où elle a encore récemment bloqué une plateforme de forage italienne, tout près de Chypre, et a été à l’origine de plusieurs incidents avec la Grèce.

À cela s’ajoutent, mes chers collègues, les préoccupations liées à l’intervention turque en Syrie, dans la zone d’Afrin, où la situation humanitaire est absolument catastrophique.

Applaudissements sur la plupart des travées.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

À la différence de l’orateur précédent, je dirai qu’il est clair que la Turquie demeure un partenaire stratégique majeur, membre de l’OTAN, avec qui nous devons dialoguer, malgré son éloignement constant et croissant du camp occidental. Notre relation bilatérale est certes compliquée, mais marquée par de nombreux sujets d’intérêt commun, en matière de sécurité notamment. Dois-je rappeler, par exemple, que la Turquie a scrupuleusement respecté l’accord signé avec l’Union européenne en mars 2016, dans lequel elle s’engageait à bloquer le flux d’une immigration clandestine ? De la même manière, nos relations économiques sont absolument essentielles. Et la société civile turque, qui souffre actuellement, nous demande constamment de ne pas rompre un dialogue qui demeure un instrument en faveur de transformations internes !

Le Président de la République s’est prononcé, lors de son entretien de janvier avec le Président Erdogan, pour une reformulation du dialogue Union européenne-Turquie. Nous pensons que c’est la bonne voie ; vous aurez certainement l’opportunité, madame la ministre, de nous préciser les modalités de ce dialogue nouveau. Nous avons d’autres exemples : le statut avancé du Maroc avec l’Union européenne en est un. C’est l’une des possibilités.

Mes chers collègues, nous le voyons, la France est de retour en Europe. Au Gouvernement d’utiliser cette force pour créer une dynamique pour relancer le projet européen, car c’est bien l’attente de tous les peuples d’Europe !

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les 22 et 23 mars prochains se tiendra un Conseil européen de printemps particulièrement riche avec, en premier lieu, une nouvelle étape importante pour ce qui concerne le retrait du Royaume-Uni.

Un projet d’accord de retrait, paru le 28 février, a transcrit en termes juridiques le rapport conjoint des négociateurs du 8 décembre 2017. Il doit permettre d’aboutir à un accord final d’ici au mois d’octobre 2018. Cet accord devra résoudre les trois questions clés portant sur les droits des citoyens, le règlement financier et la délicate question de l’Irlande.

Cette dernière question demeure la plus complexe et la plus lourde de conséquences potentielles. Comment ne pas reconstituer une nouvelle frontière en Irlande si le Royaume-Uni renonce au marché unique et à l’union douanière ? Comment éviter de faire renaître des tensions qui avaient été apaisées avec l’accord du Vendredi saint ? Nous prenons acte de l’annonce faite par les négociateurs d’un accord autour de la mise en place d’un « espace réglementaire commun » incluant l’Union et l’Irlande du Nord sans frontières intérieures. C’est en pointillé, oserais-je dire, sans provocation, une réunification de l’Irlande qui se profile. En l’absence d’une alternative, c’est probablement la solution la plus sage. Pouvez-vous en dire plus, madame la ministre ? C’est aussi l’occasion pour moi de saluer une nouvelle fois l’excellent travail effectué par le négociateur de l’Union, notre compatriote et ancien collègue Michel Barnier.

Pour la relation future, Mme May a désormais clarifié la position britannique. La solution d’un accord de libre-échange est la seule voie possible. Soyons clairs : il en résultera des complications et un coût élevé pour les entreprises, mais c’est la conséquence du choix britannique.

Il ne saurait non plus y avoir un marché unique « à la carte ». L’intégrité de celui-ci doit être préservée. Les services financiers seraient soumis à un dispositif d’équivalences améliorées. Enfin, la coopération avec le Royaume-Uni devra demeurer étroite dans des domaines comme la défense ou la sécurité intérieure.

Je salue d’ailleurs la dernière proposition du président Tusk de barrières tarifaires symboliques. En revanche, rien n’a été dit au sujet des barrières non tarifaires… Or on sait que les barrières tarifaires représentent en moyenne 15 % du coût d’une transaction.

Une période de transition paraît inévitable, mais elle sera conditionnée à un accord sur les modalités du retrait. Nous approuvons les principes posés par l’Union : cette période ne doit pas aller au-delà du cadre financier pluriannuel en cours, soit au-delà du 31 décembre 2020, ni être reconductible. Le Royaume-Uni devra respecter l’ensemble de l’acquis communautaire, mais il ne sera plus partie au processus de décision…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

… puisqu’il sera désormais un État tiers. Les quatre libertés, en particulier la liberté de circulation, devront être maintenues. Nous prenons bonne note d’un accord trouvé par les négociateurs sur cette transition. Pouvez-vous, madame la ministre, apporter plus de précisions au Sénat sur ce point ?

Pendant que le Royaume-Uni organise son isolement, parce que c’est ainsi, je crois, qu’il faut le nommer, l’Europe doit continuer à avancer, en affirmant son unité. Le Conseil européen de juin devra marquer une étape importante pour la relance européenne. Mais, dès sa réunion de mars, le Conseil européen abordera des questions cruciales. Je pense à la stratégie du marché unique, au marché unique du numérique, à l’union des marchés de capitaux et à l’union de l’énergie. D’ici à décembre, la Commission devrait faire un point sur la mise en œuvre de la législation existante. Il appartient aussi à l’Union de se doter d’une stratégie industrielle forte. C’est un enjeu majeur.

En s’appuyant sur l’atout que constitue son marché unique, véritable joyau, fruit de plus de cinquante ans de travail en commun, l’Europe doit organiser une véritable reconquête industrielle. Le défi du numérique et, maintenant, de l’intelligence artificielle est à relever. L’Europe ne peut être simplement consommatrice ; elle doit être aussi productrice. Pour cela, il nous faut faire émerger des champions européens. Nous le répétons souvent depuis plusieurs années, ici, au Sénat, la politique de la concurrence a été conçue voilà plus d’un demi-siècle dans un contexte, dirais-je, particulier : les enjeux d’autrefois n’ont plus rien à voir avec ceux d’aujourd’hui. Le monde a changé. L’autorité de la concurrence doit en faire de même et réformer sa politique, pour permettre à l’Union de relever le défi de la reconquête industrielle. La fiscalité du numérique est aussi un enjeu important.

Madame la ministre, que peut-on attendre du Conseil européen sur cette épineuse question, au regard des propositions et des réflexions de la Commission et de l’OCDE en la matière ?

Le Conseil européen devrait affirmer son engagement pour un multilatéralisme commercial régulé, avec l’Organisation mondiale du commerce en son centre, et soutenir les négociations en cours sur des accords de libre-échange. Le système multilatéral est malheureusement en crise. Les États-Unis ne sont pas étrangers à tout cela : ils empêchent depuis plusieurs mois, si ce n’est quelques années, le bon fonctionnement de l’organe de règlement des différends, à savoir le tribunal commercial international, en refusant la nomination de trois juges en remplacement de ceux qui sont partis à la retraite.

L’Union européenne a un rôle actif à jouer pour tenter de redresser ce multilatéralisme. Dans un tel contexte, des accords commerciaux bilatéraux peuvent lui être bénéfiques, à condition qu’elle défende fermement ses intérêts et exige la réciprocité. Le Sénat a fait valoir cette position lorsqu’il a débattu de la proposition de résolution européenne sur les directives de négociation en vue d’un accord avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Notre commission examinera, à l’issue de ce débat, le rapport de Pascal Allizard et Didier Marie relatif à la proposition de notre collègue Jean-Claude Requier sur les négociations avec le Mercosur. Nous pourrons ainsi réaffirmer avec beaucoup de clarté nos positions.

Enfin, le Conseil européen devrait évoquer les relations avec les Balkans occidentaux, le président Cambon l’a mentionné précédemment, et ce quelques semaines avant le sommet qui se tiendra à Sofia, le 17 mai prochain. Nos rapporteurs, Claude Kern et Simon Sutour, se rendront en Serbie et au Monténégro, qui négocient leur adhésion. Nous sommes favorables aux initiatives qui permettront de renforcer la connexion de cette région avec l’Union ou de prévoir un engagement commun sur des défis tels que la sécurité ou les migrations. Mais nous devons aussi veiller à prendre en compte l’état de nos opinions publiques à l’égard d’une procédure d’élargissement qui a paru aller un peu trop vite. Ayons donc le courage de dire qu’il faut assumer et confirmer le moratoire sur l’élargissement, pour conforter l’acquis communautaire !

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe La République En Marche.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au cours de ces derniers mois, le contexte économique au Royaume-Uni, en Allemagne ou encore en Italie, ainsi que les divergences, toujours aussi profondes, entre les États membres sur l’avenir de la zone euro ont pu éloigner la perspective d’un Conseil européen ambitieux.

Néanmoins, concernant le Brexit, l’accord trouvé lundi dernier sur la période de transition va permettre d’enrichir considérablement les échanges entre les États membres et d’ouvrir le début des discussions relatives aux relations futures entre l’Union européenne et le Royaume-Uni. Plus précisément, après avoir ouvert la seconde phase de négociations en décembre dernier, les vingt-sept États membres devront adopter les orientations présentées par le président Tusk au début du mois et relatives au cadre des relations futures avec le Royaume-Uni.

La question de l’inclusion des services financiers dans le futur accord de libre-échange cristallise les tensions. Le projet d’orientation, qui devait être initialement présenté au Conseil européen, les en écartait. Toutefois, les ministres des affaires étrangères et européennes des vingt-sept États membres ont approuvé hier, cela a été dit, un projet incluant les services financiers dans une annexe.

Comme je l’avais déjà rappelé en décembre, notre commission des finances a estimé, dans le cadre de ses travaux sur la compétitivité des places financières, qu’un accord couvrant l’ensemble des services financiers ne s’imposait pas. Le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, a évoqué la mobilisation des régimes d’équivalence existants. Notre commission des finances a souhaité appeler votre attention l’année dernière sur la nécessité de rendre plus exigeants ces régimes d’équivalence, afin d’éviter les risques de divergence réglementaire. Cela pourrait se traduire par l’introduction d’un mécanisme de réexamen régulier des décisions d’équivalence ainsi que par une obligation de réciprocité.

Madame la ministre, pouvez-vous nous confirmer que les services financiers seront bien inclus dans les négociations à venir sur l’accord de libre-échange avec le Royaume-Uni ? Si tel est le cas, compte tenu des risques que je viens de rappeler, je souhaiterais souligner qu’il est préférable que les services financiers soient soumis à des régimes d’équivalence renforcés plutôt qu’à un régime ad hoc propre au Royaume-Uni.

Par ailleurs, concernant l’accord de transition, l’impasse politique semble résolue. En achevant la période de transition le 31 décembre 2020, la question de la participation du Royaume-Uni au prochain cadre financier pluriannuel est donc tranchée.

Madame la ministre, bien que ce point ne soit pas spécifiquement inscrit à l’ordre du jour du Conseil européen, je me permets de souligner que les discussions portant sur le prochain cadre financier pluriannuel soulèvent des inquiétudes quant à l’avenir des politiques communes. Nous souhaiterions donc une clarification de la position française, notamment au sujet du financement de la politique agricole commune, dans un contexte où le retrait du Royaume-Uni devrait se traduire par une perte d’au moins 10 milliards d’euros pour le budget de l’Union européenne.

J’en reviens à l’ordre du jour du Conseil européen, car de nombreux autres points intéressent notre commission des finances.

S’agissant tout particulièrement du sommet de la zone euro, les propositions avancées par la Commission européenne en décembre dernier s’avéraient plus pragmatiques que celles qui étaient défendues par le Président de la République. Toutefois, aucune mise en œuvre concrète n’est envisagée et les blocages politiques demeurent, comme l’a souligné le refus de huit pays d’Europe du Nord, y compris les Pays-Bas, de mener des réformes « ambitieuses ». Le seul point d’accord est celui de la mise en place d’un Fonds monétaire européen, un FME, qui servirait de prêteur en dernier ressort au Fonds de résolution unique, appelé plus communément FRU, en cas de défaillance bancaire. Je me réjouis de cette avancée, mais je tiens également à réaffirmer la nécessité, pour le futur Fonds monétaire européen, de voir sa responsabilité engagée devant les parlements nationaux.

Dans ce contexte, il semble que la consolidation de la zone euro devra encore attendre le sommet de juin prochain. La publication d’une feuille de route franco-allemande sera sans doute nécessaire pour avancer. Certes, nous sommes a priori moins pressés, compte tenu de l’embellie économique constatée au sein de la zone euro. Néanmoins, il semble plus que jamais opportun de renforcer la résilience de notre système bancaire et la convergence des économies nationales.

Madame la ministre, mes chers collègues, je terminerai en abordant la question de la fiscalité du numérique, qui, vous le savez, intéresse particulièrement la commission des finances du Sénat.

Sur ce sujet, la Commission européenne a présenté ce matin trois textes différents pour mettre en œuvre une taxation des entreprises du secteur numérique dans les pays où elles réalisent leurs activités. À court terme, il s’agirait d’instaurer une taxe de 3 % sur les recettes brutes de certaines activités numériques.

Dans une perspective de plus long terme, la Commission présentera une proposition de directive visant à taxer non plus le chiffre d’affaires, mais le bénéfice, grâce à la notion de « présence numérique significative », appréhendée par des critères tels que l’utilisation des données personnelles. Je tiens à saluer ces propositions, qui s’inscrivent dans le sillage des recommandations de la France et qui vont, évidemment, dans le bon sens. Comme vous le savez, la commission des finances du Sénat travaille depuis plusieurs années sur la fiscalité du numérique, et ce dans le cadre d’un groupe de travail.

Toutefois, il est à craindre que cette méthode graduée ne permette pas pour autant d’aboutir à des résultats aussi probants que souhaités avant longtemps. À cet égard, je rappelle que notre commission des finances avait déjà regretté cette approche graduée de la Commission européenne, notamment en matière d’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés, plus communément appelée ACCIS. On a vu aujourd’hui les limites d’une telle approche.

Madame la ministre, j’espère que la France encouragera ses partenaires européens à prendre une décision en matière de taxation des entreprises du secteur numérique, pour prolonger l’initiative à laquelle elle a participé l’année dernière. C’est un enjeu absolument majeur, au regard du faible taux d’imposition auquel sont aujourd’hui soumises les entreprises connues sous l’appellation GAFA et les enjeux que cela représente. Pas plus tard que ce matin, la commission des finances a organisé une nouvelle table ronde sur ce sujet, qui, comme de nombreux autres dans des domaines variés, retient particulièrement son attention.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe La République En Marche et du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - Permalien
Nathalie Loiseau

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de vos interventions. Si je me permettrai de me concentrer sur les remarques qui relèvent directement de l’ordre du jour du Conseil, je reviendrai tout de même rapidement, après vous avoir entendus, messieurs Menonville et Ouzoulias, sur la lecture que l’on peut faire du résultat des élections italiennes.

Je partage le point de vue exprimé, selon lequel les électeurs italiens ont regretté non pas trop d’Europe, mais plutôt pas assez, au moment où l’Italie avait le plus besoin que nous exprimions notre solidarité à son endroit, qu’il s’agisse des conséquences de la crise financière ou de l’afflux massif de migrants auxquels elle a eu à faire face.

Debut de section - PermalienPhoto de Gilbert Roger

Il faut le dire à votre collègue ministre de l’intérieur !

Debut de section - Permalien
Nathalie Loiseau

Nous devons avoir tout cela à l’esprit au moment où nous travaillons sur la réforme de l’Union européenne, comme nous l’avons pleinement au moment où nous travaillons sur celle du régime de l’asile et des migrations, y compris sur le plan national, puisque le projet de loi Asile et immigration vise précisément à pouvoir davantage harmoniser l’examen des demandes d’asile à travers l’Union européenne, ce qui est directement inspiré des pratiques, notamment, de nos voisins allemands.

J’en viens à l’ordre du jour du Conseil.

Vous avez été nombreux à évoquer le Brexit. Je vous en remercie, monsieur le président Bizet, monsieur le rapporteur général, madame Keller, messieurs Gattolin et Menonville, car vous me donnez l’occasion de revenir sur ce sujet important.

Oui, monsieur Gattolin, oui, monsieur le président Bizet, le mode de règlement de la question irlandaise est encore flou, je vous le concède bien volontiers, et cela constitue un objet de préoccupation pour nous. Éclaircir cette question avant octobre est une priorité. Il reste, malgré tout, que l’accord exprimé par les Britanniques sur ce qu’on appelle le back stop, ce qui revient à ce que, faute de mieux, l’Irlande du Nord reste, de fait, dans l’union douanière, constitue un petit progrès.

S’agissant des services financiers, nous avons rappelé que le Royaume-Uni ne pouvait plus bénéficier des passeports financiers, la Première ministre britannique l’ayant elle-même reconnu. Nous avons insisté pour que les services financiers soient traités en dehors de l’accord de libre-échange, par des mécanismes d’équivalence renforcée définis unilatéralement par l’Union européenne. J’espère ainsi avoir répondu à votre préoccupation, monsieur le rapporteur général.

Monsieur le sénateur André Gattolin, vous avez rappelé la gravité de ce qui vient de se passer à Salisbury, au Royaume-Uni. Nous avons exprimé notre totale solidarité à l’égard de notre voisin, partenaire et allié britannique. Qu’il reste dans l’Union européenne ou qu’il la quitte ne change rien à ce voisinage, à ce partenariat et à cette alliance. Le Conseil européen reviendra sur la question jeudi soir et s’exprimera sans doute fortement. La double tentative d’assassinat intervenue à Salisbury est en effet le premier exemple, depuis 1945, d’utilisation, sur le sol européen, d’un agent neurotoxique prohibé ; c’est donc une affaire particulièrement sérieuse.

Plusieurs d’entre vous ont également souhaité revenir sur les sujets relatifs à la zone euro. Monsieur le rapporteur général, mesdames Keller et Mélot, croyez bien que nous sommes pleinement mobilisés à travailler au renforcement de la zone euro, à la finalisation de l’union bancaire, au renforcement du mécanisme européen de stabilité ou bien encore à la création d’une capacité budgétaire de la zone euro, afin de faire face aux prochains chocs économiques et de pouvoir maintenir le niveau d’investissement. C’est précisément au moment où la croissance est revenue dans la zone euro que nous sommes en situation de travailler à ces sujets. Il y a évidemment des nuances dans les positions des différents États membres, des sujets techniques qu’il faut surmonter les uns après les autres. Nous progressons, je l’ai dit précédemment, puisque nous nous sommes engagés à présenter conjointement une feuille de route avec l’Allemagne pour le prochain Conseil européen de juin.

J’ai bien noté, madame la sénatrice Keller, votre intérêt pour un contrôle parlementaire accru, intérêt que je ne saurais contester ici, en ces lieux, et que nous partageons. J’oserai tout de même dire qu’aujourd’hui la priorité est à la finalisation de l’union bancaire, à l’union des marchés de capitaux et à la mise en place d’une capacité budgétaire. C’est petit à petit que nous progresserons dans le renforcement de la zone euro.

Vous l’avez signalé s’agissant du semestre européen, madame la sénatrice Mélot, la sortie de la France de la catégorie des déséquilibres excessifs est une bonne nouvelle. Nous ne devons pas pour autant relâcher nos efforts : la reprise est là, elle doit encore être soutenue, notamment par des réformes structurelles. C’est également indispensable pour garantir la soutenabilité de nos finances publiques. À ce titre, pour 2017, pour la première fois depuis dix ans, notre déficit public passera sous la barre des 3 % du PIB.

S’agissant du budget européen, monsieur le rapporteur général, monsieur Menonville, madame Robert, il nous faut aborder la négociation du prochain cadre financier pluriannuel en étant cohérents avec nos ambitions pour l’Union européenne. Il y a un consensus, d’une part, pour considérer que de nouvelles priorités doivent être traitées au niveau de l’Union européenne et, d’autre part, pour ne pas sacrifier les politiques traditionnelles. De ce point de vue, notre détermination à poursuivre les politiques historiques, en priorité la PAC, est totale. Nous sommes d’ailleurs clairement opposés, je vous rassure, monsieur Menonville, à toute renationalisation de la PAC, et donc à tout cofinancement national du premier pilier. Cela signifie qu’il faut d’abord fixer nos priorités avant de définir l’enveloppe du budget européen.

Je relaie, madame Robert, votre encouragement à explorer de nouvelles ressources propres. Un gros travail de réflexion a été accompli dans ce domaine ; je pense en particulier au groupe de haut niveau présidé par Mario Monti. En matière de nouvelles ressources propres pour le budget de l’Union européenne, il n’est plus temps d’en faire l’objet de colloques et de discussions intellectuelles, il s’agit de traduire, dans les faits, ce sur quoi nous pouvons nous mettre d’accord. J’ajouterai que, au moment où le Royaume-Uni quitte l’Union européenne, l’heure est venue de mettre fin à toutes les formes de rabais qui avaient été négociés et adoptés au fur et à mesure des années et qui n’ont plus leur place, aujourd’hui, dans le budget européen.

S’agissant de la politique de cohésion, je voudrais aussi vous dire dans quel état d’esprit nous abordons la négociation. Selon nous, celle-ci doit être conditionnée au respect des valeurs de l’Union européenne et, donc, en particulier, de l’État de droit, ainsi qu’aux efforts de convergence fiscale et sociale, qui sont le gage de la cohésion.

Vous avez été nombreux à parler de fiscalité du numérique. Monsieur le rapporteur général, monsieur Menonville, mesdames Keller et Mélot, il s’agit d’un des défis majeurs de notre temps. Nous sommes, à ce titre, déterminés à aboutir à une juste taxation des géants du numérique au niveau européen, sans attendre qu’un accord soit trouvé à l’échelon international. Nous voulons une Europe de l’équité et de la justice fiscales. Bien entendu, le sujet est complexe, mais le statu quo ne peut perdurer. Nos concitoyens attendent des résultats, et nous sommes, de ce point de vue, pleinement en phase avec la proposition présentée aujourd’hui par la Commission, qui fera demain l’objet d’un débat lors du dîner du Conseil.

Vous avez également mentionné, madame la sénatrice Keller, monsieur le rapporteur général, les discussions sur l’ACCIS, qui, vous le savez, au sein du Conseil, ne progressent pas. Nous le regrettons, et nous sommes déterminés à avancer sur une harmonisation de l’assiette de l’impôt sur les sociétés au niveau franco-allemand. À cet égard, le travail a repris avec la nomination d’un nouveau gouvernement allemand, et nous allons essayer d’aller de l’avant, en bilatéral, afin que la France et l’Allemagne, dirais-je, donnent l’exemple, pour faire en sorte que ce qui est faisable entre Paris et Berlin s’élargisse à l’ensemble de l’Union européenne.

En matière d’Europe sociale, mesdames Mélot et Robert, la Commission vient de présenter son projet d’autorité européenne du travail, que nous sommes en train d’examiner en détail. L’enjeu est important, puisqu’il s’agit de lutter contre les fraudes et de nous donner les moyens, collectivement, de faire respecter nos règles du jeu communes. L’absence d’une telle autorité explique une partie des fraudes au détachement des travailleurs. Sur ce dernier sujet, vous l’avez évoqué, l’accord intervenu permet d’encourager la mobilité des travailleurs tout en convergeant vers le haut, en avançant vers une Europe qui protège mieux ses citoyens.

Sur les Balkans occidentaux, messieurs les présidents Cambon et Bizet, je partage votre point de vue. Fixer une échéance théorique pour l’adhésion de nouveaux membres de l’Union européenne est artificiel et n’a pas de sens en soi. À sa décharge, ce n’est pas exactement ce que fait la Commission. Le président Juncker a été très clair publiquement sur le caractère impératif des critères à remplir pour les pays candidats. Nous serons fermes sur le respect de ces critères, y compris pour l’Albanie et l’Ancienne République yougoslave de Macédoine. Ceux-ci, de notre point de vue, ne paraissent pas aujourd’hui en situation de les remplir dans un délai rapproché, ce qui ne permet pas d’ouvrir les négociations.

Debut de section - Permalien
Nathalie Loiseau

Il est également indispensable, et vous le soulignez à raison, monsieur le président Bizet, de continuer à travailler étroitement avec ces pays, en particulier dans le domaine de l’État de droit, où il reste encore beaucoup à faire, mais aussi pour promouvoir des politiques en faveur, par exemple, de la jeunesse, de la sécurité, d’une intégration plus forte dans le secteur des transports ou des télécommunications. C’est l’objet non seulement du sommet de Sofia du 17 mai prochain, mais également des échanges bilatéraux que nous avons avec ces pays. L’Union européenne doit impérativement renforcer son partenariat avec les Balkans, pour ne pas laisser le champ libre à la Turquie, à la Chine, à la Russie ou à d’autres pays dont les logiques et les intérêts diffèrent des nôtres.

Bon nombre d’entre vous sont revenus sur les annonces du Président Trump en matière commerciale, qui ont fait l’actualité. Nous le savons tous, une guerre commerciale avec les États-Unis sur l’acier et sur l’aluminium ne ferait que des victimes, et des victimes très concrètes, puisqu’il s’agirait des producteurs européens. Face aux mesures américaines, messieurs Bonnecarrère et Menonville, l’Union européenne doit donc réagir dans l’unité. Nous cherchons, en priorité, à en être exemptés. Le temps presse. En cas d’échec, notre réaction devra être forte et respectueuse du multilatéralisme. Nous nous y préparons, c’est ce que la Commission fait avec notre appui.

Je terminerai en disant un mot de la Turquie.

Monsieur le président Cambon, monsieur Ravier, je vous confirme que nous trouvons parfaitement naturel de dialoguer avec la Turquie, voisine géographique de l’Union européenne, partenaire difficile, mais essentiel, dans la lutte contre le terrorisme ou dans la réponse aux défis migratoires, qui vous préoccupent tant, monsieur Ravier. Mais nul ne songe à poursuivre les négociations d’adhésion avec la Turquie, dont nous constatons le blocage dû à des choix politiques opérés par Ankara, qui l’éloignent, chaque jour davantage, des valeurs de l’Union européenne.

Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Nous allons maintenant procéder au débat interactif et spontané, dont la durée a été fixée à une heure par la conférence des présidents.

Je vous rappelle que chaque sénateur peut intervenir pour deux minutes maximum. S’ils sont sollicités, la commission des affaires européennes ou le Gouvernement pourront répondre pour deux minutes également.

Dans le débat interactif et spontané, la parole est à M. Pascal Allizard, pour le groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Allizard

Madame la ministre, vous l’avez précisé, à l’agenda de ce prochain Conseil, les sujets ne manqueront pas. Il s’ouvrira, une nouvelle fois, sur une Europe en crise, aux prises avec des menaces intérieures comme extérieures, qui mettent en péril son avenir. Parmi les plus grands dangers, je pense au populisme, à la division et, au final, au risque de désintégration de l’Union européenne. Le Royaume-Uni a déjà un pied dehors, les pays du groupe de Visegrád marquent souvent leur différence, voire leur défiance, et l’Italie, cela a été rappelé aussi, vient d’envoyer un message politique très clair.

Cette montée des populismes, à laquelle la France n’échappe pas, n’est pas apparue ex nihilo. Elle a des causes profondes et multiples. Il y a, évidemment, le terrorisme, qui continue d’inquiéter sur le Vieux Continent, l’avenir de la zone euro, les tensions toujours fortes avec la Russie, la concurrence économique mondiale exacerbée. Mais je crois que le point de jonction de tous les eurosceptiques est sans doute la crise migratoire, celle que l’Union européenne a gérée maladroitement, dans l’urgence, en laissant notamment l’Italie en première ligne trop longtemps. On en mesure aujourd’hui les conséquences.

Lors d’un déplacement à Bruxelles, voilà quelques jours, consacré à la politique migratoire, j’ai été particulièrement choqué par ce verbiage technocratique et condescendant de fonctionnaires européens à l’égard de ceux qui, prétendument, pensent mal ou ne comprennent rien, ces citoyens européens en plein désarroi, auxquels nous, sénateurs, nous nous adressons au quotidien dans nos territoires. Ils ont besoin d’actions, d’explications, de gestes qui rassurent, et pas de stigmatisation. Il est toujours plus commode de montrer du doigt de prétendus égarés que de s’attaquer réellement au problème.

Madame la ministre, dans ce contexte que j’estime dangereux, quelles leçons la France tirera-t-elle du scrutin italien et quelle politique migratoire défendra-t-elle auprès des instances européennes ?

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - Permalien
Nathalie Loiseau

Monsieur le sénateur Allizard, comme je l’ai dit précédemment, nous considérons que les électeurs italiens ont adressé un message clair : l’Europe n’a pas été assez présente pour les aider à faire face aux défis migratoires qu’ils devaient relever.

C’est la raison pour laquelle, depuis l’été dernier, la France s’attache à traiter la dimension externe de la crise migratoire, d’une part, en travaillant davantage avec les pays d’origine des migrations, notamment en orientant plus systématiquement l’aide au développement vers la formation et l’emploi des jeunes, en particulier en Afrique subsaharienne, et, d’autre part, en travaillant à la stabilisation politique des pays de transit. Nous avons tous en mémoire les horreurs que subissent les candidats aux migrations lorsqu’ils traversent la Libye. Nous cherchons également à ce que les demandes d’asile puissent être examinées dans des pays comme le Niger ou le Tchad. Nous encourageons les autres pays européens à faire de même.

Sur la réforme du régime européen de l’asile, nous n’avons pas beaucoup avancé, même si l’on note des progrès sur certains aspects. Il faudra à l’évidence, une fois le nouveau gouvernement constitué à la suite des dernières élections, dialoguer avec l’Italie, un partenaire important, particulièrement impacté par l’immigration.

Évitons de blâmer la technocratie de Bruxelles. Ce dont l’Italie a le plus souffert, c’est du manque de solidarité de certains États membres, qui veulent bien recevoir des crédits européens, mais pas de demandeurs d’asile !

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour le groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Je souhaite exprimer deux convictions avant de poser ma question.

La première est qu’on ne peut pas opposer élargissement et approfondissement de l’Union européenne. Historiquement, soit on a fait l’un et l’autre en même temps, soit on n’a fait ni l’un ni l’autre, par manque de courage.

Ma deuxième conviction est que, si l’Union préfère la stabilité à la défense de ses valeurs, elle perdra sa stabilité et n’aura plus de valeurs. C’est la raison pour laquelle je salue l’évolution du président Jean-Claude Juncker sur la question des Balkans. En 2014, au moment de sa prise de fonction, il indiquait qu’il n’y aurait pas d’élargissement au cours de son mandat. En 2017, il avançait l’idée d’une feuille de route crédible et, le 2 février 2018, il a offert cette feuille de route, indispensable selon moi.

Les conséquences des fausses négociations actuelles, qui ont transformé une perspective européenne en état de négociations, sont dramatiques. Dans la plupart de ces pays, l’État de droit est dans une situation préoccupante, les trafics criminels se développent et les conditions économiques et sociales incitent à l’immigration massive, contrairement à ce que l’on constate en Europe centrale, où il y a plutôt une embellie économique.

Enfin, nous sommes préoccupés par la conclusion d’accords d’investissement extraterritoriaux entre la plupart de ces pays et les Émirats, l’Arabie saoudite, le Qatar ou la Chine.

En laissant prospérer cette instabilité et ces menaces à nos frontières, c’est l’ensemble de l’Union européenne que nous menaçons.

L’Allemagne a bien compris ces enjeux. Malheureusement, la position de la France est plus ambiguë, comme en témoignent vos réponses, madame la ministre, et l’intervention du président de la commission des affaires étrangères. Il est triste que, cent ans après le front d’Orient, essentiel pour l’image et la présence de la France dans cette région, le rôle de la France se réduise aujourd’hui à une place sur l’étagère de la nostalgie.

Quelles initiatives la France entend-elle prendre pour ne pas être à la remorque de l’Allemagne sur cette question majeure de l’élargissement aux Balkans ?

Debut de section - Permalien
Nathalie Loiseau

Monsieur le sénateur Leconte, comme je l’ai indiqué précédemment, nous avons intérêt à un partenariat étroit entre les Balkans et l’Union européenne. Nous avons une histoire commune, une géographie commune et, donc, un destin commun. Si l’Union européenne ne s’intéresse pas aux Balkans, d’autres le feront à sa place – certains le font déjà.

C’est la raison pour laquelle, à l’occasion du sommet de Sofia du 17 mai, nous promouvrons un agenda positif à destination des pays des Balkans, qu’il s’agisse de venir en aide à leur jeunesse, notamment en développant les mobilités étudiantes vers les universités de l’Union européenne – nous devons toutefois prendre garde de ne pas alimenter la fuite des cerveaux dont ces pays sont victimes –, ou de soutenir la mise en place d’infrastructures de transports et de télécommunications leur permettant d’être mieux équipés et mieux intégrés sur le plan régional.

Tendre la main aux Balkans, c’est aussi rendre service aux réformistes et aux progressistes de ces pays en les aidant à pousser un agenda de réformes indispensables, à adopter, mais surtout à mettre en œuvre, qu’il s’agisse de l’État de droit ou de la lutte contre la corruption et le crime organisé.

Ces pays ont encore beaucoup à faire. Nous sommes prêts à les aider, mais il serait irresponsable de leur faire miroiter une adhésion à l’Union européenne tant qu’ils ne se seront pas davantage rapprochés de ses valeurs.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour le groupe Union Centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Comme le dit très bien notre ancien collègue Jean Arthuis, l’Europe ne parle pas aux Européens. En vous écoutant, madame la ministre, on peut même dire que la priorité est aux marchés financiers.

Pour ma part, je voudrais parler de l’Europe qui est inaudible face aux barbaries. On a vu ce qui s’est passé avec le drame des yézidis et des Syriens. Je voudrais aujourd’hui évoquer le Yémen, pays qui traverse une crise ancienne.

Depuis 2015, l’Europe a fourni à hauteur de 200 millions d’euros d’aide. Il me semble qu’elle devrait également apporter une assistance technique pour permettre aux populations de recevoir cette aide.

Lors de la dernière conférence des donateurs à Genève, l’Arabie saoudite a proposé plus de 1 milliard d’euros, après avoir déjà versé un autre milliard. Les Émirats et d’autres pays veulent aussi aider les populations yéménites. Toutefois, l’aide n’arrive jamais à l’endroit où elle est supposée arriver. Cet argent pourrait très bien tomber entre de mauvaises mains et servir à leurs adversaires dans des pays voisins. L’Europe, qui dispose d’une technocratie que le monde entier lui envie, pourrait assister ces pays pour qu’ils dirigent au mieux l’aide humanitaire, alimentaire, médicale et financière.

Ma question est simple : pensez-vous que l’Europe puisse également proposer une aide technique au Yémen pour permettre à l’aide financière de parvenir effectivement à ces populations dramatiquement touchées ?

Debut de section - Permalien
Nathalie Loiseau

Madame la sénatrice Goulet, le Yémen vit une tragédie, qui tient au fait – vous n’en avez pas véritablement fait état – qu’un conflit dure depuis des années dans ce pays. À ce stade, nous réclamons la possibilité pour l’aide humanitaire d’entrer dans un pays où les aéroports sont détruits, où les installations portuaires sont occupées, où les convois humanitaires ne peuvent pas circuler. Comme vous le savez, des membres de l’organisation Médecins sans frontières ont même été pris pour cible au Yémen.

L’urgence est de mettre fin aux activités militaires, de trouver une forme de règlement politique et, évidemment, de travailler pour les populations à une reconstruction du Yémen. Il n’est pas anormal que les pays du Golfe, compte tenu de leur responsabilité dans la situation actuelle, soient loin devant pour participer à la reconstruction de ce pays. Ce n’est pas nous qui avons participé à sa destruction.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à M. André Reichardt, pour le groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

L’approfondissement de l’union économique et monétaire sera au menu du sommet de la zone euro de vendredi. En la matière, la proposition phare d’Emmanuel Macron est la création d’un parlement de la zone euro, qui aurait notamment vocation à contrôler l’exécution d’un budget autonome devant atteindre plusieurs points de PIB, soit un montant se chiffrant en centaines de milliards d’euros.

D’ores et déjà, l’idée d’un parlement spécifique semble devoir connaître le même sort que la proposition de listes transnationales pour les élections européennes, enterrée le mois dernier par le Parlement européen et les chefs d’État ou de gouvernement.

Quant au budget de la zone euro, la réalité politique rattrape ce projet du Président de la République. La Commission européenne n’a ainsi pas jugé bon d’aller au-delà de la proposition d’une simple ligne budgétaire intégrée au budget général de l’Union.

Par ailleurs, les pays d’Europe du Nord ont adressé le 6 mars une fin de non-recevoir catégorique à cette idée, arguant, non sans raison à mon sens, que l’avenir de la zone euro passait avant tout par la remise en ordre des politiques économiques et budgétaires nationales.

Quant au partenaire allemand, il risque bien d’être difficile à convaincre. L’accord de coalition conclu entre la CDU-CSU et le SPD, qui place l’Europe au cœur de son projet, ignore totalement cette proposition.

Madame la ministre, dans ces conditions, ma question est simple : la création d’un budget autonome de la zone euro est-elle encore vraiment une proposition officiellement soutenue par la France et qu’en est-il de la feuille de route que la France discutera prochainement avec Berlin en vue du Conseil européen de juin ? Si vous répondez par l’affirmative à cette première question, pouvez-vous nous en dire plus sur le montant et l’affectation de ce budget ?

Debut de section - Permalien
Nathalie Loiseau

Monsieur le sénateur Reichardt, permettez-moi tout d’abord de rappeler que dans le contrat de coalition signé entre les partis qui constituent aujourd’hui le gouvernement allemand figure précisément le renforcement de la zone euro.

Il peut être facile de signer une lettre dans un journal quand tout va bien, quand la zone euro est en croissance, indiquant qu’on se préoccupera de son renforcement plus tard… Mais quand ? Quand tout ira mal ? Quand on devra, comme on a dû le faire voilà quelques années, agir dans la précipitation, quand il faudra rendre des comptes aux populations – ce qui n’a guère été fait d’ailleurs pendant la gestion de la crise financière ?

Le contrôle démocratique des décisions prises dans la zone euro est indispensable, car c’est précisément ce contrôle qui a cruellement manqué lors du traitement de la crise grecque. C’est ce qui explique aujourd’hui le désamour vis-à-vis de l’Union européenne d’une partie de l’Europe du Sud, région la plus favorable pourtant à la construction européenne autrefois.

On peut décider de ne rien faire, d’attendre que tout aille encore plus mal, que les populistes progressent davantage à chaque échéance électorale… ou on peut décider, à l’inverse, de prendre ses responsabilités. Il ne suffit pas d’appeler à plus de rigueur et à faire le ménage chez soi ; la prévention et le partage des risques sont également des notions importantes, qui apparaissent comme la conséquence normale de la monnaie commune. Nous avons besoin de l’union bancaire et de l’union des marchés de capitaux, qui sont favorables à la croissance et à l’emploi dans l’Union européenne.

C’est pourquoi, comme vous l’avez très justement rappelé, nous travaillons, notamment avec l’Allemagne, à la rédaction d’une feuille de route d’ici au mois de juin. Quelques jours seulement après la constitution du gouvernement allemand, vous me permettrez néanmoins de ne pas vous communiquer immédiatement les résultats des premiers entretiens du Président de la République avec Mme Merkel et de Bruno Le Maire, Jean-Yves Le Drian et moi-même avec nos homologues.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à Mme Sylvie Robert, pour le groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Sylvie Robert

M. Vaugrenard ne pouvant malheureusement pas être présent parmi nous cet après-midi, il m’a chargée de vous poser la question qu’il voulait soulever, madame la ministre.

Je souhaiterais aborder la question des droits sociaux, notamment les dernières propositions de la Commission européenne sur la mise en œuvre du socle européen des droits sociaux. Il s’agit du projet de création d’une autorité européenne du travail ainsi que d’une initiative visant à garantir l’accès à une protection sociale pour tous les travailleurs salariés et non salariés.

Aujourd’hui, ceux qui travaillent à temps partiel dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée ou ceux qui travaillent sans être salariés représentent près de 40 % de ceux qui occupent un emploi. Ces personnes n’ont pas toujours une bonne couverture sociale, ne bénéficient pas systématiquement d’une assurance chômage et n’ont pas obligatoirement accès à des droits à pension. La proposition de la Commission vise donc à fixer un cap aux États membres afin de favoriser l’accès à la protection sociale pour tous les travailleurs, salariés ou non. Il est également prévu de publier une analyse des mesures prises et des progrès réalisés au niveau national en matière d’emploi, ainsi que dans le domaine social.

Ces initiatives vont dans le bon sens, mais force est de constater, trop souvent, la lenteur des prises de décision et de leur application. Les discussions à Vingt-Sept sont en effet particulièrement complexes. Ne serait-il pas temps de modifier la lourdeur des procédures européennes et de rendre possibles des prises de décision à la majorité, voire à moins ?

Dans le contexte international que nous traversons, l’Europe ne pourra peser que si elle accepte d’agir sans être obligatoirement et systématiquement d’accord à l’unanimité. Il s’avère donc nécessaire et urgent de réfléchir à la remise en cause de la règle absolue de l’unanimité. Pouvez-vous, madame la ministre, me donner la position du Gouvernement sur cette ambition de décision à géométrie variable, selon les sujets évoqués, notamment sociaux ?

Debut de section - Permalien
Nathalie Loiseau

Madame la sénatrice Robert, en matière d’Europe sociale, le sommet de Göteborg a été un moment important, car il a permis de proclamer un socle de droits sociaux dans l’Union européenne. Il nous faut maintenant traduire cette déclaration d’intention en projet législatif européen, un objectif auquel nous sommes attachés. Je vous parlais moi-même, tout à l’heure, de notre soutien de principe à la création d’une autorité européenne du travail.

Toutefois, je ne vous le cache pas, le climat n’est pas simple, pour une raison assez facile à comprendre. D’un côté, les pays du nord de l’Europe ont peur que tout travail d’harmonisation sociale dans l’Union européenne se fasse en dégradant leur modèle social. De l’autre, les pays de l’est de l’Europe considèrent que leur croissance économique repose sur le dumping social.

Aujourd’hui, pour pouvoir avancer, il nous semble nécessaire, dans le prochain budget européen, de conditionner les fonds de la politique de cohésion à la convergence sociale, afin que l’on ne puisse pas financer une politique de travailleurs low cost par des fonds européens. Il nous paraît essentiel de nous faire entendre sur ce point.

S’agissant du mode de décision et, éventuellement, de l’idée de recourir à une Europe différenciée, je nous mets en garde s’agissant de l’Europe sociale. Il est possible qu’une avant-garde puisse avoir des projets plus ambitieux, mais nous risquons d’entretenir une concurrence interne à l’Union européenne, alors même que, dans le climat économique et commercial du moment, nos concurrents sont surtout en dehors de l’Union européenne. Nous devons donc renforcer notre cohésion entre États membres et travailler à une plus grande convergence sociale.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à Mme Denise Saint-Pé, pour le groupe Union Centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Denise Saint-Pé

La semaine dernière, à l’occasion des trente ans du GIEC et de sa quarante-septième assemblée plénière à l’UNESCO, des scientifiques et économistes européens ont avancé des propositions pour un « pacte finance-climat » ambitieux.

Dans un contexte international houleux, où les États-Unis se désengagent de l’accord de Paris, mais laissent entendre un éventuel retour négocié dans l’accord, l’Union européenne doit afficher une volonté ferme de conduire la transition énergétique et de sauver le climat.

Madame la ministre, dans la perspective du cadre financier pluriannuel post-2020, l’énergie sera-t-elle une priorité politique ? La France va-t-elle impulser une dynamique auprès de l’Union pour que l’Europe reprenne le leadership en matière de finance-climat ? S’achemine-t-on vers la création d’un vrai budget climat européen permettant d’investir massivement dans la recherche, dans la transition énergétique et de financer le développement durable des continents voisins avant que les migrations climatiques ne secouent l’Europe encore davantage ?

Oui, l’enjeu est grand, comme l’a déclaré le Président de la République, et le défi reste à relever !

Debut de section - Permalien
Nathalie Loiseau

Madame la sénatrice Saint-Pé, nous avons défini un ambitieux cadre énergie-climat pour 2030 dans l’Union européenne, qui repose sur trois grands objectifs : au moins 40 % de réduction des gaz à effet de serre par rapport à nos émissions de 1990, au moins 27 % d’énergies renouvelables dans le mix énergétique européen et au moins 30 % d’efficacité énergétique.

Nous sommes en train de négocier les législations qui déclinent ces objectifs de manière opérationnelle. Le travail est déjà accompli aux deux tiers, et l’on peut espérer qu’il sera terminé à la fin de cette année.

Du côté du climat, nous venons de rénover le marché du carbone et les politiques de réduction des émissions hors marché du carbone.

Du côté de l’énergie, nous achevons la négociation du paquet « Une énergie propre pour tous les Européens » de novembre 2016, composé de huit directives et règlements sur l’énergie. Il y a deux enjeux majeurs : mettre en place une gouvernance européenne des politiques énergétiques, en demandant à chaque État membre de se doter d’un plan national énergie-climat concourant à l’atteinte des objectifs européens ; adapter le fonctionnement du marché de l’électricité aux caractéristiques particulières des nouvelles sources d’énergies renouvelables, souvent intermittentes, pour leur permettre progressivement de trouver à se financer sur le marché.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à M. Michel Canevet, pour le groupe Union Centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Canevet

Nous pouvons nous réjouir des avancées constatées dans la construction d’une Europe plus intégrée et plus harmonieuse. Il n’en demeure pas moins qu’un certain nombre de difficultés persistent, en particulier dans le secteur primaire.

Dans ce secteur, où les politiques européennes sont importantes, on constate un certain nombre de distorsions de concurrence. Je pense notamment aux secteurs du porc et du lait, pour lesquels le Gouvernement est en train de chercher des solutions permettant de rémunérer correctement les producteurs. Dans le domaine porcin, par exemple, on s’aperçoit que les exploitations allemandes sont indûment aidées par les pouvoirs publics. Aux Pays-Bas, on a identifié un certain nombre d’exploitations fantômes, et l’on s’étonne ensuite de dénombrer 360 000 tonnes de poudre de lait stockées au niveau européen, qu’il faudrait pouvoir évacuer au plus vite !

Le Gouvernement doit faire en sorte que les conditions de concurrence soient les mêmes sur l’ensemble du territoire européen, de façon à ne pas désavantager nos producteurs.

On peut également se réjouir qu’un accord puisse être trouvé dans le cadre du Brexit. J’appelle toutefois l’attention du Gouvernement sur la situation de nos marins pêcheurs.

La France est la deuxième puissance mondiale si l’on considère l’étendue de son domaine maritime. Mais on sait que les zones de pêche sont pour l’essentiel dans les eaux britanniques. Il importe que nos professionnels ne soient pas laissés pour compte et que, dans l’accord avec les Britanniques, le Gouvernement prenne effectivement en compte cette question des zones de pêche.

Debut de section - Permalien
Nathalie Loiseau

Monsieur le sénateur Canevet, vous avez raison, la politique agricole commune est historiquement l’une des premières politiques intégrées de l’Union européenne, l’une des plus importantes aussi, pas seulement en termes de crédits alloués, mais aussi parce qu’elle permet la souveraineté alimentaire de l’Union européenne. Cette politique souffre toutefois de défauts et, lorsque nous appelons à sa réforme et à sa rénovation, c’est pour mieux traiter les sujets que vous avez mentionnés, en particulier pour mieux encourager l’organisation et la « durabilité » de nos filières.

C’est justement pour éviter ce risque de distorsion que nous sommes défavorables à la renationalisation de la politique agricole commune – les modèles agricoles risqueraient alors de diverger bien plus encore. Nous sommes aussi très attentifs à ce que la politique agricole commune puisse mieux prendre en charge la prévention et la gestion des crises auxquelles les filières agricoles sont confrontées.

Vous avez parlé de la situation des marins pêcheurs dans le contexte du Brexit. Comme je l’indiquais précédemment, nous avons obtenu, contrairement aux déclarations politiques un peu rapides de certains hommes politiques britanniques, que l’accès aux eaux britanniques pour les marins pêcheurs européens soit maintenu durant la période de transition. Il est évident que l’accès des produits de la mer issus de la pêche britannique au marché unique européen ne se fera pas sans conditions. Ce sera un aspect important de la négociation de la relation future avec le Royaume-Uni, et je vous assure que le négociateur européen, Michel Barnier, est particulièrement sensibilisé à cette question.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à M. Benoît Huré, pour le groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Benoît Huré

Le projet des pères fondateurs de l’Europe est dangereusement fragilisé. Pourtant, il a permis, entre autres réalisations, de vivre en paix pendant plus de soixante-dix ans, du jamais vu sur ce continent.

Pour relancer ce projet d’Union sur le continent européen, il faut renforcer les coopérations économiques, sociales, diplomatiques et militaires, en y consacrant les moyens nécessaires.

Les autorités européennes doivent être fermes sur le respect des conditions de coopération, mais elles ne doivent pas donner l’impression de vouloir enrégimenter les pays membres en les privant de toute expression, particulièrement sur les aspects spécifiques de leur identité et leur manière de vivre ensemble. L’union, dans ces domaines, ne peut s’imposer ni se décréter – il faut laisser le temps au temps –, et je pense que les générations Erasmus y contribueront efficacement.

Les pays de l’Union doivent plus et mieux se parler, s’expliquer, se rassurer. Les échanges entre parlements nationaux peuvent y contribuer, mais il faut les amplifier. Ces démarches et initiatives parlementaires doivent aller de pair avec toutes les autres actions visant à combattre l’euroscepticisme, voire l’europhobie.

Le temps presse : les années 2019 et 2020 vont être déterminantes. Notre responsabilité à l’égard des générations suivantes, comme du monde, est grande.

Debut de section - Permalien
Nathalie Loiseau

Monsieur le sénateur Huré, je partage votre vision selon laquelle nous devons entendre les préoccupations des États membres. C’est ce que fait le Président de la République depuis son élection et c’est ce que je fais à ses côtés.

Nous nous sommes rendus dans un très grand nombre d’États membres de l’Union européenne et avons reçu l’ensemble de nos homologues, en plus des contacts que nous avons à Bruxelles. Nous dialoguons avec tout le monde, en étant fermes sur nos convictions, mais dans le respect des préoccupations de nos partenaires. Nous n’aurions d’ailleurs pas réussi à obtenir la révision de la directive sur les travailleurs détachés, dont on nous avait annoncé qu’elle serait emblématique d’une division entre l’est et l’ouest de l’Europe, si nous n’avions pas adopté une telle démarche.

Dans le même temps, il y a des éléments communs aux États membres de l’Union européenne. L’Union n’est pas seulement un marché unique, ni un carnet de chèques. Adhérer à l’Union européenne, c’est adhérer à ses valeurs fondamentales, notamment en matière d’État de droit, de séparation des pouvoirs et de valeurs démocratiques. Les pays qui ont rejoint l’Union à la suite des membres fondateurs l’ont fait en sortant d’années de dictature ou du joug soviétique. C’est justement parce qu’ils aspiraient à rejoindre ses valeurs qu’ils sont venus dans l’Union européenne. Nous ne l’oublions pas, et ces pays ne doivent pas l’oublier non plus.

