Intervention de André Gattolin

Réunion du 21 mars 2018 à 14h30
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 22 et 23 mars 2018

Photo de André GattolinAndré Gattolin :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Conseil européen qui se tiendra les 22 et 23 mars prochains restera peut-être dans les annales de l’institution. Certes, il est à ce jour difficile de présumer que son caractère particulier dépendra de l’importance des décisions qui y seront prises, mais une chose est certaine, c’est que ce Conseil sera particulier au moins par sa forme et la nature des questions qu’il sera amené à soulever.

Sur la forme, tout d’abord, le prochain Conseil européen entérine dans les faits l’idée que l’Union européenne ne peut aujourd’hui avancer qu’à plusieurs vitesses. Il débutera en effet dans un format à 28, avant de passer rapidement à un format à 27 – sans le Royaume-Uni – pour s’achever à 19, au format propre de la zone euro. Nous faisons donc, à l’échelle du Conseil européen, ce que nous rechignons encore à faire clairement à l’échelon de la Commission et du Parlement européens, à savoir engager un processus de discussion et de décision bien distinct entre les États membres les plus intégrés et les autres.

Ce Conseil européen sera aussi particulier dans sa forme en ce que son ordre du jour est, pour une fois, relativement restreint, en tout cas plus raisonné et moins hétéroclite dans les sujets à aborder que lors des Conseils passés. La démocratie y gagne toujours en clarté et en lisibilité des choix.

Sur le fond, le Conseil européen ne pourra cependant pas manquer d’évoquer la soudaine et brusque tension diplomatique entre le Royaume-Uni et la Russie, à la suite de la tentative d’empoisonnement perpétrée à Salisbury à l’endroit de Sergueï et Ioulia Skripal. La réaction britannique à cette énième tentative d’assassinat laissant planer une intervention des services russes a été forte, très forte, et d’une ampleur sans précédent depuis la fin de la guerre froide.

Le 14 mars dernier, la Première ministre, Theresa May, annonçait en effet l’expulsion de vingt-trois diplomates russes. Le lendemain, les gouvernements français, allemand et américain exprimaient leur solidarité avec Mme May. Dans la foulée, la ministre de l’intérieur britannique, Mme Amber Rudd, accueillait favorablement la demande parlementaire de réouverture des enquêtes sur quatorze décès suspects – quatorze, pas moins ! - survenus sur le territoire britannique au cours des quinze dernières années.

Nous ne pouvons nous empêcher de tirer deux enseignements importants dans ce contexte.

Premier enseignement, malgré sa décision tonitruante de quitter l’Union européenne, le Royaume-Uni n’est pas une île : il a, sur ce sujet comme sur bien d’autres, besoin du soutien et de la coopération de ses alliés européens. Chaque jour qui passe ne manque d’ailleurs pas de rappeler aux autorités britanniques cette vérité qui dérange…

Second enseignement, cette affaire a incidemment l’avantage de ressouder un peu politiquement l’opinion britannique, mais aussi la majorité et le gouvernement de Mme May, sérieusement mis mal par les divergences de plus en plus nombreuses quant à leur gestion post-référendaire du pays.

En creux, l’affaire Skripal met cependant en lumière la mansuétude coupable dont les gouvernements britanniques successifs ont fait preuve à une époque où leur objectif principal était d’attirer massivement sur leur territoire, en particulier sur la place de Londres, les investissements de quelques oligarques peu recommandables.

La réalité qui se fait jour aujourd’hui, c’est que le Royaume-Uni, contrairement à ce que disent ses médias et une grande partie de sa classe politique, a souffert non de trop d’Europe, mais de son attitude répétée de cavalier seul en Europe et de son manque absolu de vision sérieuse de sa place au sein de l’Union européenne.

