La séance est ouverte à quatorze heures trente.
Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 22 mars 2018 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de loi d’orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles, présentée par M. Philippe Bas et plusieurs de ses collègues (proposition n° 293, texte de la commission n° 373, rapport n° 372).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Philippe Bas, auteur de la proposition de loi.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous nous réunissons cet après-midi dans l’hémicycle du Sénat pour traiter d’une question extrêmement grave. Heureusement, dans notre société, une prise de conscience aiguë semble se manifester depuis quelques mois. Le Sénat a voulu prendre le temps de la réflexion et ne pas faire d’annonces précipitées ou improvisées ; ce n’est pas dans sa nature, nous sommes une chambre de réflexion. Nous avons souhaité dresser un diagnostic et évaluer la faisabilité juridique des propositions que nous faisons avant de les présenter.
C’est un groupe de travail pluraliste, animé par Marie Mercier, qui s’est mis en place en octobre dernier. Après quatre mois d’auditions, après avoir entendu plus de cent dix personnalités, il nous a fait un certain nombre de propositions, que j’ai voulu traduire avec Marie Mercier et les membres de ce groupe de travail dans une proposition de loi, un peu plus de dix ans après la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, que j’avais eu l’honneur de présenter au Parlement.
Ce texte comporte de nombreuses propositions. Il part d’un constat, hélas ! sans appel. La moitié des victimes des agressions sexuelles dans notre pays sont des mineurs. D’ailleurs, la moitié des agressions sexuelles commises sur des mineurs sont le fait d’autres mineurs. Un grand nombre d’agressions ont lieu dans le cadre familial, alors que la famille est le milieu naturel de la protection des enfants, et seul un petit nombre de faits donnent lieu à des poursuites.
Cette situation n’est pas digne de la France. Nous devons absolument réagir avec force, en traitant la question sous l’angle non seulement de la répression pénale – nos lois pénales n’étant pas si mal faites, elles ne méritent que d’être ajustées à la marge –, mais aussi du développement des actions de protection des mineurs contre les infractions sexuelles, en donnant la priorité à la prévention et à l’accompagnement des victimes. Ce sont des points essentiels, sur lesquels notre rapporteur, qui les a explorés de manière très approfondie, aura l’occasion de revenir.
Je voudrais pour ma part, même si j’ai pris soin de dire que ce n’était sans doute pas le plus important, revenir sur la loi pénale.
La proposition de loi comporte plusieurs dispositions. La première concerne la prescription : il s’agit de porter de vingt à trente ans après le dix-huitième anniversaire la durée pendant laquelle une plainte pourra être déposée.
Je ne vous cache pas que j’ai eu quelques hésitations avant d’accepter l’allongement du délai de prescription. En effet, le but que nous devons rechercher, c’est que la plainte soit déposée le jour même, le lendemain, la semaine suivante, au plus tard, et non pas trente ans après. §Car la véritable protection vient de la capacité de la victime et de son entourage à assumer la gravité de l’événement au moment où il s’est produit. Ce n’est pas après avoir souffert en secret et en silence pendant trente années que le moment sera venu de porter plainte, alors que l’auteur de l’acte ne sera peut-être plus en vie ou, en tout cas, s’il l’est encore, que la capacité d’administrer la preuve de l’agression deviendra beaucoup plus aléatoire.
Si j’ai accepté l’allongement du délai de prescription, c’est parce que j’ai compris que de nombreuses victimes, qui n’ont pas porté plainte au moment de l’agression, l’ont refoulée tant il leur était douloureux d’assumer son existence, au point d’être entrées dans un processus de déni, que les médecins appellent l’amnésie post-traumatique, qui fait que, tout simplement, les faits sont ignorés pendant longtemps.
Nous aurons une discussion sur la prescription. Certains d’entre vous souhaitent que le viol sur mineur soit un crime imprescriptible. La commission des lois n’y est pas favorable. Que dirions-nous aux parents d’enfants assassinés, aux enfants de parents assassinés, aux victimes du terrorisme si, dans la hiérarchie de l’horreur, nous considérions que le viol sur mineur se distingue des autres crimes à un tel degré que, pour ce crime, il y aurait imprescriptibilité, tandis que, pour les autres, on en resterait à vingt années ? Mais nous en reparlerons.
Je voudrais souligner un deuxième point s’agissant de la loi pénale. Nous avons souhaité aggraver les peines encourues pour le délit d’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans : actuellement fixée à cinq ans, nous porterions la peine à sept ans ; quand les circonstances aggravantes sont caractérisées, la peine pourrait atteindre dix années d’emprisonnement.
Troisième point, la répression des viols commis à l’encontre des mineurs. Il est très difficile de rechercher des voies d’amélioration de la loi pénale dans ce domaine. Il faut concilier plusieurs exigences. La première, c’est de protéger tous les enfants
Mme Esther Benbassa opine.
Il importe, ensuite, d’être réaliste. L’âge de la maturité sexuelle n’est pas le même pour tous ni sous tous les cieux, si bien que le critère d’âge n’est pertinent qu’en moyenne. Or on ne peut condamner un agresseur en fonction de comportements moyens, on doit le condamner en fonction de comportements réels.
Il y a une troisième exigence à concilier avec les deux premières : c’est tout simplement le respect des droits de la défense. Une infraction pénale exige, pour être constituée, la preuve d’éléments matériels, d’une part, et la preuve d’une intention criminelle caractérisée, d’autre part. D’où l’impossibilité, chacun le sait depuis toujours, de prévoir qu’il suffise que la victime ait moins qu’un certain âge pour caractériser non pas une simple infraction, mais un viol, en faisant de l’âge de la victime un élément constitutif de ce viol. Cela reviendrait à créer une présomption irréfragable de culpabilité, c’est-à-dire une présomption qui ne permet pas à l’accusé de démontrer son innocence. Nous vivons dans un État de droit, cela n’est pas acceptable. C’est même inconstitutionnel. Cette inconstitutionnalité est tellement manifeste que nous ne saurions envisager une telle solution, même si le Gouvernement, dans une certaine précipitation, madame la secrétaire d’État, l’avait mise sous la table voilà quelques mois. Mais il s’est heureusement rallié à l’avis, tout à fait prévisible, du Conseil d’État sur ce point, et a adopté, la semaine dernière, des dispositions évidemment beaucoup plus modérées, à vrai dire tellement modérées qu’elles n’ajoutent rien à la loi actuelle, sinon, entre deux virgules, une interprétation de ladite loi pénale, qui entendrait faciliter les condamnations.
Nous, nous ne voulons pas d’une disposition qui serait seulement de portée cosmétique. Nous voulons une disposition réellement protectrice. C’est la raison pour laquelle nous avons prévu d’inverser la charge de la preuve, de telle manière que, dans deux hypothèses – si l’enfant n’a pas de discernement, quel que soit son âge, même s’il a plus de quinze ans ; ou si l’écart d’âge entre la victime et l’auteur de l’acte est important, par exemple, un mineur de onze ans agressé par un majeur de vingt-huit ans –, il y aurait alors une présomption de contrainte qui caractériserait le viol.
À ce moment-là, le débat judiciaire portera non pas sur le consentement de la victime, ce qui la placerait dans l’obligation de se justifier au cours du procès, mais sur l’attitude de l’agresseur et sur l’exercice de la contrainte, et la défense de l’agresseur aurait à prouver que celui-ci n’a pas exercé de contrainte, car la contrainte serait présumée.
Je voudrais vous dire, mes chers collègues, au moment d’achever mon propos, que cette présomption de contrainte, qui repose sur le comportement de l’auteur de l’acte, est un moyen de rendre plus efficace la répression.
J’attends maintenant du Gouvernement qu’il entende le Sénat et qu’il se donne les moyens de ses propres ambitions, pour améliorer la prévention des agressions sexuelles et l’accompagnement des victimes. Force est de constater que le budget du programme 137 dédié à l’égalité entre les hommes et les femmes n’est pas, et de nombreuses associations d’aide aux victimes le disent, à la hauteur des ambitions que le Gouvernement proclame.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. Dany Wattebled et Mme Nathalie Delattre applaudissent également.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. Dany Wattebled et Mme Nathalie Delattre applaudissent également.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les membres du groupe de travail, mes chers collègues, le problème des violences sexuelles s’est toujours posé dans l’histoire de l’humanité. Ce qui a évolué, c’est leur prise en compte en fonction des modèles de sociétés, des classes sociales, des contextes historiques, politiques, culturels, religieux, moraux et scientifiques.
Dès le code d’Hammourabi, en 1792 avant Jésus-Christ, l’interdit du viol et de l’inceste était posé par le sixième roi de Babylone. Depuis 1832, avec la création de l’attentat à la pudeur, le code pénal français réprime de manière spécifique les violences sexuelles commises à l’encontre d’un mineur. La société française a toujours été sévère à l’encontre de ces comportements.
En octobre 2017, la commission des lois a créé un groupe de travail afin d’améliorer la protection des enfants. Ce groupe a refusé les annonces précipitées et a voulu prendre de la hauteur, en tenant compte des diverses auditions auxquelles il a procédé, sans aucune idée préconçue : nous avons banni le prêt-à-penser, nous avons banni les slogans.
En étroite coordination avec la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, notamment avec Mme Annick Billon, sa présidente, et l’ancienne ministre Mme Laurence Rossignol, nous avons travaillé pendant près de quatre mois, avec de nombreux déplacements et auditions de victimes, de magistrats, d’enquêteurs – policiers et gendarmes –, de professionnels de santé, de psychologues, d’éducateurs sportifs et de nombre d’associations.
On dit que « les fragments ignorent leurs coïncidences ». Nous ne savions pas ce que nous allions trouver. Toutes ces petites pièces du puzzle se sont agglomérées, tous ces témoignages – plus de quatre cents recensés sur l’espace participatif mis en place à cet effet – se sont rassemblés en un constat, puis un texte de proposition de loi cohérent que nous vous présentons aujourd’hui.
Notre rapport de février 2018 a dressé le constat accablant de la persistance, de l’ampleur et de l’insuffisante dénonciation des violences sexuelles commises à l’encontre des mineurs. La loi existe, elle est même abondante, mais elle est mal connue, mal utilisée, principalement en raison d’un manque de moyens et d’un manque de formation.
En conséquence, le groupe de travail a préconisé la mise en œuvre d’une stratégie globale, qui inclut des ajustements législatifs en matière pénale, mais surtout des moyens renforcés et une mobilisation de toute la société, singulièrement des pouvoirs publics, au service d’une meilleure protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles.
La stratégie globale de protection des mineurs doit prendre en compte toutes les dimensions de la lutte contre les violences sexuelles. Nous l’avons fait reposer sur quatre piliers : prévenir les violences sexuelles à l’encontre des mineurs ; favoriser l’expression et la prise en compte de la parole des victimes, et ce le plus tôt possible ; reconsidérer la répression pénale des infractions sexuelles commises à l’encontre des mineurs ; et disjoindre la prise en charge des victimes d’infractions sexuelles du procès pénal.
La prévention constitue l’axe majeur de notre stratégie de protection des mineurs.
Tout doit être mis en œuvre pour lever les tabous, pour briser le silence. Tous les enfants, tous les parents doivent être sensibilisés à l’interdit des violences sexuelles, qui sont souvent intrafamiliales. Les parents doivent être soutenus dans leur parentalité, notamment avec la création de pôles mères-enfants : il faut pouvoir mettre des mots sur les choses, il faut pouvoir expliquer les comportements, il faut pouvoir dire : « Non, ça ne se fait pas. »
Près de la moitié des auteurs condamnés pour « viol sur mineurs » sont mineurs : il est indispensable que chaque enfant reçoive une véritable éducation à la sexualité. Oui, les enfants ont une sexualité, mais une sexualité qui leur est propre, qui est à eux.
Une attention toute particulière doit être portée aux contenus pornographiques sur internet, car l’accès précoce des enfants à la pornographie engendre des conséquences désastreuses sur leur représentation de la sexualité, et notamment du consentement. Un enfant sur deux de moins de dix ans a eu accès à des images pornographiques. L’âge moyen est de quatorze ans et cinq mois pour visionner un film pornographique. Je vous laisse imaginer l’impact sur la sexualité de ces jeunes. « Enfance », cela s’écrit avec sept lettres ; « Youporn », c’est sept lettres aussi !
Le deuxième axe de notre stratégie, c’est favoriser l’expression et la prise en compte de la parole des victimes, et ce le plus tôt possible. Pour cela, il faut lever tous les obstacles à la libération de la parole. Il faut des professionnels, dans tous les corps de métiers, formés à l’écoute et capables de diagnostiquer les violences sexuelles avérées. Le corps médical et paramédical doit être associé pour faciliter les signalements. Surtout, les conditions d’accueil des plaignants doivent être significativement améliorées, que ce soit pour le recueil de la plainte ou l’écoute des petites victimes dans des lieux adaptés. La mise en place des UMJ – unités médico-judiciaires –, l’utilisation de poupées sexuées, cela ne suffit pas si les professionnels ne sont pas suffisamment formés.
Le troisième axe, c’est renforcer la répression pénale des infractions sexuelles commises à l’encontre des mineurs. Une justice efficace nécessite de renforcer les moyens et les effectifs tant de la police judiciaire et scientifique que des juridictions, pour réduire les délais d’enquête et de jugement. Entre le dépôt de plainte et le jugement, il peut se passer sept années. L’objectif est également d’éviter la requalification en agression sexuelle ou en atteinte sexuelle d’un crime de viol, en raison du seul encombrement des cabinets des juges d’instruction et des cours d’assises. Cela n’est pas supportable. Les moyens consacrés aux frais de justice et à l’aide aux victimes doivent également être renforcés, afin de permettre l’accompagnement de chaque victime par une association dès le dépôt de plainte.
Le dernier axe de notre stratégie, c’est désacraliser le recours au procès pénal et permettre une véritable prise en charge des victimes d’infractions sexuelles hors du procès pénal. Les victimes doivent être accompagnées, même en dehors de toute procédure judiciaire, leur prise en charge, notamment médicale, garantie et des parcours de reconstruction, voire de résilience, doivent leur être proposés.
Nous voudrions que le protocole qui existe actuellement à Paris soit étendu à toute la France, autrement dit que toutes les victimes puissent être entendues par les policiers pour témoigner, à n’importe quel moment, peu importe la prescription. Cela leur permettra d’entendre prononcés par un policier les mots qui délivrent, ce « Je vous crois » qui permet le début de la résilience.
Notre stratégie a été traduite dans la présente proposition de loi, en particulier concernant trois évolutions en matière pénale.
L’allongement de vingt à trente ans des délais de prescription en matière de viols et d’agressions sexuelles, qui est une mesure avant tout symbolique. Le plus important, c’est de libérer la parole, tout de suite, maintenant, parce qu’on n’aura pas la preuve.
La deuxième mesure importante, c’est l’instauration d’une présomption de contrainte, applicable à toutes les relations sexuelles entre un majeur et un mineur. L’article 3 de la proposition de loi vise ainsi à faciliter la répression criminelle de viols subis par les mineurs. Désormais, la charge de la preuve serait inversée dans deux hypothèses : en cas d’incapacité de discernement du mineur ; ou quand il existe une différence d’âge suffisamment importante entre le mineur et l’auteur. Il n’y a pas d’âge dans notre proposition. Cela traduit la volonté de protéger tous les mineurs. Le discernement n’a pas d’âge. Toute autre proposition pourrait paraître plus simple, plus médiatique, plus porteuse ; en réalité, elle ne serait que simpliste.
Cette modification n’a pas pour effet de changer l’interdit pénal, qui est très clairement posé par le délit d’atteinte sexuelle sur mineur. L’article 227–25 du code pénal prévoit déjà que toute relation sexuelle avec un enfant de quinze ans est interdite, au risque de poursuites pénales. C’est donc déjà inscrit dans la loi. Ce que fait l’article 3 de notre proposition de loi, c’est qu’il facilite la qualification criminelle de viol, en permettant de mobiliser plus facilement l’élément de contrainte, élément constitutif de l’infraction de viol. La charge de la preuve serait ainsi inversée et reposerait désormais sur l’adulte mis en cause, puisque la contrainte morale et, donc, la qualification criminelle de viol seraient présumées.
Par ailleurs, l’article 5 de la proposition de loi tend à aggraver les peines encourues pour le délit d’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans.
Je le rappelle, le code pénal réprime tout acte de nature sexuelle commis par un majeur à l’encontre d’un mineur, au motif qu’un mineur de moins de quinze ans est incapable d’y consentir librement. Actuellement, le délit d’« atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans » est puni de cinq ans de prison et de 75 000 euros d’amende. Par rapport aux autres infractions comparables dans les autres pays de l’Union européenne, les peines encourues en France peuvent sans doute apparaître comme moins élevées, même si la France distingue les « viols sur mineurs de quinze ans » des « atteintes sexuelles sur mineurs de quinze ans ». L’article 5 de la proposition de loi vise à modifier l’article 227–25 du code pénal, pour porter les peines encourues de cinq à sept ans d’emprisonnement et de 75 000 à 100 000 euros d’amende.
Ce que je vous propose d’adopter, mes chers collègues, c’est un texte innovant, qui vise à changer les représentations sociales, les mentalités. Ce que je vous propose d’adopter, c’est un texte qui met le mineur victime au cœur de nos préoccupations. Tout ce que nous avons lu, tout ce que nous avons vu, tout ce que nous avons entendu nous ont profondément marqués. Au fond, compte tenu de toutes ces atrocités, de ce qui fait le plus noir chez l’homme, le plus glauque, le plus cauchemardesque, le but ultime de toutes nos propositions est de protéger nos enfants, et ce le plus largement. Ce que je vous propose peut-être tout simplement, c’est de faire un peu de lumière avec du noir.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – Mmes Nathalie Delattre, Josiane Costes et Esther Benbassa, ainsi que MM. Dany Wattebled, Éric Gold, Michel Dagbert et Jean-Pierre Sueur applaudissent également.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, madame la rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le Président de la République a décrété grande cause du quinquennat l’égalité femmes-hommes. Pour la première année, le thème porté par le Gouvernement dans ce cadre est la lutte contre les violences sexistes et sexuelles.
Ce choix a été fait de longue date, bien avant le mouvement #MeToo, bien avant l’émotion légitime suscitée par des affaires récentes, bien avant ce mouvement inédit et historique de libération de l’écoute, qui a touché le monde et la France mais postérieurement à la décision du Président de la République, que celui-ci avait prise dans le cadre de sa campagne, dans le cadre d’un diagnostic de fond, sans aucune improvisation de circonstance. Au contraire, il l’avait prise à une époque où ce sujet de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles paraissait encore très accessoire pour certains.
Nous ne pouvons plus fermer les yeux face à l’ampleur de ce phénomène des violences sexistes et sexuelles. Et parce que cette lutte appelle la mobilisation de toutes et de tous, je voudrais saluer, ici, l’engagement du Sénat, qui s’est saisi du sujet, même si je déplore, monsieur le président de la commission des lois, votre appréciation manichéenne. J’ai été amenée à la vie politique par un sénateur, j’ai le plus profond respect pour le travail qui est mené par le Sénat, je vous demande de respecter également celui du Gouvernement.
Exclamations prolongées sur les travées du groupe Les Républicains.
Je crois utile de rappeler quelques chiffres dans la solennité de cet hémicycle : 25 % des femmes âgées de 20 à 69 ans déclarent avoir subi au moins une forme de violence dans l’espace public au cours des douze derniers mois, soit environ 5 millions de femmes victimes chaque année ; 93 000 femmes âgées de 18 à 75 ans ont déclaré avoir été victimes de viol ou de tentatives de viol en 2016 ; la moitié des viols ou des tentatives de viols déclarés par les femmes et les trois quarts de ceux qui sont déclarés par les hommes surviennent avant l’âge de dix-huit ans.
Ces violences concernent majoritairement les femmes et les filles, et sont un obstacle majeur dans la construction d’une société égalitaire. Parce que ce phénomène est massif, nous devons répondre fermement aux agresseurs.
Nous avons toutes et tous en tête les terribles affaires judiciaires impliquant de très jeunes mineures, pour lesquelles les magistrats n’ont pas retenu le crime de viol. Ces affaires ont permis de révéler certains dysfonctionnements et, en conséquence, des insuffisances dans la protection que nous devons aux victimes d’infractions sexuelles, notamment quand elles sont mineures.
Je rappelle que 40 % des femmes et deux tiers des hommes mineurs victimes de viols avaient moins de quinze ans au moment des faits. En 2017, 86, 3 % des plaintes de victimes de violences sexuelles enregistrées par la police et la gendarmerie concernaient des mineurs de moins de quinze ans. Ces chiffres sont certainement sous-évalués, en raison des difficultés spécifiques que rencontrent les jeunes victimes à dénoncer les violences sexuelles qu’elles ont subies, et ce pour des raisons multiples : la peur, l’emprise, l’intimidation, l’absence de compréhension de ce qu’il se passe, l’absence d’une personne fiable à qui parler.
Cette difficulté est d’autant plus forte que, dans 87 % des cas, les victimes connaissent les agresseurs. Dans ces conditions, la détection des violences est particulièrement difficile. C’est pourquoi il est plus que nécessaire de former les professionnels en contact avec les mineurs, en priorité à l’école, à repérer les signes de ces violences et à recueillir la parole des victimes, ce que nous faisons désormais. Les magistrats aussi doivent être formés à la compréhension des mécanismes des violences sexuelles sur les mineurs. C’est ce que nous faisons également et nous amplifions ces formations.
Nous ne pouvons pas tolérer que des faits de viols sur mineurs ne soient pas jugés comme tels. Parce que les victimes sont dans un état de fragilité extrême face à ces violences encore indicibles et invisibles, notre devoir est de les protéger. C’est un enjeu de civilisation.
Ce combat doit transcender les clivages politiques et appelle une mobilisation générale de la société. Le Gouvernement est évidemment en première ligne. Le 25 novembre dernier, journée internationale de lutte contre les violences à l’égard des femmes, le Président de la République a présenté le plan d’action du Gouvernement pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles à l’occasion du lancement de la grande cause de son quinquennat. Ces actions ont été complétées par de nouvelles mesures, annoncées par le Premier ministre, Édouard Philippe, le 8 mars, lors du comité interministériel consacré à l’égalité entre les femmes et les hommes.
Le dernier volet de ce plan d’action est la répression des auteurs de violences sexistes et sexuelles. C’est aussi l’objet du projet de loi que j’ai présenté en conseil des ministres le mercredi 21 mars, et dont deux des quatre articles rejoignent le texte présenté cet après-midi.
La proposition de loi dont nous nous apprêtons à débattre vise, je crois, ce même objectif qu’est la lutte contre les violences sexuelles faites aux mineurs. Certaines de vos propositions se rapprochent de la position du Gouvernement, d’autres s’éloignent par leurs choix rédactionnels et juridiques des options que nous avons retenues après plusieurs mois de travail et de concertation, y compris avec des parlementaires.
Comme le Gouvernement, vous souhaitez étendre de dix ans la prescription des crimes sexuels commis à l’encontre des mineurs. C’est une évolution qui correspond à la nécessité de mieux prendre en compte la difficulté des victimes à signaler les faits, notamment en raison du phénomène d’amnésie traumatique. Par ailleurs, cela donne plus de temps à la victime pour surmonter ce traumatisme, avant d’avoir la capacité d’engager une action en justice. Nous avons néanmoins souhaité aller plus loin, en étendant cet allongement du délai de prescription à l’ensemble des crimes commis sur mineurs.
Vous avez voulu, parallèlement aux travaux menés par le Gouvernement, engager également une réflexion approfondie sur une meilleure protection des mineurs de quinze ans contre le viol.
Vous le savez, et vous l’avez rappelé, nos positions divergent quant au mécanisme à privilégier pour renforcer le dispositif juridique aujourd’hui applicable.
C’est néanmoins dans un esprit apaisé, au-delà des clivages qui peuvent nous opposer, que nous devons aborder ce débat, car nous poursuivons, me semble-t-il, un objectif commun.
Enfin, votre proposition de loi soulève une question à laquelle je serai particulièrement attentive lors des débats qui vont se tenir cet après-midi, celle de l’inceste.
Le Gouvernement présentera en procédure accélérée un projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles. Il sera débattu dans les prochaines semaines et comporte quatre dispositions principales, fruit d’une très large concertation.
Les mesures que nous présentons s’inspirent en effet des travaux de nombreux experts, comme ceux de la mission de consensus sur la prescription applicable aux crimes sexuels commis sur mineurs, menée par Flavie Flament et Jacques Calmettes sous la précédente législature, de la mission pluridisciplinaire sur les infractions sexuelles à l’encontre des mineurs, installée par le Premier ministre Édouard Philippe au mois de février ou des différents rapports du Haut Conseil à l’égalité.
Elles s’inspirent également des travaux des parlementaires, notamment ceux du groupe de travail des députés sur la verbalisation du harcèlement de rue, ou du rapport rendu par le groupe de travail du Sénat.
Elles s’inspirent, enfin, des attentes exprimées par les citoyennes et citoyens que nous avons auditionnés lors du tour de France de l’égalité femmes-hommes – avec 55 000 participants recensés en métropole et dans les outre-mer, il s’agit de la plus grande concertation citoyenne jamais organisée par un gouvernement.
Deux sujets majeurs sont ressortis de ces ateliers : le harcèlement de rue, l’un des angles morts de notre droit jusqu’à aujourd’hui, et le cyberharcèlement, qui doit être sanctionné plus efficacement.
Le projet de loi comprend quatre dispositions principales.
Il vise tout d’abord à allonger de dix ans le délai de prescription applicable aux crimes commis sur mineurs, en le portant à trente ans à compter de la majorité de la victime, laquelle pourra donc porter plainte jusqu’à l’âge de quarante-huit ans. C’est une évolution nécessaire, que certains d’entre vous proposent également, mesdames, messieurs les sénateurs.
Il a également pour objet de renforcer la pénalisation des abus sexuels commis sur mineurs de quinze ans. Le texte renforce la portée symbolique de l’interdit des relations sexuelles entre un adulte et un mineur de quinze ans.
Afin d’accroître de manière effective la protection des mineurs, tout en évitant les traumatismes du débat judiciaire sur un éventuel consentement de la victime, l’évolution législative est fondée sur deux propositions complémentaires.
Il s’agit, premièrement, de mieux prendre en compte la vulnérabilité particulière des mineurs de quinze ans : grâce aux précisions apportées, il n’y aura ainsi plus d’ambiguïté sur les capacités de discernement ou le consentement du mineur à un acte sexuel, la contrainte morale ou la surprise « peuvent résulter de l’abus de l’ignorance de la victime ne disposant pas de la maturité et du discernement nécessaire pour consentir à ces actes ». Telle est notre formulation. Cette disposition sera applicable dès promulgation de la loi, y compris sur des faits antérieurs, voire très anciens. Les juges pourront s’en saisir pour toute affaire en cours et ce sera donc une mesure efficace, en aucun cas cosmétique. En outre, à aucun moment le Gouvernement n’a mis sur la table une proposition de peines automatiques.
Il s’agit, deuxièmement, de mieux sanctionner le délit d’atteinte sexuelle, qui existe déjà, en doublant les peines encourues.
Conformément à nos engagements, le projet de loi viendra aussi élargir la définition du harcèlement, moral ou sexuel, pour permettre la répression des « raids numériques » qui se développent sur les réseaux sociaux.
Enfin, la dernière disposition de ce projet de loi visera à réprimer le harcèlement dit « de rue » en créant une nouvelle infraction, « l’outrage sexiste ». Il s’agira de réprimer l’ensemble de ces comportements en envoyant un signal fort aux agresseurs.
J’ajouterai à toutes fins utiles que le budget interministériel proposé par le Gouvernement pour l’égalité femmes-hommes atteint son plus haut niveau, à 420 millions d’euros.
Le débat s’ouvre aujourd’hui dans cet hémicycle ; il se poursuivra dans les prochaines semaines, avec l’examen du projet de loi présenté par le Gouvernement, un texte équilibré dans ses propositions et ferme sur les valeurs qu’il nous appartient collectivement de défendre. Nous allons débattre cet après-midi d’un sujet éminemment grave. Les regards sont tournés vers cet hémicycle ; soyons ensemble à la hauteur de cette attente !
La parole est à M. Arnaud de Belenet, pour le groupe La République En Marche.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, ces derniers jours, un bruit courait au palais du Luxembourg : l’enjeu de la présente proposition de loi serait de recueillir l’unanimité au Sénat pour engager une véritable course contre le Gouvernement et son projet de loi plus global…
Oui, on peine à le croire !
Le groupe de travail sur les infractions sexuelles commises à l’encontre des mineurs, remarquablement présidé par Marie Mercier, a été créé en réaction à certaines décisions de justice rendues cet automne et incomprises du grand public, pour que nous soyons prêts lors de la présentation du projet de loi.
La transcription, avec une célérité inouïe, de ces travaux de qualité en une proposition de loi, puis une inscription très rapide de celle-ci à l’ordre du jour de notre assemblée seraient de nature à conforter la rumeur que j’évoquais. Où sont, mes chers collègues, la précipitation, l’improvisation, l’effet cosmétique – peut-être… –, l’instrumentalisation ou encore la polémique lorsque l’on élabore aussi rapidement une proposition de loi ? Et si la rumeur était fondée ? Ce serait accablant !
Accablants, les faits le sont également : une victime de viol sur deux l’a été lorsqu’elle était mineure ; en 2017, 14 000 agressions ou atteintes sexuelles et 8 000 viols ont été commis sur mineur.
L’ampleur des atteintes portées à l’intégrité des enfants en France aujourd’hui, la gravité des faits et l’écœurement qu’ils ont inspiré à tous les membres du groupe de travail obligent à la sobriété et à l’honnêteté intellectuelle. La lutte contre ces réalités est, me semble-t-il, le seul enjeu. En tout cas, il devrait l’être. J’irai droit au but sur le texte lui-même et son pendant, le projet de loi déposé à l’Assemblée nationale, qui couvre un champ plus large.
Les sujets de prévention, de formation, d’éducation, de qualité du recueil de la parole et, plus largement, d’accompagnement des petites victimes font consensus, tout comme l’allongement de dix ans, vingt ans à trente ans, du délai de prescription. Cette dernière mesure est un symbole, mais aussi une exigence. Elle est essentielle, car elle intègre la problématique du retour d’amnésie post-traumatique.
Certains des amendements examinés ce matin en commission posent question. La reconnaissance de l’amnésie post-traumatique comme un obstacle de fait insurmontable poserait un problème juridique insurmontable, l’imprescriptibilité également. Nous reviendrons sur ces sujets lors de la discussion des articles.
Je note que le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes est plus respectueux de la cohérence de l’échelle des prescriptions, réorganisée en février 2017, en prévoyant d’étendre l’allongement de dix ans à l’ensemble des crimes commis sur mineurs.
L’article 3 de la proposition de loi vise à instituer une présomption de contrainte lorsque l’acte « est commis par un majeur sur la personne d’un mineur incapable de discernement ou lorsqu’il existe une différence d’âge significative entre la victime mineure et l’auteur des faits ». L’honnêteté intellectuelle et le rejet de tout artifice politicien amènent à constater une convergence d’objectifs, sinon de moyens, avec le Gouvernement.
Contrairement à ce qui a pu être exprimé devant les médias, le groupe de travail n’a pas rejeté le seuil du consentement à quinze ans avec cette proposition de présomption non irréfragable, suggérée lors des auditions par un magistrat de la chambre criminelle de la Cour de cassation. Il s’agissait de contourner astucieusement les effets pervers du seuil et, pour certains membres du groupe de travail, de valider effectivement l’âge de quinze ans, en considérant également les autres articles du code pénal, notamment l’article 227–25 qui concerne les moins de quinze ans.
Contrairement à ce qui a été de nouveau affirmé ici aujourd’hui, le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes n’envisage pas de présomption irréfragable pour les viols ou atteintes sexuelles commis sur les moins de quinze ans ; il prévoit en réalité la même innovation juridique que celle qui figure dans le texte soumis à nos débats.