S’agissant des progrès que nous pouvons accomplir aujourd’hui dans le fonctionnement de l’Union européenne, nous considérons que l’Europe différenciée n’est pas un gros mot. Sur certains sujets, ceux qui veulent aller de l’avant doivent pouvoir le faire, sans forcer ceux qui ne sont pas prêts ou qui n’en ont pas la volonté, mais sans être bloqués par eux non plus.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à Mme Gisèle Jourda, pour le groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Jourda

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’aborderai la question du Brexit sous l’angle de la politique de sécurité de l’Union européenne, et plus particulièrement des répercussions qu’entraînera le retrait du Royaume-Uni de celle-ci en matière de coopération policière et judiciaire.

Promouvoir la sécurité au sein de l’Union européenne a toujours été d’une importance cruciale. Le traité de Lisbonne a donné un nouveau souffle à ce combat en octroyant de nouvelles compétences à Eurojust et à Europol, qui sont donc des acteurs clés en matière non seulement de sécurité intérieure, mais aussi de sécurité extérieure, puisque ces agences coopèrent, au-delà des frontières de l’Union, avec Frontex, des partenaires extérieurs et des États tiers.

Il n’est un secret pour personne que nous vivons dans un monde globalisé, où les activités criminelles ne s’arrêtent pas aux frontières ni ne se limitent à un territoire de l’Union. Terrorisme, trafic de drogue, blanchiment d’argent, trafic d’êtres humains, contrefaçons, et j’en passe, sont autant de menaces criminelles qui transcendent les frontières étatiques.

Aussi est-il essentiel que le Royaume-Uni, malgré son retrait, puisse continuer à coopérer avec Europol et Eurojust, agences au sein desquelles il a joué un rôle déterminant. Le directeur actuel d’Europol est anglais, et le Royaume-Uni contribue ardemment à alimenter la base de données de cette agence. De plus, la sortie de ce pays d’Eurojust aurait des conséquences lourdes, notamment en ce qui concerne la reconnaissance des décisions de justice et la mise en œuvre du mandat d’arrêt européen.

Le Brexit constitue donc un défi majeur pour Europol et Eurojust, alors même qu’une régression de la sécurité des citoyens de l’Union est inenvisageable.

Dès lors, madame la ministre, j’aimerais connaître les modalités de coopération qui peuvent être développées entre le Royaume-Uni et ces agences afin de continuer, à l’avenir, le travail entrepris, et savoir où en sont les négociations dans ce domaine.

Debut de section - Permalien
Nathalie Loiseau

Madame la sénatrice, je partage votre analyse : en matière de criminalité et de lutte contre le terrorisme, les frontières n’existent pas. On ne peut, de ce point de vue, que regretter le départ du Royaume-Uni. S’il a, jusqu’à présent, largement contribué à Europol, dont la nouvelle directrice exécutive, que je viens de rencontrer, est belge, il en a aussi énormément bénéficié.

Ce mépris des frontières de la part des réseaux criminels ou terroristes est une autre raison de renforcer notre partenariat avec les pays des Balkans, dont je parlais tout à l’heure, puisque les enjeux de la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée concernent aussi ces États tiers, qui sont proches.

En ce qui concerne le Royaume-Uni, il est évident que les Vingt-Sept sont déterminés à maintenir un partenariat étroit avec les Britanniques en matière de justice et d’affaires intérieures, qu’il s’agisse de coopération judiciaire ou de coopération policière. Ces aspects seront pris en compte dans la définition de la relation future entre l’Union et le Royaume-Uni. Ils sont d’ailleurs clairement mentionnés dans les directives de négociation qui vont être données à Michel Barnier après le Conseil européen des 22 et 23 mars.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à M. Olivier Cadic, pour le groupe Union Centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Cadic

Madame la ministre, j’ai été quelque peu surpris par les réserves que vous avez émises concernant l’objectif d’adhésion à l’Union européenne de certains États des Balkans. Il me semblait pourtant que M. Macron, lors du discours qu’il a prononcé à la Sorbonne, avait donné à entendre que l’adhésion de la Serbie et du Monténégro, par exemple, pourrait intervenir dans un avenir proche.

David Davis et Michel Barnier se félicitent de s’être accordés sur la question des citoyens lundi dernier. Étant l’un de ceux-ci, je m’en réjouis. J’ai ici un recueil de témoignages poignants d’Européens qui vivent au Royaume-Uni.

L ’ orateur brandit un livre.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Cadic

Selon la formule employée par Donald Tusk dans sa lettre au Conseil en date d’hier, les 3 millions de ressortissants européens installés au Royaume-Uni et le million de Britanniques résidant dans les autres pays membres de l’Union européenne ne ressentiront pas les effets du Brexit. Les personnes concernées ne partagent pas cet optimisme. J’assistais lundi à une journée de conférences organisée à Londres sous l’intitulé Should I stay or should I go ? Pour avoir longuement parlé avec des représentants des associations de citoyens The3million et British in Europe, je puis vous dire que celles-ci ont l’impression qu’un accord se fait sur leur dos.

Les ressortissants européens au Royaume-Uni devront se soumettre à une procédure de demande de statut migratoire, celui-ci étant destiné à remplacer leur statut actuel dérivé du droit européen. Ils n’ont pas de certitude de succès, car la procédure n’est pas déclaratoire comme c’est actuellement le cas, et certains droits seront perdus. La jeunesse européenne en fera les frais. Par exemple, un jeune Français de Londres ne pourra pas faire venir sa future femme selon les règles du regroupement familial, passée une date butoir.

Pour les Britanniques installés en France et dans les autres pays membres, le problème est différent. Ils perdront leur liberté de circulation et seront obligés de rester dans leur pays d’accueil actuel. Cela semble être, là encore, une discrimination.

La France est-elle prête à soulever ces questions et à exiger que les réserves des associations de citoyens soient prises en compte ?

Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - Permalien
Nathalie Loiseau

Monsieur le sénateur, l’accord auquel l’Union européenne des Vingt-Sept et le Royaume-Uni sont parvenus au mois de décembre et qui trouve aujourd’hui sa traduction dans le projet d’accord de retrait prend en compte la situation des citoyens européens au Royaume-Uni, de même que celle des citoyens britanniques résidant dans l’Union européenne.

En vertu de cet accord, les Européens pourront continuer à résider, à étudier et à travailler au Royaume-Uni dans les mêmes conditions qu’actuellement. Ils continueront à bénéficier de la même protection sociale, par exemple en termes d’accès aux soins. C’est un élément essentiel, auquel nous avons été extrêmement attentifs. Nous avons également obtenu que les citoyens européens arrivant au Royaume-Uni pendant la période de transition ne soient pas discriminés par rapport à ceux qui s’y trouvaient avant le 29 mars 2019, ce qui n’était pas acquis au départ. Ce succès est à mettre au crédit de la négociation menée par Michel Barnier.

Nous allons continuer à être extrêmement attentifs à la situation des Européens, et en particulier de nos 300 000 compatriotes, vivant au Royaume-Uni. Notre consulat à Londres est en contact étroit avec les associations qui les représentent. Les autorités britanniques multiplient les réunions d’information concernant la situation future des ressortissants européens.

Cela étant, je suis d’accord avec vous sur un point : devenant un État tiers, le Royaume-Uni n’accordera pas à ceux qui le rejoindront après la fin de la période de transition les mêmes avantages que ceux qui sont consentis aux ressortissants de l’Union européenne actuellement. C’est une des raisons qui nous font regretter le vote intervenu en faveur du Brexit, mais il s’agit là d’une décision souveraine du peuple britannique, dont nous avons réussi à accompagner les effets de la meilleure manière possible. Nous resterons quoi qu’il en soit très attentifs, je le répète, à la situation de nos compatriotes résidant au Royaume-Uni.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à M. Sébastien Meurant, pour le groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Sébastien Meurant

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme Benoît Huré, je suis très inquiet du devenir de l’Union européenne.

De quelle Europe parlons-nous ? Où ses frontières s’arrêtent-elles ? L’Union européenne est perçue par les peuples comme étant très éloignée de leurs préoccupations et, au fil des élections, nous voyons progresser ceux que j’appellerai, pour simplifier, les europhobes.

Ma première question concerne la Turquie, ce drôle d’allié qui occupe le nord de Chypre depuis plus de quarante ans, qui se permet aujourd’hui d’occuper une partie de la Syrie, qui massacre nos alliés objectifs contre Daech et qui a exporté du pétrole pour le compte de ce groupe terroriste. Quelle est la position de l’Union européenne à l’égard de la Turquie ?

Mme Catherine Procaccia applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Sébastien Meurant

Ma deuxième question porte sur le Brexit. Le général de Gaulle disait de l’Angleterre qu’elle choisirait toujours le grand large. De fait, le Royaume-Uni a gagné ! L’Europe est un continent où s’exacerbent les divergences sociales et fiscales, où prospèrent les pratiques d’optimisation fiscale, par exemple via la constitution de holdings. La France, ses entreprises et ses travailleurs en sont les premières victimes.

Ma troisième et dernière question a trait à l’espace Schengen. Mes chers collègues, je vous invite à consulter le texte n° E 12809 relatif à l’application, par la France, de l’acquis de Schengen. Notre pays, en 2016, était bien loin de répondre aux souhaits des institutions européennes, qui ne souhaitaient déjà pas grand-chose… La France est notamment incapable d’assurer la sécurité intérieure en contrôlant correctement les entrées sur son territoire, en particulier à Roissy. Madame la ministre, quelles sont les mesures prises par la France pour respecter les « acquis » de Schengen ?

Debut de section - Permalien
Nathalie Loiseau

Monsieur le sénateur, il s’agit là plus de remarques que de questions…

La Turquie est un partenaire indispensable dans la lutte contre le terrorisme. Nous lui devons de pouvoir identifier et contrôler les apprentis djihadistes français qui se rendent en Syrie ou en Irak en passant par son territoire. Ne l’oublions pas !

C’est aussi un partenaire difficile. Je me suis exprimée hier, ici au Sénat, sur l’offensive menée par la Turquie en Syrie. Nous comprenons que la Turquie se préoccupe de la sécurité de sa frontière, mais pas qu’elle pénètre profondément dans le territoire syrien et cause des déplacements de populations aggravant une situation humanitaire déjà dramatique. Nous lui demandons de laisser passer l’aide humanitaire et de permettre aux citoyens syriens de rentrer chez eux.

Concernant les divergences fiscales et sociales que l’on constate au sein de l’Union européenne, le Président de la République considère que le projet européen ne peut aujourd’hui s’approfondir que si l’on travaille à renforcer la convergence sociale et fiscale. Sans cela, le fait d’avoir une monnaie unique ne suffira pas à promouvoir l’Europe en tant que puissance économique. C’est la raison pour laquelle, en matière fiscale, nous plaidons par exemple pour la mise en place d’un « corridor » de taux d’impôt sur les sociétés et nous sommes favorables à ce que le versement de certains fonds européens soit conditionné au respect de la convergence fiscale et sociale.

Enfin, en ce qui concerne l’espace Schengen, nous considérons que l’heure n’est pas venue de l’élargir, même si certains États membres sont candidats. Il convient au préalable de le réformer et de le renforcer, en particulier en travaillant à un meilleur contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne. Pour cela, il faut accroître les moyens et les effectifs. Nous nous y sommes engagés. Nous travaillons aussi à une meilleure interopérabilité des systèmes d’information entre États membres de l’Union européenne. Ce sont là des enjeux que nous prenons très au sérieux.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Je voudrais remercier Mme la ministre de s’être prêtée à cet exercice, qui n’est pas toujours facile.

Les questions de nos collègues m’ont semblé traduire l’inquiétude que ressentent nos concitoyens. Nous vivons dans un monde qui n’a jamais été aussi incertain, et les Françaises et les Français souhaitent une Europe qui protège – je n’ai pas dit « protectionniste ».

L’Union européenne n’avait pas été conçue en fonction d’une vague migratoire de l’ampleur de celle que nous avons connue. L’espace Schengen et l’agence Frontex n’avaient pas été dimensionnés pour y faire face. L’Union européenne réagit à sa vitesse, qui est celle des vingt-sept États membres. Notre collègue Sylvie Robert s’est demandé pourquoi il fallait toujours que les règles soient adoptées à l’unanimité. Or celle-ci est surtout requise quand il s’agit de questions financières ; dans d’autres domaines, c’est la majorité qualifiée qui prévaut, laquelle n’est pas non plus toujours facile à réunir.

Sur le plan des marchés de capitaux, après la chute de Lehman Brothers, en 2008, l’Union européenne a fini par constituer un corpus réglementaire très solide, mais cela a pris du temps.

Une Europe qui protège, c’est aussi une Europe qui, au travers de la coopération structurée permanente, élabore tout doucement une défense européenne ; là encore, il y faut du temps.

Une Europe qui protège, c’est enfin une Europe qui essaie de sanctionner les fraudes, les dérives constatées dans certains États, tels que l’Allemagne, où la filière porcine s’est livrée à des pratiques frauduleuses en matière de TVA, ou les Pays-Bas. J’ai adressé à Mme la ministre un courrier portant sur ce point précis. Il n’est pas normal qu’existent de telles distorsions au sein même de l’Union européenne. Les divergences seront corrigées, c’est ainsi que fonctionne l’Europe.

Pour conclure, je dirai qu’il faut trouver un juste équilibre entre les coopérations renforcées, qui nous permettent d’aller plus vite – sans aller jusqu’à créer une Europe à double vitesse, peut-être faut-il des « premiers de cordée » –, et le maintien de la cohésion de l’Europe des Vingt-Sept, de l’Europe des valeurs qu’appelle de ses vœux notre collègue Benoît Huré. La construction de l’Europe n’aura jamais de fin, parce qu’elle est toujours à parfaire.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Nous en avons terminé avec le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 22 et 23 mars 2018.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-sept heures quinze, est reprise à dix-sept heures trente.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la protection des données personnelles (projet n° 296, texte de la commission n° 351, rapport n° 350, rapport d’information n° 344).

Dans la discussion du texte de la commission, nous poursuivons, au sein du chapitre IV du titre II, l’examen de l’article 12.

TITRE II (suite)

MARGES DE MANŒUVRE PERMISES PAR LE RÈGLEMENT (UE) 2016/679 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL DU 27 AVRIL 2016 RELATIF À LA PROTECTION DES PERSONNES PHYSIQUES À L’ÉGARD DU TRAITEMENT DES DONNÉES À CARACTÈRE PERSONNEL ET À LA LIBRE CIRCULATION DE CES DONNÉES, ET ABROGEANT LA DIRECTIVE 95/46/CE

Chapitre IV (suite)

Dispositions relatives à certaines catégories particulières de traitements

L’article 36 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, les mots : « historiques, statistiques ou scientifiques » sont remplacés par les mots : « archivistiques dans l’intérêt public, à des fins de recherche scientifique ou historique ou à des fins statistiques » ;

2° Les deuxième et cinquième alinéas sont supprimés ;

3° Sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :

« Lorsque les traitements de données à caractère personnel sont mis en œuvre par les services publics d’archives à des fins archivistiques dans l’intérêt public conformément à l’article L. 211-2 du code du patrimoine, les droits prévus aux articles 15 et 18 à 21 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 précité ne s’appliquent pas dans la mesure où ces droits rendent impossible ou entravent sérieusement la réalisation de ces finalités. Un décret en Conseil d’État, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, détermine les conditions d’application du présent alinéa, ainsi que les garanties appropriées pour les droits et libertés des personnes concernées et les limitations à apporter à la diffusion des données traitées.

« Un décret en Conseil d’État, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, détermine dans quelles conditions et sous réserve de quelles garanties il peut être dérogé en tout ou partie aux droits prévus aux articles 15, 18 et 21 du même règlement, en ce qui concerne les autres traitements mentionnés au premier alinéa du présent article. »

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Je suis saisi de quatorze amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 46 rectifié, présenté par M. Patient et les membres du groupe La République En Marche, est ainsi libellé :

Alinéa 5

1° Première phrase

Après la référence :

insérer la référence :

2° Seconde phrase

Remplacer cette phrase par deux phrases ainsi rédigées :

Les conditions et garanties appropriées prévues à l’article 89 du même règlement sont déterminées par le code du patrimoine et les autres dispositions législatives et réglementaires applicables aux archives publiques. Elles sont également assurées par le respect des normes conformes à l’état de l’art en matière d’archivage électronique.

La parole est à M. Arnaud de Belenet.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud de Belenet

Georges Patient propose de rétablir l’alinéa 5 dans sa rédaction d’origine. Il rappelle que l’article 89 du règlement général sur la protection des données, le RGPD, permet des dérogations à certains droits en matière d’archives.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Les amendements n° 40, 42, 53, 60, 90, 136 et 149 rectifié bis sont identiques.

L’amendement n° 40 est présenté par Mmes M. Carrère et Costes.

L’amendement n° 42 est présenté par M. Schmitz.

L’amendement n° 53 est présenté par M. L. Hervé.

L’amendement n° 60 est présenté par M. Mazuir.

L’amendement n° 90 est présenté par le Gouvernement.

L’amendement n° 136 est présenté par Mmes S. Robert et Van Heghe, MM. Durain, Féraud et Fichet et Mme Blondin.

L’amendement n° 149 rectifié bis est présenté par MM. Delcros, Kern, Henno, Janssens et Laugier, Mme Vermeillet, M. Bonnecarrère, Mme Billon, MM. Mizzon, Longeot et Canevet, Mme Férat, M. Détraigne, Mme Loisier et MM. Bockel et Cigolotti.

Ces sept amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 5, première phrase

Après la référence :

insérer la référence :

La parole est à Mme Josiane Costes, pour défendre l’amendement n° 40.

Debut de section - PermalienPhoto de Josiane Costes

L’introduction d’un droit de rectification des archives, en apparence anodine, soulève plusieurs questions qui méritent d’être débattues ici. Je me réjouis qu’elles aient trouvé tant d’écho dans notre chambre.

Il y a tout d’abord la question, d’ordre scientifique, de l’authenticité des archives. Peut-on altérer des documents à valeur historique en vertu d’un droit de rectification accordé à nos contemporains au nom de la mémoire de leurs aïeux ou de tel ou tel argument ? Ne s’agit-il pas là d’une pratique qui risque de nuire aux débats scientifiques de chercheurs s’efforçant de déterminer des vérités historiques ou sociales selon des règles déontologiques qui leur sont propres ? Même les erreurs révèlent une part de vérité. En outre, les rectifications sont déjà possibles par le biais de publications commentant les archives.

Il y a, ensuite, la question plus prosaïque de la charge de travail que ces modifications impliqueront pour les archivistes, largement sous-estimée ici.

Madame la rapporteur, nous saluons votre effort pour trouver un compromis, mais nous considérons que la rédaction que vous proposez reste insuffisamment protectrice. Le principe d’authenticité des archives ne peut s’accommoder de nuances.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à M. Alain Schmitz, pour présenter l’amendement n° 42.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Schmitz

Il est nécessaire que les traitements mis en œuvre par les services publics d’archives dérogent au droit de rectification. Les traitements visés par l’article 12 ne portent que sur les archives « définitives » ou « historiques », et en aucun cas sur les archives « courantes » et « intermédiaires », également appelées « archives vivantes », qui sont, quant à elles, bel et bien soumises au droit de rectification.

Les deux principes importants de l’archivistique sont l’intégrité et l’authenticité.

Les informations contenues dans les archives historiques sont souvent périmées et incomplètes du seul fait de leur ancienneté. Elles comportent parfois des inexactitudes et des erreurs volontaires. Accorder un droit de rectification de ces archives historiques reviendrait à porter atteinte à leur authenticité, notion qui est à distinguer de celle de véracité. Or la mission de l’archiviste est, bien entendu, de garantir l’authenticité des documents.

Comme vient de le dire notre collègue, ce droit à rectification des archives historiques engendrerait, de surcroît, une charge de travail extrêmement lourde : songeons aux kilomètres de linéaires que peuvent occuper des archives, qu’elles soient nationales, départementales ou communales.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à M. Loïc Hervé, pour présenter l’amendement n° 53.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

L’amendement n° 60 n’est pas soutenu.

La parole est à Mme la garde des sceaux, pour présenter l’amendement n° 90.

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet

Cet amendement a pour objet de rétablir la rédaction initiale de l’article 12 du projet de loi, qui prévoyait une dérogation au droit de rectification pour les traitements à des fins archivistiques dans l’intérêt public. Cette dérogation ne vise que les archives dites historiques, qui sont déjà anciennes et conservées par les services publics d’archives, et non les archives vivantes, effectivement soumises, quant à elles, au droit de rectification. Elle garantit leur intégrité et leur authenticité au regard de l’histoire.

S’agissant des archives historiques, il convient de distinguer le caractère original et authentique des documents de la véracité de l’information qu’ils contiennent. Les services d’archives ont pour mission de conserver des documents authentiques. Il revient aux chercheurs, aux historiens d’apprécier, éventuellement, la véracité des informations que ceux-ci contiennent.

Par ailleurs, la rectification de documents vieux de vingt, trente, quarante ans ou plus constituerait, me semble-t-il, une charge démesurée pour les services publics d’archives, qui conservent des kilomètres d’archives et des centaines de téraoctets de données. L’exercice de ce droit se révélerait en réalité impossible, en raison de l’extrême difficulté, pour ces services, de vérifier l’exactitude des informations demandées.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à Mme Sylvie Robert, pour présenter l’amendement n° 136.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à M. Bernard Delcros, pour présenter l’amendement n° 149 rectifié bis.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Delcros

Il me paraît extrêmement important de rétablir cette dérogation au droit de rectification, lequel continuerait bien entendu à valoir pour les archives vivantes.

Il faut protéger les archives historiques. Elles contiennent des données qui sont exactes au regard de la réalité des faits de l’époque, d’autres qui sont inexactes. Ces inexactitudes sont parfois volontaires et répondent à des préoccupations très précises : nous avons tous en tête des exemples concernant les périodes les plus tragiques du XXe siècle. Il est donc essentiel que les historiens et les chercheurs puissent disposer de toutes les données, qu’elles soient exactes ou inexactes, parce qu’elles permettent de comprendre ce qui s’est passé, en vue d’écrire l’histoire. Ne pas protéger les archives historiques serait une erreur.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

L’amendement n° 152, présenté par Mme Joissains, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Alinéa 5, après la première phrase

Insérer une phrase ainsi rédigée :

En outre, par dérogation à l’article 16 du même règlement, lorsqu’un document conservé par un service public d’archives comprend des données à caractère personnel inexactes, la personne concernée a le droit d’obtenir de ce service qu’il soit fait mention de cette inexactitude, soit en marge du document, soit dans un document spécialement annexé à cet effet.

La parole est à Mme le rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Depuis la fin des années soixante-dix, l’articulation entre les principes régissant respectivement la conservation des archives, l’accès aux documents administratifs et la protection des données à caractère personnel a fréquemment soulevé des difficultés.

Je tiens d’abord à dissiper quelques malentendus. Le droit en vigueur ne prévoit aucune dérogation au droit de rectifier des données personnelles inexactes au bénéfice des services publics d’archives. Il prévoit seulement une dérogation à la durée normale de conservation des données, une dérogation aux obligations de confidentialité, une dérogation au droit d’accès des personnes physiques aux données personnelles qui les concernent tel qu’il est défini par la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, une dérogation au droit d’opposition à voir ces données traitées.

Le droit de rectification est strictement encadré par le droit français et communautaire. Comme l’a confirmé le Contrôleur européen de la protection des données, il ne s’applique qu’aux données objectives et factuelles, pas aux déclarations subjectives, qui, par définition, peuvent être erronées d’un point de vue factuel.

La CNIL, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, nous a assuré que cette interprétation étroite du principe d’exactitude correspondait en tous points à sa pratique.

Le droit de rectification n’implique pas d’effacer des données inexactes. Il peut y être fait droit, par exemple, en apposant une mention en marge du document ou en ajoutant au dossier des pièces complémentaires. Comme tous les droits reconnus aux personnes physiques sur leurs données personnelles, ce droit s’éteint au décès de l’intéressé et n’est pas transmissible aux héritiers, comme c’était le cas jusqu’en 2004.

Ces mises au point étant faites, la question demeure : faut-il introduire une nouvelle dérogation au droit de rectification au bénéfice des services publics d’archives ?

Une telle dérogation pourrait être justifiée d’une part par la nécessité de maintenir l’intégrité des archives, d’autre part par les règles de communication des archives publiques, qui protègent, dans une certaine mesure, les personnes vivantes contre les atteintes à la vie privée, puisqu’elles prévoient des délais de communication plus ou moins longs. Néanmoins, ces délais n’empêchent pas que les documents soient communiqués, voire largement diffusés, avant la mort des intéressés ; tel est bien le problème.

En outre, les archives peuvent, dans certains cas, être communiquées avant l’expiration des délais légaux, et l’administration des archives conserve le droit d’ouvrir des fonds d’archives, à tout moment, avec l’accord de l’administration dont elles émanent.

La semaine dernière, la commission des lois a estimé légitime qu’une personne vivante ayant connaissance du fait qu’un document d’archives publiques la concernant contient des informations inexactes puisse en obtenir la rectification. Il convient d’opérer une juste conciliation entre les objectifs d’intérêt général des services publics d’archives et la protection des droits des personnes sur leurs données.

On ne saurait ignorer le préjudice que pourrait causer à ces personnes la publicité donnée à des informations factuellement erronées. J’aimerais mentionner un exemple de nature à nourrir notre réflexion sur ce sujet délicat : en 2013, les ministères de la défense et de la culture ont demandé à la CNIL l’autorisation de procéder à la numérisation, à l’indexation et à la diffusion sur internet des registres matricules du recrutement militaire des soldats ayant participé à la Première Guerre mondiale. Ces registres matricules comprennent, notamment, des données sensibles issues du dossier militaire des soldats : blessures, état général, santé, maladies, contaminations… Par conséquent, il avait été prévu d’étendre à tout internaute – ce qui est exceptionnel – le droit de demander la rectification des données inexactes des bases de données d’indexation et des registres matricules numérisés. La CNIL avait alors souligné l’intérêt d’une telle disposition, relevant qu’aucune analyse de l’exactitude des données n’avait été préalablement menée et que les pratiques suivies pour constituer un registre matricule variaient d’un bureau de recrutement à un autre.