En effet, ce que l’aventure inédite du Brexit met très concrètement en lumière aujourd’hui, c’est le coût réel de la non-Europe. Certes, l’Union européenne est loin d’être parfaite et nous sommes les premiers à appeler à sa refondation. Bien plus, du fait même de son caractère institutionnel et politique complexe et inachevé, elle a du mal à répondre simultanément à toutes les crises qui la traversent et à relever tous les défis auxquels elle est confrontée. Aussi, nombre de voix s’élèvent partout en Europe pour déclarer que l’Union européenne aurait finalement échoué à réaliser son credo fondateur, celui d’instaurer durablement un espace de paix et de prospérité sur le continent européen.

C’est vrai, des tensions de plus en plus nombreuses émergent ou réémergent ces dernières années au sein de l’Union européenne entre certains de ses États membres, voire au sein même de ces États, comme en Catalogne, en Flandre ou en Écosse. Il est vrai aussi que, depuis la crise financière de 2008, la croissance dans l’Union européenne et dans la zone euro demeure assez atone au regard de celle qui est observée ailleurs, aux États-Unis et surtout dans les pays émergents.

Mais c’est oublier un peu vite le rôle majeur joué par l’Union européenne non seulement dans la réconciliation franco-allemande – tout cela est acquis –, mais aussi dans la consolidation démocratique de pays comme l’Espagne et le Portugal ou encore dans la réunification allemande, dans la réconciliation entre l’ouest et l’est de l’Europe, dans la pacification des Balkans orientaux et, last but not least, dans la fin de la guerre civile en Irlande du Nord.

Sur ce dernier point, le blocage idéologique et souverainiste dont souffre encore le gouvernement britannique dans les négociations actuelles sur les questions de la frontière irlandaise va à l’encontre de la réalité historique, à savoir le poids de l’Union européenne et le rôle capital qu’elle a joué dans le règlement de cette guerre civile aux relents de guerre de religion.

Pourtant, cette réalité a été écrite noir sur blanc dans un très intéressant rapport du mois de décembre 2016, rédigé par nos collègues de la Chambre des Lords, soulignant le rôle majeur de l’Union européenne dans le processus de paix, notamment au regard des garanties apportées par l’Union européenne dans l’application concrète de l’accord de Belfast de 1998, de son effet sur la transformation des relations bilatérales et l’apaisement des tensions communautaires en Irlande du Nord et de l’impact considérable qu’ont eu et continuent d’avoir les financements européens en Irlande du Nord.

Alors oui, c’est incontestable, l’appartenance à l’Union européenne est encore et toujours source de pacification. Souhaitons que Mme May revienne vite à la raison et accepte la proposition juste et mesurée formulée par les négociateurs européens sur la question irlandaise.

L’Union européenne est donc un espace de paix, mais aussi toujours un espace de prospérité. Certes, il faut bien le dire, cette prospérité est à présent relative et assez fragile. Aussi est-il indispensable de la relancer : c’est notamment pourquoi la France propose de renforcer la zone euro, d’harmoniser les politiques fiscales et industrielles, de taxer les revenus des grands groupes du numérique.

Toutefois, le coût d’une future non-appartenance à l’Europe s’observe déjà très concrètement dans l’évolution récente et à venir de la croissance au Royaume-Uni. Il est en effet déjà loin le temps où, en 2014, l’ex-Premier ministre, M. David Cameron, plastronnait et promettait la tenue d’un référendum sur le maintien ou non dans l’Union européenne. Cette année-là, le Royaume-Uni affichait une insolente progression de 3, 1 % de son PIB, quand la zone euro n’était qu’à 1, 3 %. Aujourd’hui, les courbes ne cessent de s’inverser, puisque toutes les prévisions pour l’année en cours et les années à venir laissent entrevoir un différentiel important au bénéfice de la zone euro.

J’espère, madame la ministre, qu’à l’occasion de ce Conseil européen la France et ses partenaires auront à cœur de ramener nos amis britanniques à plus de raison, en leur rappelant peut-être cette belle formule du grand écrivain anglo-australien Arthur Upfield : « Ce que l’on croit n’a aucune importance. Seuls les faits comptent. »

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