Reconnaissons néanmoins que la version du projet de loi, à savoir une présomption de contrainte liée, tout simplement, à un âge de moins de quinze ans, est plus aboutie et plus solide juridiquement… §On en rediscutera.
Quoi qu’il en soit, le Gouvernement n’a pas envisagé de présomption irréfragable : il suffit pour s’en convaincre de prendre la peine de relire l’avis du Conseil d’État en date du 21 mars dernier.
La meilleure prise en compte des cas d’inceste par l’article 4 est en revanche une singularité de la proposition de loi. Elle a fait l’objet de demandes répétées lors des auditions du groupe de travail et mériterait d’être intégrée au projet de loi précité.
L’aggravation des peines en cas d’atteinte sexuelle, contenue dans l’article 5, fait également consensus sur le principe, mais pas sur la durée de la peine encourue, le Gouvernement souhaitant aller plus loin – je reprends vos propres mots, madame la secrétaire d’État.
Pour conclure, je souhaiterais, une fois encore, mes chers collègues, attirer votre attention sur les mineurs handicapés : 80 % des petites filles mentalement handicapées sont victimes d’atteintes sexuelles avant leur majorité, et 90 % des mineurs autistes, filles ou garçons. Voilà qui appelle à une certaine dignité, ainsi qu’à la qualité et à l’honnêteté intellectuelle de nos débats.
MM. Didier Rambaud et Martin Lévrier, ainsi que Mme Françoise Gatel applaudissent.
Belle défense du Sénat… Nous ne sommes pas malhonnêtes intellectuellement !
La parole est à Mme Esther Benbassa, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, en 2017, 8 788 plaintes ou signalements pour viol et 14 673 pour agressions sexuelles concernant des victimes mineures ont été recensés dans notre pays.
Ces chiffres sont insupportables. Ils éveillent chez chacun de nous une émotion transcendant notre statut de femme ou d’homme politique et de législateur, plus encore quand il s’agit de violences sexuelles infligées à des mineurs.
Quand, en septembre dernier, le parquet de Pontoise a décidé de poursuivre pour « atteinte sexuelle », et non pour « viol », un homme de vingt-huit ans ayant eu une relation sexuelle avec une enfant de onze ans, quand, en novembre, la cour d’assises de Seine-et-Marne a acquitté un homme jugé pour le viol d’une fillette du même âge, au motif que la contrainte n’était pas établie, nous n’avons pu qu’entendre l’incompréhension de nos concitoyens.
C’est dans ce contexte, et dans celui de l’affaire Weinstein, puis de la libération de la parole des femmes avec les hashtags « MeToo » et « BalanceTonPorc », que notre commission des lois a créé un groupe de travail pluraliste sur les infractions sexuelles commises à l’encontre des mineurs.
Je suis heureuse d’y avoir participé et je salue le travail de sa rapporteur, Marie Mercier, qui a eu à cœur d’envisager la question sous divers angles, notamment ceux, souvent oubliés, de la prévention, de l’accompagnement des victimes et des moyens de la justice. La proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui est la traduction législative des préconisations issues de ce travail.
Pour avoir depuis un moment travaillé sur la question des violences sexuelles, j’admets aisément la tentation, humaine, d’apporter en ces matières une réponse rapide, ferme – et législative. J’ai pourtant écouté attentivement, lors des auditions et des visites de terrain, professionnels du droit, magistrats, avocats, policiers.
Dans leur grande majorité, ils ne demandent ni un allongement des délais de prescription ni un alourdissement des peines, mais des moyens : pour se former au recueil de la parole d’un enfant, la plus difficile à entendre, pour mener plus rapidement et plus efficacement les enquêtes, pour que la justice soit rendue dans des délais raisonnables.
En 2015, une procédure pour viol durait plus de six ans et demi en moyenne, plus de deux ans pour les agressions sexuelles. Un délai intolérable pour les victimes, qui osent parler malgré le regard des autres et malgré celui que l’on porte, dans ces cas, sur soi-même.
Nous examinons aujourd’hui la proposition de loi de nos collègues Marie Mercier et Philippe Bas, mais nous débattrons dans quelques mois du projet de loi porté par Mmes Belloubet et Schiappa. Pourquoi ce doublet ? On peut se poser la question.
Pendant ce temps, notre justice reste exsangue et rien n’est dit des moyens à lui allouer pour mettre fin à la légèreté relative avec laquelle on a traité jusqu’à récemment ce genre d’affaires.
Par ailleurs, nous abordons ici le seul volet de la réponse pénale. Or, pour 25 000 infractions sexuelles dénoncées, combien ne le sont pas ? Combien d’enfants ne disent rien de ce qu’ils ont subi, le plus souvent dans le cercle familial ? Notre devoir est de les aider, mais, à mon sens, la fabrique de la loi n’y suffira pas à elle seule. La lutte contre les violences sexuelles sur les mineurs est avant tout un combat sociétal et c’est toute la société qui doit être en mesure de l’appréhender dans sa globalité et sa complexité. Comment repérer ? Comment prévenir ?
Cet immense chantier nous impose de rompre avec nos préjugés, comme avec la facilité. Il engage nos représentations communes sur les rapports de genre, le consentement, l’attitude face aux « secrets de famille ».
Il exige des dispositifs audacieux et efficaces de suivi à l’école, au travail, dans les services médicaux et sociaux, puis dans les commissariats ou les gendarmeries et devant la justice. Sans ajouter des lois aux lois, ne pouvions-nous pas plus sagement compléter, affiner, expliciter les textes déjà existants ? Nous pourrions peut-être y réfléchir.
N’oublions pas enfin la lutte contre la récidive, la nécessité de soigner les violeurs identifiés et condamnés, pendant leur détention, mais aussi après. Ne négligeons pas la proportion d’agressions commises sur les mineurs par d’autres mineurs, qu’il est aussi de notre devoir d’encadrer et de soigner.
Sans ces perspectives de longue durée, l’alourdissement des peines, dans un contexte de surpopulation carcérale, ne résoudra pas tout, loin de là. Nos concitoyens, mineurs et majeurs, atteints dans leur corps et dans leur être même, attendent autre chose et plus de nous : un engagement sans concession, à tous les niveaux, pour s’attaquer aux violences sexuelles.
Le groupe CRCE s’abstiendra sur ce texte.
Mmes Laurence Cohen, Marie-Pierre de la Gontrie et Michelle Meunier applaudissent.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour le groupe Union Centriste.
Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, en 2017, deux affaires judiciaires concernant les infractions sexuelles sur mineurs ont connu un large écho médiatique et soulevé beaucoup d’indignation.
Cette indignation révèle à la fois que notre société considère que ces actes sont intolérables et qu’une réponse pénale automatique, tel un couperet, suffirait à éradiquer l’innommable.
Il nous faut affirmer ici que le législateur ne peut se contenter de solutions symboliques et trop hâtives qui apaiseraient faussement l’opinion publique.
Disons-le avec force, notre société doit protéger ses enfants, tous ses enfants.
Cependant, à côté des réalités sordides découvertes au cours du long travail qui a précédé cette proposition de loi, il convient aussi d’évoquer l’affaire d’Outreau, terrifiante pour les enfants victimes, mais aussi tragique pour les personnes accusées à tort.
Les atteintes sexuelles doivent être révélées, sanctionnées, réparées, mais le danger guette quand l’opinion s’érige en tribunal, si compréhensible soit l’émotion suscitée par de tels actes.
Depuis 1980, la France s’est dotée d’un large arsenal pénal en matière d’infractions sexuelles sur les mineurs. Aujourd’hui, deux questions cristallisent les débats.
Celle du principe de non-consentement des mineurs en fonction d’un seuil d’âge, qui comporte plusieurs écueils.
Tout d’abord, il est difficile de définir un âge pertinent : faut-il le fixer à treize ans, à quinze ans ?
Ensuite, l’automaticité dans l’application de la loi pénale ne permettrait pas de prendre en compte la diversité des situations.
Enfin, des difficultés tiennent aux effets de seuil. Pourquoi un mineur de quinze ans et un mois devrait-il être moins protégé qu’un mineur âgé de quatorze ans et neuf mois ? Si un acte de nature sexuelle entre un majeur de dix-huit ans et un mineur de quatorze ans constitue une infraction, doit-il pour autant être qualifié de crime ?
Quant au seuil de treize ans, il introduirait une « zone grise » entre treize et quinze ans, puisque les mineurs de moins de quinze ans bénéficient déjà d’une protection spécifique dans notre droit.
En réalité, on le voit, cette solution qui semble séduisante n’est pas la plus pertinente en termes de protection de l’enfant.
Ainsi, le texte que nous examinons aujourd’hui prévoit d’instituer une présomption de contrainte simple pour qualifier de viol une relation sexuelle entre un majeur et un mineur dans deux hypothèses : l’existence d’une différence d’âge entre l’auteur majeur et le mineur, l’incapacité de discernement du mineur.
Cette présomption permettrait de protéger tous les mineurs, quel que soit leur âge.
Elle permettrait de faciliter la répression des infractions sexuelles dont sont victimes les mineurs, de respecter la cohérence du droit pénal et d’assurer une conformité à la Constitution, ce que le Conseil d’État a rappelé très récemment.
Un second point fait débat : la prescription de l’action publique.
Dans les cas d’agressions sexuelles sur mineurs, les victimes se sentent coupables, hantées et enfermées par les pressions, y compris familiales, le chantage affectif ou les menaces, qui provoquent très souvent une amnésie traumatique. Celle-ci consiste à enfouir au plus profond de la mémoire le souvenir de ces agressions pour organiser sa survie.
Pour autant, la prescription doit être fixée de manière responsable et raisonnée, car l’allongement des délais mis en œuvre depuis 1989 ne s’est pas traduit par une hausse des condamnations.
Il faut aussi tenir un discours de vérité aux victimes sur le risque d’acquittement ou de non-lieu dû à l’incapacité de préserver les preuves et à la difficulté d’identifier l’agresseur, compte tenu du temps écoulé entre l’acte et la date à laquelle la justice s’en saisit.
C’est pourquoi le prolongement à trente ans de la prescription prenant effet à compter de la majorité de la victime me paraît une juste réponse.
Toutefois, l’enjeu de la protection des mineurs ne relève pas uniquement de la répression pénale.
Parce que ces délits ne doivent pas rester impunis, il faut adapter l’organisation de la justice et renforcer ses moyens.
Il faut mettre un terme à l’asphyxie de la justice qui, en raison de l’engorgement des cours d’assises, peut conduire à requalifier en atteinte sexuelle un viol.
Ce texte insiste sur la prévention, l’éducation et l’accompagnement des victimes.
Pour que la parole puisse se libérer, il faut conduire des actions de communication et de sensibilisation, de formation de tous les acteurs, les enquêteurs, les avocats, les magistrats et tous les professionnels au contact des enfants.
Je veux d’ailleurs saluer le travail remarquable de notre rapporteur, Marie Mercier. Elle a traité ce sujet complexe et difficile dans toutes ses dimensions, en proposant des réponses qui n’enferment pas le mineur dans un statut de victime, mais qui visent aussi à l’accompagner pour lui permettre de se reconstruire.
Au-delà de l’évolution législative, c’est la société tout entière et ses institutions qui doivent se mobiliser pour mettre fin à ces violences invisibles et indicibles qui abîment à jamais des enfants et leurs familles, et en faire une cause nationale.
Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour le groupe socialiste et républicain.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, chère Marie Mercier, mesdames, messieurs les membres du groupe de travail de la commission des lois sur la répression des atteintes sexuelles sur mineurs, mes chers collègues, protéger les enfants, toujours : c’est ce que les gouvernements ont fait depuis quarante ans au travers des législations successives.
Sur ces sujets, chacun travaille en oubliant ses orientations politiques et ses éventuelles divergences afin de trouver les meilleures solutions pour protéger les mineurs.
Je rappelle ces évidences, car je ne voudrais pas qu’un enthousiasme excessif laisse penser que le gouvernement actuel est le seul à se préoccuper de ce sujet.
Je rappellerai la loi de 2007, portée à l’époque par Philippe Bas, la loi relative à la protection de l’enfance de 2016, issue d’une proposition de loi de notre collègue Michelle Meunier, et bien d’autres textes encore.
La législation est aujourd’hui extraordinairement complexe, peu lisible, et elle nécessiterait parfois d’être complétée.
Deux affaires judiciaires ont récemment mis un coup de projecteur sur ces difficultés et suscité, à juste titre, l’émotion de l’opinion. C’est à la suite d’un amendement présenté à ce sujet par Patrick Kanner que nous avons décidé, sur proposition de Philippe Bas, de créer un groupe de travail au sein de la commission des lois. Ses membres ont cheminé avec leurs idées, mais en se gardant de toute certitude a priori. Y en a-t-il d’ailleurs en la matière ? Comme vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d’État, le Président de la République semblait lui savoir dès le 25 novembre qu’il fallait fixer à quinze ans l’âge en dessous duquel il est interdit d’avoir des relations sexuelles avec un mineur lorsqu’on est majeur. Bravo ! Sans doute est-il beaucoup plus rapide que nous tous…
Sourires.
Nous avons pratiqué la coconstruction, une méthode à laquelle le Gouvernement se flatte également de recourir. Madame la secrétaire d’État, dans votre intervention, il semblerait que vous ayez surtout voulu présenter votre projet de loi, plutôt que de donner votre opinion sur notre proposition de loi.
Je vous indique donc que, dans ce texte et les 34 propositions qui y sont annexées, nous avons voulu dessiner une stratégie globale. Nommer, identifier, parler, punir, accompagner : tous ces volets sont nécessaires si l’on veut protéger les enfants. Le texte du Gouvernement, lui, comporte des lacunes sur certains points, mais nous aurons l’occasion d’y revenir devant le Parlement.
Cette stratégie globale qu’il nous faut adopter repose sur l’éducation à la sexualité, la formation des professionnels, la certitude pour les plaignantes de voir leurs plaintes enregistrées, l’explication des décisions judiciaires aux victimes et la reconnaissance du droit aux victimes d’être toujours entendues.
Deux questions ont plus particulièrement focalisé l’attention : la prescription et le seuil d’âge.
Le groupe socialiste estime nécessaire d’allonger la prescription, non seulement pour les crimes, mais aussi pour les délits – le Gouvernement n’a, semble-t-il, pas souhaité le faire dans le projet de loi. Il est à noter que la durée de la prescription est déjà exceptionnelle, puisqu’elle ne commence à courir qu’à compter de la majorité de la victime.
Ensuite, comment peut-on mieux protéger pour éviter que les affaires de Pontoise et de Melun ne se reproduisent ? Nous avons imaginé une innovation juridique permettant de protéger davantage tous les mineurs de moins de dix-huit ans, à savoir une présomption de contrainte pour toute relation sexuelle entre un majeur et un mineur, en tenant compte de la différence d’âge et de la possibilité pour le mineur de manquer de discernement. Cette infraction composite nous semble en mesure d’assurer une meilleure protection.
Le groupe socialiste a toutefois souhaité déposer un amendement complémentaire visant à renforcer encore cette protection. Nous proposons de créer une infraction de viol lorsqu’un majeur a une relation sexuelle avec un mineur de treize ans. Sur ce point, nous n’avons pas encore réussi à convaincre totalement la majorité sénatoriale au sein de la commission des lois. Et j’ai cru comprendre que le Gouvernement avait reculé, ce qui est une erreur. Nous y reviendrons tout à l’heure.
Vous l’avez compris, mes chers collègues, pour le groupe socialiste, cette proposition de loi marque des avancées fortes. Nous nous prononcerons en fonction du sort réservé à notre amendement, mais, en tout état de cause, elle témoigne d’un travail parlementaire de qualité.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.
La parole est à M. Dany Wattebled, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission de lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, la France dispose d’une législation abondante et régulièrement complétée en matière de prévention et de lutte contre les violences sexuelles commises à l’encontre des mineurs.
Pourtant, l’inhumain continue à se produire. Des mineurs demeurent encore victimes, en trop grand nombre, d’infractions sexuelles, ou, plus largement, de violences à caractère sexuel.
La proposition de loi d’orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles est la traduction législative des travaux du groupe de travail pluraliste, mis en place par la commission des lois en octobre 2017. Il avait pour but d’établir un état des lieux partagé et de mener une réflexion sereine et approfondie, dans un contexte marqué par plusieurs affaires judiciaires ayant eu un fort retentissement dans les médias et au sein de la société.
Ainsi, durant près de quatre mois, le groupe de travail a procédé à un grand nombre d’auditions, organisé de nombreux déplacements et ouvert un espace participatif sur le site internet du Sénat, qui lui a permis de recueillir plus de 400 contributions, afin d’entendre tous les points de vue.
Dans le rapport rendu public en février 2018, notre collègue Marie Mercier, rapporteur du groupe de travail, a souligné la nécessité de définir et de mettre en œuvre une stratégie globale qui prenne en compte toutes les dimensions de la lutte contre les violences sexuelles, et qui repose sur quatre piliers : prévenir les violences sexuelles à l’encontre des mineurs ; favoriser l’expression et la prise en compte de la parole des victimes le plus tôt possible ; améliorer la répression pénale des infractions sexuelles commises à l’encontre des mineurs ; disjoindre la prise en charge des victimes d’infractions sexuelles du procès pénal.
La proposition de loi, qui est issue de ces travaux, prévoit, notamment, d’allonger le délai de prescription de l’action publique pour les crimes et délits commis à l’encontre des mineurs et d’instituer une présomption de contrainte pour qualifier de viol une relation sexuelle entre un majeur et un mineur dans deux hypothèses : l’incapacité de discernement du mineur ou l’existence d’une différence d’âge significative entre l’auteur majeur et le mineur.
Elle prévoit en outre d’étendre la surqualification pénale de l’inceste aux viols et agressions sexuelles commis à l’encontre de majeurs, et, bien sûr, d’aggraver les peines encourues pour le délit d’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans.
Enfin, elle prévoit d’affirmer le caractère continu de l’infraction de non-dénonciation des agressions et atteintes sexuelles commises à l’encontre des mineurs afin de reporter le point de départ du délai de prescription au jour où la situation illicite prend fin.
Je voudrais faire part à cette tribune d’un regret, que j’ai déjà évoqué en commission : le fait que la notion d’imprescriptibilité n’ait pas été retenue.
En effet, parmi les mesures destinées à améliorer la répression pénale des infractions sexuelles commises à l’encontre des mineurs figure l’allongement du délai de prescription, qui passerait de vingt ans à trente ans en matière criminelle et de dix ans à vingt ans en matière délictuelle.
Or, pour les victimes concernées, la libération de la parole peut se faire à tout âge. On a ainsi eu à connaître du cas d’un footballeur anglais qui a dénoncé, à l’âge de cinquante-huit ans, des faits dont il a été victime lorsqu’il était adolescent.
La justice estime que les tribunaux vont être engorgés et que les preuves viendront à manquer. Mais c’est déjà le cas lorsque les faits sont dénoncés après vingt ans.
L’imprescriptibilité permettrait, à mon sens, que la parole des victimes soit libérée.
Par ailleurs, seuls les crimes contre l’humanité sont actuellement imprescriptibles. Or toucher à l’innocence d’un enfant, n’est-ce pas porter atteinte à l’humanité tout entière ?
Une piste très intéressante à ce sujet a toutefois été avancée en commission des lois, et je remercie notre collègue François-Noël Buffet de sa proposition d’amendement. Le 7 novembre 2014, une décision en assemblée plénière de la Cour de cassation a reconnu le principe de la possibilité de suspendre la prescription en cas d’obstacle insurmontable. Il serait pertinent – j’y suis très favorable – que le juge considère l’amnésie post-traumatique comme un élément qui puisse suspendre le délai de prescription.
Enfin, je voudrais aborder l’aspect juridique novateur qu’est la présomption de contrainte : cette solution apparaît bien plus satisfaisante que l’instauration d’une présomption irréfragable fondée sur un seuil d’âge qui porterait atteinte à la présomption d’innocence. Nous avons inversé la charge de la preuve, ce qui est primordial pour les victimes, et je m’en réjouis.
Avant de conclure, je veux rendre hommage ici, à cette tribune, à notre rapporteur, Marie Mercier, ainsi qu’aux membres du groupe de travail, pour la qualité de leurs travaux et, surtout, pour leur engagement moral.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le degré d’une civilisation se mesure à sa propension à protéger les plus vulnérables. En l’occurrence, cette proposition de loi apporte de véritables réponses. Aussi, le groupe Les Indépendants votera sans réserve en faveur de ce texte.
Applaudissements au banc des commissions.
La parole est à Mme Maryse Carrère, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, la protection de l’enfance est aujourd’hui l’un des sujets les plus consensuels qui soient, et nous ne pouvons que nous réjouir, car il n’en a pas toujours été ainsi.
La constitution d’un socle des droits de l’enfant est une création relativement récente, si on la compare aux différentes déclarations des droits de l’homme, qui ont été proclamées dès le XVIIIe siècle. Pour certains grands penseurs des systèmes démocratiques modernes, la réflexion sur la minorité s’inscrivait dans la recherche d’émancipation du citoyen. Je pense notamment au traité de Rousseau, Émile ou De l ’ éducation. Dans le droit, cependant, la création de régimes protecteurs pour les mineurs sera plus progressive.
Pour la première fois, le code pénal de 1810 a établi à seize ans l’âge de la minorité pénale, qui permet aux enfants de bénéficier d’une excuse atténuante de minorité. Sur le plan économique et social, on peut considérer que c’est la généralisation de la scolarisation qui a sorti les enfants du monde du travail, en même temps que se multipliaient les propositions législatives relatives à la protection des mineurs au sein de l’industrie. Je pense notamment aux propositions du programme du parti radical au congrès de Nancy de 1907. Dans certains cas, l’école a également contribué à protéger l’enfant du huis clos familial.
L’existence de droits spécifiques aux enfants a été consacrée bien plus tardivement, par la convention internationale de 1989. Elle prévoit notamment dans son article 19 : « Les États parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié. » Ces dispositions renvoient directement à nos débats actuels.
Depuis quelques décennies, en effet, le sujet de la protection de mineurs s’est déplacé vers la question de la violence sexuelle, qu’elle soit le fait d’individus étrangers ou de membres de la sphère familiale. Il n’est pas neutre de noter que les recherches sur ce phénomène n’ont débuté que très récemment, dans les années 2000. Une enquête de l’INED – Institut national d’études démographiques – de 2015 montre qu’au cours de leur vie 5 % des femmes et un peu moins de 1 % des hommes de vingt ans à soixante-neuf ans ont été victimes de viol ou tentative de viol ou d’attouchements dans le cadre familial ou de l’entourage proche. Cette proposition de loi, issue des réflexions du groupe de travail constitué dans les circonstances qui ont été rappelées, répond totalement au besoin de légiférer. C’est pourquoi j’ai choisi de la cosigner.
Au-delà de la grande détresse des victimes de telles infractions, qui laisse un souvenir glaçant, je voudrais saluer le travail de l’ensemble des professionnels que nous avons entendus, et qui les accompagnent dans leur travail de reconstruction : les forces de l’ordre, les agents du ministère de la justice et les associations.
Je voudrais également remercier chaleureusement notre rapporteur, Marie Mercier, de son plein engagement, parfois éprouvant, ainsi que l’ensemble des membres du groupe de travail des efforts fournis, une centaine d’auditions ayant été conduites. J’espère sincèrement que ces travaux nourriront les réflexions du Gouvernement et de l’Assemblée nationale au moment de l’examen du projet de loi contre les violences sexuelles et sexistes.
À l’issue de longues réflexions, nous sommes parvenus à établir un texte équilibré, respectueux non seulement des attentes des victimes, mais également, je le crois, de nos institutions juridiques. S’il est certain que ce sujet spécifique des infractions sexuelles commises sur des mineurs nous bouleverse tous, nous ne devons cependant par perdre de vue le besoin de cohérence des solutions que nous proposons dans l’architecture pénale qui est la nôtre.
L’allongement du délai de prescription et la fixation d’un âge légal de consentement ne sont pas des sujets anodins : dans un cas, on prend le risque de bouleverser l’échelle des peines auxquelles les délais de prescriptions sont attachés ; dans l’autre, on restreint la marge d’appréciation du magistrat et sa faculté à juger au cas par cas de la maturité d’un enfant et de son aptitude à formuler son consentement.
Il est vrai que la prescription en matière pénale vient de faire l’objet d’une remise à plat globale dans une loi adoptée voilà un an. Lors des débats, le Sénat s’était montré défavorable à la proposition de porter le délai de prescription de vingt ans à trente ans pour des raisons de dépérissement de preuve évidentes. Pour autant, comme les personnes auditionnées l’ont souligné, le dépérissement des preuves est déjà effectif vingt ans après une agression de ce type. Notre réflexion doit donc s’enrichir d’autres éléments que sont l’aspect thérapeutique du recours au juge, ou encore l’aspect symbolique, et ne pas s’en tenir à cet argument factuel indéniable. En matière d’inceste et de violence sexuelle, on peut envisager que le procès se rapproche du processus – ils partagent d’ailleurs une étymologie commune –, à savoir un processus cathartique pour les victimes et la société.
Cet aspect symbolique a par exemple justifié l’inscription du mot « inceste » dans le code pénal, alors que le droit prévoyait déjà un caractère aggravant lorsque l’agresseur était en position d’ascendance sur la victime. Je pense aujourd’hui que le symbole que représente le fait de porter de vingt ans à trente ans la prescription dans ces affaires est un électrochoc nécessaire pour améliorer la protection sexuelle des mineurs. Cet objectif doit innerver l’ensemble de nos politiques publiques en lien avec la jeunesse.
Concernant la fixation d’un âge légal en dessous duquel l’absence de consentement serait présumée, nos auditions m’ont convaincue de la pertinence de la solution alternative proposée à l’article 3, qui offre une protection satisfaisante aux mineurs, en fonction de leur maturité respective.
La lutte contre les infractions sexuelles sur les mineurs ne se limite évidemment pas au volet pénal. De nombreuses dispositions sont à prendre au plan réglementaire et budgétaire, de façon uniforme sur l’ensemble du territoire. C’est d’ailleurs le sens de l’article 1er de la proposition de loi. Alors qu’il est de plus en plus question de la traite sexuelle imposée à certains mineurs isolés étrangers, je voudrais aussi rappeler le rôle clé joué par les départements dans leur mission d’aide sociale à l’enfance. Il est clair qu’un plus grand soutien financier de l’État permettrait une assistance plus égalitaire sur notre territoire.
S’agissant de cette proposition de loi, chaque membre du groupe du RDSE votera avec sa sensibilité particulière sur les questions abordées dans ce texte.
Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur quelques travées du groupe Union Centriste – Mme la rapporteur et M. Jean-Pierre Sueur applaudissent également.
M. le président. La parole est à Mme Chantal Deseyne, pour le groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, en 2016, 21 000 cas d’enfants victimes de violences sexuelles ont été recensés par les services de sécurité. Les enfants représentent 56 % des victimes d’infractions sexuelles. Parmi eux, 16 000 sont âgés de moins de quinze ans, et 79 % sont des petites filles.
En 2017, 8 788 plaintes ou signalements pour des faits de viol concernant des victimes mineures ont été enregistrés par les services de police ou de gendarmerie.
Ces chiffres, déjà considérables, sont pourtant en deçà de la réalité, étant donné qu’ils ne comptabilisent que les actes ayant fait l’objet d’une plainte auprès des services de police et de gendarmerie. Les associations estiment, quant à elles, que 20 % d’une classe d’âge ont été victimes d’atteintes sexuelles. Deux affaires récentes, très médiatisées, ont relancé le débat sur le consentement des mineurs à un acte sexuel. Ces données interrogent la société tout entière.
La commission des lois, en concertation avec la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, dont je suis membre, s’est emparée de cette douloureuse question.
Les auteurs de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui portent une haute ambition : une meilleure protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles.
Le groupe de travail a souhaité évaluer le cadre législatif, l’organisation et les moyens de notre politique de lutte contre les infractions sexuelles commises à l’encontre des mineurs. Ses travaux ont abouti à un rapport dont la richesse révèle la complexité du sujet.
Il faut s’attacher à une évolution durable des mentalités. Nous disposons à cet égard d’éléments objectifs pour convaincre : des statistiques, des témoignages du martyre de ces enfants, des enseignements cliniques qui démontrent les ravages de ces traumatismes.
La première partie du rapport renvoie à un ensemble de dispositions qui relèvent du domaine réglementaire. Madame la secrétaire d’État, j’en appelle à votre autorité pour que ces mesures, approuvées par l’article 1er de cette proposition de loi, soient mises en œuvre rapidement. Le recensement des violences sexuelles subies par les mineurs doit être amélioré afin que soit mesurée l’ampleur du mal. Les parents, les hébergeurs de contenu sur internet doivent être sensibilisés aux conséquences de l’accès à la pornographie pour les mineurs. L’obligation d’éducation à la sexualité doit être garantie sur tout le territoire.
L’amélioration de la protection des mineurs passe aussi par des évolutions législatives en matière pénale.
Ce texte prévoit ainsi d’allonger le délai de prescription pour les crimes et délits d’agressions sexuelles commises à l’encontre des mineurs.
Pour un mineur, il est parfois compliqué de comprendre la gravité des violences sexuelles subies. Le parcours psychique des victimes peut être long et comprend des phases de déni appelées amnésie post-traumatique. Ce phénomène d’amnésie traumatique peut durer parfois jusqu’à plusieurs années et faire obstacle à la dénonciation des faits. L’allongement du délai de prescription prévu par cette proposition de loi est une manière de prendre en compte le phénomène d’amnésie traumatique.
Pour caractériser un viol, les auteurs de cette proposition de loi ont opté pour une présomption de contrainte applicable aux relations sexuelles entre un majeur et un mineur, fondée soit sur l’absence de discernement du mineur, soit sur l’existence d’une différence d’âge significative entre le mineur et le majeur. La présomption de contrainte permet ainsi de protéger l’ensemble des mineurs, quel que soit leur âge.
Les viols commis sur les mineurs sont rarement commis avec violence au sens du code pénal, c’est-à-dire avec des violences physiques cherchant à imposer un acte sexuel – c’est 9 % des faits déclarés.
La plupart du temps, ces actes résultent d’une contrainte ou d’une menace exercée à l’égard de la victime ou d’un stratagème profitant de la difficulté de la victime à appréhender la situation.
Ce texte prend en compte ces phénomènes d’emprise et de manipulation sur les mineurs.
L’instauration d’une présomption de non-consentement en deçà de l’âge de quinze ans a été évoquée par le Gouvernement. Je pense qu’il faut rester prudent sur toute disposition qui introduirait une automaticité dans l’application de la loi pénale.
Pour conclure, je souhaite insister sur le caractère particulièrement ignoble des infractions sexuelles commises à l’encontre des mineurs. Elles ont une place à part tant elles ravagent durablement leurs victimes. Elles méritent une réponse à la hauteur, telle que contenue dans cette proposition de loi.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes.
Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise émane du groupe de travail que la commission des lois a constitué en octobre dernier, sur l’initiative de notre collègue Marie Mercier.
L’émotion était alors à son comble dans une actualité judiciaire troublante : saisi d’une plainte pour viol déposée par les parents d’une petite fille de onze ans, le parquet de Pontoise avait requalifié les faits en atteinte sexuelle sur mineure, estimant que, face à son agresseur de vingt-huit ans, la victime ne répondait à aucun des critères du viol, car elle n’avait été ni contrainte, ni menacée, ni surprise.
La qualité du travail effectué par la commission des lois doit être soulignée.
Dans un contexte marqué par la libération de la parole des femmes victimes de violences, la délégation aux droits des femmes a pour sa part décidé de faire de ces violences le fil conducteur de son programme de travail pour la session actuelle, notre objectif étant de préparer dans les meilleures conditions l’examen du projet de loi annoncé par le Gouvernement puis déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 21 mars dernier.