Bien sûr, en 2013, il n’y avait plus beaucoup de combattants de cette guerre encore en vie ! Pour autant, ces soldats auraient-ils voulu que des informations fausses les concernant soient diffusées auprès du plus large public, même après leur mort ? Et que dire de leurs enfants ou de leurs petits-enfants, qui pouvaient voir la mémoire de leur père ou de leur grand-père injustement abîmée ?

Afin d’apaiser ces inquiétudes, je propose, par l’amendement n° 152, d’expliciter dans la loi que l’exercice du droit de rectification n’implique pas d’effacer des données inexactes, mais qu’il peut y être fait droit soit en apposant une mention rectificative en marge du document, soit en y annexant un document rectificatif.

Plusieurs amendements de nos collègues visent aussi à supprimer le renvoi à un décret en Conseil d’État, ajouté par la commission des lois pour tenir compte des observations de la CNIL. En effet, le RGPD prévoit que la loi nationale peut déroger au droit reconnu aux personnes physiques sur leurs données en ce qui concerne les traitements à des fins archivistiques dans l’intérêt public, mais ces dérogations ne sont permises que sous réserve de garanties appropriées et dans la mesure où ces droits risqueraient de rendre impossible ou d’entraver sérieusement la réalisation des finalités spécifiques de ces traitements.

Il convient donc de préciser par décret en Conseil d’État la portée de ces dérogations, les garanties offertes aux personnes concernées et les limitations à apporter à la diffusion des données traitées, notamment en ce qui concerne l’indexation de ces données sur les moteurs de recherche.

Je demande, au nom de la commission, que l’amendement n° 152 soit mis aux voix par priorité.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Les amendements n° 41, 43, 61, 91 et 135 rectifié sont identiques.

L’amendement n° 41 est présenté par Mmes M. Carrère et Costes.

L’amendement n° 43 est présenté par M. Schmitz.

L’amendement n° 61 est présenté par M. Mazuir.

L’amendement n° 91 est présenté par le Gouvernement.

L’amendement n° 135 rectifié est présenté par Mmes S. Robert et Van Heghe, MM. Durain, Féraud et Fichet et Mme Blondin.

Ces cinq amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 5, seconde phrase

Remplacer cette phrase par deux phrases ainsi rédigées :

Les conditions et garanties appropriées prévues à l’article 89 du même règlement sont déterminées par le code du patrimoine et les autres dispositions législatives et réglementaires applicables aux archives publiques. Elles sont également assurées par le respect des normes conformes à l’état de l’art en matière d’archivage électronique.

La parole est à Mme Josiane Costes, pour présenter l’amendement n° 41.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à M. Alain Schmitz, pour défendre l’amendement n° 43.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Schmitz

L’article 89 du RGPD permet aux traitements à des fins archivistiques dans l’intérêt public de déroger à certains droits en contrepartie de conditions et garanties appropriées. Cette disposition ne concerne que les archives définitives ou les archives historiques, et seulement les traitements des services publics d’archives qui ont pour mission de collecter les archives publiques à l’issue de leur durée d’utilité administrative.

Or la gestion de ces archives est encadrée par un ensemble de textes législatifs et réglementaires très dense – plus de 150 dispositions inscrites dans le code du patrimoine, des dizaines de dispositions figurant dans d’autres textes, notamment dans le code des relations entre le public et l’administration, et plus d’une centaine d’instructions ministérielles.

Toutes les étapes de la chaîne archivistique – tri, sélection, traitement, conservation et communication – sont ainsi juridiquement très encadrées. Ce corpus législatif et réglementaire et le respect des normes en matière d’archivage électronique apportent des garanties fortes et suffisantes. Dès lors, instaurer une nouvelle couche de droits ne semble pas nécessaire. Cela créerait de surcroît une complexité inutile.

Par ailleurs, le décret d’application de l’article 6 de la loi pour une République numérique, dont la parution, après avis de la CNIL, devrait intervenir prochainement, déterminera précisément les conditions de diffusion sur internet des documents d’archives et de leurs instruments de recherche. Des dispositions réglementaires supplémentaires sont donc inutiles en ce qui concerne les traitements archivistiques mis en œuvre par les services publics d’archives.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

L’amendement n° 61 n’est pas soutenu.

La parole est à Mme la garde des sceaux, pour présenter l’amendement n° 91.

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet

Cet amendement vise à rappeler que seules les finalités définies à l’article 89 du RGPD permettent de déroger à certains droits des personnes concernées.

Le RGPD n’interdit pas de procéder à des traitements de données archivées à d’autres fins que les fins archivistiques dans l’intérêt public, les fins de recherche scientifique ou historique ou les fins statistiques. Néanmoins, les traitements en question sont soumis au régime de droit commun du RGPD et de la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Ces traitements ne bénéficient pas des dispositions spécifiques attachées aux traitements précités.

La nouvelle rédaction de l’alinéa, qui impose certaines conditions spécifiques, n’est pas conforme au RGPD. Le présent amendement a donc pour objet de revenir à la rédaction initiale du projet de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à Mme Sylvie Robert, pour présenter l’amendement n° 135 rectifié.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

J’ai été saisi, par la commission, d’une demande de vote par priorité de l’amendement n° 152.

Je rappelle que, aux termes de l’article 44, alinéa 6, du règlement du Sénat, lorsqu’elle est demandée par la commission saisie au fond, la priorité est de droit, sauf opposition du Gouvernement.

Quel est donc l’avis du Gouvernement sur cette demande de priorité formulée par la commission ?

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet

Je ne m’oppose pas à la demande de priorité formulée par Mme la rapporteur. Je souligne toutefois que je suis très attachée à ce que l’amendement n° 90 du Gouvernement et les amendements identiques soient adoptés…

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La priorité est ordonnée.

Madame la garde des sceaux, pour votre information, si l’amendement n° 152 de la commission est adopté, le vôtre deviendra sans objet, de même que l’amendement n° 46 rectifié et les amendements identiques n° 40, 42, 53, 136 et 149 rectifié bis.

Quel est l’avis du Gouvernement sur les amendements n° 46 rectifié et 152 ?

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet

Le Gouvernement est défavorable à ces amendements.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à M. Arnaud de Belenet, pour explication de vote sur l’amendement n° 152.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud de Belenet

Si j’ai bien compris, la commission et le Gouvernement ont le même but, mais les moyens envisagés pour l’atteindre sont très différents.

Mme la rapporteur propose de rendre possible l’apposition de mentions correctives marginales. Le Gouvernement et les auteurs d’amendements identiques au sien proposent quant à eux de rétablir un cadre dérogatoire pour ce qui concerne les archives historiques.

Ce qui me dérange fortement dans la proposition de Mme la rapporteur, c’est qu’elle repose de fait sur le postulat que la vérité d’aujourd’hui sera celle de demain. Je ne suis pas certain que ce soit exact. Quand il s’agit d’histoire, d’analyse des documents d’archives, je ne pense pas que le législateur soit plus qualifié que les spécialistes. Pourquoi autoriser l’inscription dans les archives de la vérité d’aujourd’hui ? C’est ainsi que j’entends l’amendement de la commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Ce n’est pas son objet ! Sinon, nous aurions réagi !

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à Mme Sylvie Robert, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Sylvie Robert

Ce que nous propose Mme la rapporteur représente finalement un accommodement, une demi-mesure. Elle a essayé de trouver une forme de compromis, mais son amendement ne prend pas en compte les aspects pratiques du processus de rectification, en termes tant de coûts indirects que de charge de travail pour les services d’archives. Il faut avoir conscience des incidences qu’aurait son adoption.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à M. le président de la commission des lois.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je voudrais tenter d’apporter une contribution au débat en livrant un éclairage personnel.

Passionné par la question des archives, je me suis beaucoup impliqué dans cette problématique lorsque j’étais président du conseil départemental de la Manche. Pour tout vous dire, le directeur des archives départementales, chartiste comme beaucoup de nos archivistes, homme extrêmement cultivé – j’espère que ces compliments iront jusqu’à lui ! §–, n’a pas manqué de m’alerter sur ce sujet. Je comprends sa motivation.

Je trouve tout à fait intéressant que survivent dans nos archives, à l’épreuve du temps, de nombreuses inexactitudes qui n’ont jamais été corrigées et qui ont une valeur historique de très grande importance. Aussi bien, nous ne pouvons pas nous permettre ici d’adopter une disposition qui effacerait la trace des inexactitudes et empêcherait les historiens de demain de pouvoir les exploiter, en quelque sorte, pour servir la vérité historique et scientifique.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Au fond, tous les amendements en discussion partent de cette idée fondamentale que l’inexactitude a une valeur scientifique et historique au regard de la vérité que devront établir les historiens du futur.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Là-dessus, il n’y a pas de débat entre nous.

Cela étant posé, nous pensons que l’amendement de la commission est meilleur que les autres parce qu’il atteint une forme de compromis. Le règlement général pour la protection des données prévoit que l’on puisse corriger les inexactitudes. Soit ! Nous proposons simplement que les inexactitudes portant sur ses propres données personnelles archivées puissent être corrigées à la demande de l’intéressé, mais en gardant la trace de ces inexactitudes. Nous pensons en toute bonne foi qu’il s’agit là d’un bon compromis et espérons que nos archivistes s’en contenteront !

Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

En tant que rapporteur, avec notre ancien collègue René Garrec, de la dernière loi sur les archives, je serais plutôt d’avis de ne toucher à rien.

Bien entendu, le RGPD nous amène à réfléchir sur l’accumulation de données, de documents, au fil du temps, de l’histoire. Comment mettre tout cela en perspective ? Comment l’histoire s’écrit-elle ?

Cependant, cela a été dit, il ne faut pas confondre le rôle de l’historien et celui de l’archiviste. Les archives sont des documents bruts, qui peuvent comporter des données inexactes. Ce qui compte, c’est leur authenticité. Il appartient ensuite à l’historien – le président Bas l’a très bien souligné – de les confronter, de les analyser, de les décrypter, de les mettre en perspective. On ne peut récrire l’histoire que sous le regard avisé des spécialistes.

Je ne suis donc pas très favorable à ce que l’on touche à quoi que ce soit. Tel est mon sentiment. Je comprends que certains veuillent porter la vérité à la connaissance de tous, mais c’est aux historiens de l’établir. Encore une fois, les archives sont des documents bruts.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Laménie

On apprend tous les jours, comme on dit ! Je salue le travail accompli par le président Bas, la rapporteur et l’ensemble des membres de la commission des lois sur un texte qui n’est pas simple.

Le président Philippe Bas a rappelé le rôle des historiens et des archivistes locaux et départementaux. Pour ma part, je suis non pas historien, mais géographe, les deux disciplines étant néanmoins liées. Je profite de cette occasion pour saluer la qualité du travail de la division des archives du Sénat.

Mme la rapporteur a développé une argumentation forte et passionnée à l’appui de sa demande de mise aux voix par priorité de son amendement. Je voterai celui-ci, après avoir souligné qu’il faut toujours mesurer les incidences des dispositions que nous adoptons.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Lors de la séance du 8 janvier 2008, dans cet hémicycle, Robert Badinter nous avait expliqué comment il avait sauvé les archives du tribunal de la Seine et comment, garde des sceaux, il avait recherché, après une conférence à Vienne, les archives du procès Landru, qui avaient été égarées. Je vous invite à lire le compte rendu de cette séance, madame le garde des sceaux. Ce rappel constitue la preuve qu’il peut parfois être utile de faire trois mandats consécutifs…

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Mais pas plus !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Je rejoins tout à fait les propos de Catherine Morin-Desailly et soutiens donc l’amendement du Gouvernement.

Le temps des archives est une chose, celui de l’histoire en est une autre. Les archives, ce n’est pas Wikipédia, monsieur le président de la commission des lois.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Je le croyais, pourtant !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

On ne peut pas les rectifier sur simple demande de la personne concernée. C’est à l’historien qu’il appartiendra éventuellement de le faire, dans le temps qui est celui de sa discipline.

Par ailleurs, j’indique que je ne lis jamais les amendements pré-rédigés que l’on nous envoie. J’ignore donc quelles suggestions les archivistes ont adressées aux parlementaires, mais il me semble évident qu’il faut laisser aux historiens et aux archivistes leurs rôles respectifs. Dans son merveilleux discours du 8 janvier 2008, Robert Badinter a tout dit sur le sujet : je vous y renvoie !

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

En tant qu’historienne, je me demande sur quelle base les rectifications seront apportées. Qu’est-ce que la vérité ? La question peut sembler naïve, mais quand nous, historiens, consultons des archives, nous devons lire entre les lignes et interpréter, car il n’y a pas d’histoire brute ; l’histoire s’écrit. Au nom de quoi rectifier les archives ? De quelle vérité ? Tout historien se pose la question de l’authenticité des archives sur lesquelles il travaille. Si l’on considère a priori que la rectification est plus proche de la vérité que l’original, on risque de biaiser quelque peu l’écriture de l’histoire.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à M. Jérôme Durain, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Durain

Je remercie la rapporteur du compromis qu’elle nous propose au travers de l’amendement n° 152. Toutefois, si je comprends sa volonté de trouver un équilibre, je crois que, en certaines matières, les compromis ne tiennent pas et débouchent sur une cote mal taillée. C’est le cas, me semble-t-il, en l’occurrence.

L’histoire est le produit d’un regard porté sur le passé par une société donnée, avec sa culture, ses codes, ses références. Si l’on permet de rectifier une archive, d’y inscrire des mentions en marge ou en annexe, faudra-t-il aussi prévoir la possibilité de revenir sur cette rectification ultérieurement, afin de pouvoir prendre en compte, le cas échéant, de nouveaux éléments ? Cela paraît très compliqué ! Pour ma part, je suis partisan de la simplicité, c’est-à-dire du rétablissement de la version initiale du texte. Manifestement, l’amendement n° 152 ne fait pas recette et il ne satisfera pas les archivistes.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à Mme Maryse Carrère, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Maryse Carrère

En matière d’archives, il ne faut pas confondre véracité et authenticité. Comme l’a dit Mme Benbassa, il revient aux chercheurs et aux historiens d’établir la véracité des faits par le croisement des sources et l’analyse critique des documents.

Par ailleurs, il existe déjà des textes permettant d’engager des procédures de révision des archives, sans pour autant que l’on en arrive à corriger les originaux.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à Mme le rapporteur, que j’invite à donner l’avis de la commission sur les amendements identiques n° 41, 43, 91 et 135 rectifié.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Je pense que je me suis mal fait comprendre et qu’il y a là un vaste malentendu.

Madame Benbassa, il ne s’agit pas de toucher aux archives. Il revient bien entendu à l’historien de les analyser. Les éventuelles inexactitudes qu’elles recèlent contribuent elles aussi à nourrir son travail et son interprétation. Nous sommes tout à fait d’accord sur ce point.

Mme Morin-Desailly a dit que les données étaient parfois subjectives ; c’est vrai. Il y a en fait deux types de données : les données factuelles – M. Untel a été jugé tel jour – et les données subjectives – M. X pensait telle ou telle chose de M. Untel. Bien entendu, il ne faut surtout pas toucher à ces données subjectives.

Nous proposons simplement de permettre la rectification de données factuelles fausses concernant des personnes encore en vie, le droit à la rectification n’étant pas transmissible.

Imaginons, madame Goulet, qu’un document d’archives accessible sur internet comporte des éléments erronés vous concernant. Ne souhaiteriez-vous pas pouvoir le rectifier et rétablir ainsi la vérité ? Il me semble important de pouvoir concilier la vie des archives et la vie de l’individu. Nous pouvons concilier ces deux intérêts majeurs simplement, en permettant que l’on appose des rectifications en marge du document, voire en annexe, afin de rétablir une vérité purement factuelle. Cela peut tout de même avoir de l’intérêt pour l’honneur des vivants ! Tout à l’heure, nous avons cité l’exemple des combattants de la Grande Guerre et de leurs familles.

Il y va de la considération que l’on doit à l’individu, et nous pouvons tous demain être concernés. À l’époque d’internet, peut-on s’imaginer que les archives sont des documents poussiéreux qui n’intéressent que les historiens ? Il existe des archives publiques qui concernent des individus encore en vie. Le droit de rectification ne pourra être exercé que par celles-ci. Je le répète, il ne s’agit pas du tout de permettre la rectification de données subjectives, mais uniquement celle des données factuelles.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Je maintiens l’amendement n° 152, qui permet à mon sens de concilier le droit des vivants et celui des archives, et je sollicite le retrait des autres.

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet

La démonstration que vient de faire Mme Joissains n’est pas tout à fait exacte. En effet, si un document est disponible sur internet, il est dès lors vivant et peut donc bien sûr, à ce titre, faire l’objet d’une rectification.

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet

Une archive, en revanche, n’est pas communicable pour une durée comprise entre cinquante et cent vingt ans, selon les cas.

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet

Au terme de ce délai seulement, les historiens peuvent y accéder et faire leur travail. J’ai moi-même eu l’occasion de travailler, en tant qu’historienne du droit, sur des archives relatives au Conseil de chancellerie datant de 1777, dans lesquelles j’ai repéré des inexactitudes !

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à M. le président de la commission des lois.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

L’intervention de Mme le garde des sceaux me force à reprendre la parole.

On numérise des archives, puis on les diffuse sur internet. Si elles comportent des inexactitudes concernant des personnes vivantes, ces dernières doivent pouvoir en obtenir la rectification, à la condition que cela n’amène pas la destruction des documents d’origine. Le problème se pose véritablement !

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud de Belenet

Non, je le retire au profit de l’amendement n° 90 du Gouvernement, monsieur le président.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

L’amendement n° 46 rectifié est retiré.

Je mets aux voix les amendements identiques n° 40, 42, 53, 90, 136 et 149 rectifié bis.

Les amendements sont adoptés.

Les amendements sont adoptés.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Je suis saisi de deux amendements identiques.

L’amendement n° 92 est présenté par le Gouvernement.

L’amendement n° 144 est présenté par M. Patient.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 6

Après la référence :

insérer la référence :

La parole est à Mme la garde des sceaux, pour présenter l’amendement n° 92.

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet

Cet amendement vise à rétablir la dérogation au droit de rectification des données à caractère personnel pour les archives définitives.

Cette dérogation, je le rappelle, est permise par l’article 89 du RGPD. Elle était inscrite dans le projet de loi initial et, dans son avis sur celui-ci, la CNIL n’a pas émis de réserves sur ce sujet.

Il me semble opportun de rappeler que l’article 12 du présent projet de loi ne vise que les archives définitives ou les archives historiques, et non les archives courantes ou les archives intermédiaires, parfois appelées « archives vivantes », qui restent, elles, soumises au droit de rectification.

À l’issue de leur durée d’utilité administrative, les archives qui sont sélectionnées pour être conservées par un service public d’archives, qu’il s’agisse des archives nationales, régionales, départementales ou communales, ne doivent plus être modifiées : c’est l’un des grands principes de l’archivistique, qui garantit des sources intègres, authentiques et non dénaturées, nécessaires à tout travail d’historien.

Modifier des archives historiques sous prétexte de rectifier une donnée personnelle reviendrait en réalité à porter atteinte à l’intégrité originale des documents, avec un risque de falsification et d’atteinte à leur caractère authentique, ou bien à altérer un travail futur de recherche.

La commission des lois a modifié la rédaction de l’article 36 de la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés en prévoyant que les traitements archivistiques peuvent déroger à une partie des droits des personnes prévues par le RGPD, mais elle a omis d’inclure le droit de rectification dans la liste de ces dérogations. Cet amendement a pour objet de rétablir la dérogation susvisée.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

L’amendement n° 144 n’est pas soutenu.

Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 92 ?

L ’ amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

L’amendement n° 27 rectifié ter, présenté par MM. Chaize, Grosdidier, Raison et Perrin, Mme Eustache-Brinio, M. Sol, Mme Giudicelli, M. Hugonet, Mmes Lavarde, Bories et Garriaud-Maylam, M. Lefèvre, Mme Estrosi Sassone, MM. Babary, Savary, Bazin et Vaspart, Mme Lassarade, MM. D. Laurent, Kennel et Mouiller, Mmes Deromedi, Lamure et Deseyne, MM. Paccaud, Poniatowski, Buffet, de Nicolaÿ, Bonhomme, Milon, Bascher et Vogel, Mmes Boulay-Espéronnier, Deroche et Imbert, M. Bouchet, Mme de Cidrac et MM. B. Fournier, Bonne, Revet, Laménie, Leleux, Savin et Gremillet, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

« Le ou les responsables conjoints d’un traitement de données personnelles à finalité de production d’une information anonyme de nature statistique peuvent conserver, en marge du traitement auquel peuvent être appliquées les mesures appropriées visant à garantir la protection des données personnelles, notamment la pseudonymisation, pendant la durée prévue au 5° de l’article 6 de la présente loi, le nom et l’adresse postale ou électronique des personnes dont les données ont servi par agrégation sur un effectif de taille suffisante, à produire l’information statistique, afin d’informer lesdites personnes de leurs droits visés aux articles 12 et suivants du règlement (UE) 2016/679, notamment à l’article 16 relatif au droit de rectification, et de leur droit d’accéder à l’information statistique. »

La parole est à M. René-Paul Savary.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Le présent amendement, dont le premier signataire est M. Chaize, vise à compléter le dispositif de l’article 12.

Disposer du résultat d’un traitement de données à finalité statistique ne permet pas d’identifier les personnes dont les données ont servi à la production dudit résultat.

Par conséquent, en l’absence de dérogations particulières, le responsable du traitement ne peut plus informer directement les personnes concernées de leurs droits, notamment de leur droit de rectification, lequel permet d’assurer la qualité de la production statistique, ni prendre l’initiative de les informer directement de leur droit d’accéder au résultat statistique, pourtant prévu par le code des relations entre le public et l’administration.

Le présent amendement vise à préciser les moyens dont peut disposer le responsable d’un traitement de données à finalité statistique pour permettre aux personnes concernées d’exercer effectivement leurs droits, notamment celui d’accéder à l’information statistique qu’elles contribuent à produire. Son adoption permettra d’assurer une meilleure cohérence, dans les faits, avec les dispositions du code des relations entre le public et l’administration.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

La commission souhaite connaître l’avis du Gouvernement.

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet

Cet amendement vise à permettre la conservation de données personnelles non nécessaires à un traitement dont la finalité est la production d’une information anonyme. Il est donc contraire, me semble-t-il, au respect du principe de nécessité et de minimisation des données posé à l’article 5.1 du RGPD.

La conservation des données personnelles en marge de traitements ayant pour finalité la production de statistiques anonymes aux seules fins de respecter le droit d’information des personnes concernées est également en contradiction avec l’article 11 du RGPD.

J’émets donc un avis défavorable.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

L’amendement n° 27 rectifié ter est retiré.

L’amendement n° 153, présenté par Mme Joissains, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

II. – Au 4° du IV de l’article L. 1461-1 du code de la santé publique, le mot : « deuxième » est remplacé par le mot : « premier ».

La parole est à Mme le rapporteur.

L ’ amendement est adopté.

L ’ article 12 est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

L’amendement n° 80 rectifié, présenté par M. L. Hervé et les membres du groupe Union Centriste, est ainsi libellé :

Après l’article 12

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

À la fin de la seconde phrase de l’article L. 212-4-1 du code du patrimoine, les mots : « à fiscalité propre » sont supprimés.

La parole est à M. Loïc Hervé.

Debut de section - PermalienPhoto de Loïc Hervé

Conformément au code du patrimoine, le service public d’archives d’une collectivité peut mutualiser la conservation d’archives numériques avec un autre service public d’archives.

En pratique, cette possibilité ne concerne pas exclusivement les établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI, à fiscalité propre.

Le présent amendement a pour objet d’adapter la rédaction de l’article susvisé afin d’étendre son champ d’application à d’autres groupements qui interviennent également dans ce domaine – syndicats mixtes informatiques ou groupements d’intérêt public.

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet

Le présent amendement vise à modifier les conditions de mutualisation de l’archivage des documents électroniques publics, qu’ils contiennent ou non des données personnelles. Je l’analyse comme un cavalier législatif et j’émets donc un avis défavorable.

L ’ amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 12.

I. – Le chapitre IX de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est ainsi rédigé :

« CHAPITRE IX

« Traitements de données à caractère personnel dans le domaine de la santé

« Section 1

« Dispositions générales

« Art. 53. – Outre aux dispositions du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 précité, les traitements contenant des données concernant la santé des personnes sont soumis aux dispositions du présent chapitre, à l’exception des catégories de traitements suivantes :

« 1° Les traitements relevant des 1° à 6° du II de l’article 8 ;

« 2° Les traitements permettant d’effectuer des études à partir des données recueillies en application du 6° du II de l’article 8 lorsque ces études sont réalisées par les personnels assurant ce suivi et destinées à leur usage exclusif ;

« 3° Les traitements mis en œuvre aux fins d’assurer le service des prestations ou le contrôle par les organismes chargés de la gestion d’un régime de base d’assurance maladie ainsi que la prise en charge des prestations par les organismes d’assurance maladie complémentaire ;

« 4° Les traitements effectués au sein des établissements de santé par les médecins responsables de l’information médicale, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article L. 6113-7 du code de la santé publique ;

« 5° Les traitements effectués par les agences régionales de santé, par l’État et par la personne publique désignée par lui en application du premier alinéa de l’article L. 6113-8 du même code, dans le cadre défini au même article L. 6113-8.

« Art. 54. – I. – Les traitements relevant du présent chapitre ne peuvent être mis en œuvre qu’en considération de la finalité d’intérêt public qu’ils présentent. La garantie de normes élevées de qualité et de sécurité des soins de santé et des médicaments ou des dispositifs médicaux constitue une finalité d’intérêt public.

