Je crois utile de rappeler quelques chiffres dans la solennité de cet hémicycle : 25 % des femmes âgées de 20 à 69 ans déclarent avoir subi au moins une forme de violence dans l’espace public au cours des douze derniers mois, soit environ 5 millions de femmes victimes chaque année ; 93 000 femmes âgées de 18 à 75 ans ont déclaré avoir été victimes de viol ou de tentatives de viol en 2016 ; la moitié des viols ou des tentatives de viols déclarés par les femmes et les trois quarts de ceux qui sont déclarés par les hommes surviennent avant l’âge de dix-huit ans.
Ces violences concernent majoritairement les femmes et les filles, et sont un obstacle majeur dans la construction d’une société égalitaire. Parce que ce phénomène est massif, nous devons répondre fermement aux agresseurs.
Nous avons toutes et tous en tête les terribles affaires judiciaires impliquant de très jeunes mineures, pour lesquelles les magistrats n’ont pas retenu le crime de viol. Ces affaires ont permis de révéler certains dysfonctionnements et, en conséquence, des insuffisances dans la protection que nous devons aux victimes d’infractions sexuelles, notamment quand elles sont mineures.
Je rappelle que 40 % des femmes et deux tiers des hommes mineurs victimes de viols avaient moins de quinze ans au moment des faits. En 2017, 86, 3 % des plaintes de victimes de violences sexuelles enregistrées par la police et la gendarmerie concernaient des mineurs de moins de quinze ans. Ces chiffres sont certainement sous-évalués, en raison des difficultés spécifiques que rencontrent les jeunes victimes à dénoncer les violences sexuelles qu’elles ont subies, et ce pour des raisons multiples : la peur, l’emprise, l’intimidation, l’absence de compréhension de ce qu’il se passe, l’absence d’une personne fiable à qui parler.
Cette difficulté est d’autant plus forte que, dans 87 % des cas, les victimes connaissent les agresseurs. Dans ces conditions, la détection des violences est particulièrement difficile. C’est pourquoi il est plus que nécessaire de former les professionnels en contact avec les mineurs, en priorité à l’école, à repérer les signes de ces violences et à recueillir la parole des victimes, ce que nous faisons désormais. Les magistrats aussi doivent être formés à la compréhension des mécanismes des violences sexuelles sur les mineurs. C’est ce que nous faisons également et nous amplifions ces formations.
Nous ne pouvons pas tolérer que des faits de viols sur mineurs ne soient pas jugés comme tels. Parce que les victimes sont dans un état de fragilité extrême face à ces violences encore indicibles et invisibles, notre devoir est de les protéger. C’est un enjeu de civilisation.
Ce combat doit transcender les clivages politiques et appelle une mobilisation générale de la société. Le Gouvernement est évidemment en première ligne. Le 25 novembre dernier, journée internationale de lutte contre les violences à l’égard des femmes, le Président de la République a présenté le plan d’action du Gouvernement pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles à l’occasion du lancement de la grande cause de son quinquennat. Ces actions ont été complétées par de nouvelles mesures, annoncées par le Premier ministre, Édouard Philippe, le 8 mars, lors du comité interministériel consacré à l’égalité entre les femmes et les hommes.
Le dernier volet de ce plan d’action est la répression des auteurs de violences sexistes et sexuelles. C’est aussi l’objet du projet de loi que j’ai présenté en conseil des ministres le mercredi 21 mars, et dont deux des quatre articles rejoignent le texte présenté cet après-midi.
La proposition de loi dont nous nous apprêtons à débattre vise, je crois, ce même objectif qu’est la lutte contre les violences sexuelles faites aux mineurs. Certaines de vos propositions se rapprochent de la position du Gouvernement, d’autres s’éloignent par leurs choix rédactionnels et juridiques des options que nous avons retenues après plusieurs mois de travail et de concertation, y compris avec des parlementaires.
Comme le Gouvernement, vous souhaitez étendre de dix ans la prescription des crimes sexuels commis à l’encontre des mineurs. C’est une évolution qui correspond à la nécessité de mieux prendre en compte la difficulté des victimes à signaler les faits, notamment en raison du phénomène d’amnésie traumatique. Par ailleurs, cela donne plus de temps à la victime pour surmonter ce traumatisme, avant d’avoir la capacité d’engager une action en justice. Nous avons néanmoins souhaité aller plus loin, en étendant cet allongement du délai de prescription à l’ensemble des crimes commis sur mineurs.