Ce projet de loi intègre les violences faites aux femmes dans une perspective globale. La délégation n’a donc pas souhaité s’inscrire dans le présent débat, laissant à ses membres toute latitude pour se positionner, à titre individuel, face au contenu de la proposition de loi qui nous est soumise.
Sans anticiper sur nos conclusions à venir, je crois pouvoir dire que nous rejoindrons les auteurs de la proposition de loi sur deux dispositions : l’allongement de la prescription des crimes sexuels commis sur mineurs à trente ans ; l’aggravation des peines encourues pour le délit d’atteinte sexuelle.
En revanche, je ne suis pas persuadée que nos points de vue puissent converger s’agissant de l’article 3 de la proposition de loi.
Nos collègues ont fait le choix de compléter la définition du viol en y intégrant deux critères pouvant qualifier la contrainte morale : l’existence d’une différence d’âge significative entre victime et agresseur ou l’incapacité de discernement du mineur.
Instruite par le précédent de l’affaire de Pontoise, notre délégation a, au contraire, été convaincue, il me semble, par la nécessité d’éviter de laisser trop de prise à la subjectivité du magistrat dans la caractérisation de la contrainte. Or la proposition de loi aurait pour effet de laisser une grande latitude au juge pour apprécier la différence d’âge et la capacité de discernement de la victime.
Nous avons donc souhaité travailler dans la logique d’un âge minimal en deçà duquel la contrainte serait caractérisée.
Nous sommes conscients, également, des réserves exprimées par les experts en ce qui concerne la présomption irréfragable en matière criminelle.
Faut-il fixer ce seuil à quinze ans ou à treize ans ?
Nous aurons l’occasion d’en débattre lors de l’examen du texte du Gouvernement, mais notre délégation est convaincue qu’il n’est pas de notre rôle, en tant que législateur, de juger s’il est bien ou mal d’avoir des relations sexuelles en dessous d’un certain âge.
Notre seul souci est de protéger les mineurs qui seraient victimes de rapports non consentis avec des adultes, mais nous admettons qu’il puisse y avoir des relations consenties et épanouies entre adolescents, ou entre adolescents et jeunes adultes.
Il me semble que les vraies questions à nous poser sont les suivantes : quelle société voulons-nous pour nos enfants et, surtout, quelles relations entre hommes et femmes ? Comment pouvons-nous avancer ensemble pour lutter contre les violences ?
Pour l’heure, je remercie nos collègues d’avoir contribué à ce débat avec des propositions dans lesquelles on reconnaît la qualité des travaux de la commission des lois.
Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et républicain. – Mme la rapporteur applaudit également.
La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour le groupe socialiste et républicain.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la président de la délégation aux droits des femmes, madame la rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi – car c’est bien la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui et non le projet de loi du Gouvernement, mais nous y viendrons, je l’espère – procède du groupe de travail mis en place par la commission des lois, en association avec la délégation aux droits des femmes.
Ce groupe de travail a d’abord procédé à un diagnostic sérieux, un état des lieux non seulement du doit positif, de ses failles, mais aussi de l’ensemble des acteurs de la protection de l’enfance et de la prévention des violences sexuelles sur mineurs.
Vous faisiez référence voilà quelques instants, madame la secrétaire d’État, à la mission de consensus « Flavie Flament-Jacques Calmettes ». D’un certain point de vue, le groupe de travail du Sénat a agi de la même façon, en privilégiant la pluridisciplinarité et l’échange de tous ceux qui sont impliqués dans la prévention et la réparation des violences sexuelles sur les mineurs.
Le Sénat a proposé quatre textes, soit quatre propositions de loi qui ont été déposées depuis quelques mois par des sénateurs : une émane de notre collègue Laurence Cohen, et porte sur le seuil d’âge ; une autre, de notre collègue Alain Houpert ; une autre encore, de moi-même ; enfin, la quatrième, qui est aujourd’hui rapportée par Marie Mercier, vient du président Bas.
Madame la secrétaire d’État, je suis frustrée et désappointée que ce travail important réalisé par le Sénat n’ait pas semblé rencontrer davantage d’intérêt et d’écho de la part du Gouvernement. §Aucun de mes collègues n’a été sollicité pour un échange ou une rencontre ; il n’y a que moi, en tant qu’ancienne ministre, qui y ait eu droit. C’est d’autant plus regrettable que vous avez repris dans votre projet de loi, d’un certain point de vue, l’esprit du présent texte sur la question de la présomption et de l’élargissement de l’atteinte.
Vous savez, madame la secrétaire d’État, le Sénat n’est pas seulement une encombrante contrainte du bicamérisme. C’est aussi une belle maison
Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.
… dans laquelle résonnent encore les noms de Lucien Neuwirth, Henri Caillavet ou Robert Badinter, qui se sont illustrés par leur humanisme et leur sens du progrès.
En ce qui concerne le texte que nous examinons aujourd’hui, je veux préciser une chose fondamentale : c’est une proposition de loi d’orientation et de programmation. Cela signifie que nous n’avons pas simplement une approche pénale des violences sexuelles sur mineurs, mais que nous avons également une approche éducative et pluridisciplinaire. Nous devons mobiliser aussi bien la santé, la police, la justice, les travailleurs sociaux, l’éducation nationale que les familles, de sorte que l’invisibilité, qui, trop souvent encore, plombe les violences sexuelles sur les mineurs, prenne fin, et que les enfants puissent enfin dire ce qu’ils vivent, ce qu’ils ne font pas assez.
Les droits de l’enfant sont déterminants. Lorsque les associations vont dans les écoles pour expliquer la convention des droits de l’enfant, il y a toujours un enfant pour questionner les intervenants : « Alors, on n’a donc pas le droit de me faire ça à la maison ? »
Ces droits permettent aux enfants de prendre conscience de l’intégrité de leur corps, qui est la clef de la prévention des violences sexuelles contre les mineurs.
Une loi d’orientation et de programmation est nécessaire dans le prolongement, pardonnez-moi cette référence, du plan interministériel contre les violences faites aux mineurs, qui doit mobiliser l’ensemble des ministères et des services de l’État.
Deux sujets sont importants.
Tout d’abord, la prescription. Les auteurs de la proposition de loi ont fait le choix de l’allonger de dix ans, ce qui était préconisé tant par le rapport Flament-Calmettes que par l’ensemble des acteurs de la société. C’est une bonne chose, car cela permettra aux victimes un meilleur accueil dans les services de justice.
Ensuite, la présomption. Le texte vise à bâtir un système qui permet d’étendre la présomption de contrainte, l’étendant même jusqu’à dix-huit ans. C’est important. Nous avons beaucoup discuté de ce choix, mais, selon moi, à quinze ans et demi, on n’est pas forcément beaucoup plus dégourdi qu’à quatorze ans et demi, du moins pas toutes, pas tous. Les enfants doivent encore bénéficier dans les relations sexuelles majeurs-mineurs d’une protection, dès lors qu’il s’agit d’une présomption simple à laquelle peut se soustraire l’auteur en apportant la preuve contraire.
Nous soutenons cette présomption jusqu’à dix-huit ans. Je la trouve pour ma part efficace. Pardonnez-moi, madame la secrétaire d’État, mais je la trouve peut-être plus précise que celle que vous avez retenue dans le projet de loi, parce qu’elle retient deux critères : l’écart d’âge ou le discernement. Cela veut dire que l’écart d’âge, en lui-même, suffit à enclencher la présomption de contrainte, et qu’il n’a pas besoin d’être conforté par une discussion sur le discernement.
Enfin, pardonnez-moi également, madame la rapporteur, mais il manque dans ce texte ce qui, pour mon groupe, est essentiel. Selon nous, il ne devrait plus être possible de discuter dans les tribunaux pour savoir si un enfant de douze ans était ou non consentant pour une relation sexuelle avec un majeur. Nous devrions y arriver en posant clairement dans la loi que toute relation sexuelle avec un mineur de moins de treize ans est un viol, sans qu’il soit besoin de démontrer contrainte, violence, menace ou surprise.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains. – Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes applaudit également.
Dès lors, car il s’agit là encore de pédagogie, mais aussi de droit pénal, …
Mme Laurence Rossignol. … il est indispensable que, dans notre société, on sache qu’il n’y a pas de relation sexuelle acceptable, possible ou discutable entre un majeur et un enfant de douze ans.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Nathalie Delattre et M. Franck Menonville applaudissent également.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte présenté aujourd’hui est le fruit d’un travail approfondi de la commission des lois pour protéger les mineurs victimes d’infractions sexuelles. Je veux saluer ce travail essentiel, qui porte sur un sujet de société grave qu’il convient de prévenir, parce que nous avons le devoir d’assurer à nos enfants la meilleure protection possible.
Le travail remarquable effectué par nos collègues Philippe Bas et Marie Mercier démontre combien il est urgent de prendre en compte le volet prévention de tels actes, de mieux écouter la parole des jeunes victimes et d’améliorer la réponse pénale, sans oublier la prise en charge spécifique des enfants.
Pour autant, j’émettrai une réserve importante concernant l’article 2. En effet, les prescriptions longues et reportées à la majorité des victimes conduisent à la tenue de procès plusieurs dizaines d’années après les faits. Par exemple, pour une victime âgée de cinq ans au moment des faits, la plainte pourrait être déposée jusqu’à ses quarante-huit ans et le procès avoir lieu, après deux années d’instruction, soit quarante-cinq ans après les faits.
Cela pose un évident problème de preuves, extrêmement difficiles à recueillir tant d’années après.
Par ailleurs, cela peut entraîner de fortes désillusions pour les victimes, qui accepteraient difficilement classements sans suite, non-lieux, relaxes ou acquittements, faute de preuves suffisantes. Soyons vigilants sur cette question.
Il s’agit de sensibiliser toute la société. Tel est le message utile de cette proposition de loi.
L’article 3 prévoit d’instituer une présomption de contrainte pour qualifier de viol une relation sexuelle entre un majeur et un mineur lorsqu’il existe une incapacité de discernement du mineur ou une différence d’âge significative. En effet, combien dénombre-t-on de situations dans lesquelles l’abus a été commis par influence, ruse, chantage, pression morale d’un majeur en direction d’un mineur ? Combien de silences tabous ? Combien de vies traumatisées et de vies affectives brisées pour longtemps, pour toujours ?
Toutefois, là aussi, le législateur doit garder à l’esprit l’utilité d’une analyse critique des situations, parfois bien plus complexes qu’on ne l’imagine. Il ne faudrait pas que cette disposition renverse la charge de la preuve en faisant du supposé auteur un présumé coupable – et non pas un présumé innocent. Seule la présomption de contrainte lorsque le mineur est incapable de discernement pourrait avoir du sens, même si, objectivement, en pareille situation, elle serait déjà retenue par le juge.
Par ailleurs, le périmètre de la « différence d’âge significative » est flou et fera forcément l’objet de débats dans les tribunaux.
La différence d’âge cumulée à l’autorité de fait ou de droit est d’ailleurs déjà admise comme pouvant caractériser la contrainte – je vous renvoie à l’article 222-22-1 du code pénal. Pour autant, le constat est fait que le taux de signalement reste faible parce que les obstacles sont multiples et les tabous persistants, d’où l’importance de l’information et de la sensibilisation, en direction tant des mineurs que des adultes. Le rapport de la commission des lois le démontre avec lucidité, monsieur Bas.
C’est toute la chaîne éducative, parentale, médicale et judiciaire qui est concernée par une meilleure approche. Votre rapport souligne avec justesse les besoins d’un meilleur accompagnement des jeunes victimes.
La réponse pénale n’est qu’une étape ; elle n’est pas la réponse absolue parce qu’elle ne peut pas englober le processus de reconstruction personnelle d’une jeune victime. L’écoute, la prise en compte de la parole de l’enfant sont déterminantes dans le processus de reconstruction.
Dans le cadre de l’accompagnement du processus de reconstruction des victimes, l’annexe le confirme : « La justice pénale ne peut plus être l’unique recours des victimes. D’autres voies que le procès pénal, permettant la reconnaissance et la reconstruction des victimes, doivent être développées. Il convient ainsi d’encourager le recours à la justice restaurative et de faciliter la réparation des préjudices subis. » Nous attendons aussi le détail des préconisations de la Haute Autorité de santé, la HAS, dans le cadre d’un protocole national de prise en charge, avec une cartographie de l’offre de prise en charge spécialisée des victimes de violences sexuelles.
En conclusion, même si certains articles méritent des modifications, le présent texte propose des avancées par la loi et la justice. Il s’agit non pas d’oublier, non pas d’effacer, mais de réparer !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour le groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président Bas, madame la rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons ce jour est relative à un véritable fléau de notre société tant les conséquences sont douloureuses pour les victimes et les suivent toute leur vie. Je ne reviendrai pas sur les chiffres, dont on sait par ailleurs qu’ils sont bien en dessous de la réalité.
Dès 2014, notre collègue Muguette Dini déposait la proposition de loi modifiant le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles. Examiné en séance le 28 mai 2014, ce texte faisait suite aux travaux du groupe de travail sur les violences sexuelles et aux assises qui s’étaient tenues quelques mois auparavant au Sénat. En reportant le point de départ du délai de prescription à partir du moment où la victime est en mesure de révéler l’infraction, cette proposition de loi donnait aux victimes le temps de conscientiser leur traumatisme, le courage de le révéler et la maturité pour assumer les conséquences de cet acte.
Des décisions récentes ont fait polémique, les victimes de jeune âge n’ayant pas été reconnues comme ayant subi un viol. Afin de corriger les imperfections de la loi quant à la majorité sexuelle, mon collègue Alain Houpert et moi-même avons déposé, le 17 octobre 2017, une proposition de loi établissant une présomption irréfragable de viol en cas de pénétration sexuelle par une personne majeure sur un mineur de quinze ans.
À la même période, la commission que vous présidez, monsieur Bas, décidait, avant toute proposition de modification législative, de créer un groupe de travail pluraliste pour « une réflexion approfondie et sereine ».
Je tiens ici à saluer la qualité du travail de ce groupe, en particulier celui de Mme la rapporteur, Marie Mercier, dont on sait l’intelligence fine et les capacités d’écoute.
Je partage les orientations fixées, qui consistent à tenir compte de l’intérêt de l’enfant et à protéger les victimes mineures. Le groupe de travail nous présente cette proposition de loi, qui les traduit.
La stratégie globale du rapport annexé à l’article 1er correspond à des mesures qui, pour ne pas être législatives, n’en sont pas moins nécessaires pour créer autour des victimes un contexte cohérent et sécurisant.
L’article 2 allonge à trente ans à compter de la majorité le délai de prescription pour les viols et à vingt ans pour les délits sexuels sur mineurs. C’est un progrès indéniable. Sa portée symbolique est majeure, et, mes chers collègues, je vous remercie d’avoir tenu, en dépit des réserves ; je pense notamment à celles de l’Association française des magistrats instructeurs.
Pour ma part, néanmoins et à titre personnel, je soutiendrai les amendements de nos collègues Buffet et Houpert. Il me semble en effet que le critère de temporalité appliqué aux crimes contre l’humanité peut être étendu aux crimes sexuels sur mineurs.
La violence sexuelle est une forme de violence tellement destructrice, et les études scientifiques sur l’amnésie traumatique justifient, à mes yeux, cette imprescriptibilité.
De l’article 3, mobilisant l’élément de contrainte et évitant l’écueil d’un seuil d’âge, il ressort une réflexion novatrice. On sait les effets parfois, voire souvent, ineptes des seuils – cela dans nombre de domaines. Les exemples que vous citez, madame la rapporteur, en sont l’expression. C’est pourquoi je me range à votre position, qui est mesurée et très pertinente – mais je ne doutais pas de la pertinence de nos collègues Bas et Mercier. §Qui plus est, le Conseil d’État a confirmé votre analyse juridique.
Quant aux autres articles, relatifs à la surqualification pénale de l’inceste sur majeur – article 4 –, à l’aggravation des peines encourues pour atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans – article 5 – et à l’affirmation du caractère continu de l’infraction de non-dénonciation des mauvais traitements – article 6 –, j’y souscris pleinement.
Je dirai, pour conclure, que cette proposition de loi apporte une amélioration majeure dans la protection des victimes de violences sexuelles, dont les mineurs. Nous le devons à ces hommes et ces femmes touchés dans leur corps et dans leur âme. Ils font souvent face à leur douleur et à leur mal-être dans une solitude totale. Notre société se doit de protéger ses enfants et un pas est franchi ce jour.
La qualité du groupe de travail pluraliste créé par la commission des lois renforce et rappelle le rôle incomparable de la Haute Assemblée dans le débat parlementaire et la construction de la loi. Il convient de ne pas l’oublier en ces temps houleux !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi qu ’ au banc des commissions.
Je veux, d’emblée, remercier chaque sénatrice et chaque sénateur de la qualité de ces interventions.
Je souhaite, à l’issue de cette discussion générale, apporter quelques précisions.
Je tiens, d’abord, à exprimer le plaisir que je ressens à voir que le Sénat, dans un hémicycle plutôt rempli, débat de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, marquant ainsi un vif intérêt pour le sujet, ce que je salue.
J’aimerais, ensuite, répondre sur deux points particuliers.
Plusieurs d’entre vous ont évoqué la question de l’éducation. Je partage bien évidemment cette préoccupation majeure, qui est une priorité de l’action du Gouvernement. C’est notamment pour cette raison que Jean-Michel Blanquer a annoncé la création, à partir de la rentrée prochaine et dans tous les établissements scolaires, de référents Égalité et de référents Communication en direction des parents, via la Mallette des parents. Il a aussi annoncé la mise en place effective des trois séances d’éducation à la vie affective et sexuelle qui étaient prévues par la loi. Pour ce faire, le ministre a contacté les recteurs un par un, leur joignant un catalogue des associations agréées au titre des interventions en milieu scolaire, ou IMS, pour permettre le déroulement de ces interventions, dont nul ne me semble discute la qualité.
C’est également dans cet état d’esprit que le Président de la République a annoncé ce matin que l’école serait obligatoire à partir de l’âge de trois ans.
L’instruction, en effet ! Je vous remercie de cette précision, extrêmement importante !
J’aimerais répondre à l’autre point soulevé tout à l’heure. J’ai souhaité échanger dans le cadre de la préparation de ce groupe de travail. Pour ce faire, nous avons convié à plusieurs reprises Mme la ministre Laurence Rossignol à discuter avec nous. Nous avons également reçu Mme Annick Billon, la présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, et nous avons adressé une invitation à l’ensemble de ladite délégation. De plus, j’ai été auditionnée par les sénateurs du groupe La République En Marche, à leur invitation.
Protestations.
Je regrette de n’avoir pas reçu d’invitation à discuter avec ce groupe de travail, une invitation que j’aurais, bien évidemment, acceptée avec grand plaisir !
Mme la rapporteur fait un signe de dénégation.
Je ne reviens pas sur le reste des points évoqués, car je pense que nous en débattrons au fil de la discussion des articles.
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Le rapport sur les orientations de la politique de protection des mineurs contre les violences sexuelles, annexé à la présente loi, est approuvé.
Annexe
RAPPORT SUR LES ORIENTATIONS DE LA POLITIQUE DE PROTECTION DES MINEURS CONTRE LES VIOLENCES SEXUELLES
La loi d’orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles s’inscrit dans le cadre de l’article 34 de la Constitution, selon lequel « des lois de programmation déterminent les objectifs de l’action de l’État ».
La protection des mineurs contre les violences sexuelles appelle une stratégie globale reposant sur quatre piliers : prévenir les violences sexuelles à l’encontre des mineurs ; favoriser l’expression et la prise en compte de la parole des victimes le plus tôt possible ; améliorer la répression pénale des infractions sexuelles commises à l’encontre des mineurs ; disjoindre la prise en charge des victimes d’infractions sexuelles du procès pénal.
Davantage que des évolutions législatives, la mise en œuvre de cette politique implique une revalorisation notable et durable des crédits et des effectifs qui lui sont alloués.
I. – PRÉVENIR LES VIOLENCES SEXUELLES À L’ENCONTRE DES MINEURS
A. – Mieux connaître les infractions sexuelles commises à l’encontre des mineurs
Comme le souligne le plan interministériel de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants (2017-2019) : « La persistance des violences s’explique notamment du fait de leur invisibilité. Ce déni collectif face aux violences faites aux enfants est renforcé par l’absence de données statistiques ».
D’où la nécessité d’améliorer le recensement des violences sexuelles subies par les mineurs, notamment les plus fragiles, afin de les rendre visibles et de lever un tabou.
Des enquêtes de victimation régulière permettront d’estimer la prévalence et l’incidence des violences sexuelles infligées aux mineurs, d’évaluer les faits ne faisant pas l’objet d’une plainte et d’identifier les facteurs déterminants d’un dépôt de plainte. Des enquêtes de victimation spécifiques aux personnes handicapées seront également conduites, prenant en compte leur vulnérabilité et leur risque élevé d’exposition à ces violences.
L’observatoire national de la protection de l’enfance et le réseau des observatoires départementaux jouent également un rôle essentiel pour mieux connaître ces phénomènes trop souvent abordés à partir des seules statistiques judiciaires.
B. – Mener une politique de sensibilisation tous azimuts
La prévention des violences sexuelles commises à l’encontre des mineurs impose une politique ambitieuse de sensibilisation de toute la société.
Les parents, tout d’abord, doivent prendre conscience des comportements qu’il convient d’éviter à l’égard de leurs enfants. Cette sensibilisation à la parentalité débutera dès la naissance des enfants, par une information dispensée dans les maternités.
Les enfants, ensuite, doivent recevoir une véritable éducation à la sexualité. Il convient de garantir les moyens d’assurer cette obligation légale d’enseignement sur tout le territoire.
Une politique active doit par ailleurs être menée en direction des hébergeurs de contenus pornographiques sur Internet. L’accès précoce des enfants à la pornographie engendre en effet des conséquences désastreuses sur leurs représentations de la sexualité, et notamment du consentement. Des dispositions répressives ont été instituées depuis 1998. Il convient de dédier une unité de police spécialisée dans la lutte contre la cybercriminalité au relevé des infractions commises par les hébergeurs afin de poursuivre ces derniers.
II. – FAVORISER L’EXPRESSION ET LA PRISE EN COMPTE DE LA PAROLE DES VICTIMES LE PLUS TÔT POSSIBLE
A. – Lutter contre le faible taux de signalement à la justice des agressions sexuelles subies par les mineurs
Les obstacles à la révélation à la justice des agressions sexuelles doivent être identifiés et levés.
Il importe de mettre les enfants en capacité de prendre conscience de leurs droits, de l’anormalité des violences sexuelles qu’ils peuvent subir et de l’existence d’interdits, comme l’inceste, qui ne doivent pas être transgressés. À cet effet, des réunions d’information et de sensibilisation seront organisées dans les établissements scolaires par des professionnels : associations, policiers ou gendarmes, personnels de santé…
Les adultes, qu’il s’agisse des parents et des proches des enfants ou des professionnels à leur contact, doivent être informés et sensibilisés pour qu’ils assument l’obligation légale de signalement des violences sexuelles commises à l’encontre des mineurs et qu’ils apprennent à mieux les repérer.
Des outils formalisés permettant l’identification de situations de maltraitance et des protocoles de réponses seront mis en place pour aider les professionnels au contact des mineurs. Conformément au plan interministériel de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants (2017-2019), un référent hospitalier sur les violences faites aux enfants sera nommé dans chaque établissement de santé.
Des temps et des espaces de parole sanctuarisés seront instaurés à l’école, auprès des professionnels de santé et à certaines étapes de la vie d’un enfant, pour faciliter le signalement d’évènements intrafamiliaux.
Les conseils départementaux ont un rôle essentiel à jouer, au titre de leur compétence en matière de protection de l’enfance, que la loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance a conforté.
La libération de la parole des mineurs sera accompagnée d’une meilleure utilisation des outils nationaux d’écoute et d’aides aux victimes, qui devront faire l’objet d’une stratégie nationale concertée de communication.
Ces campagnes nationales de communication s’appuieront sur une plate-forme numérique de référence pour les violences sexuelles, afin d’informer les victimes sur les modalités simplifiées de dépôt de plainte et les différents lieux de signalement possibles.
B. – Faciliter le dépôt de plainte et accompagner les victimes en amont de leurs démarches judiciaires
Par la diffusion de consignes claires à l’ensemble des enquêteurs, le droit de voir sa plainte enregistrée sera garanti à chaque victime.
De même, des structures adaptées au recueil de la parole des mineurs, comme par exemple les salles « Mélanie », seront développées afin de permettre à chaque victime de voir sa parole recueillie dans les meilleures conditions.
Les moyens dédiés à la formation des enquêteurs pour l’accueil et l’écoute des plaignants seront augmentés.
La présence de psychologues et d’assistantes sociales sera généralisée dans les unités de police ou de gendarmerie.
III. – AMÉLIORER LA RÉPRESSION PÉNALE DES INFRACTIONS SEXUELLES COMMISES À L’ENCONTRE DES MINEURS
A. – Mieux traiter les affaires de violences sexuelles commises à l’encontre des mineurs
Afin de réduire les délais des enquêtes et de traiter le flux considérable de contenus pédopornographiques, les moyens et les effectifs de la police judiciaire et scientifique seront renforcés.
Les moyens des juridictions seront eux aussi renforcés pour :
– lutter contre les délais excessifs de traitement par la justice des infractions sexuelles commises à l’encontre des mineurs ;
– éviter la requalification en agression sexuelle ou en atteinte sexuelle d’un crime de viol en raison du seul encombrement des cours d’assises ;
– faciliter l’audiencement des infractions sexuelles en matière correctionnelle, éviter le recours à des procédures simplifiées, voire expéditives, de jugement de certaines infractions et prohiber tout recours aux jugements en comparution immédiate ;
– tirer les conséquences de l’allongement des délais de prescription de l’action publique ;
– mettre en place des matériels adaptés, tels que la visio-conférence pour l’organisation des confrontations, afin de réduire les risques de traumatisme supplémentaires pour les victimes ;
– augmenter les budgets consacrés aux frais de justice afin de pouvoir faire appel à des experts, notamment psychiatres, et régler leurs honoraires dans des délais corrects.
B. – Mieux accompagner les mineurs victimes de violences sexuelles
Les moyens des bureaux d’aide aux victimes seront renforcés pour accompagner chaque mineur victime d’infractions sexuelles par une association d’aide aux victimes, dès le dépôt de plainte.
Un accès des victimes aux unités médico-judiciaires et aux unités d’accueil pédiatriques médico-judiciaires des établissements de santé sera garanti sur l’ensemble du territoire.
Parce que tout médecin est susceptible d’examiner une victime d’infractions sexuelles, la formation en médecine légale des étudiants en médecine sera renforcée.
C. – Adapter l’organisation et le fonctionnement de la justice judiciaire
La formation de l’ensemble des professionnels du droit susceptibles d’être au contact de mineurs victimes d’infractions sexuelles, qu’il s’agisse des magistrats ou des avocats, sera renforcée.
Les spécialisations des magistrats seront encouragées, tout comme l’identification de pôles d’instruction spécialisés. Dans les juridictions les plus importantes, une chambre spécialisée sera créée pour traiter ce contentieux.
Des moyens seront mobilisés pour notifier en personne, par exemple par un délégué du procureur ou une association d’aide aux victimes, chaque décision de classement sans suite intervenant à la suite d’une plainte pour violence sexuelle.
IV. – DISJOINDRE LA PRISE EN CHARGE DES VICTIMES D’INFRACTIONS SEXUELLES DU PROCÈS PÉNAL
A. – Offrir une alternative au procès pénal
La reconstruction des victimes est trop souvent associée à la seule réponse pénale, jusqu’à en devenir une injonction pour elles. Il est nécessaire de disjoindre le temps du procès pénal du temps de la plainte.
Le dépérissement des preuves, l’absence d’identification de l’auteur ou son décès empêchent objectivement de nombreuses victimes d’obtenir un procès pénal.
En conséquence, le procès pénal ne doit pas être présenté aux victimes comme la solution incontournable permettant une reconstruction, ni par les enquêteurs, ni par les professionnels de santé.
Afin de proposer aux victimes d’autres prises en charge que celles ancrées dans une procédure judiciaire, il convient en premier lieu de désacraliser le recours au procès pénal dans les discours de politique publique et de présenter de manière transparente aux victimes les finalités et les modalités d’une procédure judiciaire.
Le temps du procès pénal doit être distingué du temps de la plainte. Les victimes doivent toujours être entendues et reçues par les services enquêteurs même en cas de prescription de l’action publique. Chaque violence dénoncée par une victime doit faire l’objet d’une plainte et d’une enquête, même si les faits apparaissent prescrits. En effet, l’enquête préalable est nécessaire pour constater ou non la prescription et peut permettre d’identifier des infractions connexes qui ne seraient pas prescrites.
Dans le ressort de certains tribunaux de grande instance, même en cas de faits largement et évidemment prescrits, les victimes de viols commis pendant leur enfance peuvent, avec l’autorisation du parquet, venir témoigner dans un lieu spécialisé, dans le même cadre d’écoute, d’attention et d’enquête que les victimes de faits plus récents. Les personnes mises en cause sont alors invitées à répondre aux questions des enquêteurs dans le cadre d’une audition libre, voire à participer à des confrontations lorsque les victimes en expriment le besoin. Cette pratique répond à un double objectif, thérapeutique pour aider les victimes à se reconstruire, et opérationnel pour identifier, le cas échéant, un auteur potentiellement toujours « actif ». Ce protocole de prise en charge des victimes pour des faits prescrits sera généralisé sur l’ensemble du territoire, dans tous les services spécialisés de police judiciaire.
B. – Accompagner le processus de reconstruction des victimes d’infractions sexuelles
La justice pénale ne peut plus être l’unique recours des victimes. D’autres voies que le procès pénal, permettant la reconnaissance et la reconstruction des victimes, doivent être développées. Il convient ainsi d’encourager le recours à la justice restaurative et de faciliter la réparation des préjudices subis.
Les victimes doivent, d’une part, être informées de l’existence des mesures de justice restaurative prévues à l’article 10-1 du code de procédure pénale, par exemple une médiation, afin de pouvoir y recourir si elles le souhaitent, d’autre part, se les voir systématiquement proposées lorsque les faits sont prescrits ou lorsque les preuves de la culpabilité de l’auteur manquent.
Les victimes doivent en outre être informées de la possibilité d’obtenir une réparation civile des dommages subis, y compris lorsque les faits sont prescrits sur le plan pénal. À cet effet, il convient de sensibiliser les associations et les professionnels de santé chargés de leur accompagnement.
Une réflexion doit être menée sur-le-champ d’application de l’article 9-2 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, qui accorde actuellement le bénéfice de l’aide juridictionnelle aux victimes de viols, sans condition de ressources, afin de l’étendre à d’autres infractions sexuelles.
Des parcours de soins et de prise en charge cohérents doivent être mis en place pour les enfants victimes de violences sexuelles et les adultes victimes de telles violences pendant leur enfance. Conformément aux engagements du quatrième plan interministériel de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, la Haute autorité de santé publiera un protocole national de prise en charge ainsi qu’une cartographie de l’offre de prise en charge spécialisée des victimes de violences sexuelles. Les connaissances scientifiques en matière de traitement des psychotraumatismes doivent être plus largement diffusées auprès des professionnels de santé.
Il est enfin nécessaire de concrétiser la création du centre national de ressources et de résilience qui permettrait de briser le tabou des douleurs invisibles et de structurer une offre institutionnelle de parcours de résilience pour les victimes d’infractions sexuelles.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame le rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, l’article 1er de cette proposition de loi vise à approuver le rapport sur les orientations de la politique de protection des mineurs contre les violences sexuelles.
Dans un contexte marqué par de nombreuses affaires de violences sexuelles commises à l’encontre de mineurs et de décisions de justice incompréhensibles, ce rapport d’information permet d’apaiser ce débat difficile et sensible.
