Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi, dans ce débat préalable au Conseil européen qui aura lieu demain et vendredi, d’aborder plus particulièrement trois sujets : le Brexit, la zone euro et les questions fiscales, avec un focus d’actualité sur les GAFA.
Comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, le Brexit sera l’un des points importants abordés lors de ce Conseil européen.
Beaucoup de discussions se sont tenues durant les dernières semaines. Vous avez mentionné le compromis qui vient d’être trouvé. La date du 31 décembre 2020 marquera bien la fin de la période de transition. L’Union européenne a obtenu gain de cause sur beaucoup d’éléments qu’elle défendait : les droits des citoyens européens, mais aussi la non-participation du Royaume-Uni aux décisions politiques durant la transition. Elle a toutefois aussi fait quelques concessions concernant le règlement des différends ; si j’ai bien compris, il sera renvoyé à un comité mixte, et non à la Cour de justice de l’Union européenne comme nous le souhaitions.
Le projet de lignes directrices pour définir le cadre de la future relation entre l’UE et le Royaume-Uni annonce d’âpres négociations. Un projet a été établi par M. Donald Tusk en réponse au discours de Mansion House, où la Première ministre britannique avait posé des conditions. Selon M. Tusk – vous avez d’ailleurs repris cette position, madame la ministre –, dans ces conditions, seul un accord de libre-échange serait possible, un accord qui couvrirait les biens, mais ne dirait mot sur les services financiers.
Madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer ce qui s’est décidé hier, au cours de la réunion ministérielle, concernant l’inclusion des services financiers dans le futur accord ? C’est évidemment un sujet important, en particulier pour le développement des services financiers à Paris et dans l’Europe des Vingt-Sept à la suite de la sortie du Royaume-Uni de l’Union.
Je voudrais évoquer un deuxième sujet relatif au Brexit, celui, tellement délicat, de l’Irlande du Nord. Personne n’ignore que c’est un point sensible de la négociation, car on traite là de la seule frontière terrestre entre le Royaume-Uni et l’Union. L’objectif premier était d’éviter la recréation d’une frontière physique entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande, ce afin de maintenir l’accord du Vendredi saint, dont je rappelle que c’est le dernier accord de paix conclu au sein de l’Union européenne, il y a une vingtaine d’années à peine.
La conclusion qu’en ont tirée les négociateurs européens, en vue de protéger l’intégrité du marché unique, est la nécessité pour l’Irlande du Nord de ne pas s’éloigner du cadre réglementaire communautaire. Or un important désaccord a vu le jour sur ce point, lors de la publication du projet d’accord de retrait. L’Union proposait ainsi de maintenir l’Irlande du Nord dans l’union douanière si les négociations n’aboutissaient pas à aucun accord. Cette proposition a été initialement rejetée par le Royaume-Uni, mais Mme May semble avoir évolué sur ce point et accepte peut-être à présent cette solution comme un dernier recours.
Madame la ministre, pouvez-vous nous éclairer sur cette situation, très délicate ? Pensez-vous, comme les représentants britanniques, que la future coopération en matière douanière pourra être suffisamment puissante pour éviter le retour d’une frontière physique ou le déplacement de la frontière en mer d’Irlande tout en préservant les intérêts européens, alors même que les Britanniques souhaitent quitter l’union douanière ?
Plus largement, quelle stratégie le Gouvernement entend-il mener, en coopération avec ses vingt-six partenaires, pour que ces négociations progressent de manière favorable ? Je voudrais ici souligner le rôle tout à fait remarquable, mais parfois difficile, qu’assure le grand négociateur qu’est Michel Barnier.
J’en viens à mon deuxième grand sujet : la zone euro. Vous avez rappelé, madame la ministre, qu’en raison des récentes élections allemandes le projet franco-allemand pour la réforme de la zone euro ne sera pas présenté lors de ce Conseil européen. Vous avez indiqué que deux sommets franco-allemands auraient lieu prochainement ; je m’en réjouis. Ils traiteront de cette question et peut-être, plus largement, de l’avenir de l’Union européenne.
