… qui devront faire l’objet d’actions extrêmement fermes à court terme.
Lors de l’examen des lois financières de l’automne, notre groupe a défendu cette logique de responsabilité budgétaire et de réformes structurelles ambitieuses. Elle est pour nous cruciale pour retrouver notre crédibilité en Europe et la capacité d’entraînement politique qui nous a fait défaut ces dernières années.
Ce Conseil européen sera donc éminemment économique, mais son ordre du jour apporte également beaucoup d’espoir aux tenants d’une Europe plus sociale, plus juste et plus solidaire. Je crois en effet que ces deux aspects de la construction européenne vont de pair et que l’Europe sociale a trop longtemps été négligée au profit du marché unique. Le primat du « grand marché » a sans doute été une cause du désenchantement des peuples que nous observons depuis plusieurs années. Il est heureux que l’Union européenne tente enfin de marcher sur les deux jambes de l’efficacité économique et de la justice sociale. L’une ne peut aller sans l’autre.
Un discours du pape Benoît XVI, ce grand européen, m’a beaucoup marquée. En 2007, à Vienne, devant le corps diplomatique, il évoquait avec attachement notre « maison Europe », notre « modèle européen », qu’il qualifiait « d’ordre social qui conjugue efficacité économique avec justice sociale, pluralité politique avec tolérance, libéralité et ouverture ». Il affirmait que ce modèle était menacé par une mondialisation qu’il ne s’agissait pas de combattre - c’est une illusion populiste -, mais de canaliser, de réguler, pour préserver l’autonomie des plus fragiles et le bien-être des générations futures. Je crois qu’il exprimait ainsi le sens profond du projet européen et le rôle historique de ses institutions.
Aussi, je me félicite que l’ordre du jour social de ce Conseil européen soit fourni et ambitieux. La mise en œuvre concrète du « socle de droits sociaux » est par exemple une nécessité pour harmoniser les conditions de vie des travailleurs européens.
La proposition de création d’une « autorité européenne du travail et pour l’accès à la protection sociale » est également une bonne initiative de la Commission : elle permettra de remédier aux failles du marché unique, tout en exploitant tout son potentiel pour la mobilité des travailleurs. Sa mission sera d’encourager la coopération des États membres en matière réglementaire, d’échange d’informations et de médiation. Dans la continuité de l’initiative du Président de la République sur le travail détaché, la France devra soutenir la création d’une institution puissante et efficace, au mandat élargi.
En matière de fiscalité numérique, c’est toujours l’idée d’un équilibre entre l’efficacité économique et la justice fiscale qui devra présider aux mesures qui seront présentées lors du prochain Conseil européen.
Ce dossier est complexe. Il inclut de nombreux facteurs, dans un environnement technologique changeant. Il impose de trouver un équilibre politique entre l’encouragement de l’innovation et la juste contribution aux charges communes. Les plus grands économistes du monde, dont le prix Nobel français Jean Tirole, ont admis que la fiscalité de l’économie numérique est un grand défi contemporain : il s’agit bien ici de prendre en compte des modèles économiques en réseau, qui échappent par nature à la territorialité de l’impôt et qui profitent de surcroît de la concurrence fiscale entre les États membres de l’Union.
Cette question illustre parfaitement pourquoi nous avons besoin de plus d’Europe : seule une Union européenne unie, solidaire et parlant d’une seule voix sera capable de peser face aux géants du numérique américains et, demain, chinois.
Je terminerai donc par ce dernier point : l’Europe doit être plus efficace, je l’ai dit ; elle doit être plus juste, je l’ai rappelé, mais elle doit également être plus unie et plus forte pour défendre ses valeurs et ses intérêts dans le monde.
Avec le départ du Royaume-Uni, la France doit plus que jamais entraîner l’Union européenne vers un avenir de puissance, notamment avec nos partenaires et amis allemands. Le cinquante-cinquième anniversaire du traité de l’Élysée, que nous avons fêté il y a deux mois, a d’ailleurs démontré la volonté du Président de la République et de la Chancelière allemande de relancer le projet européen grâce à la force motrice indiscutable du couple franco-allemand. Pour autant, l’Union européenne compte vingt-huit, bientôt vingt-sept États membres, et chacun aura un rôle essentiel à jouer afin que nous puissions incarner une véritable « Europe puissance ».
Cette « Europe puissance », défenseur de ses intérêts et protectrice de ses valeurs, ne peut néanmoins fonctionner que si tous ses États membres et institutions jouent le jeu. J’en veux pour preuve la récente nomination de Martin Selmayr au poste de secrétaire général de la Commission européenne, dans des conditions inacceptables, qui jette une ombre sur le projet européen. Le président du groupe Les Indépendants, Claude Malhuret, l’a d’ailleurs parfaitement expliqué lors de sa question au ministre de l’Europe et des affaires étrangères, la semaine dernière : « À l’aube des élections européennes, cette nomination dans des conditions obscures est un cadeau aux europhobes, qui vont dénoncer l’opacité, les manœuvres internes et le manque de démocratie qu’ils reprochent à l’Europe. » Il est absolument nécessaire que la France conteste cette nomination lors du prochain Conseil européen, en dénonçant le manque de transparence de la procédure ainsi que la surreprésentation de l’Allemagne au sein des postes clés des institutions de l’Union.
Sans hurler avec les loups populistes et eurosceptiques, les partisans de la construction européenne doivent avoir le courage de critiquer ce qu’ils aiment et qu’ils défendent : non pas dans une critique abrasive, destructrice, haineuse, celle des europhobes, mais dans une critique constructive et bienveillante, avec l’idée de rebâtir la « maison Europe » sur des fondations plus fermes et plus durables.