Vous avez voulu, parallèlement aux travaux menés par le Gouvernement, engager également une réflexion approfondie sur une meilleure protection des mineurs de quinze ans contre le viol.
Vous le savez, et vous l’avez rappelé, nos positions divergent quant au mécanisme à privilégier pour renforcer le dispositif juridique aujourd’hui applicable.
C’est néanmoins dans un esprit apaisé, au-delà des clivages qui peuvent nous opposer, que nous devons aborder ce débat, car nous poursuivons, me semble-t-il, un objectif commun.
Enfin, votre proposition de loi soulève une question à laquelle je serai particulièrement attentive lors des débats qui vont se tenir cet après-midi, celle de l’inceste.
Le Gouvernement présentera en procédure accélérée un projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles. Il sera débattu dans les prochaines semaines et comporte quatre dispositions principales, fruit d’une très large concertation.
Les mesures que nous présentons s’inspirent en effet des travaux de nombreux experts, comme ceux de la mission de consensus sur la prescription applicable aux crimes sexuels commis sur mineurs, menée par Flavie Flament et Jacques Calmettes sous la précédente législature, de la mission pluridisciplinaire sur les infractions sexuelles à l’encontre des mineurs, installée par le Premier ministre Édouard Philippe au mois de février ou des différents rapports du Haut Conseil à l’égalité.
Elles s’inspirent également des travaux des parlementaires, notamment ceux du groupe de travail des députés sur la verbalisation du harcèlement de rue, ou du rapport rendu par le groupe de travail du Sénat.
Elles s’inspirent, enfin, des attentes exprimées par les citoyennes et citoyens que nous avons auditionnés lors du tour de France de l’égalité femmes-hommes – avec 55 000 participants recensés en métropole et dans les outre-mer, il s’agit de la plus grande concertation citoyenne jamais organisée par un gouvernement.
Deux sujets majeurs sont ressortis de ces ateliers : le harcèlement de rue, l’un des angles morts de notre droit jusqu’à aujourd’hui, et le cyberharcèlement, qui doit être sanctionné plus efficacement.
Le projet de loi comprend quatre dispositions principales.
Il vise tout d’abord à allonger de dix ans le délai de prescription applicable aux crimes commis sur mineurs, en le portant à trente ans à compter de la majorité de la victime, laquelle pourra donc porter plainte jusqu’à l’âge de quarante-huit ans. C’est une évolution nécessaire, que certains d’entre vous proposent également, mesdames, messieurs les sénateurs.
Il a également pour objet de renforcer la pénalisation des abus sexuels commis sur mineurs de quinze ans. Le texte renforce la portée symbolique de l’interdit des relations sexuelles entre un adulte et un mineur de quinze ans.
Afin d’accroître de manière effective la protection des mineurs, tout en évitant les traumatismes du débat judiciaire sur un éventuel consentement de la victime, l’évolution législative est fondée sur deux propositions complémentaires.
Il s’agit, premièrement, de mieux prendre en compte la vulnérabilité particulière des mineurs de quinze ans : grâce aux précisions apportées, il n’y aura ainsi plus d’ambiguïté sur les capacités de discernement ou le consentement du mineur à un acte sexuel, la contrainte morale ou la surprise « peuvent résulter de l’abus de l’ignorance de la victime ne disposant pas de la maturité et du discernement nécessaire pour consentir à ces actes ». Telle est notre formulation. Cette disposition sera applicable dès promulgation de la loi, y compris sur des faits antérieurs, voire très anciens. Les juges pourront s’en saisir pour toute affaire en cours et ce sera donc une mesure efficace, en aucun cas cosmétique. En outre, à aucun moment le Gouvernement n’a mis sur la table une proposition de peines automatiques.
Il s’agit, deuxièmement, de mieux sanctionner le délit d’atteinte sexuelle, qui existe déjà, en doublant les peines encourues.
Conformément à nos engagements, le projet de loi viendra aussi élargir la définition du harcèlement, moral ou sexuel, pour permettre la répression des « raids numériques » qui se développent sur les réseaux sociaux.
Enfin, la dernière disposition de ce projet de loi visera à réprimer le harcèlement dit « de rue » en créant une nouvelle infraction, « l’outrage sexiste ». Il s’agira de réprimer l’ensemble de ces comportements en envoyant un signal fort aux agresseurs.
J’ajouterai à toutes fins utiles que le budget interministériel proposé par le Gouvernement pour l’égalité femmes-hommes atteint son plus haut niveau, à 420 millions d’euros.