Ces violences, qui sont d’une gravité extrême, laissent des traces profondes sur le plan psychologique, mais sont aussi la cause de multiples maladies somatiques que l’on relie fort tard à ces traumatismes. Selon l’association Stop aux violences sexuelles, un enfant sur cinq en serait atteint en Europe.
Ce texte présente des avancées importantes. Je vous remercie donc, mes chers collègues, de ce travail de qualité, nécessaire à la construction d’une politique efficace. Je salue plus particulièrement le travail remarquable de Mme le rapporteur. J’en partage pleinement les propositions, notamment celles qui sont liées à la prévention de ces violences.
C’est au nom de cette prévention que je souhaite attirer votre attention sur le rôle que pourraient jouer les départements dans cette démarche. Dans les collèges, ils mènent, au titre de leurs compétences facultatives, des actions éducatives, qui relèvent parfois du champ de l’éducation artistique et culturelle. Ces actions visent, par exemple, à apprendre à mieux s’alimenter afin de lutter contre l’obésité, à encourager la pratique sportive…
Aussi, pourquoi ne pas capitaliser sur ces actions qui existent et encourager les conseils départementaux à jouer un rôle plus actif dans la prévention des violences sexuelles et y rajouter – pourquoi pas ? – l’éducation à la sexualité ? Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, cité dans le rapport, révèle que, « en 2015, 25 % des écoles déclaraient n’avoir mis en place aucune éducation à la sexualité ».
On observe pourtant une grande ignorance sur l’éducation sexuelle chez les enfants dans les collèges et même les lycées. En même temps, on commence – entre autres vaccinations – à vacciner contre le cancer du col de l’utérus de plus en plus tôt, parfois dès le CM2.
Comment expliquer d’une manière cohérente à nos enfants l’obligation de cette vaccination, alors même qu’ils n’ont reçu aucune éducation sexuelle ? L’une des réponses à apporter est, me semble-t-il, d’encourager les collectivités départementales à devenir actrices de la prévention de ces violences, en lien étroit avec l’éducation nationale, mais également avec l’aide des nombreuses associations qui font de la protection des droits de l’enfant un véritable combat et que, selon moi, nous ne sollicitons pas assez.
Il faut conclure, chère collègue ! Vous avez largement dépassé votre temps de parole !
Mme Christine Bonfanti-Dossat. Au fond, conjuguer nos actions pour construire une solide politique de prévention des violences sexuelles, n’est-ce pas la meilleure façon de protéger nos enfants ?
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la mise en place de l’Observatoire national de l’enfance en danger, l’ONED, et la réalisation, en 1992, de la première enquête sur l’analyse des comportements sexuels en France ont permis de révéler le poids important des violences sexuelles subies : 20, 4 % des femmes et 6, 8 % des hommes âgés de dix-huit à soixante-neuf ans ont déclaré avoir subi une forme de violence sexuelle au cours de leur vie – attouchements, tentatives de rapports forcés et rapports sexuels forcés. Notons également que 67 % des hommes et 59 % des femmes qui les déclarent affirment les avoir subis avant leurs dix-huit ans, sachant que l’auteur de ces rapports était très souvent le père ou le beau-père ou un autre membre de la famille.
Selon l’enquête VIRAGE, 82 % des viols et des tentatives de viol subis dans la famille et dans l’entourage proche commencent avant les quinze ans de la victime, ces violences sexuelles intrafamiliales étant très fréquemment des violences répétées si rien ne vient mettre fin aux agissements de l’agresseur.
Aussi, je m’étonne d’un certain nombre d’éléments qui, à mon sens, doivent être corrigés à court terme.
D’abord, malgré quelques dispositions législatives spécifiques, les violences sexuelles contre les enfants et celles contre les femmes font l’objet d’un même arsenal législatif et sont traitées par les mêmes appareils statistiques, contrairement à ce que l’on observe dans d’autres pays où ces deux phénomènes bénéficient d’un champ de recherche autonome.
Ensuite, les statistiques fournies par le ministère de l’intérieur et par l’Office national de la délinquance et des réponses pénales, l’ONDRP, ne permettent de distinguer les plaintes pour viols et pour harcèlements sexuels et autres agressions sexuelles qu’en fonction du fait que les victimes soient majeures ou mineures, alors qu’il est nécessaire de pouvoir les différencier selon l’âge des victimes et le contexte dans lequel elles se produisent.
En outre, le viol est légalement un crime qui doit être jugé par les cours d’assises. Pourtant, on assiste de plus en plus souvent à une correctionnalisation judiciaire des affaires de viol. Cet état de fait a notamment été dénoncé par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes dans un avis du 5 octobre 2016.
Enfin, la mission de consensus sur le délai de prescription applicable aux crimes sexuels commis sur les mineurs a réaffirmé une demande récurrente consistant à allonger les délais de prescription relatifs aux délits et crimes sexuels sur mineur. Cette modification de la loi est une nécessité dans la mesure où les mineurs victimes d’agressions sexuelles n’ont pas forcément le discernement nécessaire pour agir en justice avant la fin du délai de prescription, notamment en raison de leur jeune âge.
Monsieur le président, j’interviens très rapidement pour insister sur l’importance de dépasser une simple réforme du code pénal et de nous doter d’une véritable loi d’orientation et de programmation de la prévention des violences sexuelles, laquelle concernerait d’ailleurs également les violences non sexuelles sur les mineurs et les enfants. Cet élargissement est d’autant plus essentiel que ces violences sont parfois connexes et ont souvent lieu dans le cadre familial – c’est là où les enfants sont le plus exposés. Il en va de même pour les femmes, qui sont le plus exposées à la violence au sein de la famille, au domicile conjugal.
Notre société a besoin de faire des pas supplémentaires. Si elle en a incontestablement accompli ces derniers mois, il faut aller plus loin. Les mentalités évoluent. La question de l’éducation sexuelle à l’école a perdu sa dimension idéologique. Il n’y a plus, comme ce fut le cas auparavant, de débat pour se prononcer sur le point de savoir à qui revient l’éducation sexuelle des enfants et décider si l’école peut se mêler de ce qui est de la compétence des parents. Aujourd’hui, un consensus se forme pour que l’école soit le lieu où est portée une autre parole que la parole familiale. Et c’est cette parole-là qui permet de détecter les violences sexuelles sur les mineurs et de progresser.
Je profite de cette intervention pour rappeler qu’il devait être mis en place, au 31 décembre 2017, dans tous les services d’urgence, un référent sur les violences faites aux enfants. Il s’agissait de faire en sorte que des enfants ne rentrent pas chez eux avec des fractures et des traumatismes de toutes sortes. J’espère que le Gouvernement s’emploie à tenir cet engagement, qui figure dans le plan national de protection de l’enfance.
L’amendement n° 11 rectifié quinquies, présenté par MM. Buffet et Allizard, Mme Berthet, M. Bizet, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Brisson, Chaize, Chatillon, Dallier et Daubresse, Mmes de Cidrac, Deroche, Deromedi, Di Folco, Dumas, Estrosi Sassone et Eustache-Brinio, MM. Forissier, Gremillet et Grosdidier, Mme Gruny, M. Houpert, Mme Imbert, M. Laménie, Mme Lanfranchi Dorgal, MM. D. Laurent et Lefèvre, Mme Lherbier, MM. Milon et Piednoir, Mme Puissat, MM. Rapin et Savin, Mme Troendlé et MM. Vial et Wattebled, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 8
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Les recherches scientifiques sur les psycho-traumatismes et les mécanismes mémoriels consécutifs à un fait traumatique doivent être encouragées : à cette fin, les connaissances scientifiques doivent être largement diffusées afin de favoriser un consensus médical facilitant leur prise en compte.
La parole est à M. François-Noël Buffet.
Cet amendement vise à encourager la diffusion des connaissances scientifiques sur les psycho-traumatismes et les mécanismes mémoriels consécutifs à un fait traumatique.
Le développement de la recherche et le dialogue des chercheurs faciliteront l’établissement d’un consensus médical sur la question. La formation des experts qui seront appelés à témoigner dans les différentes procédures judiciaires sera également importante.
Ces recherches pourraient mettre en évidence des liens de causalité entre des preuves neurologiques physiques et l’existence d’un grand traumatisme.
Seul le développement de la recherche scientifique peut permettre de faciliter la reconnaissance des phénomènes traumatiques par les juridictions. En ce sens, il est utile à la manifestation de la vérité et à la poursuite des procédures pour protéger les victimes.
Mon cher collègue, en effet, beaucoup a déjà été écrit sur ce qu’on appelle le stress post-traumatique ou le syndrome post-traumatique. Il faudrait rechercher un consensus dans la communauté médicale à ce sujet.
La commission émet un avis extrêmement favorable sur cet amendement.
L’engagement de la recherche, notamment en ce qui concerne les psycho-traumatismes et leurs conséquences pour les victimes, est, bien sûr, un objectif louable, que nous partageons et auquel nous attachons de l’importance.
Je tiens à souligner que comme cet article ne revêt pas un caractère normatif, il n’aura pas de conséquence juridique.
Telles sont les raisons pour lesquelles j’émets, au nom du Gouvernement, un avis de sagesse.
Je trouve cet amendement effectivement intéressant. En effet, pouvoir constamment stimuler la recherche afin de parfaire nos connaissances et aider les professionnels sera un atout pour évaluer les traumatismes, qu’ils concernent d’ailleurs les enfants ou les femmes victimes de violences. Cela étant, je souhaite soumettre à Mme la secrétaire d’État une petite interrogation, en espérant qu’elle me répondra.
J’ai entendu dire que seraient mis en place, notamment pour les femmes victimes de violences, des centres de prévention et d’accompagnement, dont la vocation serait de prendre en charge toutes ces violences. Si l’idée me semble tout à fait positive, je me dois d’exprimer un grand doute. L’origine de ce doute, elle se trouve ici même, où la majorité de cette assemblée – je ne parle pas de mon groupe politique – a voté la dernière loi de financement de la sécurité sociale. Ce texte, totalement dicté par les restrictions budgétaires, asphyxie les hôpitaux et étrangle toutes les possibilités de développer une politique en matière de santé et de prévention. Dans ces conditions, madame la secrétaire d’État, je me demande comment il vous sera possible de mettre en place ces centres d’accompagnement de personnes victimes de traumas !
Ma question a un corollaire, qui concerne les enfants. Je veux vous inviter à réfléchir pour que soient réellement développés ces centres dont auraient besoin toutes les victimes de violences, aussi bien les enfants que les femmes.
Je voudrais savoir comment, au-delà des paroles, vous comptez concrètement mettre en place ce genre de structure.
Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.
Pour avoir participé à ce groupe de travail, je peux attester que nous avons beaucoup été à l’écoute. Nous avons entendu les difficultés qu’éprouvent certaines victimes à engager des procédures. Nous nous sommes penchés sur cette question que l’on appelle l’amnésie traumatique. C’est un sujet sur lequel nous aurons l’occasion de revenir lors d’un amendement suivant, qui sera examiné après l’article 2 et qui a été déposé par François-Noël Buffet.
En tout cas, le travail qui a été réalisé est important. C’est en ce sens que le groupe socialiste et républicain votera cet amendement, qui a vocation à mieux identifier une notion encore difficile à cerner.
Je voterai cet amendement et saisis cette occasion pour revenir sur les propos de ma collègue Laurence Cohen.
C’est vrai que tout ce qui est proposé dans le texte de Marie Mercier, qu’il s’agisse de la recherche, de la formation ou de la prévention, nécessite de gros investissements. Or je ne suis pas persuadée que les prévisions budgétaires actuelles du Gouvernement soient en adéquation avec ces objectifs.
Madame la secrétaire d’État, nous espérons bien vous recevoir en 2019 au sein de la délégation aux droits des femmes pour vous entendre sur le budget.
Mmes Esther Benbassa et Laurence Cohen applaudissent.
Il est extrêmement important de prendre en compte l’amnésie traumatique. Beaucoup de collègues qui ont fait partie du groupe de travail autour de Marie Mercier ont appris les mots qui recouvrent des phénomènes tels que l’oubli involontaire ou le silence dont les victimes n’arrivaient pas à se libérer.
Au-delà de la question des moyens, très justement évoquée par les uns et les autres, je pense qu’il faut considérer qu’il y a là un vrai sujet de recherche, dont l’approfondissement est indispensable, car il participe à la guérison des victimes. Dans le cadre du sujet qui nous préoccupe aujourd’hui, celui des infractions sexuelles commises sur des mineurs, il ne s’agit pas uniquement de développer et de renforcer des sanctions pénales. Il s’agit surtout de sortir la victime de ce statut de victime et de l’aider à se reconstruire.
Telles sont les raisons pour lesquelles je voterai cet amendement.
L ’ amendement est adopté.
Je vais mettre aux voix, modifié, l’ensemble constitué par l’article 1eret l’annexe.
La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote sur l’article.
Mme Laurence Cohen. Excusez-moi, monsieur le président, d’avoir élevé la voix pour réclamer la parole, mais vous avez tendance à ne pas regarder sur votre gauche
Exclamations.
Quoi qu’il en soit, l’explication de vote sur l’article n’est pas obligatoirement la même que sur l’amendement.
Je veux saluer, à mon tour, le travail effectué par Marie Mercier. Au-delà de l’écoute, elle a accompli une œuvre d’élaboration et de réflexion, et je trouve cela extrêmement important. D’autant plus que cela reflète la méthode de travail à laquelle nous sommes attachés ici, au Sénat. Je tiens donc à l’en remercier.
Il y a des éléments du travail réalisé par ce groupe pluriel que nous partageons complètement. En revanche, sur d’autres points, nous avons des doutes et des interrogations.
Nous sommes favorables à la proposition consistant à améliorer le recensement des violences sexuelles subies par les mineurs afin de les rendre visibles et de lever des tabous, tout comme nous sommes favorables à l’institution d’une obligation légale d’éducation sexuelle sur tout le territoire, ou bien encore à la formation des professionnels pour détecter les violences et accompagner les victimes. Nous sommes, au contraire, opposés à l’aggravation des peines encourues pour le délit d’atteinte sexuelle. En effet, nous pensons que ce n’est pas seulement en aggravant les peines que nous allons réussir à combattre les violences.
Sur ce sujet, il faut respecter la cohérence de l’échelle des peines. De plus, nous sommes très dubitatifs sur la proposition n° 7, qui concerne le report du point de départ du délai de prescription en cas de non-dénonciation des agressions sexuelles commises sur un mineur. Nous pensons, en effet, que cela peut, dans certains cas, ouvrir un risque de fond sur l’imprescriptibilité, ce à quoi mon groupe est opposé.
Il subsiste donc des questions et des interrogations, si bien que nous allons nous abstenir.
Cela étant, je veux encore, au nom de mon groupe, saluer le travail fait.
M. le président. Je vous rassure, ma chère collègue : à la place où je suis, je ne fais aucune distinction entre ma gauche et ma droite…
Sourires.
Nouveaux sourires.
Je mets aux voix, modifié, l’ensemble constitué par l’article 1er et l’annexe.
L ’ article 1er et l ’ annexe sont adoptés.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à seize heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Gérard Larcher.
M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, messieurs les officiers généraux présents dans nos tribunes, vendredi dernier, notre pays a été frappé, une nouvelle fois, par de lâches attaques terroristes à Carcassonne et à Trèbes, dans le département de l’Aude.
M. le Premier ministre, Mmes et MM. les ministres, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.
Le bilan est lourd : quatre personnes sont décédées et une dizaine d’autres ont été blessées.
J’adresse, au nom du Sénat tout entier, mes plus sincères condoléances aux familles des quatre disparus : Jean Mazières, Christian Medves, Hervé Sosna et Arnaud Beltrame.
J’adresse également ma solidarité et mes pensées aux blessés, dont certains sont encore hospitalisés, ainsi qu’à leurs familles.
Les conditions du sacrifice du lieutenant-colonel Beltrame ont suscité une vague d’émotion dans tout le pays : cet officier est en effet mort en héros en se livrant au terroriste en échange de la vie d’une femme. Cet acte de courage, d’abnégation et de fidélité à son serment doit rester dans nos mémoires. « Le tombeau des héros est le cœur des vivants » écrivait André Malraux. Demain matin, la Nation lui rendra l’hommage que son courage justifie.
Au nom du Sénat tout entier, je souhaite également, à travers l’exemple exceptionnel du lieutenant-colonel Beltrame, rendre hommage à nos forces de sécurité et exprimer notre gratitude envers elles. Leur action pour protéger les Françaises et les Français est remarquable.
Ces attaques nous rappellent le haut degré de menace qui pèse sur notre pays. Face à cette menace, nous devons rester vigilants, unis et déterminés à poursuivre le combat contre le terrorisme islamiste, à défendre les valeurs de la République et à lutter sans relâche, sans concession aucune, partout et en toutes circonstances, contre toutes les manifestations de haine.
La parole est à M. le Premier ministre.
Monsieur le président, je veux, au nom du Gouvernement tout entier, m’associer à l’ensemble des propos que vous venez de tenir.
Notre nation a été frappée dans une petite ville, dans un parking, dans un supermarché. Plusieurs Françaises et Français sont venus ajouter leurs noms à la liste bien trop longue de ceux qui ont péri dans des attaques destinées à nous terroriser et à nous faire perdre notre attachement à la République.
À l’occasion de ces attaques, les forces de sécurité, tous les services de l’État, les élus locaux, en somme l’ensemble de la Nation, ont montré leur vrai visage, qui s’est incarné dans la personne du lieutenant-colonel Arnaud Beltrame.
Je veux dire notre émotion et notre admiration, mais aussi l’humilité que son exemple suscite chez moi et, je le sais, chez tous ceux qui demeurent impressionnés par le courage dont a fait preuve le lieutenant-colonel Beltrame.
Enfin, face à cette menace, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne devons renoncer à rien. Nous ne renoncerons pas à lutter pied à pied contre ceux qui veulent nous faire changer ; nous ne renoncerons pas à ce que nous sommes et à ce en quoi nous croyons. C’est dans cet esprit que le Gouvernement entend, avec l’ensemble des forces vives de la Nation, apporter des réponses aux menaces qui nous guettent.
Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je vous invite à présent à observer un moment de recueillement en hommage aux victimes de ces attaques.
Le lieutenant-colonel Beltrame avait le visage de ces gardes républicains qui assurent la sécurité du Sénat. Voilà quelques années, il a été l’un de ceux qui rendent honneur à la présidence. Derrière le visage de ces gardes, il y a aussi celui d’Arnaud Beltrame, à qui M. le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et moi-même venons de rendre hommage, tout près, si près d’ici, à la caserne Tournon.
M. le Premier ministre, Mmes et MM. les ministres, Mmes et MM. les sénateurs observent une minute de silence.
L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Chacun d’entre vous, mes chers collègues, aura bien sûr à cœur, aujourd’hui peut-être encore plus que d’ordinaire, d’observer ce qui est la marque de notre assemblée : le respect des uns et des autres.
La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Avant de poser sa question d’actualité au Gouvernement, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste tient à s’incliner devant la mémoire des victimes des attentats de Trèbes et de Carcassonne, et à exprimer sa plus grande solidarité avec leurs familles.
Face à la barbarie, notre nation doit se rassembler autour des valeurs humanistes qui forment la base de notre démocratie et de notre République. Menacés par tous les fanatismes, éprouvés par les tentatives de démembrement du corps civique, nous devons répondre par plus de République, plus de démocratie et par une défense implacable de la laïcité et de l’État de droit. Renoncer à notre pacte républicain serait alimenter les ressorts d’une propagande guerrière qui tente de nous diviser.
Un homme a arraché à la vie d’innocentes victimes ; un autre, le lieutenant-colonel Beltrame, a donné la sienne pour sauver la vie. Ce don de soi sonne pour nous comme une parabole de la victoire de l’humanisme et comme l’affirmation héroïque de l’universalisme de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. Soyons, mes chers collègues, à la hauteur de cet acte de profonde humanité !
Cela étant dit, et puisque rien ne doit interrompre le cours de nos débats républicains, nous souhaitons exprimer notre plus vive inquiétude à propos de l’emprisonnement des représentants démocratiquement élus des citoyens catalans.
Leur privation de liberté et la demande d’extradition de Carles Puigdemont obèrent gravement toute tentative de règlement raisonnée et pacifiste de la crise catalane. Une nouvelle fois, madame la ministre chargée des affaires européennes, vous nous opposerez la non-ingérence dans les affaires d’un membre de l’Union européenne pour justifier votre passivité. Une nouvelle fois, nous vous dirons que notre conscience démocratique européenne est meurtrie par des pratiques qui la déshonorent et dont la légitimité est même contestable au regard de la jurisprudence européenne en matière de droits de l’homme. La France et l’Europe ne peuvent continuer d’ignorer ces procédés autoritaires contraires à nos valeurs.
Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Monsieur le sénateur Ouzoulias, depuis le début de la crise catalane, notre préoccupation constante est bien le respect de l’État de droit, valeur fondamentale de l’ensemble des États de l’Union européenne. Plus que jamais – je partage en cela votre préoccupation – nous devons être attentifs à ce respect de l’État de droit.
C’est bien ce souci qui nous a conduits à ne pas reconnaître la consultation organisée en octobre dernier par le gouvernement catalan en dehors de la légalité. C’est aussi le respect de l’État de droit qui nous a conduits à nous souvenir que l’investiture du président de l’exécutif catalan devait respecter les règles institutionnelles espagnoles.
Respecter l’État de droit, c’est enfin respecter les décisions de justice d’une grande démocratie, l’Espagne. La justice espagnole a inculpé vingt-cinq indépendantistes et a émis des mandats d’arrêt européens, qui s’ajoutent aux mandats nationaux déjà lancés. Oui, dix indépendantistes sont incarcérés, parmi lesquels Jordi Turull, qui n’est pas parvenu, le 22 mars dernier, à réunir les voix nécessaires pour devenir le président de la région, et Carles Puigdemont, qui a été arrêté dimanche dernier dans une autre grande démocratie, l’Allemagne, au retour d’un déplacement en Finlande. Une procédure est en cours, à l’issue de laquelle la justice décidera si ce dernier doit ou non être extradé. Il a été présenté à un juge le 26 mars et a été maintenu en détention.
Des manifestations ont lieu en Catalogne pour soutenir les figures indépendantistes. Néanmoins, à ce stade, le camp indépendantiste n’a pas cherché à faire élire à la présidence de la région une personnalité juridiquement en situation de l’exercer.
Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
La Catalogne reste sans exécutif local, sous le coup de l’article 155 de la Constitution espagnole. Faute d’investiture d’un président, le parlement régional sera dissous le 22 mai et de nouvelles élections pourraient être convoquées.
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Pour revenir à la situation de M. Puigdemont, je fais pleinement confiance à la justice allemande comme à la justice espagnole, car ces deux grands pays européens sont aussi deux grandes démocraties respectueuses de l’État de droit.
M. François Patriat applaudit.
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour le groupe socialiste et républicain.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Monsieur le Premier ministre, c’est avec émotion, gravité et même douleur que je m’adresse à vous.
Mireille Knoll, quatre-vingt-cinq ans, a été assassinée de onze coups de couteau puis brûlée, dans son appartement de l’Est parisien, quartier populaire et mélangé où je vis et dont je suis l’élu, quartier où beaucoup des siens, et donc des nôtres, Français républicains, ont jadis été raflés pour être exterminés.
Depuis 2006 et l’atroce supplice d’Ilan Halimi, onze hommes, femmes et enfants ont été tués parce que juifs, de Toulouse à l’Hyper Cacher et à Belleville, où Sarah Halimi, soixante-cinq ans, a été massacrée et défenestrée il y a un an, presque jour pour jour.
Monsieur le Premier ministre, notre peuple, dans sa diversité, a su se lever à plusieurs reprises contre l’antisémitisme, à l’occasion de l’attentat de la rue Copernic ou de la profanation du cimetière de Carpentras. Paradoxalement, il l’a moins fait au cours de la dernière décennie, durant laquelle l’antisémitisme quotidien s’est pourtant développé comme jamais depuis la Seconde Guerre mondiale. L’antisémitisme, cette haine de tout, de l’humanité, vient s’abattre, consciemment ou inconsciemment, sur les juifs en particulier, comme depuis si longtemps. Cet antisémitisme est vécu par nos concitoyens juifs intimement, dans l’isolement.
Monsieur le Premier ministre, la France ne serait plus la France sans les juifs qui la composent, et la République n’est plus la République si elle laisse ses citoyens juifs abandonnés à la menace ouverte ou diffuse d’être moqués, molestés, insultés, humiliés, voire tués parce que juifs, si elle s’accommode de les voir quitter les quartiers populaires ou y vivre reclus, quitter les écoles publiques et, pour certains, quitter la France même.
Monsieur le Premier ministre, dites-nous comment le Gouvernement compte, au-delà des actions déjà engagées et des mots déjà prononcés, que je salue, prendre la mesure de ce danger mortel, lié aux mêmes idéologies extrémistes antirépublicaines qui arment les terroristes, et qui a encore tué à Trèbes.
Pour ma part, j’encourage tous mes collègues et, au-delà, tous les citoyens à participer massivement à la marche blanche qui aura lieu demain, à dix-huit heures trente, place de la Nation, en hommage à Mireille Knoll.
Applaudissements.
Monsieur le sénateur David Assouline, comme vous, j’ai été horrifié par la violence de l’agression, du meurtre barbare dont a été victime Mireille Knoll. Permettez-moi d’abord de saluer, comme je l’ai fait dès hier soir dans un communiqué, l’action déterminée des enquêteurs, qui ont très vite identifié les coupables. Ce meurtre était barbare : ses auteurs ont porté onze coups de couteau, avant d’incendier l’appartement pour faire disparaître les traces de leur crime.
Monsieur le sénateur, oui, comme vous, je suis inquiet de la montée de l’antisémitisme dans notre pays. Depuis le 1er janvier dernier, 33 faits à caractère antisémite ont été commis. Oui, aujourd’hui, une idéologie se diffuse qui vise à s’en prendre aux juifs parce qu’ils sont juifs. L’un des complices de ce meurtre disait : « On va aller chez les juifs, parce que, chez les juifs, il y a de l’argent. » Ce genre de stéréotype doit être combattu, et nous le combattrons, avec l’aide de toutes les associations, de la LICRA au CRIF et au Consistoire.
Je rencontre de manière presque hebdomadaire les responsables de la communauté juive. Oui, aujourd’hui, les juifs ont peur et, comme vous l’avez souligné, monsieur le sénateur, un certain nombre d’entre eux quittent la France, tout simplement parce qu’ils y ont peur. Cela est inacceptable, et le Gouvernement ne l’acceptera pas !
Applaudissements.
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bignon, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.
Ma question s’adresse à M. le ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.
Monsieur le ministre d’État, en 2002, à Johannesburg, la maison brûlait. En 2015, vous déclariez : « La maison brûle et nous avons tendance à continuer à alimenter le feu. » Il y a quelques jours, le CNRS et le Muséum d’histoire naturelle ont publié un rapport extrêmement alarmant sur la disparition des oiseaux et des insectes en France. La semaine dernière, la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques, ou IPBES, en a remis une couche, si j’ose dire : selon les conclusions de sa sixième session, tenue à Medellín, en Colombie, nous sommes en train d’assister à un effondrement de la biodiversité sans précédent depuis la disparition des dinosaures.
J’étais il y a peu de temps à Azraq, en Jordanie, où se trouve un marais classé comme « site Ramsar » ; or ce marais n’occupe plus que 10 % de sa surface originelle. Encore hier matin, j’étais avec Ronan Dantec dans les marais d’Irak ; nous avons assisté à des scènes très tristes dans ces marais multimillénaires de Mésopotamie, qui furent aux sources de la civilisation sumérienne.
Que faire ? Nous attendons des signes, monsieur le ministre d’État. En effet, vous avez déclaré la semaine dernière à nos collègues députés que vous n’y arriverez pas tout seul – cela, j’en conviens volontiers –, mais aussi que tout le monde s’en fiche : or, selon moi, ce n’est désormais plus exact, même si tel fut le cas dans le passé. Aujourd’hui, au sein de la société, faisons en sorte – tous doivent y contribuer – que les attitudes changent sur ces sujets.
Ne plus entendre les oiseaux chanter dans les chemins creux de nos campagnes, c’est insupportable pour nos citoyens. Laisser à nos enfants et à nos petits-enfants une campagne sans oiseaux, sans insectes, sans vie de la nature, ce n’est pas possible, parce que, au-delà, ce sont nos propres vies qui sont en jeu et celles de nos descendants. Il faut réagir d’urgence !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain, du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.
La parole est à M. le ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.
Monsieur le sénateur Bignon, oui, l’érosion de la biodiversité est un poison lent dans les veines de l’humanité. Je vous l’accorde, malgré les différents rapports qui s’accumulent, la réponse n’est pas à la hauteur de cet enjeu universel ; nous avons parfois la tentation de céder à une forme de fatalisme.
Prenons-en acte, si nous continuons dans ce sens, vos enfants ou vos petits-enfants n’auront plus aucune chance de voir de grands animaux à l’état sauvage en Afrique. Or si nous n’avons pas réussi à sauver, par exemple, les grands singes, qu’en sera-t-il de la biodiversité ordinaire, qui est tout aussi indispensable pour l’avenir de l’humanité ? En effet, la biodiversité est certes un patrimoine, il s’agit de notre héritage, mais c’est surtout notre livret d’épargne pour l’avenir. Vous le savez, monsieur le sénateur, parce que vous avez été rapporteur de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Il n’en reste pas moins que, jusqu’à présent, nous n’avons pas été à la hauteur.
J’ai pris une décision, dont j’entends bien qu’elle ne réglera pas tout, mais qui vise à montrer que nous ne sommes pas résignés : la réintroduction de deux ourses dans les Pyrénées, de manière à essayer de sauver définitivement la souche originelle des ours des Pyrénées. §En effet, si nous voulons avoir du crédit dans les instances internationales et demander aux Asiatiques et aux Africains de cohabiter avec la faune sauvage, nous devons prendre notre part de responsabilité.
Au-delà de ce geste, pour que la biodiversité ne se résume pas à quelques espèces symboliques, nous devons, comme l’avait dit René Dubos, penser globalement et agir localement. La nature n’a pas besoin qu’on l’aime ; elle a besoin qu’on cesse de l’empoisonner et de la détruire !
Je soutiens évidemment, dans ce sens, la poursuite de la création d’agences régionales de la biodiversité. Effectivement, la biodiversité doit se faire au quotidien et la protection de notre patrimoine naturel est au cœur des politiques publiques et territoriales. C’est aussi la raison pour laquelle je présenterai, dans très peu de temps, un nouveau plan de lutte contre l’érosion de la biodiversité. Toutefois, comme je l’ai déclaré à l’Assemblée nationale, je n’y arriverai pas si chacun, à son niveau, ne prend pas sa part de responsabilité !
Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires et sur des travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Esther Benbassa applaudit également.
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour le groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le Premier ministre, le califat n’est plus, Raqqa et Mossoul sont tombés, mais les djihadistes, eux, sont toujours debout, et le sang de leurs victimes innocentes coule encore.
Au nom de mon groupe, je veux dire aux familles endeuillées notre respect, mais surtout notre soutien total. Je veux aussi exprimer aux forces de l’ordre notre profonde admiration et notre profonde reconnaissance ; je veux tout spécialement rendre hommage à la mémoire de celui qui, parmi elles, s’est sacrifié. Le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame était, jusqu’à vendredi, un officier supérieur de gendarmerie. Il incarne désormais, aux yeux de nous tous, la figure du héros français. Au « chacun pour soi », il a opposé le don de soi, message civilisateur par excellence.
