J’ai retenu cette phrase de l’écrivain Kazuo Ishiguro, que vous connaissez sûrement, mes chers collègues : « Quand faut-il se souvenir, quand est-il préférable d’oublier ? »
Les données personnelles sont un rempart contre l’oubli. Elles sont la trace de chacun et elles peuvent révéler l’état civil, les préférences, les intérêts, en somme tout ce qui constitue l’identité d’un individu. Si ce dernier livre des informations à un moment donné, il peut légitimement vouloir qu’elles n’apparaissent plus ultérieurement, au motif, notamment, du respect de sa vie privée.
En ce sens, la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique a représenté une vraie avancée, en créant un droit à l’oubli. Bien évidemment, ce droit n’est pas absolu ; il doit être concilié avec d’autres considérations tout aussi importantes : le droit à l’information, le droit à la recherche scientifique et d’autres finalités d’intérêt public.
Néanmoins, ce droit a aujourd’hui une portée limitée, car il est soumis à une condition de minorité. Pour être plus précis, si tout un chacun peut s’en prémunir, il ne peut le faire que pour des données collectées lorsqu’il était mineur.
Certes, cette disposition permet de gommer certaines erreurs de jeunesse, pourrait-on dire, mais elle semble incomplète et difficilement justifiable sur le fond.
Pourquoi une personne pourrait-elle effacer des données personnelles collectées quand elle avait 17 ans et 9 mois, lorsqu’une autre ne pourrait pas le faire pour des données collectées quand elle avait 18 ans et 3 mois ? L’âge comme conditionnalité décisive à l’exercice du droit à l’oubli me semble d’une faible valeur discursive.
À titre personnel, je ne conçois pas pleinement le fondement de cette logique. Je ne qualifierai pas celle-ci d’arbitraire, mais, à l’heure où nous recourons tous de plus en plus au numérique afin de remplir nos tâches administratives, d’effectuer des achats en ligne, de bénéficier de services divers et variés, d’avoir accès à l’information par des abonnements à des newsletters, notamment, nous avons besoin de protection, de droits effectifs ayant une portée réelle, et non partielle.
Le droit à l’oubli en est un. Nous devons avoir le droit, indépendamment de notre âge au moment de la collecte des données, d’effacer les empreintes que nous laissons sur la toile, dès lors que cette volonté ne porte pas atteinte à d’autres enjeux rappelés précédemment et qui figurent, d’ailleurs, à l’article 40 de la loi Informatique et libertés.
En définitive, ce qui me paraît étrange, c’est que les modalités d’encadrement de ce droit sont déjà inscrites dans la loi. En faire usage ne risque donc pas de limiter d’autres droits et d’autres libertés fondamentales. En revanche, ne pas lui conférer une pleine portée est regrettable, car cela revient à affaiblir la protection des données et, par conséquent, le respect de la vie privée.