« II. – Des référentiels et règlements types, au sens des a bis et b du 2° du I de l’article 11, s’appliquant aux traitements relevant du présent chapitre sont établis par la Commission nationale de l’informatique et des libertés, en concertation avec l’Institut national des données de santé mentionné à l’article L. 1462-1 du code de la santé publique et des organismes publics et privés représentatifs des acteurs concernés.

« Les traitements conformes à ces référentiels peuvent être mis en œuvre à la condition que leurs responsables adressent préalablement à la Commission nationale de l’informatique et des libertés une déclaration attestant de cette conformité.

« Ces référentiels peuvent également porter sur la description et les garanties de procédure permettant la mise à disposition en vue de leur traitement de jeux de données de santé présentant un faible risque d’impact sur la vie privée.

« III. – Les traitements mentionnés au I qui ne sont pas conformes à un référentiel mentionné au II ne peuvent être mis en œuvre qu’après autorisation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

« IV. – La Commission nationale de l’informatique et des libertés peut, par décision unique, délivrer à un même demandeur une autorisation pour des traitements répondant à une même finalité, portant sur des catégories de données identiques et ayant des catégories de destinataires identiques.

« V. – La Commission nationale de l’informatique et des libertés se prononce dans un délai de deux mois à compter de la réception de la demande. Toutefois, ce délai peut être prolongé une fois pour la même durée sur décision motivée de son président ou lorsque l’Institut national des données de santé est saisi en application du II du présent article.

« Lorsque la Commission nationale de l’informatique et des libertés ne s’est pas prononcée dans ces délais, la demande d’autorisation est réputée acceptée. Cette disposition n’est toutefois pas applicable si l’autorisation fait l’objet d’un avis préalable en application de la section 2 du présent chapitre et que l’avis ou les avis rendus ne sont pas expressément favorables.

« Art. 55. – Par dérogation à l’article 54, les traitements de données à caractère personnel dans le domaine de la santé mis en œuvre par les organismes ou les services chargés d’une mission de service public figurant sur une liste fixée par arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, ayant pour seule finalité de répondre, en cas de situation d’urgence, à une alerte sanitaire et d’en gérer les suites, au sens de la section 1 du chapitre III du titre Ier du livre IV de la première partie du code de la santé publique, sont soumis aux seules dispositions de la section 3 du chapitre IV du règlement (UE) 2016/79 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 précité.

« Les traitements mentionnés au premier alinéa du présent article qui utilisent le numéro d’inscription des personnes au répertoire national d’identification des personnes physiques sont mis en œuvre dans les conditions prévues à l’article 22 de la présente loi.

« Les dérogations régies par le premier alinéa du présent article prennent fin un an après la création du traitement si ce dernier continue à être mis en œuvre au-delà de ce délai.

« Art. 56. – Nonobstant les règles relatives au secret professionnel, les membres des professions de santé peuvent transmettre au responsable de traitement de données autorisé en application de l’article 54 les données à caractère personnel qu’ils détiennent.

« Lorsque ces données permettent l’identification des personnes, leur transmission doit être effectuée dans des conditions de nature à garantir leur confidentialité. La Commission nationale de l’informatique et des libertés peut adopter des recommandations ou des référentiels sur les procédés techniques à mettre en œuvre.

« Lorsque le résultat du traitement de données est rendu public, l’identification directe ou indirecte des personnes concernées doit être impossible.

« Les personnes appelées à mettre en œuvre le traitement de données ainsi que celles qui ont accès aux données sur lesquelles il porte sont astreintes au secret professionnel sous les peines prévues à l’article 226-13 du code pénal.

« Art. 57. – Toute personne a le droit de s’opposer à ce que des données à caractère personnel la concernant fassent l’objet de la levée du secret professionnel rendue nécessaire par un traitement de la nature de ceux mentionnés à l’article 53.

« Les informations concernant les personnes décédées, y compris celles qui figurent sur les certificats des causes de décès, peuvent faire l’objet d’un traitement de données, sauf si l’intéressé a, de son vivant, exprimé son refus par écrit.

« Art. 58. – Les personnes auprès desquelles sont recueillies des données à caractère personnel ou à propos desquelles de telles données sont transmises sont individuellement informées conformément aux dispositions du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 précité.

« Toutefois, ces informations peuvent ne pas être délivrées si la personne concernée a entendu faire usage du droit qui lui est reconnu par l’article L. 1111-2 du code de la santé publique d’être laissée dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic.

« Art. 59. – Sont destinataires de l’information et exercent les droits de la personne concernée par le traitement les titulaires de l’exercice de l’autorité parentale, pour les mineurs, ou la personne chargée d’une mission de représentation dans le cadre d’une tutelle, d’une habilitation familiale ou d’un mandat de protection future, pour les majeurs protégés dont l’état ne leur permet pas de prendre seuls une décision personnelle éclairée.

« Par dérogation au premier alinéa du présent article, pour les traitements de données à caractère personnel réalisés dans le cadre de recherches mentionnées aux 2° et 3° de l’article L. 1121-1 du code de la santé publique ou d’études ou d’évaluations dans le domaine de la santé, ayant une finalité d’intérêt public et incluant des personnes mineures, l’information peut être effectuée auprès d’un seul des titulaires de l’exercice de l’autorité parentale s’il est impossible d’informer l’autre titulaire ou s’il ne peut être consulté dans des délais compatibles avec les exigences méthodologiques propres à la réalisation de la recherche, de l’étude ou de l’évaluation au regard de ses finalités. Le présent alinéa ne fait pas obstacle à l’exercice ultérieur, par chaque titulaire de l’exercice de l’autorité parentale, des droits mentionnés au premier alinéa.

« Pour ces traitements, le mineur âgé de quinze ans ou plus peut s’opposer à ce que les titulaires de l’exercice de l’autorité parentale aient accès aux données le concernant recueillies au cours de la recherche, de l’étude ou de l’évaluation. Le mineur reçoit alors l’information et exerce seul ses droits.

« Pour ces mêmes traitements, le mineur âgé de quinze ans ou plus peut s’opposer à ce que les titulaires de l’exercice de l’autorité parentale soient informés du traitement de données si le fait d’y participer conduit à révéler une information sur une action de prévention, un dépistage, un diagnostic, un traitement ou une intervention pour laquelle le mineur s’est expressément opposé à la consultation des titulaires de l’autorité parentale, en application des articles L. 1111-5 et L. 1111-5-1 du code de la santé publique, ou si les liens de famille sont rompus et que le mineur bénéficie à titre personnel du remboursement des prestations en nature de l’assurance maladie et maternité et de la couverture complémentaire mise en place par la loi n° 99-641 du 27 juillet 1999 portant création d’une couverture maladie universelle. Il exerce alors seul ses droits.

« Art. 60. – Une information relative aux dispositions du présent chapitre doit notamment être assurée dans tout établissement ou centre où s’exercent des activités de prévention, de diagnostic et de soins donnant lieu à la transmission de données à caractère personnel en vue d’un traitement mentionné au présent chapitre.

« Section 2

« Dispositions particulières relatives aux traitements à des fins de recherche, détude ou dévaluation dans le domaine de la santé

« Art. 61. – Les traitements automatisés de données à caractère personnel dont la finalité est ou devient la recherche ou les études dans le domaine de la santé ainsi que l’évaluation ou l’analyse des pratiques ou des activités de soins ou de prévention sont soumis à la section 1 du présent chapitre, sous réserve de la présente section.

« L’Institut national des données de santé mentionné à l’article L. 1462-1 du code de la santé publique peut se saisir ou être saisi, dans des conditions définies par décret en Conseil d’État, par la Commission nationale de l’informatique et des libertés ou le ministre chargé de la santé sur le caractère d’intérêt public que présentent les traitements mentionnés au premier alinéa du présent article.

« Art. 62. – Au titre des référentiels mentionnés au II de l’article 54 de la présente loi, des méthodologies de référence sont homologuées et publiées par la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Elles sont établies en concertation avec l’Institut national des données de santé mentionné à l’article L. 1462-1 du code de la santé publique et des organismes publics et privés représentatifs des acteurs concernés.

« Lorsque le traitement est conforme à une méthodologie de référence, il peut être mis en œuvre, sans autorisation mentionnée à l’article 54 de la présente loi, à la condition que son responsable adresse préalablement à la Commission nationale de l’informatique et des libertés une déclaration attestant de cette conformité.

« Art. 62 -1. – Dans le cas où la recherche nécessite l’examen des caractéristiques génétiques, le consentement éclairé et exprès des personnes concernées doit être obtenu préalablement à la mise en œuvre du traitement de données. Le présent article n’est pas applicable aux recherches réalisées en application de l’article L. 1131-1-1 du code de la santé publique.

« Art. 63. – L’autorisation du traitement est accordée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés dans les conditions définies à l’article 54, après avis :

« 1° Du comité compétent de protection des personnes mentionné à l’article L. 1123-6 du code de la santé publique, pour les demandes d’autorisation relatives aux recherches impliquant la personne humaine mentionnées à l’article L. 1121-1 du même code ;

« 2° Du comité d’expertise pour les recherches, les études et les évaluations dans le domaine de la santé, pour les demandes d’autorisation relatives à des études ou à des évaluations ainsi qu’à des recherches n’impliquant pas la personne humaine, au sens du 1° du présent article. Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, fixe la composition de ce comité et définit ses règles de fonctionnement. Les membres du comité d’expertise sont soumis à l’article L. 1451-1 du code de la santé publique.

« Les dossiers présentés dans le cadre de la présente section, à l’exclusion des recherches impliquant la personne humaine, sont déposés auprès d’un secrétariat unique assuré par l’Institut national des données de santé, qui assure leur orientation vers les instances compétentes. »

II

1° Au 7° de l’article L. 1122-1, la référence : « 57 » est remplacée par la référence : « 58 » ;

2° Au treizième alinéa de l’article L. 1123-7, la référence : « au I de l’article 54 » est remplacée par la référence : « à l’article 61 » ;

3° Au second alinéa du IV de l’article L. 1124-1, la référence : « du II de l’article 54 » est remplacée par la référence : « de l’article 63 » ;

4° Au 6° de l’article L. 1461-7, la référence : « 56 » est remplacée par la référence : « 57 ».

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

L’amendement n° 12 rectifié, présenté par Mme Delmont-Koropoulis, MM. Raison, Perrin, Wattebled et Longeot, Mme Deromedi, MM. Meurant, Henno et Bascher, Mmes Gruny et Chauvin, M. H. Leroy, Mmes Eustache-Brinio et Garriaud-Maylam, MM. Lefèvre, Chaize et Panunzi, Mmes Imbert et M. Mercier, MM. Chasseing, Canevet, Danesi, Charon, Milon et Gremillet, Mme Lanfranchi Dorgal, M. Savary, Mmes Lamure et Renaud-Garabedian, M. Maurey, Mme Billon, MM. Bonhomme et Duplomb, Mme A.M. Bertrand, M. Leleux, Mme Deroche et MM. Savin, Laménie, Bonne et Mizzon, est ainsi libellé :

Alinéa 9

Compléter cet alinéa par les mots :

ne devant en aucun cas avoir pour fin la détermination des choix thérapeutiques et médicaux et la sélection des risques

La parole est à Mme Annie Delmont-Koropoulis.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie Delmont-Koropoulis

Cet amendement vise à circonscrire le traitement des données de santé par les organismes complémentaires aux seules fins de remboursement des soins.

L’encadrement de la protection des données de santé souffrait jusqu’à présent d’un relatif vide juridique. Aussi le législateur européen a-t-il tenu à les doter d’une définition précise, inscrite à l’article 4 du RGPD.

Nous savons que toutes les informations concernant un patient sont enregistrées puis stockées dans une base appelée système national d’information interrégimes de l’assurance maladie, ou SNIIRAM.

Chaque année, pas moins de 1, 2 milliard de feuilles de soins, de 500 millions d’actes médicaux et de 11 millions de séjours hospitaliers y sont enregistrés, faisant de cette base un véritable trésor pour les organismes qui y accéderont.

C’est en effet l’une des plus grandes bases de données médico-administratives au monde, qui comprend en réalité deux catégories de données : les données agrégées, traitées afin d’obtenir des informations anonymes, les jeux de données étant rendus disponibles par l’assurance maladie, d’une part ; les données à caractère personnel dites sensibles et nominatives, d’autre part. La faille du principe général d’anonymisation des données de santé réside dans le fait que l’on peut, en croisant ces deux types de données, identifier une personne.

Or le texte que nous étudions aujourd’hui prévoit d’ouvrir aux organismes d’assurance maladie complémentaire privés un accès automatique aux données de santé à caractère personnel issues de la facturation des soins sans avoir à recueillir à chaque fois un accord préalable.

Il existe déjà dans notre droit certains garde-fous contre les dérives qui pourraient découler d’un traitement des données par ces organismes, s’agissant plus particulièrement des majorations qui pourraient être appliquées sur les contrats en fonction de l’état de santé et des données de santé évolutives.

Mes chers collègues, le présent amendement vise à renforcer ces garde-fous afin d’empêcher tout contournement de la loi, par une interdiction explicite de fixation des prix des assurances ainsi que d’utilisation de ces données à des fins de choix thérapeutique ou médical.

Il s’agit d’écarter tout risque d’exploitation mercantile de ces éléments essentiels que constituent les données de santé, afin de renforcer la protection de la vie privée, reconnue comme un principe fondamental du droit. C’est de cela qu’il est question, rien de plus, rien de moins.

Notre système de protection sociale est précieux et rare ; nous devons en prévenir les défaillances, et non amortir sa chute.

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet

Avis défavorable, pour deux raisons.

En premier lieu, il nous semble que cet amendement n’a pas sa place à l’alinéa 9 de l’article 13, qui vise uniquement à exclure certains traitements du champ d’application du chapitre 9 de la loi Informatique et libertés, relatif aux traitements mis en œuvre aux fins d’assurer le service des prestations ou le contrôle par les organismes chargés de la gestion d’un régime de base d’assurance maladie, ainsi que la prise en charge des prestations par les organismes d’assurance maladie complémentaires.

En second lieu, il nous semble qu’il existe déjà des garde-fous permettant d’écarter les risques invoqués. Quant au libre choix par le patient de son médecin et de ses choix thérapeutiques ou médicaux, des dispositions législatives du code de la santé et du code de la sécurité sociale protègent ces droits des patients. En ce qui concerne la sélection des risques, d’autres dispositions permettent d’éviter les dérives. Elles figurent notamment dans les codes des assurances et de la mutualité et portent en particulier sur les conditions d’exclusion et de modulation des cotisations encadrées.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

J’ai cosigné cet amendement parce que, en tant que médecin, je pense qu’il faut vraiment aller plus loin en matière de protection des données personnelles.

On le sait, il est possible d’identifier les patients atteints de pathologies particulières par le biais du SNIIRAM ou par celui de la part complémentaire remboursée par une mutuelle ou tout autre organisme assurantiel ou de prévoyance. Le risque est de voir se développer une médecine à bas coût dispensée par des réseaux qui cibleraient les patients en s’appuyant sur ces données.

On ne prendra jamais suffisamment de précautions en matière de protection des données personnelles de santé, s’agissant notamment des choix thérapeutiques et médicaux, car leur utilisation peut aller à l’encontre des intérêts des patients.

Je remercie la commission d’avoir donné un avis favorable à cet amendement, dont l’adoption apportera une garantie supplémentaire en termes de respect de la confidentialité de ces données.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Je mets aux voix l’amendement n° 12 rectifié.

L’amendement n° 21 rectifié bis, présenté par M. A. Marc, Mme Deromedi, M. Bonhomme et les membres du groupe Les Indépendants - République et Territoires, est ainsi libellé :

Alinéa 33

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Le responsable de traitement transmet au mineur les informations mentionnées au I de l’article 32 de la présente loi dans un langage clair et facilement accessible.

La parole est à M. Jean-Pierre Decool.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Decool

Cet amendement vise à intégrer dans la loi une obligation de langage clair et facilement accessible lorsque l’administration s’adresse à un mineur âgé de quinze ans ou plus. Il est essentiel qu’un mineur choisissant d’échanger seul avec l’administration puisse avoir avec celle-ci un dialogue franc et compréhensible.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Cet amendement vise à imposer aux responsables de traitements des données de santé de dispenser, dans un langage clair et facilement accessible, les informations délivrées à un mineur exerçant seul ses droits : il est satisfait.

Le RGPD prévoit déjà, de façon générale, d’informer de manière « concise, transparente, compréhensible et aisément accessible, en des termes clairs et simples » les personnes exerçant leurs droits. Il crée en outre une obligation d’adapter « toute information destinée spécifiquement à un enfant ».

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet

Je souhaite le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Decool

Eu égard aux explications qui m’ont été données par Mme la rapporteur, je le retire, monsieur le président.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

L’amendement n° 21 rectifié bis est retiré.

L’amendement n° 49, présenté par MM. de Belenet, Patriat et les membres du groupe La République En Marche, est ainsi libellé :

Alinéa 42, première phrase

Après les mots :

le consentement éclairé

insérer les mots :

, libre, spécifique, univoque

La parole est à M. Arnaud de Belenet.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud de Belenet

Cet amendement vise à apporter une précision rédactionnelle.

Les conditions légales du consentement sont définies, dans le règlement européen et dans la directive, comme la manifestation de volonté libre, spécifique, éclairée et univoque. Par conséquent, il conviendrait d’ajouter, à l’alinéa 42 de l’article 13, après les mots : « le consentement éclairé », les termes : « libre, spécifique, univoque ».

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Nous demandons le retrait de cet amendement, car les conditions de recueil du consentement sont déjà intégralement régies, de manière générale et transversale, par l’article 7 du règlement général sur la protection des données.

En outre, le règlement étant d’application directe, selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne, il est non seulement inutile, mais interdit, d’introduire dans le droit national des dispositions redondantes ou divergentes.

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet

Le Gouvernement est favorable à cet amendement, qui vise à rétablir le visa de l’ensemble des conditions du consentement. Il s’agit là d’une précision utile.

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

L’amendement n° 117, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 46

Insérer douze alinéas ainsi rédigés :

« Art. 64 – Dans le respect des missions et pouvoirs de la Commission nationale de l’informatique et des libertés et aux fins de renforcer la bonne application des règles de sécurité et de protection des données, un comité d’audit du système national des données de santé est institué. Ce comité d’audit définit une stratégie d’audit puis une programmation dont il informe la commission. Il fait réaliser des audits sur l’ensemble des systèmes réunissant, organisant ou mettant à disposition tout ou partie des données du système national des données de santé à des fins de recherche, d’étude ou d’évaluation et sur les systèmes composant le système national des données de santé.

« Le comité d’audit comprend des représentants des services des ministères chargés de la santé, de la sécurité sociale et de la solidarité, de la Caisse nationale de l’assurance maladie, responsable du traitement du système national des données de santé, des autres producteurs de données du système national des données de santé, de l’Institut national des données de santé, ainsi qu’une personne représentant les acteurs privés du domaine de la santé. Des personnalités qualifiées peuvent y être désignées. Le président de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, ou son représentant, peut y assister en tant qu’observateur.

« Les audits, dont le contenu est défini par le comité d’audit, sont réalisés par des prestataires sélectionnés selon des critères et modalités permettant de disposer de garanties attestant de leur compétence en matière d’audit de systèmes d’information et de leur indépendance à l’égard de l’entité auditée.

« Le prestataire retenu soumet au président du comité d’audit la liste des personnes en charge de chaque audit et les informations permettant de garantir leurs compétences et leur indépendance.

« Les missions d’audit s’exercent sur pièces et sur place. La procédure suivie inclut une phase contradictoire. La communication des données médicales individuelles ne peut se faire que sous l’autorité et en présence d’un médecin, s’agissant des informations qui figurent dans un traitement nécessaire aux fins de la médecine préventive, de la recherche médicale, des diagnostics médicaux, de l’administration de soins ou de traitements, ou de la gestion de service de santé.

« Pour chaque mission diligentée, des échanges ont lieu, si nécessaire, entre les personnes en charge des audits, le président du comité d’audit, le responsable du traitement mentionné au II de l’article L. 1461-1 du code de la santé publique et le président de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

« Si le comité d’audit a connaissance d’informations de nature à révéler des manquements graves en amont ou au cours d’un audit ou en cas d’opposition ou d’obstruction à l’audit, un signalement est adressé sans délai par le président du comité d’audit au président de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

« Chaque mission diligentée établit un rapport relevant notamment les anomalies constatées et les manquements aux règles applicables aux systèmes d’information audités.

« Si la mission constate, à l’issue de l’audit, de graves manquements, elle en informe sans délai le président du comité d’audit qui informe sans délai le président de la Commission nationale de l’informatique et des libertés et le responsable du traitement mentionné au II de l’article L. 1461-1 du code de la santé publique.

« En cas d’urgence, le directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie peut suspendre temporairement l’accès au système national des données de santé avant le terme de l’audit s’il dispose d’éléments suffisamment préoccupants concernant des manquements graves aux règles précitées. Il doit en informer immédiatement le président du comité et le président de la Commission. Le rétablissement de l’accès ne peut se faire qu’avec l’accord de ce dernier au regard des mesures correctives prises par l’entité auditée. Ces dispositions sont sans préjudice des prérogatives propres de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

« Le rapport définitif de chaque mission est transmis au comité d’audit, au président de la Commission nationale de l’informatique et des libertés et au responsable du traitement audité.

« Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, précise la composition du comité et définit ses règles de fonctionnement, ainsi que les modalités de l’audit.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet

Par cet amendement, le Gouvernement propose d’instituer un comité d’audit du système national des données de santé – le SNDS –, qui serait chargé de faire réaliser des audits sur l’ensemble des systèmes portant sur des données issues du SNDS ou qui le composent, dans le respect des missions et des pouvoirs de la CNIL.

Le SNDS, qui a été créé par la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, regroupe les principales bases de données de santé publique qui existent. Il vise à améliorer les connaissances relatives à la prise en charge médicale et à l’élargissement du champ des recherches, des études et évaluations dans le domaine de la santé. Les systèmes qui portent sur les données issues du SNDS ou composant celui-ci représentent à ce jour près de 300 bases.

En l’état actuel de la législation, la CNIL est la seule autorité de contrôle de ces bases. Au regard des enjeux en termes de sécurité liés à ces données, notre objectif est de développer une politique d’audit pilotée par l’État, en complément des pouvoirs de la CNIL, notamment en amont, afin de sécuriser le processus de mise à disposition des données de santé.

La mise en place d’une politique d’audit propre aux traitements réalisés avec des données du SNDS participe, me semble-t-il, directement de la crédibilité de l’ensemble du dispositif. Ces opérations d’audit ne sont que la juste contrepartie de l’ouverture de l’accès à des données sensibles. Elles doivent permettre de garantir le bon usage et la sécurité de ces données, en vérifiant, notamment, que la réglementation est respectée, que la finalité des traitements est conforme à ce qui a été annoncé et que le référentiel de sécurité est appliqué.

Pour ce faire, dans le cadre de la gouvernance du SNDS, le comité stratégique « données de santé » a décidé la création d’un comité d’audit piloté par le haut fonctionnaire de défense et de sécurité des ministères sociaux, qui sera chargé d’établir un programme d’audit et d’en suivre l’exécution.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Le présent amendement tend à créer un comité d’audit du système national des données de santé et à autoriser, en cas d’urgence, le directeur de la CNAMTS, la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés, à suspendre temporairement l’accès au SNDS.

Dans la mesure où les compétences et les prérogatives de la CNIL sont intégralement préservées, le renforcement de la sécurité par ce dispositif me semble une très bonne chose.

Sur la forme, on me permettra toutefois de déplorer que le Gouvernement ne découvre cette excellente idée que devant la seconde assemblée saisie, qui plus est au stade de l’examen des amendements de séance. J’aurais aimé pouvoir solliciter l’avis de nos collègues de la commission des affaires sociales.

Quoi qu’il en soit, nous émettons un avis de sagesse favorable.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

J’estime qu’il s’agit là d’un très bon amendement. Chaque fois que l’on demande des rapports, on nous les refuse ! Dès lors, on ne va pas refuser un audit proposé par le Gouvernement…

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Madame la garde des sceaux, l’intitulé et l’objet de votre amendement me font penser à un amendement concernant un audit et un contrôle de l’INSEE que j’avais déposé dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Vous le savez, il existe environ 1, 8 million de faux numéros INSEE, qui constituent autant de sésames pour accéder à des prestations sociales. Je vous propose donc de mettre en place un tel comité d’audit piloté par le Gouvernement auprès de l’INSEE. En effet, la fraude sociale s’élève à quelque 40 milliards d’euros. On aurait grand intérêt à multiplier ce type d’expériences pour d’autres bases de données, notamment celle de l’INSEE, qui est la base de référence pour l’octroi d’un certain nombre de prestations.

L ’ amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

L’amendement n° 93, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :

…° Après les mots : « de la conférence médicale. », la fin du sixième alinéa de l’article L. 6113-7 du code de la santé publique est ainsi rédigée :

« Les conditions de cette désignation et les modes d’organisation de la fonction d’information médicale en particulier les conditions dans lesquelles des personnels placés sous l’autorité du praticien responsable ou des commissaires aux comptes intervenant au titre de la mission légale de certification des comptes mentionnée à l’article L. 6145-16 du présent code peuvent contribuer au traitement des données, sont fixés par décret. »

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet

Le Gouvernement souhaite répondre à un besoin exprimé par les établissements de santé dans leur pratique du codage, afin de leur permettre d’avoir recours à des sociétés prestataires pour traiter les données de santé nécessaires à la prise en charge des patients.

Cet amendement fait suite à un courrier récent de la présidente de la CNIL à ma collègue Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, qui a soulevé l’existence d’un risque juridique, faute de base légale pour permettre à certains professionnels d’accéder aux données de santé des patients.