Son geste nous oblige désormais à la lucidité de nommer l’ennemi, le totalitarisme islamiste, sans craindre en retour les faux procès en islamophobie. Il nous oblige aussi au courage, parce qu’il y a pire que l’horreur : c’est l’accoutumance à l’horreur. Nous ne devons céder ni à la fatalité ni au fatalisme. La lutte contre le terrorisme islamiste appelle, bien sûr, un arsenal sécuritaire et judiciaire. Elle appelle surtout qu’on applique la loi telle que nous l’avons déjà adoptée. Mais cette lutte exige aussi de ne rien céder sur nos valeurs, sur ce que nous sommes, et de reconquérir tous les territoires perdus de notre République, où qu’ils soient, au sens propre comme au sens figuré.
Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Alors, monsieur le Premier ministre, cette lucidité, ce courage, le Gouvernement est-il prêt à les assumer totalement, complètement, et sans ambiguïté ?
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste. – M. Michel Amiel applaudit également.
Monsieur le sénateur Retailleau, je crois que je pourrais partager – je n’en suis d’ailleurs pas surpris – tous vos mots et toutes les idées que vous venez d’exprimer. Je veux le dire très directement : je partage totalement vos déclarations sur le respect que nous devons aux militaires français qui se battent à l’extérieur de nos frontières pour garantir notre sécurité et sur celui que nous devons aux forces de sécurité qui interviennent pour protéger les Français, de façon parfois spectaculaire et systématiquement courageuse.
Nous devons aussi le respect à ceux de nos forces de sécurité, qu’ils soient policiers, gendarmes ou autres fonctionnaires, qui travaillent de façon beaucoup moins spectaculaire à des tâches d’analyse, de détection et d’affectation de moyens, des tâches qu’on ne voit pas, mais qui sont exercées – vous le savez parfaitement, monsieur le sénateur – avec la même concentration, la même détermination et, d’une certaine façon, la même rage de bien faire que celles qui animaient le lieutenant-colonel Beltrame.
Vous nous invitez, monsieur Retailleau, à la lucidité, vous nous appeler à nommer notre ennemi. Je partage votre avis : le totalitarisme islamiste est notre ennemi. Il l’est à l’extérieur de nos frontières, et il l’est aussi à l’intérieur lorsqu’il se développe et lorsqu’il passe à l’acte.
Au fond, monsieur le sénateur, vous m’exhortez à faire preuve de détermination. La détermination du Gouvernement est entière. Je partage encore votre avis, quand vous déclarez, avec le sens républicain chevillé à l’esprit, que cette détermination ne doit jamais se traduire par un renoncement à ce que nous croyons ou à ce que nous sommes, au respect de l’État de droit ou aux convictions qui sont défendues par le Sénat.
J’ai en mémoire, pour en avoir souvent discuté avec M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur, la qualité des débats et des arguments échangés ici, par exemple, lors de l’examen de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, texte qui nous a permis de doter le droit commun des instruments nécessaires lorsque nous sommes sortis de l’état d’urgence.
Je sais combien le Sénat s’est montré attaché tant à la défense des libertés individuelles qu’à l’efficacité de l’action publique, et je partage cette exigence, monsieur le sénateur.
Je sais que l’émotion est puissante après des événements d’une telle nature, et je ne la discute pas. Les questionnements sont nombreux, et ils sont légitimes. Des polémiques peuvent aussi se faire jour. Après tout, c’est l’honneur des démocraties que d’avoir des polémiques ; il y a des régimes où cela est impossible.
Je préfère avoir des polémiques. Elles sont naturelles, elles s’exercent. Des propositions sont faites.
Monsieur le sénateur, le Gouvernement ne déviera pas : il affectera les moyens nécessaires aux forces de l’ordre et à la justice, pour que ceux-ci puissent mieux exercer leurs missions de façon constante. Les 10 000 emplois qui seront créés au cours du quinquennat dans les forces de police et de gendarmerie serviront, pour 1 900 d’entre eux, à doter les services de renseignement. C’est loin d’être négligeable, et c’est indispensable.
Il en est de même pour notre organisation judiciaire. La création d’un parquet national antiterroriste permettra, là encore, de mieux coordonner l’action judiciaire, de favoriser la détection et la répression des virages, des tentations et, parfois, des passages à l’acte terroristes.
Je le répète, monsieur le sénateur, je partage tous les termes de votre question. Je réaffirme, devant vous, devant l’ensemble des groupes, devant le Sénat tout entier, la détermination totale du Gouvernement.
Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.
M. le président. La parole est à M. Laurent Lafon, pour le groupe Union Centriste.
Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, une fois encore la France est en deuil et pleure ses morts, quatre jours après les attaques terroristes de Trèbes et de Carcassonne.
Monsieur le président, mes collègues et moi-même nous associons à l’hommage que vous avez rendu aux victimes et aux personnes blessées et traumatisées par cet attentat. Nous saluons le courage des forces de l’ordre, qui s’engagent au quotidien pour notre protection au risque même de leur vie, comme l’a montré le lieutenant-colonel Beltrame.
L’effondrement de l’État islamique au Levant, ainsi que les mesures prises ces derniers mois pouvaient laisser penser que le risque, sans avoir disparu, était maîtrisé. L’attentat de vendredi dernier a montré, hélas !, qu’il n’en était rien. La menace terroriste est toujours présente en France et elle peut frapper n’importe où sur le territoire, y compris dans des lieux que nous pensions éloignés des foyers salafistes.
Du reste, c’est conscient de cette situation que le Sénat a créé, voilà plusieurs semaines, une commission d’enquête sur l’organisation et les moyens des services de l’État pour faire face à l’évolution de la menace terroriste après la chute de l’État islamique. Celle-ci rendra ses recommandations d’ici à l’été prochain.
Depuis 2012, nous avons voté de multiples lois, fait entrer l’état d’urgence dans le droit commun, renforcé les moyens budgétaires et humains du renseignement, accru la coordination de nos services, ouvert la réflexion vers une meilleure coopération entre la CNIL, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, et les services de renseignement, tandis qu’un parquet national antiterroriste avec des relais en région devrait prochainement voir le jour.
Le dernier attentat pose de nouveau la question de l’adaptation des moyens législatifs, humains, technologiques et budgétaires pour faire face à la menace terroriste à travers ses différentes formes et son évolution : propagation du radicalisme en prison, retour des djihadistes du Levant ou caractère endogène du terrorisme, comme l’a illustré l’attentat de vendredi dernier.
Certes, nous avons conscience que le risque zéro n’existe pas. Certes, il ne faut pas céder aux amalgames et tomber dans les recettes faciles ou les récupérations déplacées dans de telles circonstances. Néanmoins il convient de répondre aux inquiétudes légitimes des Français.
Monsieur le Premier ministre, quel regard portez-vous sur les mesures mises en place ces dernières années, sur leur effectivité et sur les résultats qu’elles ont permis d’obtenir ? Quels enseignements tirez-vous également de l’attentat de vendredi, qui, malheureusement, a montré la persistance de lacunes dans notre organisation ?
Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.
Monsieur le sénateur Lafon, en début d’après-midi, j’accueillais la famille d’Arnaud Beltrame : son épouse, ses parents, ses frères. Vous vous en doutez bien, c’était un moment d’intense émotion, mais en même temps de grande dignité. Sa mère me disait : « Je ne suis pas dans la haine. Je suis au contraire dans la fierté de ce qu’a accompli mon fils : donner sa vie pour sauver une autre vie. »
Depuis que je suis ministre de l’intérieur, nous savons que la menace est toujours présente. Elle ne provient plus du front irako-syrien. C’est aujourd’hui une menace endogène : un certain nombre d’esprits se radicalisent sur internet, voire se radicalisent tout seuls, et peuvent passer à l’acte.
Cela demande de renforcer les moyens de nos services en femmes, en hommes, en outils techniques, de manière à être toujours plus présent. Toutefois, on ne peut jamais dire que l’on va éradiquer le mal.
Le combat est d’abord un grand combat idéologique, qui oppose au reste de la société l’islam radical, cet islamisme moyenâgeux, qui frappe dans tous les pays : dans les pays occidentaux, bien sûr, mais aussi dans les pays musulmans. Il faut que, les uns et les autres, nous unissions nos forces pour le combattre et le vaincre intellectuellement.
Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste.
M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton, pour le groupe La République en marche.
Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.
Ma question s’adresse à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
Elle s’appelait Mireille Knoll. Elle avait quatre-vingt-cinq ans. Elle était française et de confession juive. Elle avait échappé de justesse à la rafle du Vel’ d’Hiv au mois de juillet 1942, en s’enfuyant de Paris avec sa mère. Vendredi dernier, le corps sans vie de cette octogénaire, mère de deux enfants, a été retrouvé en partie carbonisé et lacéré de onze coups de couteau dans son appartement du XIe arrondissement de Paris. Le parquet de Paris a ouvert hier une information judiciaire pour assassinat à raison de l’appartenance de la victime à une religion, retenant ainsi le caractère antisémite de l’agression.
Face à cet acte ignoble, une conclusion s’impose : non, la France n’en a pas terminé avec l’antisémitisme.
Une chose est sûre : la douleur est aujourd’hui nationale. Chaque fois qu’un citoyen est agressé en raison de ce qu’il est, c’est toute la République que l’on agresse. Au-delà de Paris, c’est toute la France qui est meurtrie. Nous serons nombreux, je l’espère, demain, à la marche blanche en hommage à Mireille Knoll.
Souvenons-nous d’Ilan Halimi et du « gang des barbares » en 2006, de l’attaque de l’école Ozar Hatorah à Toulouse en 2012, du meurtre de Sarah Halimi l’an dernier, de cet enfant de huit ans sauvagement agressé à Sarcelles et, bien sûr, des victimes de l’Hyper Cacher en 2015.
Face à la forte montée de l’antisémitisme depuis les années quatre-vingt, la reconquête des esprits, le combat contre les ennemis de la République, la défense de la vision française de la laïcité sont plus que jamais des impératifs.
Il nous faut aussi lutter contre les éducations culturellement « ségréguées » dans certains territoires. Avec internet, la haine n’a pas trouvé un outil de régulation ; elle a trouvé un nouvel horizon.
Monsieur le ministre d’État, pouvez-nous nous préciser les moyens mis en œuvre par le Gouvernement pour lutter contre l’antisémitisme et contre toutes les formes de racisme et de xénophobie, notamment sur internet, qui menacent notre « commun républicain » ?
Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Monsieur le sénateur Julien Bargeton, vous avez raison : pendant toute une période, on a cru que l’antisémitisme appartenait au passé, que la Shoah, qui avait vu des millions de juifs périr en Europe – hommes, femmes, enfants –, c’était définitivement passé. Nous voyons aujourd’hui que renaît un antisémitisme extrêmement fort et nous ne pouvons le laisser se développer.
Il faut que, les uns et les autres, dans cet hémicycle, quelle que soit notre sensibilité, nous menions la lutte contre l’antisémitisme, nous ne laissions aucun coin d’ombre, nous soyons toujours au premier rang dans cette lutte.
Vous avez parlé des contenus qui peuvent se diffuser sur internet pour appeler à la haine. Avec le Président de la République, nous sommes en train de mener un combat à l’échelon européen, pour que tous les contenus haineux, antisémites, racistes puissent être très vite retirés. Nous avons dit ensemble que, si nous n’obtenions pas des grandes plateformes le retrait dans les meilleurs délais de ces contenus, la Commission européenne prendrait un certain nombre de résolutions pour obliger ces dernières à les retirer. Si cela n’allait pas assez vite, nous ferions comme en Allemagne : nous prendrions une loi spécifique pour qu’en France cela ne se passe plus.
Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Union Centriste.
M. le président. La parole est à M. Olivier Léonhardt, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Ma question s’adresse à Mme la ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes.
Madame la ministre, l’islamisme a frappé et tué une nouvelle fois dans notre pays. Notre émotion, celle de nos concitoyens, est à son comble. La France est en deuil et nous honorons la mémoire de nos héros. Je veux tout d’abord m’associer à mes collègues qui se sont exprimés avant moi pour adresser notre soutien le plus profond aux familles des victimes blessées ou emportées dans cette tragédie.
Nous savons que la menace terroriste reste très élevée. Notre démocratie tente de s’adapter peu à peu à ce risque durable par des évolutions législatives qui doivent nous permettre de surmonter cette situation, tout en préservant nos valeurs, nos libertés et notre mode de vie.
Pourtant, le combat qui nous oppose à l’islam radical doit aussi être abordé à l’échelle internationale. Les foyers terroristes à l’étranger, notamment en Syrie, où je rappelle que Daech n’a pas encore été éradiqué, sont des points d’appui de la radicalisation et du passage à l’acte de nombreux terroristes sur le sol français.
L’action et la parole de la France dans le conflit irako-syrien sont donc déterminantes pour enrayer durablement cette idéologie totalitaire. C’est d’ailleurs parce que la parole de la France a une valeur toute particulière que nous ne pouvons pas laisser perdurer la moindre ambiguïté sur notre position quant à la situation dans le Rojava, en Syrie.
La présence de nos alliés kurdes en Syrie a permis d’éviter l’engagement au sol des troupes françaises.
Les Kurdes, qui ont été en première ligne dans le combat face à l’organisation État islamique et qui continuent à combattre les derniers foyers terroristes, sont aujourd’hui abandonnés dans la région d’Afrin, à la suite d’une offensive turque commencée au mois de janvier dernier.
Madame la ministre, ne pensez-vous pas que protéger les Kurdes, c’est défendre nos valeurs, c’est lutter contre le terrorisme, par conséquent c’est aussi nous protéger nous-mêmes ? La France va-t-elle condamner l’agression et la volonté d’éradication dont les Kurdes sont aujourd’hui les victimes ?
Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.
Monsieur le sénateur Léonhardt, l’escalade se poursuit en Syrie. Les troupes turques ont pris Afrin le 18 mars dernier. Depuis, le président Erdogan a laissé craindre la poursuite de l’intervention turque, notamment dans le secteur de Tal Rifaat, où 75 000 personnes auraient trouvé refuge.
Nous avons fait part, publiquement et lors de nos contacts avec les autorités turques, de notre très vive préoccupation. La position de la France est très claire : si le souci de la Turquie de s’assurer de la sécurité de sa frontière est compréhensible, rien ne peut justifier son maintien, en profondeur et dans la durée, sur le territoire syrien.
Nos préoccupations sont bien entendu humanitaires, puisque 100 000 personnes ont fui Afrin. Elles sont juridiques, puisque la résolution 2401 du Conseil de sécurité des Nations unies a imposé une cessation des hostilités sur l’ensemble du territoire syrien et que cette résolution est violée jour après jour. Elles sont aussi opérationnelles et de sécurité.
Comme vous le soulignez, la France a pleinement conscience que les forces kurdes apportent un appui décisif à la lutte contre Daech. La priorité absolue de la communauté internationale doit être de poursuivre ce combat. L’attentat de Carcassonne et de Trèbes nous l’a douloureusement rappelé.
Le Président de la République s’est entretenu une fois encore avec le président Erdogan le 24 mars dernier, pour rappeler la nécessité que la Turquie permette le plein accès de l’aide humanitaire et pour redire la priorité absolue de la lutte contre Daech. Cette priorité, il l’a également rappelée au président Trump avec lequel il vient de s’entretenir par téléphone.
Nous avons besoin des Kurdes pour lutter contre Daech. À terme, seule une solution politique qui inclut notamment les Kurdes est à même d’assurer la stabilité de la Syrie et la sécurité de ses voisins, ainsi que la nôtre.
M. François Patriat applaudit.
M. le président. La parole est à Mme Vivette Lopez, pour le groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Ma question s’adresse à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
Monsieur le ministre d’État, quand allez-vous prendre la mesure de ce qui se passe à Mayotte ?
Depuis plus d’un mois, des milliers d’administrés français, les habitants de Mayotte, sont dans la rue, exprimant les exaspérations de tout un territoire et espérant que leurs réclamations seront enfin entendues et, surtout, véritablement comprises. Toutes leurs revendications sont légitimes : elles concernent l’insécurité croissante, la pression de l’immigration illégale massive, la désertification médicale, la crise de l’éducation, l’augmentation continue de la violence dans les établissements scolaires, l’asphyxie de l’économie, etc.
D’ailleurs, bien des maux dont souffre Mayotte sont également des préoccupations nationales : de nombreux départements de la métropole les partagent. Rien ne justifie une telle désinvolture. Mayotte aujourd’hui, comme la Guyane hier, paie directement les tergiversations des gouvernements précédents et la frilosité du gouvernement actuel à prendre les mesures qui s’imposent. Or il y a urgence !
Mayotte mérite le développement et a des atouts. Ce sont les outre-mer qui permettent à la France d’avoir la place qu’elle tient dans le monde.
Monsieur le ministre d’État, l’outre-mer ne peut pas être à la périphérie des stratégies territoriales nationales engagées. À l’heure de la mondialisation, Mayotte nous ouvre sur le monde et l’océan Indien est une composante du rayonnement de la France.
Monsieur le ministre d’État, que représente le nom de Mayotte dans la République française ? Quelles mesures politiques d’envergure envisagez-vous de prendre pour la protection de nos compatriotes d’outre-mer, afin qu’ils puissent connaître enfin le développement ambitieux qu’ils méritent ?
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Maryvonne Blondin applaudit également.
Madame la sénatrice Vivette Lopez, vous m’interpellez sur la situation à Mayotte. Comme vous le savez, depuis plusieurs années, à Mayotte, la situation en termes de sécurité et d’ordre public se dégrade, sous l’effet cumulé de deux principaux facteurs : la pression migratoire massive en provenance des Comores et la délinquance.
Entre Mayotte et l’île d’Anjouan, il n’y a que soixante-dix kilomètres. Dans le même temps, le ratio de PIB entre les deux îles est de 1 à 13. Voilà pourquoi la pression migratoire est extrêmement forte.
Dans ce climat que, comme vous, je sais tendu, je veux néanmoins me féliciter de la tenue des élections partielles avec un fort taux de participation. §Qui eût dit, il y a encore trois semaines, que nous pourrions tenir ces élections ?
Alors, oui, nous avons bien compris l’appel des Mahorais. Nous allons renforcer significativement l’effectif des policiers et des gendarmes affectés à Mayotte. Ce sont 124 gendarmes supplémentaires et 81 policiers de plus qui seront affectés sur l’île.
Mayotte est également l’un des départements qui bénéficieront de renforcements supplémentaires dans le cadre de la police de sécurité du quotidien et une zone de sécurité prioritaire, ou ZSP, sera créée à Mamoudzou et les communes environnantes.
Par ailleurs, dans le cadre de la lutte contre l’immigration clandestine, j’ai pris contact avec mon collègue ministre de l’intérieur des Comores, qui avait cessé d’accueillir tout retour.
M. Gérard Collomb, ministre d ’ État. Il vient de rouvrir la possibilité de renvoyer un certain nombre d’illégaux. C’est un premier pas dont je me félicite.
Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.
M. le président. La parole est à Mme Josiane Costes, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Ma question s’adressait à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Lors du lancement des chantiers de la justice, Mme la garde des sceaux a souhaité que l’évolution de l’organisation des implantations judiciaires permette l’amélioration « de la proximité du réseau pour le bien commun et la proximité nécessaire au justiciable ». Forts de ces directives, les référents sur cette thématique ont préconisé « de conjuguer les besoins de proximité et de spécialisation par une répartition équilibrée des contentieux valorisant l’ensemble des sites judiciaires et favorisant de nouvelles méthodes de travail ».
Les tribunaux d’instance, pièces essentielles du maillage des territoires ruraux, seront intégrés aux tribunaux de grande instance.
Si l’on peut bien sûr comprendre la nécessité de réformer notre justice afin qu’elle soit plus efficace, il est indispensable que l’égal accès de tous les citoyens à la justice demeure une réalité.
Dans nos territoires ruraux, les craintes de voir ces tribunaux d’instance disparaître de nos petites villes existent. Le tribunal criminel qui doit être créé interviendra en première instance pour les crimes punis entre quinze ans et vingt ans de réclusion, afin de désengorger les cours d’assises. Au-delà de cette annonce, nous souhaitons savoir où ces tribunaux seront implantés. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous au moins nous assurer qu’il y en aura un par département ?
L’avenir des cours d’appel inquiète également : des expérimentations vont être menées, afin de réfléchir à une meilleure répartition des compétences de celles-ci au sein d’une même région administrative. Or, dans nos très grandes régions où les moyens de transport sont parfois problématiques, cela pourrait être une difficulté pour le justiciable.
Nos concitoyens s’interrogent, en particulier dans les territoires éloignés des grandes métropoles. Monsieur le secrétaire d’État, que pouvez leur répondre, afin que l’accessibilité de la justice reste bien, pour eux, une réalité ?
Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.
Madame la sénatrice Costes, vous interrogez Mme la garde des sceaux sur les réformes de la justice, notamment sur l’adaptation du réseau de juridictions.
Comme vous le savez – vous l’avez d’ailleurs rappelé –, le Premier ministre et la garde des sceaux ont lancé, au mois d’octobre dernier, cinq chantiers en vue de réformer en profondeur notre justice, pour que la justice soit rendue de façon plus rapide, plus efficace. Nous savons bien qu’aujourd’hui elle a besoin de gagner en rapidité et en efficacité. Parmi ces cinq chantiers, figure l’adaptation de notre réseau judiciaire.
Madame la sénatrice, vous avez raison de souligner l’importance de la justice de proximité.
J’ai moi-même été maire d’une commune qui comptait un tribunal d’instance et j’ai le souvenir d’avoir appris un jour, par la presse, que celui-ci était fermé. À l’époque, une juridiction sur quatre avait été supprimée. Mme Rachida Dati était alors garde des sceaux… §Je ne me souviens pas que la concertation ait été aussi poussée que celle qui a lieu aujourd’hui.
En lançant la consultation sur ce sujet, Mme la garde des sceaux a souhaité explorer toutes les voies possibles qui permettraient d’améliorer la lisibilité et l’efficacité de notre justice, avec pour seul préalable qu’aucun – je dis bien aucun – lieu de justice ne ferme.
Je vous confirme, madame la sénatrice, que, dans votre département – votre question était certes plus large –, aucun tribunal ne sera fermé. Évidemment, le tribunal de grande instance d’Aurillac, dans sa fonction de TGI, sera maintenu
Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains
Toutefois, il est proposé que la juridiction judiciaire puisse décider de spécialiser tel ou tel tribunal d’instance. L’objectif est non de les fermer, non de diminuer le volume d’actions de travail, mais de spécialiser. En effet, nous savons bien qu’aujourd’hui le système de droit implique une spécialisation que n’ont pas forcément tous les magistrats. Nous avons pour objectif que, sous l’autorité des magistrats eux-mêmes, en lien avec les collectivités locales et les différents élus, nous puissions définir les spécialisations de tel ou tel tribunal.
Madame la sénatrice, soyez rassurée : évidemment, la carte judiciaire sera maintenue, parce que la proximité de la justice est un élément déterminant de son efficacité.
Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.
M. le président. La parole est à M. Jean Pierre Vogel, pour le groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Ma question s’adresse à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à adresser un message de soutien et de solidarité aux familles des victimes de l’acte terroriste de Trèbes, attentat qui endeuille une nouvelle fois la France, à rendre hommage bien entendu au lieutenant-colonel Arnaud Beltrame, qui a fait don de sa vie pour sauver celle des autres, et à nos forces de sécurité qui ont fait preuve d’un grand professionnalisme.
Monsieur le ministre d’État, 14 juillet 2016, Nice ; 3 février 2017, rue de Rivoli ; 20 avril 2017, Champs-Élysées ; 23 mars 2018, Trèbes. Quatre dates, quatre attentats qui ont mis en évidence les dysfonctionnements du système d’alerte et d’information des populations, le SAIP. Au mois d’août dernier, mon rapport d’information mettait déjà en lumière les multiples lacunes du SAIP. D’ailleurs, la préfecture de l’Aude ne l’a même pas activé ce vendredi, lui préférant Twitter.
Monsieur le ministre d’État, vous m’aviez indiqué avoir diligenté une enquête de l’Inspection générale de l’administration pour évaluer l’opportunité du recours à cette application : « J’ai compris – disiez-vous – que le procédé mis en place n’était pas optimal. » Nous en attendons encore les conclusions.
Au-delà de l’information des populations, je souhaite évoquer les multiples interrogations de nos concitoyens qui se résument en deux grandes questions.
La question du « comment », d’abord. Comment ce terroriste, connu des services de police depuis plusieurs années, condamné à plusieurs reprises pour des faits de droit commun, puis fiché S pour ses liens avec la mouvance islamiste, a-t-il pu passer à l’acte ?
La question du « pourquoi », ensuite. Pourquoi un individu, français depuis l’âge de douze ans, s’est-il retourné contre la France en tuant des Français ?
Ces deux questions, les Français se les posent, car ce qui est en jeu – et parfois en cause –, c’est la solidité non seulement de nos défenses judiciaires et sécuritaires, défenses qu’il nous faut renforcer dès le premier délit et sans doute compléter, par exemple au moyen du rétablissement de la double peine, …
… mais également de nos défenses immunitaires et de cette exigence républicaine d’assimilation qui est le meilleur antidote contre le virus islamiste.
M. Jean Pierre Vogel. Monsieur le ministre d’État, avez-vous des propositions pour renforcer l’arsenal judiciaire existant ? Êtes-vous, par exemple, favorable au rétablissement de la double peine ?
Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Jean Pierre Vogel. Que faites-vous en faveur de cette exigence d’assimilation, que nous devons réaffirmer pour casser ce processus infernal, qui mène du communautarisme au salafisme, puis au djihadisme ?
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le sénateur, vous affirmez que, lors de l’attentat, les moyens d’information et la réaction n’ont pas été à la hauteur. Permettez-moi de vous contredire.
L’alerte fut donnée au supermarché à dix heures quarante-deux ; à dix heures quarante-cinq, le groupement de gendarmerie déclenchait le plan départemental contre le terrorisme et mettait en œuvre le schéma national d’intervention, élaboré pour renforcer l’efficacité de l’action en cas de survenance d’un attentat. La brigade de Trèbes, le peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie de Carcassonne, avec le lieutenant-colonel Beltrame, arrivaient douze minutes plus tard.
Peu de temps ensuite, tous les écoliers étaient confinés dans leurs écoles, car on ignorait alors s’il y avait un ou plusieurs terroristes. On craignait en outre que l’attentat au supermarché ne soit finalement qu’un leurre, deux corps ayant été retrouvés ailleurs, et que d’autres attentats ne soient commis.
Alors oui, les forces de l’ordre ont réagi comme il le fallait.
Comme je l’ai dit tout à l’heure, même si nous avons embauché des effectifs – et nous allons continuer à le faire –, même si nous développons des moyens techniques, le combat sera long et nous devons y faire face tous ensemble. Ce n’est pas avec des mesures telles que celles que vous proposez que nous viendrons à bout du terrorisme. Ces mesures conduiraient au contraire à diviser les Français.
Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.
M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour le groupe socialiste et républicain.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Ma question s’adresse à M. le ministre de l’éducation nationale. Elle porte sur la situation dans les universités françaises, singulièrement celle de Montpellier.
Dans la nuit du 22 au 23 mars, des individus encagoulés ont commis des actes d’une grave violence contre des étudiants qui occupaient un amphithéâtre en signe de protestation. Cette occupation n’est pas isolée, comme en témoignent les cas de Paris, de Bordeaux, de Toulouse, de Lille, où des actes graves semblent avoir été également relevés.
Une telle violence, aux relents rances et aux racines extrémistes, n’a pas sa place à l’université, lieu du savoir et de l’apprentissage. Aucun blocage ne peut justifier de telles exactions. La démission du doyen de la faculté de droit, après des propos douteux, ne peut constituer la seule réponse. Nous attendons le résultat de l’enquête qui a été diligentée.
Vous le voyez, monsieur le ministre, contrairement aux assurances que vous voulez donner, les étudiants sont inquiets concernant la réforme de l’université votée en février 2018, quand ils n’y sont pas opposés, car elle met en place une sélection sociale et géographique qui ne veut pas dire son nom. C’est un nouveau symptôme du bouillonnement social que le Gouvernement ne veut pas voir.
Alors que l’étude Campus Responsables de 2016 a montré combien les universités sont des leviers importants de développement socio-économique, vous vous obstinez à sous-investir.
Officiellement, le budget de l’enseignement supérieur est en hausse dans la loi de finances. Or cette hausse, qui inclut d’ailleurs l’inflation, n’est en rien à la hauteur des défis à venir.
Votre gouvernement a une double responsabilité, s’agissant des croissances d’effectifs d’abord, des choix fiscaux qu’il a réalisés ensuite. Vous savez d’ores et déjà que la création de places supplémentaires ne suffira pas à accueillir les nouveaux bacheliers. Sans la flat tax et la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune, qui rapportait 5 milliards d’euros, le budget de l’enseignement supérieur aurait pu augmenter de près de 40 %.
Contrairement à tout ce que prétend le Gouvernement auquel vous appartenez, la France n’est pas une entreprise. C’est une République qui doit privilégier un destin collectif dans lequel il ne saurait être question de favoriser uniquement quelques-uns.
M. Éric Kerrouche. Monsieur le ministre, ma question est simple : quand le Gouvernement va-t-il enfin prendre la mesure des besoins de l’université et de la recherche ? Allez-vous enfin répondre aux angoisses d’une génération qui n’entend pas être sacrifiée sur l’autel d’un néo-libéralisme et d’une austérité insensés ?
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Monsieur le sénateur Éric Kerrouche, je réponds à votre question en l’absence de la ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal.
Votre question se compose en réalité de deux parties. Même si je ne vois pas très bien la relation entre elles, je m’efforcerai de répondre à chacune d’elles.
Je ne peux évidemment que condamner, comme vous, ce qui s’est passé à l’université de Montpellier, comme l’a fait tout le Gouvernement par la voix de Frédérique Vidal. Ma collègue a immédiatement diligenté une enquête auprès de l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche. Nous sommes dans l’attente de ses conclusions et nous serons bien entendu inflexibles sur les suites judiciaires à donner à cette affaire.
Comme vous l’avez rappelé, le doyen de la faculté de droit a démissionné à la suite de ces événements.
À la demande du président de l’université, le vice-président assure l’intérim du doyen.
J’en viens à la seconde partie de votre question, dont je ne vois absolument pas le rapport avec les événements auxquels vous venez de faire référence, dans la première partie de votre question, ces violences qui ont eu lieu contre des étudiants rassemblés pacifiquement pour protester contre certains aspects de la réforme de l’université.
Je puis vous assurer que la réforme de la plateforme Parcoursup qui a été menée par Frédérique Vidal garantira à tous les étudiants de France de bien meilleurs mois de juin, de juillet et d’août que ceux qu’ont connus leurs prédécesseurs en 2017 sous le régime APB. §Cette plateforme est une amélioration indiscutable.
Compte tenu de la modestie des investissements dans l’enseignement supérieur ces dernières années, de ce qui s’est passé avec le système APB – je pense au tirage au sort des étudiants –, il me semble que vous devriez être prudent avant de porter un jugement sur la nouvelle plateforme !
Nous vous donnons donc rendez-vous au mois de septembre, mais vous verrez dès la fin du mois de mai que Parcoursup est nettement meilleur que le système APB.
Marques d ’ approbation et applaudissements sur les mêmes travées.
La parole est à M. Stéphane Ravier, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, mes trois années passées au sein de la Haute Assemblée et de l’assemblée municipale de Marseille m’ont convaincu que les hommes et les femmes qui nous gouvernent sont des animaux politiques à sang froid : ils ne rougissent pas - jamais !
Quels que soient l’hémicycle et les circonstances, ils restent – vous restez, mes chers collègues – droits dans leurs bottes, imperturbables ! Cette séance de questions au Gouvernement en aura été la parfaite illustration.
Les élus de gauche et d’extrême gauche ont clamé leur admiration pour les forces de l’ordre lors des louanges, ô combien justifiées, adressées au gendarme Arnaud Beltrame, ce héros français, alors qu’ils n’ont de cesse tout au long de l’année de dénigrer la gendarmerie, jusqu’à tenter de la salir, comme ils l’ont fait lors de l’accident du barrage de Sivens.
Très vives protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Un ex-candidat de la France insoumise s’est même réjoui de la mort d’Arnaud Beltrame.
