Intervention de Françoise Gatel

Réunion du 27 mars 2018 à 14h30
Protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Françoise GatelFrançoise Gatel :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, en 2017, deux affaires judiciaires concernant les infractions sexuelles sur mineurs ont connu un large écho médiatique et soulevé beaucoup d’indignation.

Cette indignation révèle à la fois que notre société considère que ces actes sont intolérables et qu’une réponse pénale automatique, tel un couperet, suffirait à éradiquer l’innommable.

Il nous faut affirmer ici que le législateur ne peut se contenter de solutions symboliques et trop hâtives qui apaiseraient faussement l’opinion publique.

Disons-le avec force, notre société doit protéger ses enfants, tous ses enfants.

Cependant, à côté des réalités sordides découvertes au cours du long travail qui a précédé cette proposition de loi, il convient aussi d’évoquer l’affaire d’Outreau, terrifiante pour les enfants victimes, mais aussi tragique pour les personnes accusées à tort.

Les atteintes sexuelles doivent être révélées, sanctionnées, réparées, mais le danger guette quand l’opinion s’érige en tribunal, si compréhensible soit l’émotion suscitée par de tels actes.

Depuis 1980, la France s’est dotée d’un large arsenal pénal en matière d’infractions sexuelles sur les mineurs. Aujourd’hui, deux questions cristallisent les débats.

Celle du principe de non-consentement des mineurs en fonction d’un seuil d’âge, qui comporte plusieurs écueils.

Tout d’abord, il est difficile de définir un âge pertinent : faut-il le fixer à treize ans, à quinze ans ?

Ensuite, l’automaticité dans l’application de la loi pénale ne permettrait pas de prendre en compte la diversité des situations.

Enfin, des difficultés tiennent aux effets de seuil. Pourquoi un mineur de quinze ans et un mois devrait-il être moins protégé qu’un mineur âgé de quatorze ans et neuf mois ? Si un acte de nature sexuelle entre un majeur de dix-huit ans et un mineur de quatorze ans constitue une infraction, doit-il pour autant être qualifié de crime ?

Quant au seuil de treize ans, il introduirait une « zone grise » entre treize et quinze ans, puisque les mineurs de moins de quinze ans bénéficient déjà d’une protection spécifique dans notre droit.

En réalité, on le voit, cette solution qui semble séduisante n’est pas la plus pertinente en termes de protection de l’enfant.

Ainsi, le texte que nous examinons aujourd’hui prévoit d’instituer une présomption de contrainte simple pour qualifier de viol une relation sexuelle entre un majeur et un mineur dans deux hypothèses : l’existence d’une différence d’âge entre l’auteur majeur et le mineur, l’incapacité de discernement du mineur.

Cette présomption permettrait de protéger tous les mineurs, quel que soit leur âge.

Elle permettrait de faciliter la répression des infractions sexuelles dont sont victimes les mineurs, de respecter la cohérence du droit pénal et d’assurer une conformité à la Constitution, ce que le Conseil d’État a rappelé très récemment.

Un second point fait débat : la prescription de l’action publique.

Dans les cas d’agressions sexuelles sur mineurs, les victimes se sentent coupables, hantées et enfermées par les pressions, y compris familiales, le chantage affectif ou les menaces, qui provoquent très souvent une amnésie traumatique. Celle-ci consiste à enfouir au plus profond de la mémoire le souvenir de ces agressions pour organiser sa survie.

Pour autant, la prescription doit être fixée de manière responsable et raisonnée, car l’allongement des délais mis en œuvre depuis 1989 ne s’est pas traduit par une hausse des condamnations.

Il faut aussi tenir un discours de vérité aux victimes sur le risque d’acquittement ou de non-lieu dû à l’incapacité de préserver les preuves et à la difficulté d’identifier l’agresseur, compte tenu du temps écoulé entre l’acte et la date à laquelle la justice s’en saisit.

C’est pourquoi le prolongement à trente ans de la prescription prenant effet à compter de la majorité de la victime me paraît une juste réponse.

Toutefois, l’enjeu de la protection des mineurs ne relève pas uniquement de la répression pénale.

Parce que ces délits ne doivent pas rester impunis, il faut adapter l’organisation de la justice et renforcer ses moyens.

Il faut mettre un terme à l’asphyxie de la justice qui, en raison de l’engorgement des cours d’assises, peut conduire à requalifier en atteinte sexuelle un viol.

Ce texte insiste sur la prévention, l’éducation et l’accompagnement des victimes.

Pour que la parole puisse se libérer, il faut conduire des actions de communication et de sensibilisation, de formation de tous les acteurs, les enquêteurs, les avocats, les magistrats et tous les professionnels au contact des enfants.

Je veux d’ailleurs saluer le travail remarquable de notre rapporteur, Marie Mercier. Elle a traité ce sujet complexe et difficile dans toutes ses dimensions, en proposant des réponses qui n’enferment pas le mineur dans un statut de victime, mais qui visent aussi à l’accompagner pour lui permettre de se reconstruire.

Au-delà de l’évolution législative, c’est la société tout entière et ses institutions qui doivent se mobiliser pour mettre fin à ces violences invisibles et indicibles qui abîment à jamais des enfants et leurs familles, et en faire une cause nationale.

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