Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Conseil européen des 22 et 23 mars prochains se déroule dans un contexte où l’instabilité et les inquiétudes s’intensifient. L’imposition de droits de douane sur les importations d’aluminium et d’acier aux États-Unis ainsi que les tensions accrues avec la Russie tendent encore davantage les relations diplomatiques.
En interne, l’Union européenne doit avancer tangiblement sur des dossiers cruciaux, qui détermineront son avenir à moyen terme, parmi lesquels la question de son budget après 2020, la sortie du Royaume-Uni ou encore l’amélioration du dialogue social. Ce Conseil européen a donc un rôle majeur à jouer en termes d’impulsion politique, d’autant plus qu’il se situe à un an des élections européennes. Il sera l’occasion de vérifier, ni plus ni moins, l’ambition des chefs d’État pour l’Europe, à un moment où il se révèle impérieux de conforter le pôle de stabilité, de solidarité et de protection qu’est l’Union européenne.
Dans cette perspective, le profil du futur cadre financier pluriannuel de l’Union européenne sera un signal essentiel. En effet, le Brexit va créer un manque à gagner estimé entre 12 milliards d’euros et 15 milliards d’euros par an, soit 10 % à 15 % des ressources propres de l’Union européenne.
En parallèle, la Commission européenne et les dirigeants des États membres n’ont de cesse d’exprimer leur volonté de voir l’Union européenne monter en puissance sur un certain nombre de missions pour le moins non négligeables. C’est, par exemple, le cas en matière d’asile et de gestion des flux migratoires, de défense et de sécurité européennes, de soutien à l’industrie et à l’innovation. En d’autres termes, le cadre financier pluriannuel post 2020 est une équation : comment répondre à l’ensemble des défis, toujours plus nombreux, qui se posent à l’Union européenne sans la contribution du Royaume-Uni ?
La réponse logique voudrait qu’il faille augmenter le montant du budget actuel. À cet égard, le Parlement européen vient de démontrer, dans sa position adoptée très largement, que, pour remplir a minima ses missions actuelles, l’Union européenne devrait voir son budget porté à 1, 3 % du PIB européen. Pour rappel, il est actuellement à 1 %, alors qu’il représentait 1, 25 % du PIB de l’Union européenne en 1999.
Or la Commission européenne semble aujourd’hui s’orienter vers un plafond maintenu à 1 %, voire à 1, 1 % du PIB européen, tandis que les États membres, à l’occasion du Conseil européen informel du mois de février dernier, paraissent avoir acté une baisse des ressources du budget pour cause de Brexit. Il est pourtant clair que l’on ne peut faire plus avec moins…
Avoir une réelle ambition pour l’Europe aujourd’hui oblige à élargir les ressources propres de l’Union européenne. Par-delà les éventuelles hausses de contribution des États membres, qui sont certes un signal, mais aucunement une solution pérenne, nous ne pouvons pas reporter, encore une fois, les négociations sur cette thématique. C’est le moment idoine !
Par conséquent, madame la ministre, le Gouvernement est-il prêt à appuyer l’idée d’une augmentation des ressources propres de l’Union européenne ? Sans cela, ce sont les politiques européennes essentielles à la matérialisation du principe de solidarité qui risquent d’en subir les conséquences : la PAC et les politiques de cohésion au premier chef. Ce serait une erreur colossale !
Vous connaissez notre attachement, ici, au Sénat, à ces deux politiques structurelles, qui permettent d’établir un lien direct entre Bruxelles et tous les territoires, de lutter contre le sentiment d’éloignement que peuvent ressentir les citoyens européens à l’égard de l’Union européenne, de tout simplement rendre concrètes les avancées si nombreuses que favorise l’Union européenne.
Dans le climat actuel, caractérisé par une montée généralisée du populisme ainsi que par une critique facile à l’encontre des institutions européennes, la PAC et les politiques de cohésion sont précieuses. Il convient de les préserver à tout prix, tout en assurant à l’UE d’avoir les moyens de répondre aux nouveaux enjeux. Il convient de ne pas oublier que le budget européen n’est pas uniquement un instrument financier ; il est l’expression de choix politiques qui traduisent une ambition. Nous avons besoin d’avoir des preuves de cette ambition, et il est temps de convaincre !