À propos de la zone euro, je voudrais insister sur deux points : l’union bancaire et le parlement de la zone euro.
Je rappelle que le projet d’union bancaire comporte trois piliers, qui ont pour but de limiter les risques de défaillance des banques européennes et de protéger les épargnants. À la suite de la crise que nous avons connue, ces points sont fondamentaux. Or il semblerait aujourd’hui, madame la ministre, qu’un certain nombre de difficultés techniques – mais nous savons bien que le technique cache toujours le politique – pourraient mettre en péril un accord. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Le deuxième point, qui me tient personnellement très à cœur, est le projet de parlement de la zone euro. Avec M. Éblé, président de notre commission des finances, nous avons participé, les 19 et 20 février dernier, à la conférence sur l’article 13 du traité de stabilité, qui fait le point sur le semestre européen.
Je rappelle que cette conférence réunit des représentants des commissions des finances des parlements nationaux, ainsi que des parlementaires européens et des membres de la Commission européenne. C’est un lieu de dialogue particulièrement intéressant ; les échanges sont riches et utiles, cela permet de mieux comprendre les positions des différents États membres. Néanmoins, à ce stade, cela ne conduit à aucun avis concret et à aucune prise de position.
C’est pourquoi, madame la ministre, je voudrais ici soutenir la création d’un parlement de la zone euro. Il s’agirait non pas de nouveaux élus, mais d’élus des parlements nationaux et du Parlement européen, ainsi que de Commissaires. Ce parlement constituerait un lieu de dialogue et d’échanges au niveau européen et national ; il trouverait naturellement son lieu de réunion à Strasbourg, capitale européenne.
L’objectif de cette initiative est bien sûr de mieux coordonner les politiques économiques et monétaires des pays de l’Union européenne et d’assurer la coordination des travaux à l’échelle nationale et européenne. Je voudrais rappeler que le représentant du Bundestag présent à la « conférence article 13 » a salué cette idée et l’a clairement soutenue.
Madame la ministre, pourriez-vous nous indiquer si ce projet progresse et, plus globalement, nous dire la position du gouvernement français concernant le parlement de la zone euro ?
J’en viens à mon dernier point : la fiscalité. Je voudrais traiter du sujet des GAFA, mais surtout de l’ACCIS, l’assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés. Ce projet d’assiette commune, qui est en quelque sorte préparatoire à la convergence des taux, a été relancé en 2016 par la Commission européenne et adopté par le Parlement européen le 15 mars dernier sur le rapport de notre collègue député européen Alain Lamassoure.
L’ACCIS constituera un ensemble de règles communes en matière d’imposition pour les entreprises transfrontalières des vingt-sept pays de l’Union. L’idée est de limiter l’intérêt des délocalisations de résultats, de valeur ajoutée, de marges, entre des pays de l’Union européenne. Cela permettrait d’avoir un système unique, donc d’harmoniser l’assiette fiscale entre les États membres, et d’éviter ainsi les niches, exemptions et avantages fiscaux qui créent un différentiel entre les pays.
S’agissant plus particulièrement des GAFA, le commissaire européen Pierre Moscovici a annoncé tout à l’heure qu’il progressait sur ce sujet, dont j’imagine qu’il fera l’objet de discussions lors du prochain Conseil européen. M. Moscovici devrait proposer, demain, la taxation à 3 % du chiffre d’affaires des entreprises de ce secteur à partir d’une certaine taille.
Je rappelle qu’il est également proposé, notamment par Alain Lamassoure, que le projet de l’ACCIS intègre une disposition spécifique aux GAFA de manière à pérenniser la possibilité de les fiscaliser.
En tout cas, cette fiscalité plus juste et plus équitable est un sujet très sensible pour nos concitoyens ; une règle mieux respectée et harmonisée est attendue par l’ensemble des Européens. Madame la ministre, là encore, pouvez-vous faire le point pour nous sur ce dossier ?