Le codage est en effet nécessaire au financement de ces établissements par la tarification à l’activité, la T2A. Cette tarification impose à chaque établissement de santé concerné de rendre compte de son activité par une remontée de données quantifiées et standardisées relatives à la prise en charge des patients. Tel est l’objet du programme de médicalisation des systèmes d’information, le PMSI.

Cet amendement vise donc, d’une part, à permettre aux établissements de santé de faire appel en toute sécurité juridique au regard du secret médical à des prestataires de codage des actes de soins dont les établissements ont réellement besoin, et, d’autre part, à permettre aux commissaires aux comptes d’exercer pleinement leur mission en procédant à des vérifications sur un dossier individuel.

L’amendement tend en outre à renvoyer à un décret le soin de préciser les conditions réglementaires dans lesquelles ces prestataires extérieurs pourront accéder aux dossiers médicaux des patients. Son adoption permettra ainsi de sécuriser le recours à ces prestataires extérieurs pour le codage ou l’audit des données PMSI en fixant un cadre juridique de nature à garantir la protection des données de santé à caractère personnel des patients concernés.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Le présent amendement prévoit un dispositif visant à faciliter et à sécuriser le recours aux prestataires extérieurs pour les opérations de codage ou d’audit des établissements de santé soumis à la tarification à l’activité.

Il s’agit d’un sujet très technique. A priori, l’avis est favorable, mais la présentation tardive de cet amendement en séance publique ne permet pas une expertise approfondie. Nous aurions vraiment souhaité pouvoir consulter nos collègues de la commission des affaires sociales.

En conséquence, j’émets un avis de sagesse favorable.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Il s’agit d’un sujet très particulier, sur certains aspects duquel travaille d’ailleurs la commission des affaires sociales. On voit bien que des dispositions doivent être prises pour renforcer la protection des données ; cet amendement rejoint celui que notre groupe a présenté précédemment, auquel vous avez donné un avis défavorable, madame la garde des sceaux…

Les enjeux sont importants. Je pense, par exemple, au droit à l’oubli pour les pathologies graves, pour lequel nous nous sommes battus mais qui n’est pas encore forcément appliqué. Les personnes concernées rencontrent des difficultés pour obtenir un prêt bancaire et, quand elles l’obtiennent, elles doivent supporter un taux d’intérêt majoré, même si elles sont guéries. Cela est inacceptable.

C’est la raison pour laquelle il aurait été souhaitable que la commission des affaires sociales puisse mener une discussion approfondie sur ce point. En tant que vice-président de celle-ci, je regrette vraiment qu’elle n’ait pas été saisie pour avis.

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet

Cet amendement a été rédigé, comme je l’ai dit, pour faire suite à une lettre de la présidente de la CNIL qui nous est parvenue à la fin du mois de janvier. C’est la raison pour laquelle nous ne vous présentons cet amendement que maintenant. Je ne méconnais évidemment pas les propositions que vous pouvez faire à cet égard, monsieur Savary.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à M. le président de la commission des lois.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je voudrais simplement préciser à mon collègue Savary que nous avons proposé à la commission des affaires sociales de lui déléguer cet article ou de s’en saisir pour avis. Or elle n’a pas souhaité le faire. Je tenais à le dire, parce que je souhaite que nous entretenions entre commissions les rapports de travail les plus coopératifs possible.

L ’ amendement est adopté.

L ’ article 13 est adopté.

(Non modifié)

La seconde phrase de l’article L. 312-9 du code de l’éducation est complétée par les mots : «, ainsi qu’aux règles applicables aux traitements de données à caractère personnel ». –

Adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

L’amendement n° 94, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Après l’article 13 bis

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – L’article L. 4123-9-1 du code de la défense est ainsi rédigé :

« Art. L. 4123 -9 -1. – I. – Le responsable d’un traitement, automatisé ou non, ne peut traiter les données dans lesquelles figure la mention de la qualité de militaire des personnes concernées que si cette mention est strictement nécessaire à l’une des finalités du traitement.

« À l’exclusion des traitements mis en œuvre pour le compte de l’État, des collectivités territoriales et de leurs groupements, ainsi que des associations à but non lucratif, les responsables des traitements informent le ministre compétent de la mise en œuvre de traitements comportant, dans le respect de l’obligation posée au premier alinéa, la mention de la qualité de militaire.

« Les personnes accédant aux données personnelles de militaires peuvent faire l’objet d’une enquête administrative aux seules fins d’identifier si elles constituent une menace pour la sécurité des militaires concernés. Le ministre compétent peut demander au responsable de traitement la communication de l’identité de ces personnes dans le seul but de procéder à cette enquête. Celle-ci peut comporter la consultation de traitements automatisés de données à caractère personnel relevant de l’article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, selon les règles propres à chacun d’eux.

« Dans l’hypothèse où le ministre compétent considère, sur le fondement de l’enquête administrative, que cette menace est caractérisée, il en informe sans délai le responsable du traitement qui est alors tenu de refuser à ces personnes l’accès aux données personnelles de militaires y figurant.

« II. – Sans préjudice des dispositions du 1 de l’article 33 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE, en cas de divulgation ou d’accès non autorisé à des données des traitements mentionnés au I, le responsable du traitement avertit sans délai le ministre compétent.

« III. – Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, détermine les conditions d’application du présent article.

« IV. – Est puni :

« 1° D’un an d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende le manquement, y compris par négligence, à l’obligation prévue au deuxième alinéa du I du présent article ;

« 2° De trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende le fait de permettre aux personnes mentionnées au dernier alinéa du I l’accès aux données comportant la mention de la qualité de militaire contenues dans un traitement mentionné au présent article ;

« 3° De trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende le fait pour un responsable de traitement de ne pas procéder, y compris par négligence, à la notification mentionnée au II. »

II. – Dans le délai d’un an suivant l’entrée en vigueur de la présente loi, les responsables des traitements de données à caractère personnel comportant la mention de la qualité de militaire procèdent à sa suppression ou à son remplacement par celle de la qualité d’agent public, lorsque cette mention n’est pas strictement nécessaire à l’une des finalités du traitement.

III. – Le troisième alinéa de l’article 226-16 et le second alinéa de l’article 226-17-1 du code pénal sont supprimés.

IV. – L’article 117 de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale est abrogée.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet

L’entrée en vigueur du RGPD le 25 mai 2018 rompra avec la logique des formalités préalables. Les hypothèses dans lesquelles une autorisation préalable de la CNIL est requise sont désormais résiduelles et limitées aux traitements de données les plus sensibles, concernant par exemple les fichiers dits « de souveraineté » ou ceux qui comportent des données biométriques ou génétiques.

Dans un contexte marqué notamment par des attentats très douloureux, comme ceux qui ont été commis par Mohammed Merah contre des militaires, ainsi que par un risque sécuritaire accru, le ministère de la défense a souhaité renforcer la sécurité des militaires, en encadrant les conditions dans lesquelles les traitements de données à caractère personnel peuvent comporter la mention de la qualité de militaire et certaines informations ayant trait à leur vie privée.

Le dispositif mis en œuvre au travers de l’article 117 de la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale prévoit ainsi un régime d’autorisation auprès de la CNIL pour mettre en œuvre un fichier dont la finalité est fondée sur la qualité de militaire des personnes qui y figurent. Il prévoit également la réalisation d’une enquête administrative sur la personne responsable du traitement ainsi que sur toutes celles qui peuvent accéder aux données comportant la mention de la qualité de militaire.

Enfin, des prescriptions techniques peuvent être imposées aux opérateurs privés concernés par le dispositif, telles que le renforcement de la sécurité des outils informatiques utilisés.

Dans un souci d’allégement des formalités préalables et des sujétions imposées aux opérateurs privés, le présent amendement prévoit de refondre ce dispositif.

Conformément à l’article 5.1 du RGPD, le responsable d’un traitement ne pourra conserver la mention de la qualité de militaire des personnes dont les données sont traitées que si celle-ci est strictement nécessaire à l’une des finalités du traitement. Une campagne de sensibilisation des opérateurs privés sera, à ce titre, réalisée par le ministère des armées.

Pour les traitements dont l’une des finalités requiert absolument la mention de la qualité de militaire, les responsables de traitement seront uniquement tenus d’informer le ministre compétent de leur mise en œuvre et ils ne seront plus soumis à un régime d’autorisation ou de déclaration auprès de la CNIL.

En outre, à la différence de ce que prévoit le dispositif actuel, l’obligation d’information ne pèsera pas sur les collectivités territoriales et leurs groupements, non plus que sur les associations à but non lucratif.

Par ailleurs, le ministère des armées pourra, le cas échéant, décider de s’assurer de la sécurité des traitements en cause en procédant à une enquête administrative sur les personnes qui accèdent aux données personnelles des militaires, sans que cette enquête constitue toutefois une obligation.

Ce projet d’article tend ainsi à concilier l’impératif de sécurité des militaires, qui a prévalu à la mise en œuvre de ce dispositif, et l’objectif d’allégement des obligations pesant sur les opérateurs privés.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Cet amendement répond à un objectif parfaitement légitime : refondre le régime d’autorisation des fichiers mentionnant la qualité de militaire, dans un souci d’efficacité.

Je me permets néanmoins de mettre en garde le Gouvernement contre le risque de législation précipitée. Cet amendement, qui est présenté par le Gouvernement pour la première fois en séance publique devant la seconde assemblée saisie, vise à récrire le cadre légal de ces fichiers, qui, lui-même, résulte de l’adoption d’un amendement déposé tardivement en séance publique, lors de l’examen par le Sénat de la loi du 3 juin 2016.

J’espère que, cette fois, le régime a été davantage pensé et qu’il ne présentera pas tous les inconvénients du précédent !

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Il est parfait !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Dans ces conditions, l’avis est favorable.

Nouveaux sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à M. Cédric Perrin, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Cédric Perrin

Je voudrais inciter mes collègues à vaincre la réticence, la répugnance même, qu’inspire un amendement déposé aussi tardivement par le Gouvernement. Je les invite à voter en faveur de son adoption, en considération de son objet même et de l’enjeu non seulement pour les armées, mais aussi pour les opérateurs privés. Il s’agit de recalibrer un dispositif protecteur de l’identité des militaires, relevant certes d’une bonne inspiration, mais mal dosé.

En l’état, c’est un marteau-pilon pour écraser une mouche. Sa mise en œuvre obligerait la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense, la DRSD, et le service de renseignement interne du ministère des armées à procéder à 300 000 criblages par an, ce qui ferait également peser une charge disproportionnée sur les acteurs économiques et la CNIL. Le Gouvernement propose de remplacer ce système par un autre, mieux proportionné, qui restera crédible et efficace pour la protection des militaires : la mention de la qualité de militaire ne sera maintenue que si elle est indispensable et une enquête sera possible, mais non obligatoire.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Pour avoir longtemps siégé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, je pense moi aussi qu’il s’agit d’un excellent amendement.

Vous le savez, madame la garde des sceaux, a été mise en place au Sénat une commission d’enquête sur l’état des forces de sécurité intérieure, qui comprend nos forces de police et de gendarmerie, auxquelles il faut évidemment ajouter le personnel de l’administration pénitentiaire.

Cette excellente disposition ne concerne-t-elle que les militaires ou avez-vous l’intention d’étendre son champ d’application aux gendarmes et aux policiers ? Ce serait peut-être une bonne idée. L’ensemble de nos forces de police et de sécurité mériterait bien de bénéficier de cette mesure de protection.

Quoi qu’il en soit, je soutiens cet amendement.

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet

Elle ne concerne que les militaires !

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Laménie

Mme la garde des sceaux nous a fourni une explication tout à fait pédagogique et bienvenue. Cet amendement du Gouvernement intervient dans un contexte très particulier, la lutte contre le terrorisme mobilisant les militaires et l’ensemble des forces de sécurité intérieure qui œuvrent au quotidien pour la défense des personnes et des biens, telles que la police et la gendarmerie nationales, ainsi que les sapeurs-pompiers. Je le soutiens.

L ’ amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 13 bis.

Chapitre V

Dispositions particulières relatives aux droits des personnes concernées

(Non modifié)

Au premier alinéa de l’article 7 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée, après le mot : « concernée », sont insérés les mots : «, dans les conditions mentionnées au 11 de l’article 4 et à l’article 7 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 précité, ». –

Adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 8 rectifié septies, présenté par Mme Bruguière, M. Bansard, Mme Goy-Chavent, M. A. Marc, Mme Deromedi, MM. D. Laurent, Henno, Sol et Grand, Mme Garriaud-Maylam, M. Poniatowski, Mme Renaud-Garabedian, MM. de Nicolaÿ, Bonhomme et Milon, Mmes Billon et Bonfanti-Dossat, M. Bonne, Mme Bories, MM. Brisson et Chasseing, Mme Eustache-Brinio, MM. B. Fournier, Guerriau et Lagourgue, Mme Lamure, M. Lefèvre, Mme Mélot, M. Bouchet, Mme Lanfranchi Dorgal et MM. Gremillet et Panunzi, n’est pas soutenu.

L’amendement n° 68 rectifié, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Après l’article 14 AA

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 7 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Pour être valide, le consentement de la personne concernée doit résulter d’une action volontaire, explicite, libre, spécifique et informée. Cela implique notamment que son consentement ne soit pas exigé en contrepartie d’un bien ou d’un service, à moins que le traitement faisant l’objet du consentement ne soit indispensable à la fourniture de ce bien ou service. »

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Selon l’article 7 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, un traitement de données à caractère personnel, pour être licite, doit avoir reçu le consentement de la personne concernée ou satisfaire à l’une des conditions énumérées par cette loi.

Notre amendement a pour objet de préciser la notion de consentement. Nous reprenons, pour ce faire, les préconisations de la CNIL et du G29, le groupe de travail de l’article 29 sur la protection des données, et proposons que soit précisé dans la loi que « le consentement est une démarche active de l’utilisateur, explicite et de préférence écrite, qui doit être libre, spécifique, et informée ». Cela implique notamment que son consentement ne soit pas exigé en contrepartie d’un bien ou d’un service.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

L’amendement n° 37 rectifié, présenté par Mme M. Carrère, est ainsi libellé :

Après l’article 14 AA

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 7 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le fait d’exiger d’une personne qu’elle autorise l’utilisation de ses données personnelles en contrepartie d’un bien ou d’un service, à moins que le traitement faisant l’objet du consentement ne soit indispensable à la fourniture de ce bien ou service, constitue un vice de consentement. »

La parole est à Mme Maryse Carrère.

Debut de section - PermalienPhoto de Maryse Carrère

La question du consentement à la collecte de données personnelles est un sujet fondamental, qui va probablement prendre encore plus d’ampleur avec la multiplication des utilisations de ces données.

Jusqu’à présent, la méfiance de nos concitoyens a essentiellement porté sur les fichiers constitués par les pouvoirs publics, notamment les fichiers policiers.

La prise de conscience de la valeur financière que représente la masse des données personnelles progressivement accumulées dans le secteur privé alimente des revendications visant à permettre aux individus de monnayer la commercialisation de leurs données personnelles.

Cette revendication, qui peut apparaître légitime, remet cependant en question le financement des sites internet gratuits, qui se rémunèrent souvent via la publicité ciblée à partir de données personnelles collectées par eux-mêmes ou par ailleurs. En quelque sorte, les usagers de sites internet sont déjà rémunérés pour le transfert de données personnelles par la consommation gratuite de services qui ont des coûts de maintenance et de main-d’œuvre. Ces sites soulignent d’ailleurs souvent l’attachement des citoyens européens à la gratuité : 80 % d’entre eux y seraient favorables.

Pour autant, il nous semble important de réfléchir dès à présent à l’accompagnement vers un nouveau mode de financement des services consommateurs de données personnelles qui soit plus respectueux de la notion juridique de consentement. Aujourd’hui, celui-ci est réduit à une simple formalité impérative pour l’accès à un service.

Dans cette perspective, cet amendement vise à instaurer un vice du consentement s’il est exigé de la personne qu’elle autorise l’utilisation de ses données personnelles en contrepartie d’un bien ou d’un service, à moins, évidemment, que le traitement faisant l’objet du consentement ne soit indispensable à la fourniture de ce bien ou de ce service.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Nous demandons le retrait de ces deux amendements, qui visent à compléter la loi Informatique et libertés en vue de préciser les conditions de validité du recueil du consentement. Le nouveau règlement général sur la protection des données comporte une définition très précise du consentement et détaille en outre, au sein d’un article spécifique, les conditions applicables à la validité de son recueil.

Comme l’a rappelé encore récemment la Commission européenne dans une communication dédiée à l’entrée en vigueur du RGPD, selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne, il n’est pas seulement inutile, mais bel et bien interdit, de reproduire le contenu d’un règlement européen dans le droit national.

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

L’amendement n° 38 rectifié, présenté par Mme M. Carrère, est ainsi libellé :

Après l’article 14 AA

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 7 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le droit d’utiliser des données personnelles à des fins commerciales n’est pas cessible sans le consentement de la personne concernée. »

La parole est à Mme Maryse Carrère.

Debut de section - PermalienPhoto de Maryse Carrère

Cet amendement s’inscrit dans la même logique que le précédent. Il s’agit de mettre en place de nouveaux outils juridiques en vue de mieux protéger le consentement des personnes à l’utilisation de leurs données personnelles à des fins commerciales.

Comme je viens le dire, cette réflexion doit se mener de pair avec celle portant sur le financement des services en ligne proposés aujourd’hui gratuitement, du moins en apparence.

En l’occurrence, il s’agit d’imposer le recueil du consentement au moment d’une cession de données personnelles à des fins d’utilisation commerciale.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Cet amendement vise à introduire des concepts et des interdictions qui ne sont pas ceux qui sont prévus par le RGPD, lequel régit déjà précisément les conditions de traitement des données, fondées sur le consentement, et encadre de multiples garanties –respect des finalités, exercice des droits – les éventuels retraitements ultérieurs.

En conséquence, nous demandons le retrait de cet amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

L’amendement n° 38 rectifié est retiré.

Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 54 rectifié bis, présenté par M. A. Marc, Mme Deromedi, M. Bonhomme et les membres du groupe Les Indépendants - République et Territoires, est ainsi libellé :

Après l’article 14 AA

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La section 1 du chapitre II de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux fichiers et aux libertés est complétée par un article 7-… ainsi rédigé :

« Art. 7-…. – En application du 1 de l’article 8 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 précité, un mineur peut consentir seul à un traitement de données à caractère personnel en ce qui concerne l’offre directe de services de la société de l’information à compter de l’âge de seize ans.

« Lorsque le mineur est âgé de moins de seize ans, le traitement n’est licite que si le consentement est donné conjointement par le mineur concerné et le ou les titulaires de la responsabilité parentale à l’égard de ce mineur.

« Le responsable de traitement efface l’ensemble des données personnelles collectées lors de la procédure de consentement conjoint si ledit consentement n’est pas donné dans un délai de quinze jours.

« Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, précise les conditions dans lesquelles s’exerce ce consentement conjoint. »

L’amendement n° 75 rectifié bis, présenté par M. A. Marc, Mme Deromedi, M. Bonhomme et les membres du groupe Les Indépendants - République et Territoires, est ainsi libellé :

Après l’article 14 AA

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La section 1 du chapitre II de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés est complétée par un article 7-… ainsi rédigé :

« Art. 7-…. – En application du 1 de l’article 8 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 précité, un mineur peut consentir seul à un traitement de données à caractère personnel en ce qui concerne l’offre directe de services de la société de l’information à compter de l’âge de seize ans.

« Lorsque le mineur est âgé de moins de seize ans, le traitement n’est licite que si le consentement est donné conjointement par le mineur concerné et le ou les titulaires de la responsabilité parentale à l’égard de ce mineur.

« Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, précise les conditions dans lesquelles s’exerce ce consentement conjoint. »

L’amendement n° 76 rectifié bis, présenté par M. A. Marc, Mme Deromedi, M. Bonhomme et les membres du groupe Les Indépendants - République et Territoires, est ainsi libellé :

Après l’article 14 AA

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La section 1 du chapitre II de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés est complétée par un article 7-… ainsi rédigé :

« Art. 7-…. – En application du 1 de l’article 8 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 précité, un mineur peut consentir seul à un traitement de données à caractère personnel en ce qui concerne l’offre directe de services de la société de l’information à compter de l’âge de seize ans.

« Lorsque le mineur est âgé de moins de seize ans, le traitement n’est licite que si le consentement est donné conjointement par le mineur concerné et le ou les titulaires de la responsabilité parentale à l’égard de ce mineur.

« Le responsable de traitement efface l’ensemble des données personnelles collectées lors de la procédure de consentement conjoint si ledit consentement n’est pas donné dans un délai de 15 jours. »

La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour présenter ces trois amendements.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Decool

Sans revenir sur la décision de la commission de maintenir l’âge du consentement à seize ans, cet amendement vise à mieux encadrer la procédure de consentement conjoint prévue à l’article 8 du RGPD : « Ce traitement n’est licite que si, et dans la mesure où, le consentement est donné ou autorisé par le titulaire de la responsabilité parentale à l’égard de l’enfant. »

En effet, le RGPD est très flou en la matière, son article 8 stipulant que « le responsable du traitement s’efforce raisonnablement de vérifier, en pareil cas, que le consentement est donné ou autorisé par le titulaire de la responsabilité parentale à l’égard de l’enfant, compte tenu des moyens technologiques disponibles ».

Que recouvre la notion d’« effort raisonnable » ? Comment définir les « moyens technologiquement disponibles », ceux-ci n’étant pas les mêmes pour l’ensemble des entreprises au même moment ?

La loi américaine, au travers du Children ’ s Online Privacy Protection Act, est paradoxalement beaucoup plus précise et protectrice en matière de consentement parental.

Sans faire peser un fardeau normatif trop lourd sur les responsables de traitement, la procédure de consentement conjoint devrait être mieux définie en droit français, pour mieux protéger à la fois les mineurs et les titulaires de l’autorité parentale. Tel est l’objet de l’amendement n° 54 rectifié bis.

Premièrement, celui-ci prévoit qu’un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, devra préciser les conditions dans lesquelles s’exerce ce consentement conjoint : informations à communiquer, procédure à suivre pour obtenir l’effacement des données.

Deuxièmement, il prévoit que le responsable de traitement efface l’ensemble des données personnelles collectées lors de la procédure de consentement conjoint si ledit consentement n’est pas donné dans un délai de quinze jours. En effet, des données personnelles à la fois des parents et du mineur pourront être recueillies lors de cette procédure, que l’entreprise n’a aucune raison de conserver si ce consentement n’est pas in fine donné.

Les amendements n° 75 rectifié bis et 76 rectifié bis sont des amendements de repli.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Ces amendements sont en partie satisfaits par le règlement général sur la protection des données personnelles, dont je rappelle qu’il fixe par défaut l’âge de consentement des mineurs à seize ans. Il est interdit par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne de recopier ces dispositions dans le droit national.

Je sollicite donc le retrait des amendements.

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet

Comme l’a expliqué Mme la rapporteur, la marge de manœuvre ménagée par l’article 8.1 du RGPD permet aux États membres de prévoir par la loi un âge inférieur, mais non de préciser les conditions de recueil du consentement.

Comme le précise l’objet de l’amendement n° 54 rectifié bis, l’obligation fixée à l’article 8.2 est celle d’un effort raisonnable, ce qui implique une obligation de moyens.

Préciser par un décret, comme il est suggéré, les conditions applicables au recueil du consentement pourrait remettre en cause plusieurs objectifs du règlement de 2016, s’agissant notamment de l’harmonisation et de la responsabilisation. Par ailleurs, un décret en Conseil d’État ne paraît pas être l’outil le plus adapté. Les services de la société de l’information concernés évoluent très rapidement, alors que l’outil proposé reste relativement rigide.

En outre, les autorités de protection des données, réunies au sein du G29, ont précisé les conditions de ce consentement dans un avis récent, plus évolutif. Une nouvelle version de cet avis devrait d’ailleurs être publiée prochainement, à la suite de la consultation publique menée par ces autorités.

Par ailleurs, les auteurs de l’amendement proposent de prévoir un effacement des données à caractère personnel collectées si le consentement n’est pas donné dans un délai de quinze jours. Ce délai ne me semble pas souhaitable : si le consentement n’est pas accordé, il n’y a aucune utilité à conserver les données plus longtemps que nécessaire. De ce point de vue, le G29 rappelle l’application de l’article 5.1, posant le principe de mutualisation des données, dans le cadre de la mise en œuvre du règlement général sur la protection des données.

Pour toutes ces raisons, j’émets un avis défavorable sur les trois amendements.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Monsieur Decool, les amendements n° 54 rectifié bis, 75 rectifié bis et 76 rectifié bis sont-ils maintenus ?

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Les amendements n° 54 rectifié bis, 75 rectifié bis et 76 rectifié bis sont retirés.

L’amendement n° 26 rectifié ter, présenté par M. A. Marc, Mme Deromedi, M. Bonhomme et les membres du groupe Les Indépendants - République et Territoires, est ainsi libellé :

Après l’article 14 AA

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le premier alinéa de l’article L. 341-1 du code de la propriété intellectuelle, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Le citoyen, entendu comme la personne humaine qui consent à faire exploiter ses données, jouit des droits moraux sur les données personnelles qu’il génère individuellement ou par l’intermédiaire des outils numériques qu’il utilise. »

La parole est à M. Jean-Pierre Decool.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Decool

Cet amendement, identique à un amendement rejeté en première lecture à l’Assemblée nationale, tend à créer des droits moraux sur les données personnelles diffusées en ligne.

À l’instar du droit de la propriété intellectuelle existant pour les écrits, il semble logique de créer un droit de la propriété intellectuelle pour les écrits publiés en ligne, sur un blog ou sur un réseau social.