Par ailleurs, la réforme de la zone euro, dont la feuille de route doit être adoptée en juin prochain, est l’occasion de marquer une ambition pour l’Europe. Or, eu égard aux dernières réunions au niveau ministériel, des inquiétudes de taille peuvent poindre : l’achèvement de l’union bancaire semble être en difficulté, en particulier sur la question clé du fonds européen de garantie des dépôts ; la réforme du semestre européen risque, quant à elle, d’aboutir à conditionner l’attribution des fonds de cohésion à l’aboutissement de réformes structurelles. Les collectivités ne doivent surtout pas être tenues responsables des choix budgétaires des gouvernements.
Avoir une ambition pour l’Europe, c’est aussi regarder vers l’avenir, donc vers la jeunesse. Le programme Erasmus, peut-être davantage que tout autre de l’Union européenne, a fait ses preuves et est reconnu. De nombreux étudiants ont bénéficié et bénéficient encore de cette ouverture à l’Europe, de la richesse d’un séjour dans un autre pays membre. Au retour de leur expérience, ils deviennent, en quelque sorte, des ambassadeurs de l’Europe et incarnent, concrètement, cette idée d’union des peuples européens.
Ainsi, il est heureux que les ministres de l’éducation aient annoncé, unanimement, leur volonté de renforcer considérablement Erasmus. Certains prônent un doublement de la dotation, fixée à 14, 7 milliards d’euros pour la période 2014-2020, d’autres un triplement. Néanmoins, au-delà de la problématique afférente au montant du programme, il est intéressant de s’interroger sur l’ouverture d’Erasmus à l’enseignement professionnel, voire au secondaire ou aux jeunes diplômés, comme quelques États membres le recommandent. Surtout, nous nous inquiétons du risque de substitution d’un système de bourses à un système de prêts individuels, afin de tenir l’objectif d’un doublement d’Erasmus. Nous aimerions avoir des précisions et des garanties du Gouvernement sur ce point, madame la ministre, car Erasmus doit pouvoir profiter à l’ensemble des jeunes et non à quelques-uns qui auraient un capital financier de départ plus substantiel.
Enfin, dans nos rangs, vous le savez, notre ambition a toujours été sociale. Jacques Delors a lancé ce mouvement indispensable, car le marché unique sans le bien-être social des citoyens européens n’a que peu d’intérêt. Pourtant, ce dialogue social européen s’est amplement essoufflé ces deux dernières décennies. C’est pourquoi nous ne pouvons que nous réjouir des récentes avancées qui consolident le pilier social européen.
La proposition de la Commission concernant la création d’une autorité européenne du travail était attendue. Elle ne sera pas la résultante d’une fusion entre les agences existantes et aura comme principale tâche, en tout cas dans l’immédiat, de garantir la libre circulation des travailleurs, dans le respect des règles européennes en matière de détachement, dont la réforme vient justement d’aboutir.
La proposition sur la coordination des systèmes de sécurité sociale visant à améliorer l’accès à la protection sociale en élargissant la couverture à tous les travailleurs et en rendant plus effectifs les droits sociaux des citoyens fixe des objectifs qui donnent tout son sens à l’Union européenne : protéger et améliorer le quotidien de chacun.
Les vingt principes du socle européen des droits sociaux, proclamés l’automne dernier, assoient cette finalité sociale de l’UE. Sans attendre les actes juridiques européens, qui donneront corps à ces principes, la Commission a encouragé les États membres à les traduire, in concreto, dans leur ordre interne. Il y va de l’égalité entre les femmes et les hommes, de l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée, du dialogue social dans l’entreprise ; en somme, de thèmes sociaux majeurs, à l’actualité contemporaine et aux incidences multiples : le congé de paternité, l’égalité salariale, le rôle de l’entreprise, etc. Où en est le Gouvernement dans la traduction nationale de ce socle européen ?
Mes chers collègues, ce Conseil européen n’est pas anodin : il permettra de jauger l’ambition des États membres pour l’Europe. Nous espérons que le Président de la République saura mettre en conformité ses déclarations avec des engagements tangibles et élevés au service de l’UE et, surtout, au service de ses citoyens.