Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Président de la République a demandé et obtenu la confiance des Français sur un programme faisant une large place à la construction européenne et à l’affirmation de notre communauté de destin.
À plusieurs reprises, il a exprimé l’ambition européenne de notre pays, qui prend la forme d’une exigence. Il en a présenté les fondements intellectuels et historiques, mais en a également tracé les perspectives lors de son discours de la Sorbonne, auquel il a été fait référence.
À la veille du prochain Conseil européen, le soutien à l’action européenne du Président de la République est plus que jamais nécessaire. Mon propos n’est pas simplement la manifestation de ce soutien, même si je l’assume volontiers, il est aussi l’expression des intérêts de notre pays.
Mes chers collègues, nous pouvons aisément mesurer l’imbrication des enjeux français et des enjeux européens par le nombre, la diversité, l’importance des sujets que vous évoquez les uns et les autres à la suite de l’intervention de Mme la ministre. Cela illustre assez bien vos attentes, ce que vous avez appelé, suivant des formules différentes, le coût de la non-Europe, l’espoir de plus d’Europe ou d’une autre Europe. Quels que soient les points de vue exprimés par les différents groupes, un fil rouge se devine, me semble-t-il : une forme de gravité, peut-être un peu plus lourde encore que celle que nous avons pu entendre lors d’autres débats de ce type.
La République romaine, voire l’Empire romain, puis les Midlands de la seconde moitié du XIXe siècle ont été rappelés à notre attention. Je partage, chers collègues, l’intérêt de cette mise en perspective historique, je la crois même indispensable. J’aurais toutefois tendance à y ajouter, pour le saluer, le travail qui a été accompli depuis la Seconde Guerre mondiale par les gouvernements successifs des États membres de l’Europe – c’est tout à leur honneur -, ainsi que l’ampleur des chantiers entrepris tout autant que – et c’est heureux – les résultats.
Il est important de conserver cette perspective historique, y compris pour le couple franco-allemand, dont on nous disait il y a un instant qu’il était sans espoir. Je considère qu’il est au contraire plein d’espoir ; en tout cas, il est de nouveau opérationnel, avec un axe européen marqué dans le contrat de grande coalition. Mais il existe aussi des prudences rédactionnelles, de sorte que, entre ambition européenne et prudences rédactionnelles, des inquiétudes sur le risque d’un statu quo peuvent surgir. D’une certaine manière, il faut faire attention à ne pas s’en tenir aux formules de style quand on parle du couple franco-allemand. Certes, c’est un élément essentiel, mais il convient de souhaiter que, au-delà de la formule, le contenu soit à la hauteur des enjeux dans les mois qui viennent.
Le thème même du Conseil européen, à savoir l’emploi, la croissance et la compétitivité, pourrait inciter à une forme de statu quo. Je nourris quelques craintes à cet égard tant pour certains, notamment pour les pays du nord de l’Europe, l’Union européenne apparaît dans la durée comme une forme d’îlot de stabilité et de prospérité, du moins par rapport aux malheurs du monde.
Reste que, vous le savez, rien n’est acquis, en particulier pour notre pays, qui a devant lui de nombreuses réformes à mener – nos partenaires nous le rappellent régulièrement – pour regagner une position de leader économique en Europe que nous n’aurions jamais dû quitter et réduire notre taux de chômage, comme l’ont fait avec succès plusieurs de nos voisins.
C’est dire, chers collègues, que la politique économique de la zone euro, sa gouvernance, l’union bancaire, le marché unique des capitaux ont besoin de décisions, que la convergence fiscale, sur laquelle plusieurs d’entre vous ont insisté, est à mettre en œuvre, depuis les taux de l’impôt sur les sociétés en passant par les rescrits fiscaux, sans oublier la fiscalité du numérique, qui confine à la caricature.
Ainsi, Google paierait un impôt représentant 9 % de son chiffre d’affaires hors de l’Union européenne, à comparer au minuscule 1 % – 0, 92 % paraît-il-, payé dans l’Union européenne. Et que dire de Facebook, qui réussirait la performance de descendre à moins de 0, 10 % ?
La question des droits de douane est venue s’ajouter à ces difficultés, avec les initiatives individuelles des États-Unis, qui sont graves par leurs conséquences européennes, mais surtout par le fait que ce pays tourne le dos à toute forme de régulation internationale. Cela vaut pour l’aspect économique, mais aussi pour d’autres grands enjeux plus stratégiques, en particulier la question de l’accord sur le nucléaire autour de l’Iran et la deadline du 12 mai prochain.
Madame la ministre, vous comprendrez que, pour mes collègues comme pour moi-même, la voix de l’Europe soit particulièrement attendue sur ces différents sujets.
Il faut dire aussi que le contexte géopolitique est très lourd, du Moyen-Orient à la Russie, de l’Ukraine à la mer de Chine. Même pour ceux qui ont la foi européenne chevillée au corps, le découplage entre les enjeux géostratégiques, la montée en puissance militaire d’États-continents et les précautions oratoires ou les pudeurs qui peuvent exister en Europe, par exemple autour de la politique de défense, peuvent quelque peu agacer.
Mes chers collègues, à côté des enjeux économiques que je viens d’évoquer rapidement et des enjeux géostratégiques, l’Europe a des défis particuliers à relever, en matière de sécurité, d’immigration, de gouvernance économique.
En matière de sécurité, les risques sont nombreux, qu’il s’agisse des questions de défense ou de lutte contre le terrorisme. Ils trouvent maintenant leur véritable horizon de traitement à l’échelon de l’Europe. Si, en la matière, un seul doute persistait, l’exemplaire obsession de nos amis Britanniques à rester dans le cercle européen de la défense ou le cercle européen de la lutte contre le terrorisme le lèverait.
Il en est de même pour les enjeux en matière d’immigration. Plusieurs d’entre vous ont rappelé qu’à ne pas traiter correctement ces questions on s’exposait à des risques similaires à ceux qui viennent de se traduire sur le plan électoral en Italie.
Cette situation n’est peut-être pas unique, nous la retrouverons d’une certaine manière dans quelques semaines avec la réforme du droit d’asile, qui donne lieu à de nombreux débats dans notre pays. Sur ce sujet, je dois dire que, même pour des observateurs bienveillants vis-à-vis du Gouvernement, cette réforme peut paraître quelque peu surprenante tant la problématique du droit d’asile n’est plus franco-française, mais doit trouver sa place à l’échelon européen.
La gouvernance démocratique a été évoquée. J’aurais souhaité mentionner les consultations citoyennes comme l’importance de la conservation des idéaux, mais le temps me manque.
En conclusion, madame la ministre, je souhaite que, demain et après-demain, le Conseil européen puisse prendre des décisions. Le plus grave est aujourd’hui la non-décision. Au-delà des contenus, dont il ne faut pas se désintéresser, une aspiration forte s’exprime pour que des décisions soient arrêtées et qu’une feuille de route soit fixée.