De même, ils n’ont de cesse de dénigrer la police tout au long de l’année, …
… jusqu’à tenter de la salir, comme ils l’ont fait lors de la pseudo-affaire Théo.
Quelle hypocrisie et quelle indécence !
Du côté de la droite, on désigne enfin l’ennemi : le totalitarisme islamiste. On fait la leçon, on en appelle aujourd’hui à la lucidité et au courage, à l’application de l’arsenal sécuritaire et judiciaire, mais on est manifestement frappé d’amnésie.
Oubliée, l’abolition de la double peine par un certain Nicolas Sarkozy, laquelle a rendu impossible l’expulsion des délinquants étrangers.
Oubliée, la création par ce même Sarkozy du Conseil français du culte musulman, le CFCM, où les islamistes de l’association Musulmans de France, ancienne Union des organisations islamiques de France, l’UOIF, sont devenus majoritaires. Musulmans de France a appelé à voter Macron l’année dernière, soutien que le candidat, devenu président depuis, a alors accepté.
Oubliés, la suppression de 12 500 postes de policiers et de gendarmes, les amours avec le Qatar, et le non-rétablissement de nos frontières.
Oublié, le fait que vous ayez tous refusé, mes chers collègues, de voter à l’Assemblée nationale …
… les propositions des députés du Front national d’expulser les étrangers fichés S.
Un front républicain de l’amnésie foudroyante et sélective, en somme !
Huées sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
J’en viens à ma question, monsieur le président. Merci de m’octroyer les quelques secondes supplémentaires que vous avez accordées aux intervenants précédents.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le ministre, alors que vous êtes apparu à Trèbes complètement dépassé par les événements, alors que nous avons compris que, à l’instar d’Emmanuel Macron, vous n’alliez pas « inventer un programme de lutte contre le terrorisme dans la nuit », que, s’il ne s’était rien passé entre l’affaire Merah et l’attaque de la gare Saint- Charles, …
Vives protestations.
M. Stéphane Ravier. … ne pensez-vous pas que, dans ces circonstances, l’heure est venue pour vous de présenter votre démission ?
Exclamations amusées.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vois que M. Ravier fait toujours dans la nuance ! Il ne change pas, lui non plus… Je ne sais pas si tous ses collègues sont semblables à ce qu’ils étaient dans le passé, mais en tout cas, lui, il l’est !
Pour notre part, nous ne confondons pas les terroristes, contre lesquels nous luttons avec détermination, avec l’ensemble des Français de confession musulmane, qui sont au nombre de 5 millions en France. Beaucoup d’entre eux aujourd’hui souffrent sans doute de voir que quelqu’un se réclamant de la religion musulmane ait pu commettre un tel acte.
Au regard de son comportement, de musulman, il n’a que le nom, tant son histoire est caractérisée par les délits, le crime. Il n’est donc pas une référence.
Nous préférons celles et ceux, comme le lieutenant-colonel Beltrame, dont vous devriez étudier le parcours d’un peu plus près, qui se réclament d’un humanisme et d’une certaine conception du christianisme altruistes, tournés vers l’autre. Ceux-là n’accablent pas sans cesse les autres, comme vous le faites aujourd’hui, afin de diviser les Français.
Le grand piège qui nous est tendu aujourd’hui, c’est effectivement celui de la division. Ce que veulent, non pas de petits délinquants comme celui-ci, mais les idéologues de Daech, c’est monter les Français les uns contre les autres. Cela, nous ne l’accepterons jamais !
Vifs applaudissements.
Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu le jeudi 5 avril, à quinze heures ; elles seront retransmises sur Public Sénat et sur le site internet du Sénat, ainsi que sur Facebook.
Mes chers collègues, afin de permettre à ceux d’entre nous qui le souhaiteraient de se rendre au rassemblement en hommage à Mireille Knoll organisé demain, je propose que nous suspendions nos travaux à l’issue du second débat de l’après-midi et que nous les reprenions à vingt et une heures trente, pour l’examen de la proposition de loi relative à l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs.
Il n’y a pas d’observation ?…
Il est en ainsi décidé.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante-cinq, est reprise à dix-huit heures quinze, sous la présidence de M. Thani Mohamed Soilihi.
Par lettre en date du 26 mars 2018, le Premier ministre a indiqué au président du Sénat que le Gouvernement, en application de l’article 50-1 de la Constitution, ferait une déclaration, suivie d’un débat, portant sur le projet de programme de stabilité pour 2018-2022 mercredi 18 avril 2018, le soir.
En conséquence, nous pourrons prévoir, à l’issue de ce débat, une suite éventuelle de l’examen de la proposition de loi portant transposition de la directive du Parlement européen et du Conseil sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites.
Acte est donné de cette modification
J’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Hamadou Barkat-Gourat, qui fut sénateur des Affars et des Issas de 1965 à 1980.
Nous reprenons la discussion de la proposition de loi d’orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles, présentée par M. Philippe Bas et plusieurs de ses collègues.
Dans la discussion du texte de la commission, nous en sommes parvenus à l’article 2.
Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Le deuxième alinéa de l’article 7 est complété par une phrase ainsi rédigée : « L’action publique des crimes mentionnés aux articles 222-23 à 222-26 du code pénal, lorsqu’ils sont commis sur des mineurs, se prescrit par trente années révolues à compter de la majorité de ces derniers. » ;
2° Aux deuxième et troisième alinéas de l’article 8, la référence : « 222-29-1 » est remplacée par les références : « 222-27 à 222-30 ».
Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 5 rectifié septies, présenté par MM. Houpert, Kern et Joyandet, Mme Berthet, M. Paccaud, Mmes Puissat, de Cidrac, Lassarade et Gruny, M. Charon, Mme F. Gerbaud, M. Laménie, Mmes Delmont-Koropoulis et Bories, M. H. Leroy, Mme Loisier, M. Chatillon, Mme Deromedi, M. Le Gleut, Mmes Lopez et Garriaud-Maylam, M. Lefèvre, Mmes Goy-Chavent et Férat et MM. Rapin, Babary et Leleux, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2
Après les mots :
code pénal
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
dès lors qu’ils ont été commis sur un mineur, est imprescriptible.
II. – Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
2° Les deuxième et troisième alinéas de l’article 8 sont supprimés.
La parole est à M. Alain Houpert.
Mettons les bons mots sur les maux : les crimes sur mineurs sont des crimes majeurs, dont les êtres en devenir que sont les victimes ne se remettent jamais. Le maître-mot de la proposition de loi est « imprescriptibilité ». L’imprescriptibilité n’est pas définitive, mais aujourd’hui, nous ne parlons pas de la peine.
L’amendement que j’ai l’honneur de présenter vise à rendre imprescriptibles les crimes sexuels dès lors qu’ils sont commis sur des mineurs. La violence sexuelle est la forme de violence la plus destructrice qu’un être humain puisse subir. Les sciences cognitives l’auguraient déjà, les nouvelles découvertes des neurosciences le prouvent : ces violences causent des dégâts irréversibles sur le cerveau, en particulier sur le système limbique. De nombreuses pathologies sont la conséquence de violences sexuelles vécues dans l’enfance et non traitées : le diabète, l’hypertension, certains cancers, des pathologies gynécologiques. Plus l’enfant est jeune, plus les conséquences sont dramatiques.
Les crimes sexuels sur mineurs ne peuvent être traités comme les autres crimes.
L’obstacle le plus fort à la libération de la parole, c’est l’amnésie traumatique, du fait des atteintes du cerveau, en particulier du système limbique et de l’hippocampe, sièges de la mémoire. En effet, le corps, pour se préserver, fait switcher le cerveau et provoque une amnésie, comme une ardoise magique. Cette amnésie peut durer des décennies et cause, lors du retour à la conscience, un véritable cataclysme psychologique et physique.
La récente réforme de la prescription pénale de février 2017 ne prend pas en compte ces aspects spécifiques des crimes sexuels sur mineurs.
Cet amendement a pour objet de rendre ces crimes imprescriptibles, d’une part, pour que les victimes ne puissent plus être déclarées hors délais, ce qui les empêche aujourd’hui de demander justice à tout moment de leur vie, d’autre part, pour que leurs auteurs sachent qu’ils ne sont pas à l’abri d’une sanction, même tardive.
J’évoquerai maintenant les coupables. Rendre imprescriptibles les crimes sexuels sur mineurs, …
Les deux amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 4 est présenté par Mme Meunier et M. Jeansannetas.
L’amendement n° 9 rectifié quinquies est présenté par MM. Buffet, Allizard et Babary, Mme Berthet, M. Bizet, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Brisson, Chaize, Chatillon, Dallier et Daubresse, Mmes de Cidrac, Deroche, Deromedi, Di Folco et Dumas, M. Duplomb, Mmes Estrosi Sassone et Eustache-Brinio, MM. Forissier, Gremillet et Grosdidier, Mme Gruny, MM. Houpert et Laménie, Mme Lanfranchi Dorgal, MM. D. Laurent, Lefèvre, Milon et Piednoir, Mme Puissat, MM. Rapin et Savin, Mmes Thomas et Troendlé et MM. Vial et Wattebled.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
se prescrit par trente années révolues à compter de la majorité de ces derniers
par les mots :
est imprescriptible
La parole est à Mme Michelle Meunier, pour présenter l’amendement n° 4.
Cet amendement a pour objet de rendre imprescriptibles les crimes mentionnés aux articles 222-23 à 222-26 du code pénal lorsqu’ils sont commis sur des mineurs. En raison de l’ampleur des violences sexuelles, il est essentiel de mettre en place une réponse pénale appropriée, à savoir l’imprescriptibilité de ces crimes.
Notre ancienne collègue Muguette Dini avait évoqué des estimations du Conseil de l’Europe selon lesquelles un enfant sur cinq serait confronté à la violence sexuelle sous toutes ses formes – viol, agression sexuelle, pornographie, sollicitation par le biais d’internet, prostitution, corruption, etc. En extrapolant cette donnée à l’échelle de la France, cela représente 2, 5 millions d’enfants, soit une belle part de notre humanité.
La parole est à M. François-Noël Buffet, pour présenter l’amendement n° 9 rectifié quinquies.
Le présent article est important, car il traite du délai de prescription. La durée de celui-ci doit-elle être de vingt ans comme aujourd’hui ? Doit-elle passer à trente ans, comme cela est proposé, voire à quarante ans, comme certains le souhaitent ? Faut-il prévoir l’imprescriptibilité ? Pour ma part, je plaide pour l’imprescriptibilité.
Ceux qui s’y opposent le font au nom d’un certain nombre de principes. Ils invoquent l’impossibilité de recueillir des preuves, compte tenu du temps écoulé. Certains plaident même pour le droit à l’oubli. Or la victime, elle, n’oublie pas. Pour les victimes d’un crime ayant touché leur intimité la plus profonde, comme l’a rappelé mon collègue Houpert, les choses sont beaucoup plus complexes et elles sont gravées longtemps.
Dans ces cas particuliers, la difficulté tient à la capacité de la victime à révéler publiquement son agression et donc à déclencher l’action publique permettant la poursuite de l’auteur du crime.
Les crimes sexuels sont très différents de n’importe quel crime de sang. Dans ce dernier cas, la victime est évidemment parfaitement connue puisqu’elle a été retrouvée. L’enquête judiciaire s’engage immédiatement. Il n’y a pas de problème de prescription a priori.
Le problème du crime sexuel tient au moment où il est révélé. À partir de ce moment-là, l’action sera-t-elle prescrite, possible ou pas, pour la victime ? En l’état actuel du droit, l’action est possible jusqu’à l’âge de trente-huit ans, mais plus au-delà.
Nous avons constaté lors des auditions auxquelles nous avons procédé, comme l’ont démontré d’importantes études scientifiques, qu’il faut du temps à la victime pour pouvoir révéler ce qu’elle a vécu. Il lui faut une certaine forme de stabilité dans sa vie sociale pour que puisse se révéler, à un moment et dans des conditions que l’on ne connaît pas, sa capacité à dire les choses.
L’imprescriptibilité permettrait aux victimes d’engager les poursuites nécessaires à compter de la révélation du crime.
Tel est l’objet de cet amendement.
L’amendement n° 8 rectifié sexies, présenté par Mmes Boulay-Espéronnier, Garriaud-Maylam et Puissat, MM. Lefèvre, Brisson, P. Dominati, Bascher, Pierre, B. Fournier, Savary et Panunzi et Mmes Deromedi et Micouleau, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer le nombre :
trente
par le nombre :
quarante
La parole est à Mme Céline Boulay-Espéronnier.
Cet amendement vise à donner plus de temps aux victimes de crimes sexuels commis alors qu’elles étaient mineures pour porter plainte devant la justice.
En effet, face à la gravité des faits et aux difficultés des victimes à accepter d’avoir subi une agression sexuelle et d’en témoigner, à retrouver la mémoire après une amnésie traumatique – il en a longuement été question – et à porter l’affaire devant la justice, il paraît nécessaire d’allonger à quarante ans le délai de prescription pour ces crimes auxquels l’imprescriptibilité ne s’applique pas. Cela me semble être un bon compromis.
Lors de nos travaux, qui ont duré longtemps, qui nous ont pris du temps et du cœur, nous avons été saisis d’émotion en prenant conscience de ce qu’était un crime sexuel sur mineurs de moins de quinze ans, et ce à juste titre, car ces crimes sont les plus odieux.
Pour autant, l’imprescriptibilité n’est pas, il faut en être bien conscient, une réponse efficace aux crimes sexuels commis contre les mineurs.
En effet, quelles preuves imagine-t-on pouvoir recueillir cinquante ans après les faits ? On mettrait en difficulté les victimes.
Les amendements visant l’imprescriptibilité, s’ils étaient adoptés, créeraient un précédent, car l’imprescriptibilité n’existe actuellement dans le droit français que pour un seul type de crime, le crime contre l’humanité, parce qu’on peut recueillir des preuves et qu’on ne risque pas de commettre de dramatiques erreurs judiciaires. Or même dix ans seulement après les faits, un crime sexuel reste très difficile à prouver.
Malgré toute l’horreur que ces crimes peuvent constituer, on ne peut pas les traiter de la même façon que la Shoah. Cela ne nous semble pas possible. Sinon, quelle hiérarchie allons-nous établir ? Pourquoi ne pas également rendre imprescriptibles les crimes terroristes, comme celui qui s’est malheureusement déroulé ce week-end ? Les terroristes aussi tuent des enfants. Pourquoi l’imprescriptibilité ne s’appliquerait-elle pas aux crimes de guerre ? Aux homicides ? Aux actes de barbarie ? Au trafic de drogue ? Aux trafics et aux crimes financiers ?
En fait, nous sommes face à un problème de cohérence dans l’échelle des peines. Le trafic de stupéfiants, c’est perpétuité ; un crime sexuel, c’est vingt ans. Lorsque l’on entend cela, on mesure la difficulté. Les crimes sexuels sont plus odieux que les crimes de droit commun, c’est sûr.
Il convient donc de modifier les peines encourues et non de changer le régime de prescription, car ce n’est pas la bonne réponse.
Le Conseil d’État, qui a été saisi à juste titre, a émis les réserves nécessaires, concernant en particulier les crimes de guerre.
Pour simplifier, la prescription ne protège pas les criminels ; elle garantit le droit à un procès équitable et respecte aussi, et encore, la victime.
Cela étant, la commission émet un avis défavorable sur ces quatre amendements.
L’avis du Gouvernement rejoint en tous points l’analyse de la commission et de son rapporteur, Marie Mercier.
Il nous semble que l’imprescriptibilité ne serait pas constitutionnelle. Le Conseil constitutionnel n’admet en effet l’imprescriptibilité que pour les crimes qui touchent à l’ensemble de la communauté internationale. Le risque de censure est donc véritablement important.
C’est notamment pour cette raison que le rapport de la mission de consensus Flavie Flament – Jacques Calmettes avait préconisé l’allongement à trente ans du délai de prescription. C’est d’ailleurs ce que le Gouvernement proposera dans son projet de loi.
Par ailleurs, un nouveau délai de quarante ans nous semble être une complexification du droit qui n’est pas souhaitable.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ces amendements.
Nous avons déjà à plusieurs reprises débattu de la question de la prescription des infractions sexuelles dans cet hémicycle. Pour beaucoup, l’allongement du délai de prescription est un gage de considération des victimes. Il semble inéluctable, à la lecture tant de cette proposition de loi que du projet de loi que nous étudierons bientôt.
Pourtant – c’est mon intime conviction –, s’il est absolument essentiel – et c’est l’état du droit – que le délai de prescription ne coure qu’à compter de la majorité, la tendance à l’allongement constant des délais n’est pas une réponse adéquate à la souffrance qui s’exprime.
À propos de la réforme de la prescription votée il y a à peine un an par le Parlement, le Syndicat de la magistrature rappelait que « les bonnes intentions ne font pas une bonne législation ».
Il affirmait également – et je partage ces propos – que « la prescription n’est pas l’ennemi de la justice, elle est au contraire un de ses piliers. Garantie essentielle pour le procès équitable et surtout, condition de l’apaisement social que la justice recherche, elle procède d’un équilibre complexe. »
De surcroît, nous ne pouvons ignorer les traductions concrètes de cet allongement de la prescription. Elles sont rappelées par les avocats et magistrats qui traitent de ces affaires : quelle que soit la crédibilité de la parole d’une victime, elle ne peut à elle seule et sans autre élément fonder une condamnation dans un État de droit.
Il n’est ainsi pas rare que les plaintes déposées tardivement soient classées ou qu’elles aboutissent à un non-lieu. Quelle souffrance alors pour les victimes !
Comme je l’ai déjà dit, la difficulté de tant de victimes mineures d’infractions sexuelles à parler, à porter plainte n’appelle pas une réponse uniquement législative ; elle exige aussi une réponse sociale et sociétale d’ampleur.
La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.
La disposition dont nous débattons est extrêmement délicate et elle a suscité beaucoup de réflexions au sein de notre groupe de travail. Le contexte législatif est extrêmement complexe puisque, en la matière, les règles de la prescription ne sont pas les mêmes que dans le droit commun. La prescription d’une infraction sexuelle ne court qu’à compter de la majorité de la victime, mais les règles varient, y compris pour les délits, selon la gravité des actes. C’est dire combien le sujet est complexe.
La durée de la prescription a été doublée il y a tout juste un an par le Parlement, tant pour les délits que pour les crimes, mais la question de l’imprescriptibilité ou de l’allongement de la prescription est revenue dans le débat depuis plusieurs mois en raison de la prise en compte de la fameuse amnésie traumatique.
Au sein du groupe de travail, nous avons jugé qu’il était juste de prolonger de dix ans la durée de la prescription et de ne pas accepter l’imprescriptibilité. Pourquoi ?
Le système juridique français prévoit la possibilité de la prescription, ce qui n’est pas le cas des législations anglo-saxonnes. Nous avons donc depuis fort longtemps décidé que, en fonction de la hiérarchie de la gravité des infractions, la prescription ne serait pas la même pour les crimes ou pour les délits, et nous avons réservé l’imprescriptibilité aux crimes contre l’humanité. L’extension de l’imprescriptibilité à un unique type d’infractions se heurterait à cette situation.
Par ailleurs, il y a quelques années, la Cour européenne des droits de l’homme a eu l’occasion d’exprimer son point de vue sur la question de l’imprescriptibilité, rappelant la nécessité de ce qu’on appelle le procès équitable. En effet, des années après les faits, les circonstances ayant considérablement évolué, on peut douter de l’équité du procès.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, le groupe de travail a opté pour une prolongation de dix ans du délai de prescription, y compris pour les délits, ce qui n’est pas le cas dans le projet de loi gouvernemental renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Le groupe socialiste et républicain ne votera donc pas les présents amendements.
Il y a un peu plus d’un an, nous avons eu de longs débats sur la question de la prescription, y compris des crimes sexuels.
Nous avons alors pris acte du fait qu’il était important que le point de départ du délai de prescription soit fixé au moment où la victime mineure accède à la majorité, mais que le délai actuel, porté à vingt ans pour les crimes, devait rester de droit commun.
Nous avons en effet débattu de l’extension à trente ans du délai de prescription, mais après des hésitations, le rapporteur de l’époque, François-Noël Buffet, avait finalement jugé préférable de ne pas déroger à la règle générale, c’est-à-dire à un délai de prescription de vingt ans.
La présente proposition de loi, comme le projet de loi que vous avez déposé à l’Assemblée nationale, madame la secrétaire d’État, tend à modifier la loi portant réforme de la prescription en matière pénale un an après sa promulgation. Cela n’a pas de sens !
Si l’on considère que l’amnésie traumatique existe, il faut que la victime puisse porter plainte quand elle n’en subit plus les effets, or les spécialistes que nous avons auditionnés s’accordent à dire que ce n’est pas forcément à quarante-huit ans ou à cinquante-huit ans que cela arrive ; dans ce cas, la seule réponse est l’imprescriptibilité, comme le proposent notre rapporteur de l’époque, François-Noël Buffet, et Michelle Meunier.
Si l’on accepte l’idée que, en raison d’une amnésie traumatique, la victime n’est pas capable de porter plainte en temps utile et qu’elle doit pouvoir le faire des années et des années plus tard, alors même que la preuve sera difficile à apporter et que le débat judiciaire sera compliqué, il faut revenir sur la prescription – je rappelle que dans certains pays la prescription n’existe pas.
Dans le cas contraire, il faut nous en tenir à ce que nous avons voté il y a un an. Pour ma part – c’est un point de vue personnel, en dissonance par rapport à celui de mon groupe, au sein duquel nous avons eu des débats –, je ne voterai pas les amendements visant l’imprescriptibilité, et je pense que, s’ils étaient cohérents, mes collègues qui sont aujourd’hui favorables à l’extension à trente ans du délai de prescription devraient les voter. L’imprescriptibilité devrait l’emporter. Sinon, cela n’a pas de sens.
Le débat que nous avons montre bien l’importance que nous accordons à la gravité des agressions dont nous parlons, mais aussi la difficulté à trouver une réponse juste et satisfaisante – je ne sais d’ailleurs pas si une telle réponse existe vraiment.
Je veux toutefois rappeler que notre objectif est de prendre en compte les victimes et de les aider à se reconstruire. On peut penser que l’imprescriptibilité servira les victimes – c’était un peu l’idée que j’avais avant de démarrer les travaux du groupe conduit par Marie Mercier –, mais en entendant l’ensemble des personnes que nous avons auditionnées, dans leur diversité, j’ai compris que tel ne serait pas forcément le cas.
En effet, mes chers collègues, l’imprescriptibilité pourrait confronter les victimes à une vraie difficulté. Si les procès d’assises ont lieu vingt-cinq, trente ou quarante ans après les faits, la justice risque de se trouver dans l’incapacité absolue d’apporter la preuve du crime ou de retrouver l’agresseur. Nous ferions ainsi prendre aux victimes le risque d’un non-lieu ou d’un acquittement qui aggraveraient leur sentiment de culpabilité et d’abandon.
Certes, ces crimes sont extrêmement graves et nous devons les combattre de toute notre force. Nous devons les prévenir et les sanctionner quand ils ont eu lieu. Nous pouvons satisfaire les affaires qui relèvent du pénal. Pour le reste, le silence des victimes demeurera.
Pour ces raisons ainsi que pour les considérations de cohérence juridique qui ont été présentées à la fois par la rapporteur et par mes collègues, je suis donc défavorable à l’imprescriptibilité.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, chers collègues, le Sénat, comme il l’a fait dans son histoire, peut montrer la juste voie sur un sujet fondamental de société.
Dans son avis du 1er octobre 2015, le Conseil d’État n’invoque pas l’efficacité de l’imprescriptibilité, mais il rappelle que « le législateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour décider du principe et des modalités de la prescription de l’action publique et de la peine. » De surcroît, ni la Constitution ni la Convention européenne des droits de l’homme ne comportent de dispositions expresses relatives à la prescription en matière pénale.
Je voudrais me joindre à mes collègues qui objectent à l’idée de l’imprescriptibilité en rappelant simplement la raison d’être de la prescription.
La prescription vise non pas à pardonner ou à oublier, mais à s’assurer que le jour où la poursuite sera engagée, elle sera en situation d’aboutir équitablement. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les durées de prescription sont échelonnées suivant la gravité des infractions telles qu’elles sont énumérées dans le code pénal : plus l’acte est grave, plus l’incrimination et la peine encourue sont élevées, plus on doit se garantir contre toute erreur judiciaire.
Empêcher la prescription, c’est assumer le risque, contre toute l’expérience des acteurs de notre système judiciaire, y compris les défenseurs, d’engager trente-cinq, quarante, quarante-cinq ou cinquante ans après la commission de l’acte un procès qui a tous les risques d’aboutir à un fiasco judiciaire. À mesure que les décennies passent, les moindres éléments dont dispose l’accusation – qu’il s’agisse de preuves matérielles, de témoignages ou de recueils de simples faits de la vie – deviennent plus fragiles et plus contestables, conduisant le juge, placé devant une situation d’impossibilité, à écarter la culpabilité parce qu’il n’a plus rien pour la démontrer, comme l’a très bien dit Mme Gatel à l’instant.
Quelle que soit l’émotion que cause en nous l’évocation de ces crimes, je crois qu’il faut nous garder de prendre une position d’apparence dont nous ne verrons pas les conséquences avant des décennies, à défaut de quoi nous prendrions le risque que nos successeurs, particulièrement les juges, ne constatent dans vingt ou trente ans que la présente proposition de loi les a conduits dans une impasse.
Nous vivons l’un des grands moments de la vie de la Haute Assemblée, et je m’en félicite. Il est rare d’avoir des débats d’une telle qualité.
Je maintiens l’amendement n° 4, qui vise à rendre imprescriptibles les infractions sexuelles, par fidélité à ce que j’ai toujours défendu et par souci de me situer au plus près de ce que m’ont confié certaines victimes au travers de leur association. Par ailleurs, j’ai l’impression que, en fixant un délai, quel qu’il soit, on desservira forcément la victime qui, elle, n’aura pas son procès.
En écoutant Alain Richard, je me disais que, si les infractions sexuelles étaient imprescriptibles ou si le délai de prescription était allongé, quelqu’un comme Flavie Flament aurait peut-être pu obtenir réparation et voir l’auteur des faits dont elle a été victime condamné.
L’imprescriptibilité permettrait aussi d’inverser la situation des victimes qui ont trente-huit ou quarante-huit ans, et qui sont condamnées à se taire et, surtout, à protéger, en quelque sorte, leur agresseur, mettant en danger l’entourage de ce dernier. Le fait de rendre les crimes sexuels imprescriptibles permettra aussi d’enrayer la récidive.
La comédienne Andréa Bescond dit que le silence, le secret et la honte sont les complices des violences sexuelles. Faisons en sorte de ne pas ajouter le temps qui passe à cette macabre énumération.
Le présent débat est complexe, mais nous partageons la volonté de protéger au mieux les victimes mineures de crimes sexuels et de châtier les coupables.
Comme Michelle Meunier, j’ai l’impression d’être fidèle au combat que je mène, qui est le même que le sien.
Par rapport à tout ce qui vient d’être dit, il me semble important de revenir sur la question de l’échelle des peines. Pour mon groupe, l’imprescriptibilité doit être réservée aux crimes contre l’humanité. Il est important de le réaffirmer.
En revanche, et c’est là toute la complexité de ce débat, les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste vont émettre un vote différent concernant l’allongement du délai de prescription. Comme tout un chacun, quelle que soit la sensibilité politique, nous nous posons des questions.
Avec d’autres collègues de mon groupe, je vais voter pour l’allongement du délai de prescription à trente ans. Compte tenu des progrès réalisés dans l’étude des mécanismes psychologiques des victimes, nous pensons que ce délai supplémentaire est nécessaire. Les positions que nous défendons et que nous allons continuer à défendre dans cet hémicycle et la parole qui se libère permettront peut-être que plus de femmes puissent témoigner de ce qu’elles subissent et que, du coup, la justice réagisse de manière plus active.
S’il me semble important d’étendre le délai de prescription à trente ans, je crois qu’il ne faut pas aller au-delà. Nous avons eu ce débat lors de l’examen de la proposition de loi modifiant le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles déposée par Muguette Dini en 2014. Nous avions déjà les mêmes interrogations. L’allongement des délais de prescription avait été voté pour les crimes et les délits, mais d’une manière générale et pas pour les mineurs, et cette disposition avait été rejetée par l’Assemblée nationale.
Dans ce débat complexe, chacun et chacune se positionnera en son âme et conscience.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, chers collègues, sur ce sujet extrêmement sensible et complexe, je rejoins ce qu’ont dit plusieurs de mes collègues. Nous avons été sensibilisés à ces questions dans le cadre des travaux de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Je salue le travail de Mme la rapporteur, Marie Mercier, ainsi que de l’ensemble de mes collègues. Bien que je sois cosignataire de deux des amendements en discussion commune, après les explications convaincantes, pleines de sens et de vérité de Mme la rapporteur, je me rangerai à l’avis de la commission.
Ce sujet est tellement sensible qu’il me semble nécessaire de faire confiance à la justice. Le rapport indique bien les réserves exprimées par les personnes auditionnées par la commission, mais je crois que la priorité est de lutter contre l’impunité et d’inciter au dépôt de plainte. Les victimes ont besoin d’être aidées et écoutées.
Premièrement, je n’ai pas le sentiment, contrairement à ce que j’ai entendu à plusieurs reprises, que nous soyons dans une situation émotionnelle qui nous rendrait incapables de raison et de hauteur de vues. Ce débat est nécessaire et il mérite d’être tenu.
Deuxièmement, je ne reprendrai pas ce qu’a rappelé Alain Houpert il y a quelques instants concernant l’avis rendu par le Conseil d’État en 2015 sur la notion d’imprescriptibilité.
Troisièmement, Alain Richard vient d’indiquer que la prescription est nécessaire pour que le procès soit équitable, c’est-à-dire pour qu’il se tienne dans un délai permettant d’apporter des preuves. C’est pour cette raison que, en février 2017, nous avons adopté la proposition de loi d’Alain Tourret et Georges Fenech qui visait notamment à allonger les délais de prescription pour les délits. Il s’agissait en effet de prendre en compte l’évolution des technologies et des techniques qui permettent de révéler la vérité ou de faire progresser de façon plus scientifique les éléments d’enquête. Le prolongement du délai de prescription est fait pour ça.
Quatrièmement, sur toutes les travées de cet hémicycle, personne ne peut ignorer que la médecine et les sciences évoluent singulièrement en ce qui concerne le syndrome d’amnésie traumatique. En toute bonne foi, il me semble que notre devoir, notre responsabilité, ou en tout cas nos convictions doivent nous amener à comprendre ces évolutions et à en tenir compte.
Il y a un an, en ma qualité de rapporteur de la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale, j’avais préconisé de ne pas changer les délais de prescription, car je n’avais alors pas de conviction profonde. On sentait bien qu’il y avait quelque chose, mais aucun élément ne nous permettait d’aller plus loin.
Un an plus tard, je trouve que les choses ont évolué. Je suis d’ailleurs assez content d’avoir rejeté l’amendement présenté par M. Kanner devant la commission des lois au mois d’octobre dernier, car son rejet a permis de donner naissance à la proposition de ce groupe de travail que le président Bas a bien voulu installer. C’est une chance, car cela nous permet d’avoir ce débat aujourd’hui.
Parce qu’il est un lieu de raison, le Sénat doit être capable de se projeter, d’entendre ce qui se passe.
Je voterai également contre les amendements en discussion commune parce que j’adhère totalement à l’argumentaire de Mme la rapporteur, Marie Mercier.
Je comprends cependant les motivations de leurs auteurs. Comme la commission des lois, la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a auditionné de nombreuses victimes et de nombreux magistrats pour aboutir à une position, et comme l’a dit Françoise Gatel, le témoignage des victimes est parfois difficile à entendre.