Il convient de reconnaître que l’Internet et les réseaux sociaux, média d’expression moderne, sont aujourd’hui un foyer de création artistique et intellectuelle. L’amendement vise à reconnaître cette création numérique et à accorder aux citoyens un droit d’exploitation des données numériques.

Au-delà de la création de données personnelles, il tend à créer un droit moral sur les données – nom, coordonnées, historique de navigation –, pouvant être légué aux héritiers ou à des tiers, afin d’encourager une gestion prudente des données personnelles. Il n’est en effet pas normal que ces données soient aujourd’hui exploitées sans vergogne par des opérateurs extérieurs, alors que la grande majorité des utilisateurs n’ont pas connaissance de leur existence et de leur utilisation.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Le droit de la propriété intellectuelle, qui attache des droits patrimoniaux et moraux aux créations originales de l’esprit, ne paraît pas être l’outil adapté pour régir les données personnelles. Par ailleurs, j’ai un doute sur le caractère normatif d’une telle proclamation. Je sollicite le retrait de l’amendement.

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet

Monsieur le sénateur, le Gouvernement maintient la position qu’il a défendue à l’Assemblée nationale : il est défavorable à cet amendement, dont l’adoption conduirait à une patrimonialisation des données personnelles.

Il importe de rappeler que le droit d’auteur et le droit moral qui lui est attaché ne s’appliquent qu’aux œuvres de l’esprit, notamment aux livres, aux œuvres audiovisuelles, aux sculptures et aux peintures. De simples données personnelles, ne résultant d’aucun acte de création, n’ont pas vocation à être protégées par le droit d’auteur. L’extension du droit d’auteur aux données personnelles ne me semble ainsi pas fondée ni opportune. L’insertion des données personnelles dans le champ de protection du droit d’auteur aurait en effet pour conséquence de consacrer, au profit des personnes concernées, un véritable monopole d’exploitation de ces données, qui interférerait avec le cadre fixé par la loi de 1978.

De façon générale, la patrimonialisation des données personnelles est un sujet extrêmement complexe, qui n’est pas aujourd’hui complètement tranché. En l’état du droit, il n’existe pas de droit de propriété de l’individu sur ses données personnelles. Le règlement général sur la protection des données n’a d’ailleurs pas consacré un tel droit au niveau européen.

Des réflexions très approfondies ont déjà été conduites sur ce sujet. En particulier, le Conseil d’État y a consacré une analyse extrêmement intéressante et approfondie dans son étude annuelle de 2014 sur le numérique et les droits fondamentaux. Il a jugé préférable d’écarter la reconnaissance d’un droit de propriété de l’individu sur ses données et de consacrer, à la place, un droit à « l’autodétermination informationnelle », entendue comme la liberté de l’individu de décider comment ses données personnelles peuvent être utilisées.

Ce droit a d’ailleurs été développé par la Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe, qui a consacré en 1983 un tel principe, tendant à « garantir en principe la capacité de l’individu à décider de la communication et de l’utilisation de ses données à caractère personnel ».

Cette conception a été reprise en France dans la loi pour une République numérique. Il n’est aujourd’hui pas envisagé d’aller plus loin, en tout cas pas dans le cadre du présent projet de loi.

Je sais que, selon certains, reconnaître un droit de propriété sur ces données serait plus favorable aux citoyens, en permettant de mieux les associer à la création des richesses produites par l’exploitation de leurs données personnelles. Il s’agirait également peut-être d’accompagner une réalité : nos données, nous le savons, sont déjà objet de commerce.

Je crois cependant qu’il faut être extrêmement prudent avant de décider de s’engager dans cette voie. En effet, comme l’a souligné le Conseil d’État, un tel rééquilibrage serait largement illusoire : comment fixer le prix d’une donnée, alors que ce sont souvent les croisements de très grandes bases de données qui confèrent à celles-ci de la valeur, en permettant par exemple de définir des ciblages publicitaires très précis ? Comment assurer le respect d’un tel droit à l’échelle européenne ou internationale ? Comment l’articuler avec les restrictions au droit à protection des données ?

Il existe déjà un certain nombre de normes protégeant l’individu contre une exploitation abusive de ses données personnelles : l’article 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, le règlement européen et la directive que nous transposons au travers du présent projet de loi, ainsi que diverses législations sectorielles, propres, par exemple, à la protection des bases de données en termes de droit de la propriété intellectuelle, convergent en la matière.

Dans ces conditions, il me paraît plus sage de conserver le cadre juridique existant plutôt que de s’engager sur la voie d’une patrimonialisation des données personnelles.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Decool

Les explications qui m’ont été données, même si elles ne me satisfont pas totalement, me conduisent à retirer cet amendement, monsieur le président.

(Supprimé)

I. – L’article 10 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est ainsi rédigé :

« Art. 10. – Aucune décision de justice ne peut être fondée sur le profilage, tel que défini au 4 de l’article 4 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 précité.

« Aucune décision produisant des effets juridiques à l’égard d’une personne ou l’affectant de manière significative ne peut être prise sur le seul fondement d’un traitement automatisé de données à caractère personnel, y compris le profilage, à l’exception :

« 1° Des cas mentionnés au a et c du 2 de l’article 22 du même règlement, sous les réserves mentionnées au 3 du même article et à condition, lorsque la décision produit des effets juridiques, que l’intéressé en soit informé par le responsable de traitement et que les règles définissant le traitement ainsi que les principales caractéristiques de sa mise en œuvre lui soient communiquées à sa demande, sous réserve des secrets protégés par la loi ;

« 2° Des décisions administratives individuelles fondées sur un traitement automatisé de données à caractère personnel dont l’objet est d’appliquer strictement des dispositions légales ou réglementaires à des faits dont la matérialité et la qualification juridique sont établies sur un autre fondement, à condition que le traitement ne porte pas sur des données mentionnées au I de l’article 8 de la présente loi ;

« 3° Des actes pris par l’administration dans l’exercice de ses pouvoirs de contrôle ou d’enquête.

« Par dérogation au 2° du présent article, aucune décision par laquelle l’administration se prononce sur un recours administratif mentionné au titre Ier du livre IV du code des relations entre le public et l’administration ne peut être prise sur le seul fondement d’un traitement automatisé de données à caractère personnel. »

II

III

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

L’amendement n° 95, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Art. 10. – Aucune décision de justice impliquant une appréciation sur le comportement d’une personne ne peut avoir pour fondement un traitement automatisé de données à caractère personnel destiné à évaluer certains aspects de la personnalité de cette personne.

La parole est à M. le secrétaire d’État.

Debut de section - Permalien
Mounir Mahjoubi

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, cet amendement vise à maintenir dans sa rédaction actuelle l’alinéa 1er de l’article 10 de la loi dite CNIL.

Nous considérons que le champ de la rédaction issue de la commission et celui du droit actuel sont identiques. Il nous semble préférable de s’en tenir au droit en vigueur, qui présente au moins deux avantages : d’une part, il s’agit du droit actuellement pratiqué et connu ; d’autre part, il est plus explicite que la rédaction adoptée par la commission, en ce qu’il ne renvoie pas au règlement et vise directement les traitements automatisés de données à caractère personnel prohibés, c’est-à-dire ceux qui sont destinés à évaluer certains aspects de la personnalité.

Nous estimons ainsi que le droit actuel est plus performant que ne le serait le dispositif proposé par la commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

La définition retenue par la commission nous semblait plus complète. En effet, à la place de l’expression « appréciation sur le comportement d’une personne », elle renvoie à la définition du profilage, qui consiste, à partir de faits passés relatifs à une personne, à évaluer la probabilité de faits passés, présents ou futurs la concernant.

La commission émet cependant un avis de sagesse.

L ’ amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 96, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Rédiger ainsi cet alinéa :

« 2° Des décisions administratives individuelles prises dans le respect de l’article L. 311-3-1 et du chapitre Ier du titre Ier du livre IV du code des relations entre le public et l’administration, à condition que le traitement ne porte pas sur des données mentionnées au I de l’article 8 de la présente loi. Pour ces décisions, le responsable de traitement s’assure de la maîtrise du traitement algorithmique et de ses évolutions afin de pouvoir expliquer, en détails et sous une forme intelligible, à la personne concernée la manière dont le traitement a été mis en œuvre à son égard ;

La parole est à M. le secrétaire d’État.

Debut de section - Permalien
Mounir Mahjoubi

En préambule, le Gouvernement tient à souligner la convergence de vues sur le fond avec Mme la rapporteur, qui a écrit dans son rapport que l’« on ne saurait admettre que l’administration se défausse de ses responsabilités sur la machine, en jouant de la complexité technique et de la réputation d’infaillibilité des automates pour masquer ses propres choix ».

Je souscris tout à fait à cette analyse : c’est bien cela, en définitive, qui fait du tort à la dématérialisation et à la modernisation de nos modes d’action et qui les caricature.

Malheureusement, cette convergence, visible dans le rapport, semble s’être perdue dans le texte finalement adopté par la commission des lois, qui nous paraît obscurcir et limiter considérablement le champ des décisions pouvant être prises sur le fondement d’un traitement algorithmique.

C’est pourquoi le présent amendement tend à rétablir globalement le texte dans sa version issue de l’Assemblée nationale. L’équilibre qui avait été trouvé visait à permettre le recours à des décisions administratives prises sur le fondement d’un traitement algorithmique, tout en offrant les garanties nécessaires à la sauvegarde des droits et libertés, ainsi que des intérêts légitimes des usagers concernés.

Pour cela, il importe que figurent explicitement dans le texte de la loi Informatique et libertés les trois garanties de transparence, d’intervention humaine et de maîtrise.

En ce qui concerne la transparence, d’abord, l’usager, lorsqu’une décision est prise sur le fondement d’un traitement algorithmique, en est informé systématiquement. Il peut demander des informations supplémentaires très détaillées.

L’intervention humaine, ensuite, est assurée à travers le droit de recours, déjà ouvert aujourd’hui.

Enfin, la garantie de maîtrise du traitement doit être explicitée ; la CNIL y a particulièrement insisté dans son avis.

Le lien entre la maîtrise et la transparence à travers l’explicitation du traitement est important pour l’économie globale du dispositif.

À notre sens, l’obligation de maîtrise constitue une intervention humaine a priori, dans le cadre de l’élaboration du traitement algorithmique lui-même. C’est la garantie que propose le Gouvernement contre le risque lié à l’essor de l’intelligence artificielle, des algorithmes dits « auto-apprenants » et des traitements dits « de boîte noire ».

Le Gouvernement vous propose d’affirmer ces garanties, selon lui suffisantes, plutôt que de restreindre drastiquement le champ d’application de ces usages.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

La commission des lois a estimé que les garanties apportées par l’Assemblée nationale en ce qui concerne les décisions prises par l’administration sur le fondement d’algorithmes n’étaient pas suffisantes.

Sans méconnaître les bénéfices liés à l’usage d’algorithmes par l’administration, la commission a entendu prévenir un triple risque.

D’abord, une décision automatisée risque d’être aveugle à des circonstances de l’espèce qui mériteraient d’être prises en compte, parce que l’algorithme n’a pas été programmé pour en tenir compte. Le recours aux algorithmes doit donc être réservé à des cas n’appelant aucun pouvoir d’appréciation.

Le deuxième risque lié à l’essor de l’intelligence artificielle est que des décisions administratives individuelles soient prises sans que personne ne sache suivant quels critères, l’algorithme ayant déterminé lui-même les critères à appliquer et leur pondération ; c’est ce qu’on appelle le phénomène des « boîtes noires ».

Enfin, il faut éviter que la programmation des algorithmes destinés à prendre des décisions individuelles n’aboutisse à contourner les règles de fond et de forme encadrant l’exercice du pouvoir réglementaire.

Ainsi, dans la procédure dite « Admission post-bac », ou APB, les candidatures des lycéens aux licences universitaires étaient classées suivant des critères reposant sur une base légale fragile, n’ayant jamais été explicités dans un texte réglementaire et qui n’étaient pas même rendus publics.

Comme l’a dit M. le secrétaire d’État, on ne saurait accepter que l’administration se défausse ainsi de ses responsabilités sur la machine, en jouant de la complexité technique et de la réputation d’infaillibilité des automates pour masquer ses propres choix.

La commission des lois a donc choisi de n’autoriser les décisions administratives individuelles prises sur le fondement d’un traitement automatisé de données personnelles que lorsque ce traitement a pour objet d’appliquer strictement des dispositions légales ou réglementaires à des faits dont la matérialité et la qualification juridique ont été établies sur un autre fondement que celui d’un traitement automatisé.

Cela rend inutile la précision apportée par l’Assemblée nationale selon laquelle « le responsable de traitement s’assure de la maîtrise du traitement algorithmique et de ses évolutions afin de pouvoir expliquer, en détail et sous une forme intelligible, à la personne concernée la manière dont le traitement a été mis en œuvre à son égard ».

D’une part, en effet, l’algorithme ne pourra pas évoluer : programmé pour appliquer strictement le droit, il ne sera pas une « boîte noire ». C’est là l’une de nos exigences principales.

D’autre part, le code des relations entre le public et l’administration garantit déjà à tout administré la possibilité de se voir communiquer les règles et les principales caractéristiques de mise en œuvre d’un algorithme lorsque celui-ci a servi à prendre une décision à son égard. L’examen d’autres amendements nous conduira à reparler de cette question.

Enfin, contrairement à ce que fait valoir le Gouvernement dans l’objet de son amendement, il paraît tout à fait nécessaire d’inscrire dans la loi que l’algorithme doit avoir pour objet d’appliquer strictement des dispositions légales ou réglementaires. Il existe en effet toutes sortes de décisions administratives individuelles dont le sens n’est pas déterminé par le cadre législatif ou réglementaire : celles pour lesquelles l’administration dispose d’un pouvoir d’appréciation. Or nous refusons absolument que de telles décisions soient prises sur le fondement d’un algorithme – ce qui reviendrait d’ailleurs pour l’administration à renoncer à son pouvoir d’appréciation au cas par cas…

Pour ces raisons, la commission est défavorable à l’amendement.

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

L’amendement n° 138, présenté par Mme S. Robert, MM. Durain, Sutour, Sueur, Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Compléter cet alinéa par les mots :

et que l’intéressé puisse exprimer son point de vue et contester la décision

La parole est à Mme Sylvie Robert.

Debut de section - PermalienPhoto de Sylvie Robert

Cet amendement reprend en partie les garanties apportées par le paragraphe 3 de l’article 22 du règlement européen en matière de protection des droits et libertés de l’individu. Nous voulons nous assurer que, dans le cadre de décisions administratives individuelles prises sur le fondement d’un algorithme, l’intéressé pourra exprimer son point de vue, et surtout contester la décision résultant du traitement automatisé. En fait, il s’agit de renforcer le droit au recours.

S’agissant de l’article 14, je tiens à féliciter Mme la rapporteur pour la réécriture qu’elle a opérée, qui, de mon point de vue, apporte beaucoup plus de garanties.

Lors de l’examen, voilà quelques semaines, du projet de loi relatif à l’orientation et à la réussite des étudiants, nous avons longuement évoqué Parcoursup, qui n’est autre qu’un algorithme central apparié à des algorithmes locaux. On peut avoir un débat sur la transparence de ce dispositif. On se souvient, concernant son prédécesseur APB, que précisément l’opacité ne permettait plus la confiance. De fait, la question de la confiance est de la plus haute importance en matière d’algorithmes. C’est pourquoi je trouve que la réécriture par Mme la rapporteur de l’article 14, que nous essayons d’améliorer encore par nos amendements, est fort bienvenue.

Debut de section - Permalien
Mounir Mahjoubi

Le Gouvernement souscrit à l’objectif des auteurs de l’amendement : s’assurer que la personne concernée par la décision pourra faire valoir son point de vue et bénéficier d’un plein droit de recours. Il partage tout autant, madame la sénatrice, votre vision générale de l’article 14 en ce qui concerne la nécessité absolue de la transparence.

Toutefois, le Gouvernement est défavorable à votre amendement, car il considère que les mesures prévues par ailleurs répondent pleinement à cette ambition.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Ouzoulias

Notre collègue Sylvie Robert vient d’évoquer le débat que nous avons eu dans cet hémicycle sur Parcoursup lors de l’examen du projet de loi relatif à l’orientation et à la réussite des étudiants. Unanimement, la Haute Assemblée avait alors considéré que les algorithmes locaux devaient être dissociés de la décision prise par l’administration. La ministre de l’enseignement supérieur s’était engagée sur ce principe, mais nous nous sommes aperçus, à la lecture des décrets, qu’une autre voie réglementaire a été prise : le résultat donné par les algorithmes est considéré comme partie prenante à la décision du jury, couverte par le secret des délibérations. Cela n’est pas recevable en droit, puisqu’il s’agit d’un traitement automatisé préalable aux débats des enseignants sur les dossiers.

L’article 14, tel qu’il est rédigé aujourd’hui, vient combler un vide juridique de façon tout à fait pertinente. Je le voterai donc volontiers.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Je me ferai ici, en quelque sorte, la porte-parole du rapporteur de la loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants, Jacques Grosperrin, avec qui je me suis entretenue de la transparence des algorithmes ces derniers jours.

Il est vrai que, lors des débats, M. Grosperrin s’est montré très sensible à l’idée de publier les algorithmes locaux, afin que l’on ne retombe pas dans un système de « boîte noire ». En effet, APB avait fini par être appréhendé de cette façon : on avait l’impression que toute décision humaine avait disparu et qu’on s’en remettait totalement à la machine.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Je crois que tel n’est pas l’esprit de la loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants. Certes, l’inscription sera automatisée selon un certain nombre de critères, mais le résultat produit par l’algorithme ne sera qu’une aide à la prise de décision, et ne conditionnera pas inéluctablement celle-ci. Un comité pédagogique examinera les dossiers. Je ne suis donc pas tout à fait d’accord avec notre collègue Ouzoulias sur ce point.

Je rappelle aussi que le Sénat, dans sa sagesse, a entendu instaurer un comité d’éthique et scientifique chargé de prévenir tout risque lié à un déficit de transparence.

Concrètement, les décisions prises comporteront une part humaine. À cet égard, le secret des délibérations des instances pédagogiques chargées d’étudier les dossiers est tout à fait légitime.

Je tenais à apporter ces précisions, en soulignant que nous sommes dans une année de transition, au cours de laquelle les universités vont expérimenter le dispositif. Il faudra être attentif aux remontées du terrain, pour ajuster au mieux le processus d’orientation des élèves vers un parcours de réussite. Ce processus est en cours. De ce fait, tout en saluant l’excellent travail accompli par Mme Joissains, je me demande s’il ne vaudrait pas mieux attendre qu’il soit parvenu à son terme pour appliquer la disposition proposée, qui consiste en un renforcement de l’obligation de transparence.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Nous reviendrons sur cette question ultérieurement.

L ’ amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Je suis saisi de deux amendements identiques.

L’amendement n° 97 est présenté par le Gouvernement.

L’amendement n° 133 est présenté par MM. Durain et Sutour, Mme S. Robert, MM. Sueur, Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 6

Supprimer cet alinéa.

La parole est à M. le secrétaire d’État, pour présenter l’amendement n° 97.

Debut de section - Permalien
Mounir Mahjoubi

Avant de présenter cet amendement, je tiens à indiquer que nous débattrons de l’application de la loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants lors de la discussion de l’amendement n° 99 ; je prendrai alors le temps d’exposer la position du Gouvernement de façon détaillée et de vous communiquer de nombreuses informations actualisées, afin de vous rassurer sur un sujet sur lequel nous avons la même ambition.

La défense de l’amendement n° 97 me donne aussi l’occasion de présenter quelques observations plus générales sur l’utilisation des sciences de la donnée, les data sciences, au sein de l’administration.

Dans le cadre de la modernisation de l’action publique, nous souhaitons que les sciences de la donnée se répandent dans l’administration française et que les opérations d’enquête ou de contrôle puissent s’appuyer plus souvent sur des analyses de données. L’objectif est d’optimiser l’activité des services d’enquête, dont les ressources, notamment humaines, sont toujours trop limitées.

Toutefois, les traitements sur lesquels les services peuvent s’appuyer doivent rester strictement des outils d’aide à la décision : rien de plus, rien de moins. Telle est bien la situation, aujourd’hui, dans l’appareil d’État, y compris au sein de l’administration fiscale : on recourt à des outils d’aide à la décision fondés sur les sciences de la donnée.

L’alinéa 6 de l’article 14, dans sa rédaction issue des travaux de la commission, nous paraît contraire au règlement européen, dans la mesure où il ne prévoit aucune garantie concernant les actes visés, alors qu’ils affectent significativement les personnes. En particulier, le droit à former un recours et à faire valoir son point de vue n’est pas prévu, non plus que la présence dans l’acte d’une mention informant la personne du recours à un algorithme. Cet amendement vise à y remédier.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La parole est à M. Jérôme Durain, pour présenter l’amendement n° 133.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Un simple acte d’enquête ou de contrôle peut être intrusif, quoi que la commission ait pu en penser. La réflexion sur les algorithmes est vraiment loin d’être aboutie : nous ne savons pas encore très clairement dans quelle mesure nous pouvons nous y fier, quels biais ils peuvent comporter, quelles discriminations ils peuvent engendrer ni quelle est la bonne manière de les contrôler.

Au demeurant, il serait bon que le Gouvernement nous fasse part de son appréciation sur l’idée de créer une commission consultative, voire une autorité administrative, spécialement chargée du contrôle des algorithmes.

En attendant d’y voir plus clair, je pense qu’il convient de faire preuve de prudence. C’est pourquoi, à titre personnel, j’émets un avis favorable sur ces amendements identiques.

Les amendements sont adoptés.

M. Thani Mohamed Soilihi remplace M. David Assouline au fauteuil de la présidence.

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 98, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 8

Supprimer cet alinéa.

La parole est à M. le secrétaire d’État.

Debut de section - Permalien
Mounir Mahjoubi

Le présent amendement vise à supprimer l’alinéa 8 de l’article 14, qui prévoit la nullité des décisions administratives individuelles prises sur le fondement d’un traitement algorithmique qui ne comporteraient pas la mention prévue à l’article L. 311-3-1 du code des relations entre le public et l’administration.

Si le Gouvernement souscrit pleinement, je le répète, à l’objectif de faire appliquer l’article L. 311-3-1 du code des relations entre le public et l’administration, il n’est pas favorable à ce que l’absence de cette mention dans la décision conduise immédiatement à la nullité de cette dernière. Ce serait, selon nous, tout à fait disproportionné.

D’une part, il semble au Gouvernement que ce point doit être laissé à l’appréciation du juge administratif, la jurisprudence Danthony, en la matière, n’étant pas univoque.

D’autre part, le Gouvernement observe qu’il n’existe aucun précédent de ce type en matière d’obligations d’éditique. En effet, aujourd’hui, l’autre mention devant obligatoirement figurer dans les décisions administratives concerne les voies et délais de recours. L’absence de cette mention entraîne non pas la nullité des décisions, mais la simple non-opposabilité des délais de recours. La décision reste valide.

Concrètement, que signifierait, pour les Français, la nullité de la décision dans des cas très pratiques ? Si mon avis d’imposition ne comporte pas la mention en question, puis-je refuser de payer l’impôt ? Quelles seraient les conséquences de son absence dans un avis d’attribution du RSA ?

Je le redis simplement pour que la position du Gouvernement soit bien comprise : la mention est bien obligatoire et prévue par le droit existant ; nous faisons et ferons respecter cette obligation.

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

L’amendement n° 145, présenté par Mme M. Carrère, est ainsi libellé :

Alinéa 8

Remplacer cet alinéa par trois alinéas ainsi rédigés :

II. – Le premier alinéa de l’article L. 311-3-1 du code des relations entre le public et l’administration est ainsi modifié :

1° À la première phrase, après le mot : « comporte », sont insérés les mots : «, à peine de nullité, » ;

2° À la seconde phrase, les mots : « communiquées par l’administration à l’intéressé s’il en fait la demande » sont remplacés par les mots : « publiées, ainsi que les modifications ultérieures relatives à ces règles ou caractéristiques ».

La parole est à Mme Maryse Carrère.

Debut de section - PermalienPhoto de Maryse Carrère

Nous avons tous conscience des gains administratifs à tirer de l’utilisation des nouveaux outils technologiques, tels les algorithmes. Lors de l’examen de la loi pour une République numérique, le groupe du RDSE avait cependant déjà pointé les limites de l’utilisation des algorithmes en termes de transparence des décisions individuelles prises sur ce fondement. Mes collègues avaient alors proposé et obtenu que les caractéristiques de ces algorithmes puissent être communiquées aux personnes intéressées qui en feraient la demande.

Comme l’a souligné l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, c’est moins le logiciel d’admission post-bac que les dispositions juridiques et les choix politiques sur le fondement desquels il a été programmé qui ont conduit au bug largement commenté.

Beaucoup considèrent que la réticence des ministères à communiquer les codes sources de tels algorithmes contribue à alimenter les suspicions à leur encontre. En cas de généralisation de traitements automatisés similaires, il est à craindre que les fondements effectifs des décisions administratives ne deviennent moins accessibles et moins intelligibles si ces codes sources ne sont pas communiqués.

Nous souhaitons donc que ces caractéristiques techniques soient systématiquement publiées, afin que chacun puisse prendre connaissance des critères effectivement retenus pour l’élaboration des décisions individuelles. Dès lors que ces algorithmes n’ont pas vocation à se substituer totalement à l’appréciation des agents administratifs chargés de préparer les décisions, il n’y a pas de raison de s’opposer à la libre communication de leurs codes sources. À l’heure de la transparence, il serait invraisemblable de maintenir l’opacité sur ce point !

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

L’amendement n° 134 rectifié, présenté par MM. Durain et Sutour, Mme S. Robert, MM. Sueur, Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 8

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

… - À la seconde phrase du premier alinéa de l’article L. 311-3-1 du code des relations entre le public et l’administration, les mots : « à l’intéressé s’il en fait la demande », sont remplacés par les mots : « aux intéressés ».