Il me semble toutefois qu’un consensus a été trouvé sur l’allongement du délai de prescription à trente ans, à la fois avec les magistrats et certaines associations de victimes, et pour ma part, je le voterai.
Mes chers collègues, quelques sentiment ou position que l’on ait, tous sont parfaitement respectables, même éventuellement si ces sentiments ou ces positions étaient dictés ou suggérés par une émotion plus forte en raison de la nature des crimes dont nous débattons.
Rassurons-nous, car le débat que nous avons en ce moment est non pas un débat d’intention – nous avons tous la même –, mais un débat de moyen. L’imprescriptibilité est-elle un moyen susceptible d’apporter plus de justice en l’espèce ?
Je ne le crois pas, et ce pour plusieurs raisons énoncées précédemment, la principale d’entre elles étant que le temps fait dépérir la preuve. En ce domaine, la preuve matérielle est rarement existante ; la preuve testimoniale pose problème déjà quinze jours ou un mois après les faits : trente ou quarante ans après les faits, elle sera extrêmement discutable.
Pour éviter une injustice, n’en commettons pas une autre. Au bout de quarante ans, comment la personne mise en cause qui est innocente prouvera-t-elle son innocence ? Avec une décision de relaxe ou d’acquittement au bénéfice du doute, elle souffrira du même opprobre. L’imprescriptibilité nous condamne à prendre le risque d’injustices majeures.
Est-il besoin que je cite un nombre de procès très importants et récents dans lesquels nous nous sommes aperçus que les témoignages, les preuves insuffisamment convaincantes peuvent amener des drames ?
Il a été très bien dit tout à l’heure qu’en plus nous ne servirions pas l’intérêt de la victime, à laquelle nous pourrions causer une autre blessure dont, compte tenu du temps, elle souffrira cette fois à perpétuité.
Au-delà du risque d’erreur judiciaire, l’imprescriptibilité nous expose enfin à l’incompréhension qui sera suscitée dans le public par une décision qui, du point de vue de la peine, ne pourra pas ignorer le temps passé. Au bout de quarante ans, c’est un homme de cinquante ans qui sera jugé pour des faits qu’il a commis à seize ou dix-sept ans, et il faudra le juger comme un adolescent.
M. Jean-Pierre Grand. Quand je me suis assis sur cette travée au début du débat, je ne votais pas la fin de la prescription. Puis j’ai réfléchi : qu’est-ce qui est imprescriptible en France ? Naturellement, les crimes contre l’humanité et les abus de biens sociaux.
Marques de dénégation sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.
Je me suis souvenu d’avoir reçu dans mon bureau de maire – mes trente-quatre ans de mandat m’ont été utiles, mais il sera difficile d’être maire pendant trente-quatre ans à l’avenir ! –, une jeune femme de vingt-cinq ou trente ans, dont l’un des parents, qui l’avait attaquée, ainsi que sa sœur quelques décennies auparavant, venait également de s’attaquer à sa fille.
Les détraqués qui commettent de tels actes sont des pervers qui ne changent pas. S’ils ont commis un crime il y a trente ans, ils ont continué, même s’ils l’ont fait différemment, habilement, en se prémunissant.
Si l’épée de Damoclès de l’imprescriptibilité ne pèse pas sur leur tête, ils continueront. Le seul argument qui est avancé aujourd’hui contre l’imprescriptibilité est la difficulté à les confondre. Mais ne vous y trompez pas, mes chers collègues, ils ont commis non pas un crime, mais un nombre de crimes important qui sera révélé en cas de procès.
Voilà pourquoi je viens de changer d’avis et voterai donc les amendements visant à rendre les crimes sexuels sur mineurs imprescriptibles.
Nous avons beaucoup de chance, au Sénat, de pouvoir avoir entre nous des débats de cette qualité.
L’enjeu n’est pas mince. Derrière la question que nous posons au sujet des agressions sexuelles contre les mineurs figure celle de l’imprescriptibilité pour d’autres crimes, et même si on peut trouver des raisons particulières de rendre le viol subi par un mineur imprescriptible, on pourrait certainement trouver aussi d’autres raisons particulières de rendre l’assassinat d’enfants imprescriptible…
…, le crime terroriste de masse imprescriptible, avec l’idée que la traque des auteurs de ces crimes tellement horribles ne doit jamais prendre fin.
L’idée est noble, assurément. Mais vouloir modifier les règles de prescription pour une catégorie de crimes, si horribles soient-ils, sans toucher aux autres, serait prendre le risque de ne pas légiférer avec une vision d’ensemble. §Ce serait aussi ouvrir une brèche dans le régime de la prescription, que nous venons à peine de réformer en profondeur, comme l’a rappelé François-Noël Buffet, rapporteur de la loi du 27 février 2017.
Or il existe un autre moyen de prendre en compte l’amnésie post-traumatique que de rendre le viol commis sur la personne d’un mineur imprescriptible : c’est vous-même, monsieur Buffet, qui nous l’avez suggéré en commission la semaine dernière et qui le faites de nouveau cet après-midi, à travers l’amendement n° 10 rectifié quinquies, qui sera examiné dans quelques instants.
Il s’agit de faciliter la suspension du délai de prescription, sur avis et expertise médicaux, quand la victime a enfoui au plus profond d’elle-même, au point de ne plus en être consciente, l’agression sexuelle qu’elle a subie. Si le médecin commis par le tribunal constate ce phénomène, la victime pourra à tout moment, quelle que soit la durée de prescription, obtenir l’examen de son recours.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Monsieur le président, je vous demande la permission de terminer ma démonstration ; si je dois me rasseoir, je vous redemanderai la parole, et, en vertu de notre règlement, vous serez obligé de me la donner… Comme j’ai presque fini, je vais aller jusqu’au bout de mon propos – si vous le permettez.
Sourires.
Au bénéfice de l’amendement que vous allez présenter dans quelques instants, monsieur Buffet, je ne vous demande pas de retirer l’amendement n° 9 rectifié quinquies, mais je demande à nos collègues de ne pas le voter.
Mes chers collègues, je suis très troublé… Plus le débat avance, plus j’oscille entre les arguments des uns et des autres !
L’imprescriptibilité s’applique donc aux crimes contre l’humanité. Mais y a-t-il un plus grand crime que de violer ? Violer une femme, celle qui donne l’humanité, n’est-ce pas commettre un crime contre l’humanité ? Faites disparaître les femmes, il n’y aura plus d’humanité !
Mes chers collègues, je vous le demande encore : peut-il y avoir un crime plus grand que le viol d’une femme ou d’un enfant ? Fort de cette réflexion, je ne crois pas pouvoir soutenir des règles de prescription amoindries. On parle aujourd’hui de trente ans ; souhaitons que, dans peu de temps, le délai soit porté à cinquante, puis soixante ans. Je voterai donc les amendements.
Je mets aux voix l’amendement n° 5 rectifié septies.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Union Centriste.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 73 :
Nombre de votants343Nombre de suffrages exprimés340Pour l’adoption14Contre326Le Sénat n’a pas adopté.
Mme Esther Benbassa et M. Loïc Hervé applaudissent.
Je mets aux voix les amendements identiques n° 4 et 9 rectifié quinquies.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Union Centriste.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 74 :
Le Sénat n’a pas adopté.
Je vais mettre aux voix l’amendement n° 8 rectifié sexies.
La parole est à Mme la rapporteur.
Madame Boulay-Espéronnier, à la suite de nos débats, il nous semble parfaitement évident que la première nécessité est de libérer la parole des victimes et de les amener à porter plainte le plus tôt possible. Aussi, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement n° 8 rectifié sexies.
Madame Boulay-Espéronnier, l’amendement n° 8 rectifié sexies est-il maintenu ?
Sensible aux arguments présentés par Mme la rapporteur et à ceux de M. le président de la commission des lois, je retire cet amendement.
L’amendement n° 8 rectifié sexies est retiré.
Je mets aux voix l’article 2.
L ’ article 2 est adopté.
L’amendement n° 10 rectifié quinquies, présenté par MM. Buffet et Allizard, Mme Berthet, M. Bizet, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Brisson, Chaize, Chatillon et Dallier, Mme L. Darcos, M. Daubresse, Mmes de Cidrac, Deroche, Deromedi, Di Folco, Dumas, Estrosi Sassone et Eustache-Brinio, MM. Forissier, Gremillet et Grosdidier, Mme Gruny, MM. Houpert et Laménie, Mme Lanfranchi Dorgal, MM. D. Laurent et Lefèvre, Mme Lherbier, MM. Milon et Piednoir, Mme Puissat, MM. Rapin et Savin, Mme Troendlé et MM. Vial et Wattebled, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 706-48 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Une telle expertise peut également être ordonnée pour apprécier l’existence d’un obstacle de fait insurmontable rendant impossible la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique, en application de l’article 9-3 du code de procédure pénale. »
La parole est à M. François-Noël Buffet.
Voici donc l’amendement qui devrait, en principe, recueillir un avis favorable.
Nous proposons que l’amnésie traumatique soit reconnue comme un obstacle insurmontable, au sens de la loi portant réforme de la prescription en matière pénale. Depuis longtemps, cet élément de droit est reconnu par la jurisprudence comme suspensif de prescription. Ce principe a trouvé sa consécration légale dans la loi du 27 février 2017.
Il est important de permettre aux magistrats qui instruiront un dossier de viol contre un mineur de s’entourer des médecins et experts compétents, seuls capables d’établir l’existence ou l’absence d’amnésie traumatique. Dès lors que celle-ci aura été médicalement constatée – il y a de nombreux éléments pour le faire –, le délai de prescription sera suspendu, ce qui permettra à la victime de déposer valablement plainte et de faire prospérer valablement sa cause.
L’imprescriptibilité n’ayant pas été retenue par la Haute Assemblée, la suspension de la prescription, après reconnaissance de l’amnésie traumatique par un collège de médecins, serait une avancée.
L’adoption de cet amendement facilitera la reconnaissance en justice des troubles psycho-traumatiques qui affectent la mémoire et peuvent véritablement constituer un obstacle insurmontable.
Comme le soulignent les auteurs de l’amendement, cette reconnaissance par la justice est déjà possible, depuis la loi du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale. Toutefois, aucune application jurisprudentielle n’a encore été faite de ce principe. Il est vrai que la loi est un peu jeune, mais les justiciables doivent pouvoir se saisir de cette possibilité.
Il ne s’agit pas d’affirmer que tel ou tel phénomène est une amnésie traumatique : il faut laisser aux médecins le soin d’en décider, après quoi les magistrats jugeront.
L’adoption de cet amendement facilitera, je le répète, la reconnaissance du phénomène par la justice ; en particulier, elle permettra la prise en charge de l’expertise au titre des frais de justice.
La commission émet donc un avis favorable.
Prévoir que l’expertise médico-psychologique de la victime puisse être ordonnée pour apprécier si des circonstances insurmontables telles que l’amnésie traumatique permettent de suspendre la prescription est un objectif intéressant, auquel le Gouvernement souscrit évidemment.
Néanmoins, il considère que le dispositif existant permet déjà aux magistrats d’interroger un expert, dans le cadre de l’expertise médico-psychologique d’une victime, sur la nature comme sur l’importance du préjudice, et, par voie de conséquence, sur une éventuelle amnésie traumatique ou tout autre traumatisme susceptible d’avoir entraîné des conséquences insurmontables.
Pour cette raison de forme, le Gouvernement émet un avis défavorable sur le présent amendement.
La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.
Comme Mme la rapporteur vient de l’expliquer, la loi prévoit, depuis peu, la possibilité de suspendre la prescription en cas d’obstacle insurmontable. De ce point de vue, elle est une transcription de l’arrêt d’assemblée plénière de la Cour de cassation du 7 novembre 2014. Cette faculté existe donc déjà.
L’amendement n° 10 rectifié quinquies est en réalité un peu étrange, puisque ses auteurs proposent simplement qu’une expertise puisse être ordonnée, ce que l’article 706-48 du code de procédure pénale prévoit déjà, en cas de préjudice subi par un mineur.
Hormis une mention supplémentaire de la notion d’obstacle insupportable, l’amendement n’apporte donc rien d’un point de vue juridique : cette circonstance est déjà prévue, par la jurisprudence comme par la loi, et l’expertise est déjà prévue par le code de procédure pénale.
Nous ne voterons donc pas cet amendement.
Puisque le Sénat n’a pas adopté l’imprescriptibilité, l’amendement proposé par notre collègue Buffet est une juste avancée. Son adoption évitera que les « prédateurs » ne récidivent – les auteurs d’agressions sexuelles sur mineur sont souvent des récidivistes.
Je voterai donc résolument cet amendement.
Je mets aux voix l’amendement n° 10 rectifié quinquies.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable et que celui du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 75 :
Le Sénat a adopté.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 2.
Mes chers collègues, nous pouvons terminer l’examen de la proposition de loi sans avoir à suspendre, puis à reprendre la séance, mais, vous l’avez compris, cela dépend de vous…
Après le premier alinéa de l’article 222-23 du code pénal, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« La contrainte morale est présumée lorsque l’acte de pénétration sexuelle est commis par un majeur sur la personne d’un mineur incapable de discernement ou lorsqu’il existe une différence d’âge significative entre la victime mineure et l’auteur des faits. »
Monsieur le président, je vous écoute : je renonce à prendre la parole !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Notre collègue va faire école !
Sourires.
L’amendement n° 7, présenté par Mmes de la Gontrie et Rossignol, MM. Kanner, J. Bigot et Sueur, Mmes Meunier, Monier, Lubin et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer le mot :
morale
La parole est à M. Jacques Bigot.
Comme je l’ai fait observer en commission, l’alinéa 1er de l’article 222-23 du code pénal vise la contrainte, et non la contrainte morale. Je ne vois donc pas pourquoi la notion de contrainte morale figure à l’article 3 de la proposition de loi. La contrainte peut être morale, mais aussi autre. Par souci de cohérence, je propose donc de supprimer le qualificatif « morale ».
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d ’ État. Avis défavorable.
Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union centriste.
L ’ amendement est adopté.
La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote sur l’article.
J’ai déjà eu l’occasion de le dire lors de la discussion générale : les affaires jugées par le tribunal de Pontoise et la cour d’assises de Seine-et-Marne ont mis en évidence les difficultés liées à la qualification de viol. Elles ont également rappelé que, au regard du nombre considérable d’agressions sexuelles commises chaque année sur des enfants, trop peu faisaient l’objet de poursuites et de condamnations.
En effet, sur près de 25 000 plaintes ou signalements de viols et d’agressions sexuelles sur mineurs recensés en 2017, on ne comptabilise que 400 condamnations pour viol, 2 000 pour agression sexuelle et un peu moins de 300 pour atteinte sexuelle. Ces chiffres très révélateurs doivent nous conduire à nous interroger.
En outre, si le droit doit être remis en question ici – il y va de notre responsabilité –, certains faits doivent tout de même être rappelés.
L’interdit pénal est très clairement posé par le délit d’atteinte sexuelle sur mineur, puisque toute relation sexuelle avec un enfant de moins de quinze ans est proscrite par la loi. Faut-il dès lors modifier la loi pour faciliter la qualification criminelle de viol ? Je le crois : les très nombreuses correctionnalisations de viols nous montrent que la définition de l’infraction n’est pas suffisamment opérante pour permettre une juste sanction. Bien sûr, le droit a évolué pour faire du viol un crime, mais le viol doit pouvoir être poursuivi comme tel, ce qui implique une modification de sa définition.
Avec l’article 3, on propose d’instaurer une présomption de contrainte pour qualifier de viol une relation sexuelle entre un majeur et un mineur, et ce dans deux situations distinctes, en cas d’incapacité de discernement du mineur, d’une part, en cas d’existence d’une différence d’âge significative entre le majeur et le mineur, d’autre part. Cette solution est une piste qu’il convient d’explorer.
Toutefois, il me semble qu’une réflexion globale et approfondie devrait être conduite sur la question. C’est à la clarification de l’incrimination de viol qu’il faut tendre, celle qui concerne toutes les victimes majeures et mineures.
La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote sur l’article.
Nous allons nous abstenir sur cet article. Même s’il résulte d’une réflexion intéressante, aucune décision n’a été prise au sujet du seuil d’âge à retenir et, plus précisément, sur le fait de trancher entre treize ans et quinze ans. Cette problématique était d’ailleurs au cœur de la réflexion menée par le groupe de travail.
Les défenseurs de la présomption de contrainte mettent en avant le fait que tous les mineurs, même celles et ceux qui sont âgés de seize ans, seraient ainsi mieux protégés. J’ai bien entendu. Personnellement, je trouve que la définition proposée, laquelle repose sur les notions de discernement et de différence d’âge significative, nous fait entrer dans un champ qui me semble subjectif. Selon la juridiction où se tient le procès, les peines pourraient être différentes. Est-ce satisfaisant pour des crimes à l’encontre de mineurs ? Je ne le pense pas.
Par ailleurs, la question que l’on ne veut pas trancher ici, à savoir le seuil d’âge, se reposera de la même façon pour la différence d’âge : à partir de quand est-elle « significative » ? En octobre dernier, j’ai déposé avec l’appui de l’ensemble de mon groupe une proposition de loi visant à renforcer la définition des agressions sexuelles et du viol commis sur des mineur-e-s de moins de quinze ans. Or je vois bien les débats que ce sujet suscite, sans compter ceux d’entre nous dont l’opinion chemine au fur et à mesure de la discussion.
Le Gouvernement lui-même, alors qu’il a beaucoup communiqué sur le sujet depuis plusieurs mois, semble avoir fini par y renoncer, madame la secrétaire d’État ! §Si ce n’est pas le cas, je serais très heureuse de vous entendre !
Selon moi, le débat a mûri au fil du temps et un consensus sur un seuil d’âge aurait pu être trouvé. En effet, le principal me paraît être d’envoyer un signal fort en faveur de la protection des mineurs, c’est-à-dire des enfants, je vous le rappelle, mes chers collègues.
Pour toutes ces raisons, l’article 3 n’est pas satisfaisant. Il comporte des notions floues et difficilement applicables. Ces questions sont sensibles et délicates, mais il n’existe apparemment pas de solution idéale. En tant que législateur, nous devons tenir compte du droit existant et de notre capacité à le faire évoluer pour une meilleure protection des mineurs. Je le dis aujourd’hui, mais je le redirai évidemment au moment de l’examen de votre projet de loi, madame la secrétaire d’État, projet de loi qui, compte tenu des données dont je dispose, me semble toujours insatisfaisant pour le moment.
La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote sur l’article.
Nous voterons l’article 3. Le débat d’aujourd’hui, comme celui qui s’est tenu en commission et au sein du groupe de travail ou celui qui a lieu au sein de la société, à la fois autour de cette proposition de loi et du projet de loi du Gouvernement, montre bien qu’il nous faut construire une fusée à plusieurs étages pour bien protéger les mineurs.
L’article 3 est l’un des étages de la fusée, étage important – il est essentiel de le souligner – qui crée une présomption de contrainte en cas de relation sexuelle entre un majeur et un mineur jusqu’à ses dix-huit ans.
Comme je l’ai dit lors de la discussion générale, chacun connaît les effets pervers liés aux seuils : ce sont les mêmes, qu’il s’agisse du seuil pour pouvoir bénéficier d’allocations ou de celui qui donne droit à une protection. Prévoir une présomption simple pour des jeunes de moins de dix-huit ans permettra de protéger des mineurs qui, à quinze ans et demi par exemple, ne sont pas forcément tous matures et ne sont pas toujours capables de résister à une offre sexuelle à laquelle ils ne peuvent rien opposer d’autre qu’un état de sidération. C’est en effet bien souvent cet état de sidération qui explique leur passivité, comportement ensuite utilisé par les avocats de la défense pour démontrer qu’il y avait consentement de leur part. C’est de cela que nous ne voulons plus !
L’article 3 prévoit que cette présomption de contrainte s’appliquera selon deux critères alternatifs – il est important de le mentionner : le premier critère est l’écart d’âge significatif ; le second, la maturité. Si on se demande ce qu’est une différence d’âge significative, je réponds que, au Québec, cette notion existe et que c’est cinq ans !
Je le disais : nous voterons l’article 3. Pour autant, cet article ne constitue qu’un étage de la fusée. Le deuxième étage correspond à l’amendement que je défendrai dans un instant, et qui tend à établir un seuil d’âge de treize ans, en deçà duquel toute relation sexuelle entre un majeur et un mineur est considérée comme un viol, puisque c’est bien de cela que l’on parle.
Je suis désolée, mes chers collègues : le sujet est complexe, compliqué à partager aussi, mais il est indispensable d’avoir en tête ces différents niveaux qui correspondent à des seuils de maturité différents. On sait qu’entre treize et seize ans les maturités divergent extrêmement d’un individu à l’autre. Il faut donc à la fois une protection collective et une prise en compte de la maturité propre à chaque individu.
L ’ article 3 est adopté.
L’amendement n° 6, présenté par Mmes de la Gontrie et Rossignol, MM. Kanner, J. Bigot et Sueur, Mmes Meunier, Monier, Lubin et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article 222-23 du code pénal, il est inséré un article 222-23-… ainsi rédigé :
« Art. 222 -23 - … – Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis par un majeur sur un mineur de treize ans est un viol puni de vingt ans de réclusion criminelle. »
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Cet amendement vise à mettre un terme à une situation qui a semblé insupportable aussi bien à de nombreux parlementaires qu’à la société, je veux parler des discussions que l’on entend parfois dans les tribunaux quelle que soit leur nature, qu’il s’agisse de tribunaux correctionnels ou plus encore de cours d’assises, sur la possibilité qu’un enfant de onze ou douze ans ait été consentant à une relation sexuelle avec un majeur.
Ce débat sur l’éventuel consentement d’un enfant à une relation sexuelle avec un majeur n’est pas tolérable, n’est plus tolérable ! Pourtant, il suffit de regarder ce qui se passe dans les cours d’assises : l’argument le plus souvent utilisé par la défense consiste à expliquer que la jeune fille ou le jeune garçon – on parle de filles en matière de violences sexuelles, mais les garçons sont aussi concernés – a en fait manifesté son consentement. Notre amendement vise à faire en sorte que, en dessous de treize ans, il n’y ait pas de consentement possible ni même de discussion possible sur un tel consentement.
Que dire maintenant à propos de l’éventuelle inconstitutionnalité de notre amendement ? Je ne connais qu’un juge de la constitutionnalité : il s’agit du Conseil constitutionnel, et non du Conseil d’État ! La seule façon de savoir si une disposition est conforme ou non à la Constitution est de la soumettre à l’examen du Conseil constitutionnel, ce qui implique que la mesure soit adoptée par le Parlement.
Laissez-moi vous raconter une petite anecdote : il y a un an, je défendais ici même la loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse aux sites internet – on aurait pu parler de fake news. Tout le monde avait prédit que le texte serait censuré par le Conseil constitutionnel. Je me suis dit à l’époque qu’il fallait courir le risque. Or le texte n’a pas été censuré ! Il faut donc éviter de trop anticiper les décisions rendues par le juge constitutionnel.
Nous ne proposons pas de présomption irréfragable : c’est la relation sexuelle qui est constitutive de l’infraction. Bien entendu – s’il faut le préciser, on le fera –, l’auteur de l’infraction pourra toujours arguer du fait qu’il a été trompé sur l’âge de la victime. Cela peut arriver quand, par exemple, une jeune fille présente une fausse carte d’identité dans une boîte de nuit. Dans ce cas, évidemment, l’auteur a été trompé. Toutefois, c’est la seule hypothèse dans laquelle on ne qualifierait pas de viol une relation sexuelle entre un majeur et un mineur.
Cela étant, j’invite le Sénat à voter mon amendement, lequel parachèverait la proposition de loi dont nous discutons.
Je vais vous expliquer, ma chère collègue, la raison pour laquelle cet amendement est contraire à la position de la commission, qui y est défavorable. Comme l’a déjà dit Mme la secrétaire d’État, cette raison est simple : l’amendement est contraire aux exigences constitutionnelles.
Avant de développer, je tiens à vous rappeler que tout acte de pénétration sexuelle entre un majeur et un mineur de quinze ans est d’ores et déjà puni a minima des peines encourues pour atteinte sexuelle. La loi s’applique. Je rappelle également que, en l’état du droit, il est possible de déduire la contrainte morale ou la surprise du jeune âge de la victime, a fortiori d’une victime de treize ans. Je rappelle enfin qu’aucun changement législatif n’empêchera un débat à l’audience sur l’éventuel consentement ou non du mineur : la défense est libre et peut invoquer tout moyen qu’elle estime utile.
Pourquoi donc cet amendement est-il contraire à la Constitution ? Il vise à modifier les éléments constitutifs de l’infraction de viol en établissant indirectement une présomption irréfragable de culpabilité, considérant que tout rapport sexuel entre un majeur et un mineur de treize ans constitue un viol sans autre condition. Il s’agit en réalité du projet initial du Gouvernement, dont le seuil de quinze ans aurait été remplacé par celui de treize ans. Je vous renvoie tous aux arguments émis par le Conseil d’État dans son avis, arguments d’ailleurs repris dans le rapport d’information.
Je vais simplement en reprendre les principales lignes : le Conseil constitutionnel n’accepte les cas de présomption de culpabilité qu’à titre exceptionnel et sous deux réserves : cette présomption ne doit pas revêtir de caractère irréfragable et le respect des droits de la défense doit être assuré. Le dispositif de cet amendement ne répond manifestement pas à ces exigences : la défense doit toujours pouvoir se prononcer.
De surcroît, le Conseil constitutionnel rappelle de manière constante que, s’agissant des crimes et des délits, particulièrement en matière criminelle, la culpabilité ne saurait résulter de la seule imputabilité matérielle d’actes pénalement sanctionnés. Surtout, la définition d’une incrimination, singulièrement en matière criminelle, doit inclure, outre l’élément matériel de l’infraction, l’élément moral intentionnel ou non de celle-ci. Il n’y a pas d’élément intentionnel dans l’infraction envisagée dans le présent amendement.
Encore une fois, je comprends bien la volonté de ses auteurs, mais l’adoption d’un tel amendement n’est pas souhaitable en l’état actuel du droit : avec les délits d’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans et l’ensemble du système des circonstances aggravantes, qui sont fondées sur la notion de mineur de quinze ans, il existe déjà une protection particulière des mineurs de quinze ans dans notre droit. Il ne faudrait pas affaiblir cette protection en fixant le seuil à treize ans. Il faut protéger tous les mineurs sans créer d’effet de seuil.
Comme vous le savez, l’option défendue à travers cet amendement a été écartée par le Gouvernement du fait, d’abord, de l’importance du risque d’inconstitutionnalité qu’elle présente au regard du principe de légalité, mais également de celui d’égalité devant la loi et, surtout, à la suite de la mission pluridisciplinaire commandée par le Premier ministre et dont l’avis a été remis à la ministre des solidarités et de la santé, à la garde des sceaux et à moi-même.
Nous pensons qu’il ne doit pas être possible de débattre du consentement d’un enfant à un rapport sexuel avec un adulte. C’est pourquoi nous proposons de rattacher cette problématique à la définition du viol, via la contrainte ou la surprise.
De plus, avec l’allongement du délai de prescription à trente ans, les deux régimes de peines pourraient cohabiter pendant près de quarante ans. Cela signifie que deux régimes différents viendraient à coexister pour de nombreuses années : les victimes de faits commis avant l’entrée en vigueur de la loi resteraient sous l’empire du droit actuel, alors que les victimes de faits commis après sa publication bénéficieraient du nouveau dispositif.
Selon la date des faits, la peine encourue par l’auteur serait différente, ce qui paraît particulièrement incompréhensible pour des victimes en droit de réclamer une protection équivalente.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement va proposer dans le cadre de son futur projet de loi une disposition interprétative sur la contrainte morale ou la surprise pour mieux répondre à l’objectif recherché et partagé d’une plus grande protection des mineurs de quinze ans victimes d’infractions sexuelles. Cette mesure sera de plus applicable dès la promulgation de la loi.
Le Gouvernement est donc défavorable au présent l’amendement.
La question qui nous est posée aujourd’hui est de savoir si nous voulons protéger les enfants mineurs contre des violences sexuelles dont ils pourraient être victimes.
L’article 3, tel que nous venons, y compris mon groupe, de le voter à une très large majorité, présente effectivement l’intérêt pour un mineur de se voir reconnaître, selon les circonstances, une présomption de contrainte : ce sera alors à l’auteur de prouver qu’il ne l’a pas contraint à une relation sexuelle.
Il existe cependant un autre débat à propos de la possibilité offerte à l’auteur de prétendre qu’il y a eu consentement. En ce qui nous concerne, nous sommes convaincus qu’un mineur de treize ans ne peut pas consentir à un acte sexuel.
Le Conseil d’État fait une analyse inexacte de la question de l’élément intentionnel de l’infraction : l’intentionnalité peut être fondée sur le fait que l’auteur de l’infraction ne savait pas que son partenaire était mineur. En revanche, un majeur qui prétendrait qu’il pensait que le mineur était consentant et qu’il n’avait pas conscience qu’il ne l’était pas, devrait considérer qu’un enfant ne peut pas être consentant à un acte sexuel.
Cette question est fondamentale, parce que les jurés des cours d’assises sont parfois issus de milieux populaires et peuvent penser, à un moment donné, qu’un mineur est capable d’avoir séduit un adulte. Certains ont plaidé cette cause lors d’affaires d’inceste, …
… affaires dans lesquelles la relation amoureuse entre un père et sa fille n’est pas toujours claire. Le côté provoquant du mineur a même parfois été invoqué. Il faut que la loi interdise toute relation sexuelle avec un mineur de treize ans. Un majeur ne peut pas le tolérer ! C’est le sens de cet amendement fondamental.
Madame la secrétaire d’État, nous pensions que le Gouvernement allait dans cette direction. C’est ce qu’avait notamment déclaré le Président de la République. Aujourd’hui, on recule, de la même manière que l’on a longtemps reculé sur cette question. Les enfants sont-ils sujets de droit ? S’ils le sont, nous devrions affirmer qu’ils ne peuvent pas être consentants à une relation sexuelle lorsqu’ils ont moins de treize ans.
La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.
Le débat que nous avons et les positions qui ont été exprimées à l’instant, notamment celle du Gouvernement, sont graves.
Aujourd’hui, nous avons la possibilité d’affirmer que la relation entre un majeur et un mineur de treize ans est un viol. Aurons-nous ce courage ? J’entends Mme la secrétaire d’État évoquer certains aspects de la question : un volet constitutionnel, sur lequel mes collègues Laurence Rossignol et Jacques Bigot sont revenus, mais aussi un volet plus étrange, à propos de l’inconvénient de voir des victimes jugées selon des législations distinctes.
Rappelons que le principe même de la modification de la loi pénale impose que seules les lois pénales plus douces sont applicables immédiatement. Sinon, nous pouvons tous retourner à nos chères études et cesser de changer la loi !
Madame la secrétaire d’État, votre texte marque un recul incroyable par rapport aux annonces faites tant par le Président de la République que par vous-même. Cela ne change rien de juger les individus de la même manière dans des affaires anciennes ou dans des affaires à venir, dans la mesure où – et cela figure dans votre étude d’impact – le Conseil constitutionnel a formulé une réserve d’interprétation sur ce point.
Vous avez finalement décidé de renoncer : c’est votre responsabilité ! Le Sénat, lui, a la possibilité de rappeler que la relation sexuelle entre un majeur et un mineur de treize ans s’appelle un viol. Nous nous devons de l’affirmer pour protéger les enfants !
Nous allons voter l’amendement proposé par le groupe socialiste et républicain.
Je viens d’expliquer que nous avions déposé une proposition de loi fixant un seuil de quinze ans pour les mineurs en matière de violence sexuelle. Dans leur amendement, nos collègues proposent, quant à eux, un seuil de treize ans.
Ce que j’ai du mal à comprendre dans le débat qui nous anime, débat dont j’espère qu’il se poursuivra jusqu’à son terme, c’est la subsistance d’un doute sur le consentement possible d’un enfant de treize ans.
Je ferai un parallèle entre les questions que l’on se pose à propos de ces mineurs de treize ans qui, selon certains, seraient peut-être après tout un peu responsables de la situation dans laquelle ils sont, et ce que vivent des milliers de femmes aujourd’hui. Nous constatons actuellement une libération de la parole des femmes dans une société où persiste encore une certaine culture du viol, et où, lorsqu’une femme est violée, on se demande comment elle était habillée, où elle se trouvait et à quelle heure, dans une société où l’on se dit que, quelque part, elle l’avait bien cherché.
Jacques Bigot l’a très bien exprimé : on doute, on se demande s’il n’y avait pas une histoire d’amour derrière la relation sexuelle. Mes chers collègues, on parle d’une relation entre un majeur et un mineur ! Et, à treize ans, je suis désolée, mais on parle d’un enfant ou d’une enfant ! Or notre devoir de législateur est de les protéger.
Je comprends bien les arguments qui m’ont été opposés : je ne dis pas qu’il existerait un camp qui serait meilleur que l’autre, mais il faut que l’on ait conscience de tous ces éléments dans le cadre de notre réflexion, à un moment où nous sommes appelés à élaborer et voter la loi.
Ce soir, le Sénat pourrait être à l’avant-garde sur ce sujet. Tant mieux, après tout ! Il est extrêmement important d’envoyer un signal fort, celui qui consiste à interdire les relations sexuelles avec un mineur de moins de treize ans. On ne peut pas tout faire et un enfant doit d’abord être protégé, parce qu’il est avant tout la victime de prédateurs que sont certains majeurs. Cet amendement peut nous aider à élaborer un cadre plus protecteur pour les mineurs.
J’entends et je salue la volonté unanime sur ces travées d’œuvrer pour la protection des enfants, de tous les enfants.
On voit bien que le sujet est compliqué, parce que la réalité l’est aussi. Et je ne parle pas de tout ce que nous ne voyons pas, et qui constitue la partie la plus importante de cet iceberg d’horreurs.
À l’issue des travaux conduits sous la responsabilité de Marie Mercier, j’ai la profonde conviction que la réponse que vous apportez, madame Rossignol, est forte et symbolique. En revanche, je ne suis pas du tout persuadée qu’elle réglera le problème.
D’abord, il existe déjà tout un arsenal législatif dérogatoire important en matière pénale pour protéger tous les enfants de moins de quinze ans.
Ensuite, il faut se demander pourquoi fixer le seuil à treize ans. Cela signifierait que l’agression d’un enfant de treize ans moins un jour serait qualifiée de viol, mais que la protection sauterait si la victime avait treize ans et deux jours ! Je voudrais que l’on prenne enfin en compte la complexité de ces situations.
Enfin, je crois que Mme la rapporteur a fait bouger les lignes en inversant la charge de la preuve grâce à cette idée de présomption de contrainte. Cette présomption doit-elle être pour autant irréfragable ? En ce qui me concerne, je ne le pense pas. Je ne pense pas non plus qu’accepter une présomption irréfragable serait le summum de l’avant-garde ou de la modernité. Ce qui me préoccupe, comme vous tous dans cette enceinte, mes chers collègues, c’est d’abord la protection des enfants, de tous les enfants. Un anniversaire ne doit pas être vécu comme une date fatidique qui affaiblirait cette protection.
Mmes Annick Billon et Josiane Costes applaudissent.
Mes chers collègues, je veux soumettre un exemple à votre sagacité. Si j’ai bien compris, les relations sexuelles d’une enfant de moins de treize ans avec un mineur de dix-sept ans et onze mois ne pourraient pas être qualifiées de viol. En revanche, quand le mineur atteint l’âge de dix-huit ans, il peut alors être poursuivi pour ce crime. Avant, on considère qu’il y a consentement ; une fois l’un des deux protagonistes devenu majeur, il peut être convaincu de viol. À mon sens, il faudrait améliorer la rédaction de cet amendement, afin que l’on puisse un jour l’adopter.
Quant à moi, je me range bien sûr à l’avis du président de la commission et du rapporteur.
Je veux simplement rappeler que la présomption de contrainte, couplée aux articles du code pénal en vigueur, notamment l’article 227-25 dudit code, protège les mineurs de moins de quinze ans et, donc, les mineurs de moins de treize ans.
Je ne fais qu’évoquer le droit objectif, ma chère collègue. Il est question en l’occurrence d’atteinte sexuelle et, a fortiori, de viol.
Si l’on regarde de près la jurisprudence et les besoins exprimés par les juges, au-delà de quelques divergences sur le seuil d’âge à retenir ou sur certaines dispositions de la proposition de loi, il me semble que la présomption de contrainte couplée aux articles du code pénal répond à la demande.
Je tiens à revenir sur un argument que j’ai entendu. Je trouve un peu étonnant que l’on s’en prenne au Gouvernement avec autant de véhémence. Comme je viens de l’entendre sur certaines travées, le Gouvernement voudrait mettre en danger les mineurs de moins de treize ans, et il y aurait là une reculade de sa part.
On sait qu’il existe par ailleurs un projet de loi, plus complet, plus étoffé, qui aggrave davantage les peines et prend en considération ce que j’entends ici et là.
M. Arnaud de Belenet. Il y a donc une certaine forme d’injustice dans le fait de prendre à partie le Gouvernement.
Mmes Laurence Cohen, Marie-Pierre de la Gontrie et Laurence Rossignol rient. – Exclamations amusées sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.
Je ne suis pas toujours d’accord avec le Gouvernement, mes chers collègues, mais vous me permettrez de faire part de mon point de vue sur la façon dont il a été pris à partie.
D’abord, mon cher collègue, le Sénat a commencé à travailler sur le sujet et nous avons déposé des propositions de loi avant qu’il ne soit question du projet de loi du Gouvernement.
À ce moment-là, n’existaient que les déclarations faites par le Président de la République, la secrétaire chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, certains autres ministres ou personnalités. À cette époque, il y avait d’ailleurs un consensus autour de l’idée qu’il fallait qualifier de viol les relations sexuelles impliquant un mineur.
Ces prises de position intervenaient à la suite de deux affaires judiciaires à l’occasion desquelles la qualification de viol n’avait pas été retenue, pour l’une, et la personne majeure avait obtenu un acquittement, pour l’autre, et ce en raison du consentement supposé des victimes. Nous étions alors tous d’accord pour dire qu’il fallait que cela cesse.
Aujourd’hui, notre préoccupation, ce n’est pas le Gouvernement ! Je suis désolée, mais notre préoccupation, c’est notre travail, celui du groupe de travail, les amendements déposés par Mme Cohen, par plusieurs de nos collègues ou moi-même.
Je terminerai en disant un mot du volet juridique de la question. On nous parle de l’opinion des magistrats ou du Conseil constitutionnel. Moi, j’évoquerai un magistrat qui, me semble-t-il, fait l’unanimité par le respect qu’il suscite : il s’agit du procureur François Molins. Celui-ci a déclaré lors de son audition qu’il était favorable au seuil de treize ans, tel qu’il figure dans notre amendement. Il a répété dans un quotidien qu’il était favorable à ce que l’on qualifie de viol une relation sexuelle impliquant un mineur en deçà de treize ans.
On voit bien que les avis des juristes peuvent différer. En revanche, l’opinion d’un praticien comme le procureur Molins doit être prise en compte. Elle prouve en tout cas que nous ne défendons pas des innovations juridiques farfelues, comme certains nous le reprochent.
Laurence Rossignol a mentionné tout ce que je souhaitais dire dans son intervention. Je voterai cet amendement, car, sans fixation d’un seuil d’âge, donc en l’état actuel du droit positif, les difficultés constatées, notamment dans les dernières affaires en date, demeureront.
La délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a effectivement auditionné le procureur Molins. Nous avons longuement évoqué ce sujet avec lui et les arguments qu’il a avancés en faveur du seuil, détaillés par Laurence Rossignol, nous ont totalement convaincus.
C’est donc sans états d’âme que je voterai cet amendement. Je comprends la complexité de la question, mais je reste sur cette position !
Nous n’avons pas l’habitude de nous en remettre au seul Conseil constitutionnel s’agissant du respect de nos droits et libertés fondamentaux, car c’est aussi l’une des missions du Sénat de la République.
Nous ne pouvons pas concevoir, dans notre droit pénal, qu’une peine de vingt ans de réclusion puisse être prononcée sans que l’accusé se voie reconnaître la possibilité de se disculper.
Or la mesure que nous avons sous les yeux ne laisserait à l’accusé aucune possibilité de se disculper. L’amendement caractérise effectivement le viol par une constatation de fait – « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis par un majeur sur un mineur de treize ans est un viol » – et, pour le viol, mes chers collègues, le tarif est de vingt ans de réclusion !
Je ne crois pas que nous puissions accepter de prendre une telle disposition, au nom de notre vocation à garantir les droits de la défense dans la République.
Nous sommes probablement unanimes à considérer que, dans la plupart des cas, lorsqu’un majeur commettra un tel acte à l’encontre d’un mineur, il s’agira bien d’un viol. Mais ce n’est pas à nous d’en décider ! Il faut un jugement ! C’est le rôle même de la justice, en toute subjectivité, mais avec les éléments de fait qui permettent de rapporter la preuve de l’intention et de la réalité de l’acte, de décider de la culpabilité d’une personne et, dès lors qu’un enfant de treize ans est concerné, la culpabilité sera le plus souvent prononcée.
Pour favoriser cette déclaration de culpabilité par le juge, nous venons de voter une disposition créant une présomption de contrainte quand l’acte est commis par un majeur ayant une grande différence d’âge avec le mineur ou quand le mineur n’a pas le discernement qui lui permettrait de comprendre ce qui se passe et d’échapper à la contrainte exercée sur lui par l’agresseur.
Par conséquent, il me semble que nous, membres du Sénat de la République, avons trouvé des dispositions législatives qui permettent de protéger tous les enfants, et pas seulement ceux qui ont moins de treize ans, tout en préservant cette garantie fondamentale pour la justice, à laquelle, en tant que gardiens de la Constitution, nous sommes tellement attachés : tout accusé doit pouvoir être mis en situation de prouver son innocence.
C’est la raison pour laquelle je ne crois pas que nous puissions adopter cet amendement.
Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.
Je mets aux voix l’amendement n° 6.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 76 :
Le Sénat n’a pas adopté.
Le paragraphe 3 de la section 3 du chapitre II du titre II du livre II du code pénal est ainsi modifié :
1° À la fin de l’intitulé, les mots : « commis sur les mineurs » sont supprimés ;
2° L’article 222-31-1 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, les mots : « sur la personne d’un mineur » sont supprimés ;
b) Au 3°, les mots : « le mineur » sont remplacés par les mots : « la victime ».
Le code pénal sanctionne toutes relations lorsqu’elles ne sont pas consenties – viols, agressions sexuelles –, en aggravant la pénalité à raison du lien d’ascendance ou à raison de l’autorité de droit ou de fait qu’exerce l’auteur sur la victime.
De plus, sont pénalement répréhensibles les relations sexuelles exercées sans violence, ni surprise, ni contrainte, ni menace, lorsqu’elles sont commises par un majeur sur un mineur de quinze ans avec, de nouveau, une aggravation de la peine encourue en présence des liens ci-dessus visés entre le mineur et l’auteur des faits.
Ces atteintes sexuelles sont également pénalement réprimées lorsqu’un ascendant ou une personne ayant autorité les commet sur un mineur âgé de quinze à dix-huit ans, l’infraction, ici, étant bien constituée en raison du lien de famille existant.
Dès lors, si l’article 222-31-1 du code pénal énumère bien limitativement les personnes pour lesquelles le viol ou l’agression sexuelle peuvent être qualifiés d’incestueux, il n’en demeure pas moins quelques interrogations. Ainsi, les contours de la sphère familiale au sein de laquelle l’inceste peut être commis sont peu convaincants : le cousin germain, la cousine germaine, le grand-oncle ou la grand-tante, par exemple, ne sont pas inclus dans la liste, figurant à l’article 222-31-1 du code susvisé, des possibles auteurs d’actes incestueux.
Sachez, mes chers collègues, que 16 % des viols sur mineurs dénoncés en 2017 en Martinique avaient un caractère incestueux. Au cours des années 2016 et 2017, 372 infractions sexuelles sur mineurs ont été dénoncées en Martinique, à savoir 195 viols sur mineurs et 177 agressions sexuelles sur mineurs. Il faut préciser que le taux de dénonciation pour de tels faits est faible, en raison de la relation liant les victimes aux agresseurs. La honte et la culpabilité exprimées par les victimes, ainsi que la peur de ne pas être crues restreignent également chez elles les capacités de dénonciation des violences.
Or un grand nombre de ces crimes sont, semble-t-il, commis par des cousins germains, qui ne subissent pas, de fait, une répression en rapport avec le caractère incestueux de leur crime.
J’estime par conséquent qu’une véritable réflexion sur la famille et ses membres devrait être menée pour donner des frontières cohérentes à la notion d’inceste. Le droit pénal doit-il s’aligner sur les définitions implicites de l’inceste en droit civil ou doit-il définir lui-même l’aire de la famille ?
C’est le sens de l’amendement que j’ai déposé sur l’article 4.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 1 est présenté par M. Antiste.
L’amendement n° 12 est présenté par M. Patriat et les membres du groupe La République En Marche.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
I. – Après l’alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…) Le 2° est complété par les mots : «, le fils ou la fille d’un oncle ou d’une tante » ;
II. – Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – Le 2° de l’article 227-27-2-1 du code pénal est complété par les mots : «, le fils ou la fille d’un oncle ou d’une tante ».
La parole est à M. Maurice Antiste, pour présenter l’amendement n° 1.
Avec l’intervention que je viens de faire, mes chers collègues, vous aurez compris le sens de cet amendement, qui vise à étendre la qualification d’incestueux aux viols, agressions et atteintes sexuelles commis par des cousins germains.
La parole est à M. Arnaud de Belenet, pour présenter l’amendement n° 12.
Le mariage entre cousins germains étant autorisé en France - et aussi longtemps qu’il le sera -, cet amendement, tout comme l’amendement n° 1, perd de sa pertinence : je le retire.
L’amendement n° 12 est retiré.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n 1 ?
Arnaud de Belenet vient d’exposer l’argumentaire que je voulais développer : cette mesure serait incohérente avec le code civil, qui autorise les cousins germains à se marier.
L’avis de la commission est donc défavorable.
Je me permets d’insister, car je veux qu’il y ait trace de cette invitation à réfléchir !
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L ’ article 4 est adopté.
L’amendement n° 2, présenté par M. Antiste, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code pénal est ainsi modifié :
1° Au 4° de l’article 222-24, au 2° de l’article 222-28 et au 2° de l’article 222-30, les mots : « un ascendant » sont remplacés par les mots : « toute personne mentionnée à l’article 222-31-1 » ;
2° Au 1° des articles 227-26 et 227-27, les mots : « un ascendant » sont remplacés par les mots : « toute personne mentionnée à l’article 227-27-2-1 ».
La parole est à M. Maurice Antiste.
L’article qu’il est ici proposé d’insérer dans le texte vise à faire du caractère incestueux d’un viol ou d’une agression sexuelle une circonstance aggravante, justifiant la possibilité d’une peine plus lourde.
La circonstance aggravante est déjà prévue pour les ascendants, mais pas pour les autres personnes visées à l’article 222-31-1 du code pénal, qui qualifie l’inceste. Cet amendement tend donc à élargir le champ des circonstances aggravantes d’un viol ou d’une agression sexuelle à tout auteur d’acte incestueux, tel que défini à l’article précédemment cité.
La commission émet un avis défavorable sur cet amendement, au motif qu’il pose plusieurs difficultés juridiques. Il faudrait donc, si vous en êtes d’accord, monsieur Antiste, le retravailler.
Dans la loi du 8 février 2010, le choix a été fait d’introduire l’inceste comme une surqualification descriptive de nature à s’appliquer immédiatement, et non comme une circonstance aggravante.
L’avis du Gouvernement est donc défavorable.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L’article 227-25 du code pénal est ainsi rédigé :
« Art. 227 -25. – Hors le cas de viol ou de toute autre agression sexuelle, le fait, par un majeur, d’exercer une atteinte sexuelle sur un mineur de quinze ans est puni de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 € d’amende. » –
Adopté.
L’article 434-3 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le délai de prescription de l’action publique court à compter du jour où tous les éléments constitutifs de l’infraction réprimée par le présent article ont cessé. » –
Adopté.
L’amendement n° 3 rectifié bis, présenté par Mmes L. Darcos et Doineau, MM. Milon, Retailleau, Marseille et Babary, Mme Billon, MM. Bockel et Bonnecarrère, Mme Boulay-Espéronnier, MM. Brisson, Buffet, Cadic, Capo-Canellas, Cardoux, Chaize et Chatillon, Mme de Cidrac, MM. Daubresse et Delcros, Mmes Delmont-Koropoulis, Deroche et Deromedi, MM. Détraigne et Dufaut, Mmes Dumas et Férat, M. Frassa, Mmes Garriaud-Maylam, Gatel et F. Gerbaud, M. Gilles, Mmes Goy-Chavent, Gruny et Guidez, MM. Houpert et Husson, Mme Imbert, MM. Kern et Laménie, Mmes Lamure et Lanfranchi Dorgal, MM. D. Laurent, Lefèvre, Leroux et H. Leroy, Mme Létard, MM. Louault, Magras et Mayet, Mme Micouleau, MM. Moga, de Nicolaÿ, Piednoir et Pierre, Mmes de la Provôté et Puissat, MM. Rapin, Revet, Savary et Savin, Mme Sollogoub, M. Vanlerenberghe, Mmes Vérien et Vermeillet et M. Vial, est ainsi libellé :
Après l’article 6
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code pénal est ainsi modifié :
1° L’article 223-6 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 100 000 euros d’amende lorsque le crime ou le délit contre l’intégrité corporelle de la personne mentionné au premier alinéa est commis sur un mineur de quinze ans ou lorsque la personne en péril mentionnée au deuxième alinéa est un mineur de quinze ans. »
2° L’article 434-3 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, les mots : « à un mineur ou » sont supprimés ;
b) Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque le défaut d’information concerne une infraction mentionnée au premier alinéa commise sur un mineur de quinze ans, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende. »
La parole est à Mme Laure Darcos.
Cet amendement reprend, avec leur assentiment, l’esprit et la lettre de la proposition de loi de Mmes Isabelle Debré et Élisabeth Doineau, proposition qui avait été coconstruite avec les associations luttant contre les violences faites aux enfants.
Les chiffres de la maltraitance infantile, qu’elle soit physique, sexuelle ou psychologique, sont absolument alarmants. Dans 86, 8 % des cas, ces violences ont lieu au sein de la cellule familiale. Souvenons-nous simplement du martyre du petit Bastien, régulièrement battu et décédé dans une machine à laver, dans laquelle son père l’avait placé, sans la moindre réaction de sa propre mère, qui jouait au même moment au puzzle avec sa fille dans le salon.
Pour lutter contre ce fléau des violences ordinaires – insupportables – qui nourrit régulièrement les chroniques judiciaires des médias, il est essentiel d’agir sur les entourages familiaux, en les responsabilisant davantage.
L’article 223-6 du code pénal, qui consacre la non-assistance à personne en danger, punit d’une peine de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende quiconque s’abstient volontairement d’empêcher la survenance d’un crime ou d’un délit, cette même peine s’appliquant à celui qui n’aura pas porté secours à une personne en péril.
Le présent amendement tend à aggraver la peine encourue, dès lors que la victime possède la qualité de mineur de moins de quinze ans.
Par ailleurs, l’article 434-3 du même code punit d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende toute personne qui, ayant eu connaissance de mauvais traitements, d’agressions ou d’atteintes sexuelles infligés à une personne vulnérable, n’en a pas informé les autorités judiciaires ou administratives.
Le présent amendement vise à faire de la minorité de la victime une circonstance aggravante de l’infraction.
Mes chers collègues, je vous remercie chaleureusement du soutien que vous voudrez bien apporter à cette évolution législative, demandée depuis longtemps par les associations, et je remercie d’ores et déjà tous ceux d’entre vous qui ont cosigné l’amendement.
Je vous remercie, madame Darcos, d’avoir défendu cet amendement, tiré d’une proposition de loi que nous avions été très nombreux à signer. Ce texte avait effectivement été porté par notre ancienne collègue Isabelle Debré, mais également par Françoise Gatel, Agnès Canayer, Yves Détraigne et encore beaucoup d’autres collègues que je vois présents dans l’hémicycle.
L’avis de la commission est favorable.
L’avis du Gouvernement est défavorable.
La lutte contre les abstentions coupables que sont la non-assistance à personne en danger et la non-dénonciation de mauvais traitements relève d’une politique pénale volontariste, mais les aggravations de peine proposées ne paraissent pas s’imposer au regard du respect de l’actuelle échelle des peines.
Je suis très heureuse qu’à travers cet amendement Laure Darcos ait repris notre proposition de loi, qui avait été très soutenue à l’époque.
Alors que nous arrivons au terme d’un débat de grande qualité, dans lequel, entre émotion et raison, nous avons tenté de trouver des voies consensuelles, il est important de considérer la question de la réaction de l’entourage dans les cas de violences sexuelles faites aux enfants.
Parfois, l’entourage se tait. Or, comme le soulignait Isabelle Debré voilà plus d’un an, il faut ouvrir les yeux sur ces situations et avoir conscience du caractère aggravant d’un tel silence. C’est un silence lourd de conséquences pour l’avenir de ces êtres en devenir !
Merci donc à toutes celles et à tous ceux qui soutiendront, ce soir, cet amendement.
Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.
Je souscris pleinement aux propos de ma collègue Élisabeth Doineau. Pour nous, c’est aussi l’occasion de saluer Isabelle Debré, qui, d’ailleurs, a assisté au début de nos travaux tout à l’heure.
Effectivement, nous concluons ce débat en évoquant un point extrêmement important : le silence dans les familles. Les violences sexuelles mettent aussi en cause les familles et ce qui se passe en leur sein.
Naturellement, je voterai avec beaucoup de conviction cet amendement, que j’ai cosigné.
Mais je voudrais poser une question à Mme la secrétaire d’État. Elle est toute simple et nullement malicieuse. Ce n’est d’ailleurs pas une question, c’est une confession…
Je dois vous avouer, madame la secrétaire d’État, mon incompréhension face à l’avis défavorable que vous venez d’émettre sur cet amendement.
Encore une fois, ne voyez nulle malice, nulle malveillance dans mon propos. Mais comment pouvez-vous, à la fois, souhaiter la pénalisation du harcèlement de rue – je n’émets pas de jugement de valeur sur cette mesure, que vous n’arriverez pas à appliquer dans de nombreux cas – et rejeter une telle disposition ? Nous parlons ici d’encourager les signalements ; nous parlons d’une protection suprême de l’enfant, et ce jusqu’au sein des familles ; nous parlons aussi d’une mesure contribuant à l’éducation.
Permettez-moi donc de vous exprimer, madame la secrétaire d’État, mes profonds regrets et ma complète incompréhension.
Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
L ’ amendement est adopté.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 6.
À l’article 711-1 du code pénal et au premier alinéa de l’article 804 du code de procédure pénale, la référence : « loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme » est remplacée par la référence : « loi n° … du … d’orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles ».
L’amendement n° 13, présenté par Mme M. Mercier, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I. - À l’article 711-1 du code pénal, la référence : « loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme » est remplacée par la référence : « loi n° … du … d’orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles ».
II. - Le premier alinéa de l’article 804 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :
« Le présent code est applicable, dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … d’orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna, sous réserve des adaptations prévues au présent titre et aux seules exceptions : ».
La parole est à Mme la rapporteur.
L ’ amendement est adopté.
Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.
Effectivement, nous avons eu un débat de grande qualité qui a suivi des travaux eux aussi de grande qualité au sein de la commission des lois et, encore en amont, au sein du groupe de travail piloté par notre collègue Marie Mercier. J’en ai fait part lors de mon intervention au cours de la discussion générale et je n’y reviendrai pas.
Nous avons, sur de nombreux points, trouvé des convergences, voire connu des approbations dans le cadre du groupe de travail. Cela a présenté beaucoup d’intérêt puisque le Sénat a décidé de reprendre à son compte l’essentiel des propositions.
Le groupe socialiste et républicain a défendu un amendement tendant à instaurer un seuil d’âge de treize ans en dessous duquel toute relation sexuelle avec un majeur devait être considérée comme un viol. Le Gouvernement et la majorité sénatoriale n’ont pas estimé devoir aller jusque-là.
C’est pourquoi, alors que le groupe socialiste et républicain est favorable à toutes les autres dispositions du texte, il s’abstiendra lors du vote sur l’ensemble de cette proposition de loi.
Mes chers collègues, je ne m’étais pas encore exprimée pendant ce débat. Le groupe de travail qu’a animé Marie Mercier a produit un travail sérieux, a fait des propositions. Or ces dernières se sont transformées en proposition de loi, alors même que Mme Schiappa venait d’annoncer le dépôt d’un projet de loi, sans compter les travaux menés par notre délégation aux droits des femmes. J’avoue que ce télescopage m’a laissée très perplexe.
Je voudrais vous rappeler une chose dont on a peu parlé, certains l’ayant néanmoins évoquée.
« Sans hier et sans demain, aujourd’hui ne vaut rien », disait Pierre-Jakez Hélias, un écrivain breton, professeur agrégé de français, latin et grec.
Cette phrase est à méditer, au regard tant de notre débat de ce soir que d’autres débats.
Je vous rappelle simplement, mes chers collègues, que la France a signé en octobre 2007 la convention de Lanzarote, comme les 47 États membres du Conseil de l’Europe, convention qu’elle a ratifiée en septembre 2010, comme 42 autres pays du Conseil de l’Europe. Cette convention est entrée en vigueur dans notre pays le 1er janvier 2011 et vise justement à protéger les enfants contre toute exploitation et toute agression sexuelles. À l’occasion de son dixième anniversaire a eu lieu en octobre dernier en France, à Strasbourg, une conférence intitulée « Mettre un terme à l’exploitation et aux abus sexuels des enfants ».
On parle souvent de la campagne « Un sur cinq », tout simplement parce que, dans les 47 pays du Conseil de l’Europe, un enfant sur cinq est victime d’agression sexuelle ou de viol dans un cercle de confiance, à savoir la famille, l’entourage des diverses activités, sportives notamment.
Nous avons besoin d’avoir une approche holistique, c’est-à-dire globale. Cela nécessite des moyens en personnes, cela nécessite des moyens financiers. Malheureusement, ils ne sont pas encore là !
Je veux me réjouir du débat que nous avons eu ensemble ce soir, car je considère qu’il a vraiment été de grande qualité. Nous n’avons pas à nous excuser du temps que nous passons dans cet hémicycle, même si nos débats se sont prolongés. Ils valaient la peine d’être approfondis.
Même si nous avons effectivement des désaccords, nous avons, à mon avis, quand même progressé, compte tenu des mesures que nous avons adoptées ensemble.
Je remercie donc une fois de plus les membres du groupe de travail et je salue la qualité des propositions de Marie Mercier.
Que va faire le groupe communiste républicain citoyen écologiste ? Évidemment, il se réjouit de la qualité de ce débat, je l’ai dit, mais il regrette en même temps que l’on n’ait pas fixé un âge en dessous duquel il ne peut y avoir consentement.
Il est important que nous continuions les uns et les autres à cheminer et à réfléchir sur cette question. Je crois qu’une telle mesure est nécessaire pour protéger les victimes. Si j’ai bien compris, nous allons prochainement examiner un projet de loi et nous allons donc reprendre un certain nombre des échanges que nous avons eus aujourd’hui. Il est important également que nous mesurions le chemin que nous avons à faire en termes de prévention, en termes d’accompagnement et – je souscris à ce que vient dire ma collègue – en termes de moyens financiers et humains, dont nous ne pouvons faire l’économie si nous voulons protéger les victimes.
Notre groupe s’abstiendra donc sur cette proposition de loi, car nous sommes devant un vrai dilemme, comme vous l’avez sans doute ressenti à travers les interventions qu’Esther Benbassa et moi-même avons faites. Encore une fois, nous regrettons qu’un seuil de non-consentement n’ait pas été fixé.
Permettez-moi quelques observations au moment où ce débat se termine.
Je salue une nouvelle fois l’action du groupe de travail et de la commission des lois et je suis satisfait que nous ayons réussi à changer la manière d’aborder le sujet des violences sur les mineurs et à faire prospérer finalement l’idée d’une présomption de contrainte. C’est un élément tout à fait nouveau dans notre droit qu’il convient de saluer.
Comme l’a dit notamment Mme le rapporteur, il faudra des moyens pour permettre à la parole de se libérer le plus tôt possible. Bien sûr, nous avons débattu de droit, de réglementations de toute nature, mais, ce qui est important, c’est de libérer cette parole rapidement. Cela nécessitera incontestablement des moyens budgétaires et des moyens humains. Ce doit être notre priorité.
Enfin, j’ai un regret, et je m’adresse à vous, madame la secrétaire d’État, avec tout le respect que je peux avoir pour vous-même et pour la fonction que vous occupez. Nous sommes ici dans l’une des deux chambres du Parlement, et avec l’ensemble de mes collègues, sur quelque travée qu’ils siègent, nous participons à la rédaction de la loi. La manière avec laquelle vous avez accueilli les propositions d’un certain nombre d’entre nous, nous répondant, pour vous protéger, que le Gouvernement nous soumettrait bientôt un texte, n’est pas tout à fait acceptable, et même pas acceptable du tout.
Signes de dénégation de Mme la secrétaire d ’ État.
On nous a déjà fait le coup, il y a quelques mois, lors de l’examen d’un texte relatif à la justice…
Mme la garde des sceaux émettait systématiquement un avis défavorable, au motif qu’elle allait présenter par la suite son propre texte.
Vous vous êtes livrée plus ou moins à la même opération cet après-midi, au profit de votre propre texte.
Ce n’est pas la conception que nous nous faisons ici de la politique, de la belle politique, de celle qui essaie de construire des choses utiles pour l’ensemble de notre population.
Ce texte contient de bonnes mesures que vous auriez pu faire vôtres et que vous auriez pu faire prospérer. C’est dommage !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, et sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Mes chers collègues, je vous remercie d’avoir osé ce que nous proposions, à savoir un changement sociétal. Avec les sénateurs membres de ce groupe de travail, nous avons toujours été dans la confiance, dans la construction, en nous écoutant les uns les autres avec chacun nos préoccupations : pour certains, c’étaient plutôt les porteurs de handicap, pour d’autres, c’était l’éducation, pour d’autres encore, c’était la protection.
Nous avons abouti à ce texte cohérent, et je suis vraiment heureuse que le Sénat ait produit un travail d’une telle qualité. Je suis fière de ce que nous avons fait ensemble. Nous avons travaillé pour la protection des enfants, et n’oublions pas que l’homme n’est jamais aussi grand que quand il se baisse pour aider un enfant.
Vifs applaudissements.
Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe La République En Marche.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 77 :
Nombre de votants342Nombre de suffrages exprimés232Pour l’adoption229Contre 3Le Sénat a adopté la proposition de loi d’orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles.
Applaudissements.
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 28 mars 2018 :
À quatorze heures trente :
Proposition de résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution, tendant à mieux maîtriser le poids de la réglementation applicable aux collectivités territoriales et à simplifier certaines normes réglementaires relatives à la pratique et aux équipements sportifs (n° 255, 2017-2018).
Débat sur « les scénarios du rapport du Conseil d’orientation des infrastructures du 1er février 2018 au regard de l’avenir des lignes LGV et de l’aménagement du territoire ».
À vingt et une heures trente :
Proposition de loi relative à l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs (n° 711, 2016-2017) ;
Rapport de M. Jean-François Longeot, fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable (n° 369, 2017-2018) ;
Texte de la commission (n° 370, 2017-2018).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée à vingt heures quarante.