La parole est à M. Jérôme Durain.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Durain

Le présent amendement s’inscrit dans le droit fil de l’amendement présenté par notre collègue Maryse Carrère.

Dans sa rédaction actuelle, l’article L. 311-3-1 du code des relations entre le public et l’administration prévoit que l’administration communique les informations concernant le fonctionnement de l’algorithme à l’intéressé, s’il en fait la demande.

Nous proposons d’inverser le principe : dès lors que les algorithmes sont partout et qu’ils seront encore plus présents dans les années à venir, il faut que la communication de ces informations se fasse de manière systématique et que l’intéressé n’ait plus à en faire la demande. Tel est l’objet de cet amendement, dont l’adoption permettrait d’assurer l’information des administrés sur le degré et le mode de contribution du traitement algorithmique à la prise de décision, la nature des données traitées et leurs sources, les paramètres de traitement et, éventuellement, leur pondération. Les modalités d’application de cet article seraient fixées par décret en Conseil d’État.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

La commission est défavorable à l’amendement n° 98. À quoi cela sert-il de créer ou de déclarer des droits si le citoyen n’en est pas informé et si, finalement, ces droits restent lettre morte ?

La loi pour une République numérique, qui a été promulguée en octobre 2016, a prévu que les décisions individuelles fondées sur un traitement algorithmique devraient comporter une mention en ce sens.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

L’administration doit appliquer la loi, tout simplement.

Dans la pratique, monsieur le secrétaire d’État, cela imposera simplement à l’administration d’envoyer, pour la même décision, le même courrier, mais comportant la mention. Il n’est pas forcément mauvais de sonner l’alarme de temps à autre…

L’amendement n° 145 de Maryse Carrère nous semble quant à lui satisfait. La commission s’en remettra toutefois à la sagesse du Sénat et, à titre personnel, je le voterai. Il en va de même pour l’amendement n° 134 rectifié.

Debut de section - Permalien
Mounir Mahjoubi

Le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 134 rectifié, un bon équilibre ayant été trouvé en matière d’information sur les algorithmes.

En premier lieu, les administrations sont soumises à une obligation générale de publier en ligne les règles définissant les principaux traitements algorithmiques utilisés dans l’accomplissement de leurs missions, lorsqu’ils fondent des décisions individuelles. C’est donc là un premier niveau d’information a priori pour tous les usagers et à tout moment. Cette obligation sera généralisée à compter du mois d’octobre 2018.

En deuxième lieu, une information systématique est délivrée à toute personne concernée par une décision administrative individuelle. La personne est informée à chaque fois de la mise en œuvre d’un traitement algorithmique par une mention bien visible dans la décision.

Debut de section - Permalien
Mounir Mahjoubi

Nous ne nous opposons, madame la rapporteur, que sur la conséquence de l’absence de cette mention ; celle-ci est obligatoire. C’est d’ailleurs l’une des administrations que je dirige qui est chargée de faire respecter cette obligation : elle l’est déjà et elle le sera de plus en plus à l’avenir. En tout état de cause, la nullité de la décision en cas d’absence de cette mention est une sanction qui nous paraît disproportionnée.

La mention en question précise la finalité de l’algorithme et rappelle le droit de la personne concernée d’obtenir communication des règles du traitement et de leur application dans son cas particulier, ainsi que des modalités d’exercice de son droit à la communication et à la saisine.

En troisième lieu, si la personne en fait la demande, elle obtient beaucoup plus d’informations. Celles-ci, qui sont précisées au niveau réglementaire, sont au nombre de quatre : le degré et le mode de contribution du traitement algorithmique à la prise de décision ; les données traitées et leurs sources ; les paramètres de traitement et, le cas échéant, leur pondération appliquée à la situation de l’intéressé ; les opérations effectuées par le traitement.

Cette information est individualisée, très détaillée. Elle comprend l’intégralité des données ayant servi à faire fonctionner l’algorithme. Toutes ces caractéristiques font l’intérêt du dispositif, mais elles expliquent aussi que celui-ci ne soit pas, pour l’heure, automatisable ou généralisable. Elles imposent un traitement au cas par cas, ce qui représente une charge réelle pour les services. Aujourd’hui, ce sont bien des êtres humains, des agents publics qui prennent le temps de faire des réponses personnalisées, en réunissant toutes les informations.

S’il fallait informer systématiquement les personnes, comme le prévoit l’amendement n° 134 rectifié, il faudrait mettre en place un mécanisme automatisé, ce qui aurait pour conséquence une dégradation du niveau d’information.

Il existe aujourd’hui, à mon sens, un bon équilibre entre des vecteurs d’information systématique et la possibilité d’obtenir sur demande des informations beaucoup plus détaillées, par exemple lorsque la décision est défavorable ou en cas de questionnement sur ses motivations. La garantie de transparence doit notamment être considérée en lien avec les garanties liées au recours prévues dans le considérant 71 du règlement européen.

Enfin, les codes sources des algorithmes ayant des conséquences sociales, sanitaires ou économiques seront également mis à la disposition du public, ce qui permettra une complète redevabilité de l’administration, puisque des personnes, y compris des experts de la société civile, pourront les analyser en détail, voire rejouer des situations ou des scénarios, et vérifier que la procédure s’est correctement déroulée.

Concernant l’amendement n° 145, j’ai déjà évoqué la question de la nullité en cas d’absence de mention. Pour le reste, cet amendement est très largement, voire complètement, satisfait par le droit actuel. En effet, en vertu de l’article L. 312-1-3 du code des relations entre le public et l’administration, les administrations devront, à compter du mois d’octobre 2018, publier en ligne, de façon accessible au grand public, toutes les règles définissant les principaux traitements algorithmiques utilisés.

Le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 145.

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Ouzoulias

Monsieur le secrétaire d’État, j’aimerais être sûr d’avoir parfaitement compris votre analyse… J’ai en tout cas le sentiment qu’elle répond à l’une des interrogations que nous avons soulevées à l’instant.

Revenons sur la mise en œuvre de la loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants. Parcoursup est soumis au contrôle que vous venez d’évoquer. Les dossiers adressés aux universités sont traités par des algorithmes locaux, qui réalisent un pré-tri automatisé. Ensuite, ils sont transmis aux jurys, qui prennent une décision sur le fondement d’un examen pédagogique. Pouvez-vous me confirmer, monsieur le secrétaire d’État, que les algorithmes locaux mis au point par les universités seront eux aussi soumis aux règles posées à l’article 14 ?

Debut de section - Permalien
Mounir Mahjoubi

Oui ! Je défendrai d’ailleurs cette position en présentant l’amendement n° 99 du Gouvernement.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Ouzoulias

Cette réponse vous engage, monsieur le secrétaire d’État !

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Mme Nathalie Goulet. Je soutiens Mme la rapporteur sur le sujet, car une grande confiance n’exclut pas une petite méfiance !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est un proverbe normand !

Nouveaux sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

En effet !

Monsieur le secrétaire d’État, pour votre part, vous connaissez tout cela par cœur, mais, il n’y a pas si longtemps, quand le ministre de la défense parlait d’algorithmes et qu’on lui demandait des détails, on s’apercevait qu’il n’avait peut-être pas tout compris, non plus que nous, d’ailleurs ! Peut-être serez-vous demain au banc du Gouvernement pour l’examen du projet de loi portant transposition de la directive concernant les services de paiement dans le marché intérieur : il faudrait en prévoir une version « pour les nuls », afin que nous puissions comprendre de quoi il s’agit, tant ce texte est abscons !

Il serait bon que vous puissiez nous exposer comment l’administration s’y prendra pour expliquer en détail à nos concitoyens la procédure et le fonctionnement des algorithmes, et quels éléments elle produira à cette fin.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Je pense en particulier à l’exemple, figurant dans l’excellent rapport de notre commission, d’un établissement de crédit souhaitant confier à un automate le soin d’évaluer la solvabilité des emprunteurs…

Je doute non pas de la qualité de ces explications, mais de leur compréhension par le citoyen lambda. La procédure est somme toute un peu nouvelle et elle recourt à des processus parfois totalement étrangers aux contribuables, aux demandeurs d’un crédit et, plus encore, aux étudiants confrontés à Parcoursup.

Plus les garanties inscrites dans la loi seront nombreuses, plus les sanctions seront importantes, mieux cela vaudra. Ainsi, la nullité de la décision en l’absence de mention obligera l’administration à se montrer intelligible.

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

La parole est à M. Arnaud de Belenet, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud de Belenet

J’entends les doutes qui s’expriment sur ce sujet très technique, mais aussi les explications d’un secrétaire d’État qui, à la différence du ministre des armées évoqué à l’instant, …

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud de Belenet

M. Arnaud de Belenet.… est un expert de ce domaine. Ses explications sont pragmatiques, claires et presque intelligibles pour les non-initiés !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud de Belenet

Je parle à titre personnel !

En tout état de cause, je suis pour ma part plutôt enclin à lui faire confiance. Peut-être cette inclination n’est-elle pas pleinement partagée dans l’hémicycle, …

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud de Belenet

… auquel cas il me semblerait intéressant d’examiner la manière dont ceux qui sont directement concernés vivent les choses.

À cet égard, la Conférence des présidents d’université confirme en pratique ce que nous dit le secrétaire d’État, puisqu’elle attend de nous que nous adoptions l’amendement n° 99, qui viendra en discussion dans un instant. Mme Morin-Desailly pourrait nous le confirmer. Dans ces conditions, pourquoi prendre le risque indiqué par M. le secrétaire d’État ?

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

La parole est à M. Jérôme Durain, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Durain

L’inclination de M. de Belenet est finalement assez logique. Pour ma part, j’ai trouvé l’argumentation de M. le secrétaire d’État non pas « presque », mais tout à fait intelligible, très solide et très argumentée.

Ce qui m’inquiète tout de même, en dernière analyse, c’est que, en guise de réponse à notre demande que les administrés bénéficient d’une information systématique, il décrive un parcours du combattant extrêmement ardu et escarpé, avec plusieurs niveaux de recours, pour obtenir communication de l’ensemble des éléments utiles et nécessaires. Il y a un monde entre ce que nous demandons et ce que vous exposez !

Enfin, vous opposez à notre demande d’une information systématique, qui relève d’une position de principe, un argument de moyens : ce n’est pas possible parce que cela représenterait trop de travail.

Pour ces raisons, je maintiens mon amendement, conservant une petite méfiance, pour reprendre le proverbe normand cité par notre collègue Nathalie Goulet…

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

L ’ amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

En conséquence, l’amendement n° 134 rectifié n’a plus d’objet.

L’amendement n° 99, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 9

Supprimer cet alinéa

La parole est à M. le secrétaire d’État.

Debut de section - Permalien
Mounir Mahjoubi

Si vous me le permettez, monsieur le président, je prendrai un peu de temps pour présenter de manière précise et complète cet amendement, d’une particulière importance.

Il a pour objet de rétablir une disposition de la loi du 8 mars 2018 relative à l’orientation et à la réussite des étudiants qui a été supprimée par la commission des lois.

Avant toute chose, je rappelle que cette loi est entrée en vigueur il y a tout juste deux semaines, après avoir été adoptée par le Sénat en février dernier. Que l’on envisage de modifier le droit applicable à ce stade de la procédure Parcoursup suscite déjà une très vive inquiétude dans les établissements d’enseignement supérieur, lesquels devront entamer l’examen des vœux de plusieurs millions de lycéens dans une dizaine de jours.

À la lumière de l’article 14 du présent projet de loi, la commission des lois du Sénat considère que cette disposition qui protège le secret des délibérations des équipes pédagogiques chargées de l’examen des candidatures ouvrirait la voie à une généralisation du traitement algorithmique pour produire les décisions d’affectation sans aucune intervention humaine.

Dans un souci de clarté et de précision, je voudrais rappeler quelle vision et quelle philosophie ont guidé le Gouvernement tout au long de la refondation de l’accès au premier cycle universitaire.

Pour mettre un terme à l’opacité qui entourait le fonctionnement de la plateforme APB, opacité que nous avons nous-mêmes dénoncée dès notre arrivée au pouvoir, le Gouvernement a articulé la procédure d’inscription en licence autour de deux exigences fondamentales : remettre de l’humain dans la procédure d’affectation en écartant toute prise de décision sur le seul fondement d’un algorithme ; garantir la transparence de la procédure d’affectation, tant au niveau national qu’au niveau local. Tels sont les deux piliers de notre projet.

Les nouvelles dispositions de l’article L. 612-3 du code de l’éducation issues de la loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants garantissent la transparence, qu’il s’agisse du fonctionnement de la plateforme Parcoursup en général ou de la procédure de traitement des dossiers de candidature dans les établissements. Les critères d’examen des vœux sont publics. La loi instaure un critère général, celui de la cohérence entre le profil du candidat et les caractéristiques des formations demandées.

Conformément aux alinéas 2 et 3 du I de l’article du code de l’éducation précité, toutes les informations relatives aux éléments pris en compte pour l’examen des dossiers au titre des 13 000 formations inscrites dans Parcoursup sont mises à la disposition des lycéens sur la plateforme.

Les critères d’examen ne sont pas les seuls éléments rendus publics. Le II de l’article prévoit que la transparence s’applique également aux traitements automatisés, ainsi qu’au code source de l’outil d’aide à la décision proposé aux formations par le ministère pour les assister dans l’examen des vœux. En d’autres termes, il n’y a pas de « boîte noire » : le principe de transparence vaut pour les critères, les traitements, le code source de l’algorithme national et celui de l’outil d’aide aux établissements.

Ce n’est pas fini ! J’ai rappelé que l’obligation d’une intervention humaine constituait le premier pilier de la loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants. Dans les établissements, les équipes pédagogiques devront suivre une procédure d’examen des vœux qui exclut toute prise de décision automatisée. C’est pourquoi vous me permettrez, monsieur Ouzoulias, de nuancer la présentation que vous avez pu faire de la procédure telle qu’elle se déroule aujourd’hui dans les établissements.

Le décret d’application de la loi instaure, pour chaque formation, une commission d’examen des vœux, principalement composée d’enseignants chargés d’examiner et de classer les dossiers. Comme son nom l’indique, l’outil d’aide à la décision, dont le code source sera donc publié, n’est qu’un appui proposé à la commission d’examen. Celle-ci peut décider de ne pas l’utiliser du tout ; certaines de ces commissions ont d’ailleurs fait ce choix. Si la commission d’examen souhaite utiliser cet outil, elle doit le paramétrer en fonction des éléments d’appréciation pédagogique qu’elle seule peut déterminer, en superviser le fonctionnement et en valider le résultat. Il s’agit bien d’un outil à la main de la commission d’examen. Ce paramétrage consiste, pour l’essentiel, à préciser, à hiérarchiser et à pondérer les critères qui ont été portés à la connaissance des candidats sur la plateforme Parcoursup.

Seule la commission d’examen des vœux est compétente pour décider des réponses qui seront faites aux candidats. Ainsi, la manière dont l’outil d’aide à la décision est utilisé est indissociable de la délibération elle-même, mais ne s’y substitue pas. Le module en lui-même ne peut fonder la décision de l’établissement. Celle-ci ne peut découler que des délibérations de la commission, qui doit examiner chaque dossier individuel : c’est l’esprit même de tout le projet. C’est d’ailleurs pour garantir que les établissements pourront procéder à l’évaluation de chacun des dossiers que le Gouvernement a mobilisé, en leur faveur, une aide spéciale de près de 10 millions d’euros.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Ouzoulias

On nous avait parlé de 6 millions d’euros, mais bon, si vous le dites…

Debut de section - Permalien
Mounir Mahjoubi

Cela a été annoncé dimanche.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

L’amendement de la commission aura fait beaucoup de bien, finalement…

Debut de section - Permalien
Mounir Mahjoubi

Enfin, la disposition que nous souhaitons rétablir permet d’ancrer le rôle des équipes pédagogiques dans la loi et de protéger le contenu de leurs délibérations. Concrètement, il s’agit de garantir à chaque candidat un accès individuel aux éléments et motifs qui justifient la décision prise par l’établissement.

Jusqu’à présent, la loi de 1979 relative à la motivation des actes administratifs n’imposait pas aux équipes pédagogiques de motiver leurs notes et leurs décisions. La disposition adoptée en février dernier par le Sénat est donc une avancée majeure en faveur de la transparence.

Elle permet à chaque étudiant, à titre individuel, d’obtenir tous les éléments qui ont justifié localement la décision de l’établissement. Cette transparence va jusqu’au rang assigné au candidat par la commission d’examen, et même jusqu’au niveau de l’appréciation portée par elle sur chacun des critères utilisés pour l’évaluation des dossiers.

L’application des dispositions de droit commun conduirait à rendre publics tous les éléments d’appréciation retenus par les équipes pédagogiques, lesquels sont couverts par le principe du secret des délibérations, conformément à la jurisprudence du Conseil d’État. Une telle remise en cause serait excessive : elle priverait de protection les délibérations des équipes pédagogiques, lesquelles, par crainte de recours contentieux, seraient amenées soit à renoncer au module d’aide à la décision, soit à y recourir, mais de façon mécanique, sans l’orienter dans le sens d’une véritable démarche pédagogique. Seul le rétablissement de la disposition en question permettra d’assurer l’équilibre entre la souveraineté de la commission et l’utilisation d’outils modernes d’aide à la décision.

En vue de parer à d’éventuelles dérives, la loi du 8 mars 2018 relative à l’orientation et à la réussite des étudiants a par ailleurs institué un comité d’éthique et scientifique qui a vocation à prévenir ce type de risques et à garantir une intervention humaine systématique dans le traitement des dossiers, ainsi qu’un haut niveau de protection des candidats. Le Sénat a consacré l’existence de ce comité dans la loi, de manière à lui conférer pérennité et indépendance.

Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, se tient à votre disposition et à celle des commissions des lois et de la culture pour rendre compte du traitement des vœux.

Je propose au Sénat de rétablir cette disposition en adoptant l’amendement du Gouvernement. J’espère que ma présentation de celui-ci, que nous avons voulu aussi précise et complète que possible, aura pu vous convaincre ; l’ensemble du Gouvernement y a travaillé !

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Je voudrais d’abord dire que, si le dépôt de cet amendement a permis le déblocage de 10 millions d’euros au bénéfice des établissements d’enseignement supérieur, nous en sommes déjà très heureux !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Il s’agit ici de la nouvelle procédure d’affectation des bacheliers dans l’enseignement supérieur, dite « Parcoursup ».

On se souvient du scandale provoqué par la précédente procédure, dite « Admission post-bac », qui utilisait à la fois des algorithmes de classement des candidatures, notamment dans les filières non sélectives en tension, et un algorithme d’appariement. Les paramètres utilisés par les algorithmes de classement reposaient sur une base légale extrêmement fragile. Jusqu’à l’an dernier, ils n’avaient été ni explicités dans un texte réglementaire ni publiés sous quelque forme que ce soit. La communication du ministère était même délibérément trompeuse à ce sujet. Je crois que tout le monde le reconnaît aujourd’hui. Cela explique que nous n’hésitions pas, désormais, à tirer la sonnette d’alarme en temps et en heure.

Avec Parcoursup, il ne sera plus fait appel à un algorithme d’appariement du type de celui que comportait APB. En revanche, les formations devront examiner et classer un nombre de dossiers beaucoup plus élevé que précédemment et auront recours, pour ce faire, à des algorithmes de classement.

Debut de section - Permalien
Mounir Mahjoubi

Oui, mais on expliquera avec quels critères ils fonctionnent !

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Or, le 7 février dernier, lors de l’examen du projet de loi relatif à l’orientation et à la réussite des étudiants, le Gouvernement a fait adopter un amendement de dernière minute, déposé en séance publique sans que la commission de la culture ait pu en faire un examen approfondi, qui exonère ces algorithmes de classement des obligations de transparence prévues par le code des relations entre le public et l’administration. Le rapporteur de la commission de la culture, Jacques Grosperrin, avait, au contraire, déposé un amendement imposant dans tous les cas la publication des règles de l’algorithme et des principales caractéristiques de sa mise en œuvre.

La commission des lois a choisi de revenir sur cette première entorse aux règles de transparence définies par la loi pour une République numérique.

Écartons d’emblée l’un des griefs avancés par le Gouvernement : la suppression du dernier alinéa du I de l’article L. 612-3 du code de l’éducation ne prive nullement de base légale les délibérations des équipes pédagogiques.

Nous voulons bien faire crédit au Gouvernement qu’aucun dossier ne sera accepté ou rejeté sans examen, sur le simple fondement du résultat produit par l’algorithme de classement.

Cependant, la loi n’empêche pas une telle dérive : le critère de la cohérence entre le profil du candidat et les attendus de la formation demandée est tout de même extrêmement large, pour ne pas dire vague.

Si tous les dossiers doivent être réexaminés par les équipes pédagogiques, pourquoi les préordonnancer au moyen d’algorithmes de classement ? Il y a tout lieu de craindre que l’examen humain ne soit, au mieux, que superficiel, et a minima pour certains dossiers très bien ou très mal classés. Dès lors, il nous paraît légitime que les bacheliers puissent savoir quels critères de classement leur ont été appliqués par voie d’algorithme, conformément au droit commun.

Toutefois, je peux entendre la crainte que les établissements d’enseignement supérieur soient déstabilisés au cours de la première année d’application de Parcoursup, alors qu’ils l’ont déjà été avec le système APB il y a très peu de temps.

L’application des règles de transparence de droit commun a attiré l’attention sur l’usage fait par les établissements d’algorithmes de classement, sur les différences entre les résultats produits par un algorithme et le classement issu des délibérations des équipes pédagogiques. Cela pourrait évidemment encourager les recours.

Dans ces conditions, les enseignants-chercheurs pourraient être encore plus réticents qu’ils ne le sont déjà à l’égard de la nouvelle procédure.

Mes chers collègues, je crois nécessaire que le Sénat réaffirme une position de principe à ce sujet. Il n’y a aucune raison que les garanties de transparence offertes à l’ensemble des administrés ne s’appliquent pas à l’accès à l’université, d’autant qu’il y a aussi une vertu pédagogique à cela : un étudiant qui aura échoué à entrer dans un établissement d’enseignement supérieur aura besoin de connaître les critères appliqués, ne serait-ce que pour mieux se préparer en vue de l’année suivante.

Cela étant, par souci de pragmatisme, je prends l’engagement, au nom de la commission des lois, de rechercher un terrain de compromis, en commission mixte paritaire, en vue de reporter au 1er janvier 2019 l’entrée en vigueur du III de l’article 14. Cela obligera le Gouvernement à revenir sur le sujet dans la perspective de la rentrée 2019, mais laissera tout de même une année d’apaisement aux établissements d’enseignement supérieur.

Par ailleurs, il nous paraît important de faire apparaître clairement dans le code de l’éducation que les décisions d’inscription ou de refus d’inscription dans un établissement d’enseignement supérieur ne peuvent être prises sur le fondement exclusif d’un algorithme.

En conclusion, la commission émet un avis défavorable sur l’amendement du Gouvernement.

Mmes Esther Benbassa et Catherine Morin-Desailly, M. Loïc Hervé applaudissent.

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

La parole est à Mme Sylvie Robert, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Sylvie Robert

Je souhaite répondre à l’interpellation de Mme la rapporteur et, plus généralement, aux propos que nous venons d’entendre.

Je dois avouer que mes collègues de groupe et moi-même avons été extrêmement frustrés de ce qui s’est produit à la fin de l’examen du projet de loi relatif à l’orientation et à la réussite des étudiants. Je fais référence à la question du secret des délibérations et à cet amendement, présenté beaucoup trop tardivement pour que nous puissions véritablement l’examiner en commission.

En plus de l’urgence à mettre en œuvre Parcoursup et les nouvelles politiques d’orientation des étudiants, en plus de l’urgence en matière de financement et du contexte ayant prévalu à l’examen du projet de loi, voilà que nous découvrions un angle mort !

Cet amendement nous a donc laissés sur notre faim, et je suis très heureuse, aujourd’hui, que nous puissions reprendre ce débat, à la faveur du présent texte de loi et de cet amendement du Gouvernement. Comme vous l’imaginez, mes chers collègues, nous ne souscrivons pas à son contenu, mais l’intervention de Mme la rapporteur nous a au moins permis de relancer le sujet.

Je serai très brève. Je peux tout à fait entendre qu’un délai de quelques semaines – la CMP et la promulgation sont prévues, je crois, pour le mois d’avril prochain – mette les universités en difficulté, la loi ayant « abandonné » aux établissements le traitement des dossiers en vue du classement des candidats.

Néanmoins, nous savons tous que les universités vont mettre en place des algorithmes « maison » – c’est ainsi que je les appelle. C’est obligatoire au vu du nombre de dossiers à traiter et de la situation extrêmement difficile à laquelle elles sont, et continueront à être, confrontées.

Vous êtes forcément attachés, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, à la question de la transparence, car celle-ci participe de la confiance de nos concitoyens, à la fois dans l’outil mis en place et, plus généralement, dans le recours aux algorithmes.

Si, comme Mme la rapporteur l’a souligné, nous avons l’assurance que de tels principes seront bien inscrits dans la loi, avec un compromis en CMP permettant d’envisager une mise en œuvre pour Parcoursup seulement au début de l’année 2019, nous pourrons trouver un accord, me semble-t-il.

Debut de section - PermalienPhoto de Sylvie Robert

Je terminerai en soulignant que cette question n’est vraiment pas anodine. On parle d’orientation et au-delà, vous l’avez bien vu, de sélection. C’est cela aussi qui a brouillé les cartes.

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

M. le président. Mes chers collègues, compte tenu du nombre de demandes d’explication de vote, je vais devoir interrompre nos travaux

Exclamations.

La séance, suspendue à vingt heures cinq, est reprise à vingt-et-une heures trente-cinq.