Intervention de Dany Wattebled

Réunion du 27 mars 2018 à 14h30
Protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Dany WattebledDany Wattebled :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission de lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, la France dispose d’une législation abondante et régulièrement complétée en matière de prévention et de lutte contre les violences sexuelles commises à l’encontre des mineurs.

Pourtant, l’inhumain continue à se produire. Des mineurs demeurent encore victimes, en trop grand nombre, d’infractions sexuelles, ou, plus largement, de violences à caractère sexuel.

La proposition de loi d’orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles est la traduction législative des travaux du groupe de travail pluraliste, mis en place par la commission des lois en octobre 2017. Il avait pour but d’établir un état des lieux partagé et de mener une réflexion sereine et approfondie, dans un contexte marqué par plusieurs affaires judiciaires ayant eu un fort retentissement dans les médias et au sein de la société.

Ainsi, durant près de quatre mois, le groupe de travail a procédé à un grand nombre d’auditions, organisé de nombreux déplacements et ouvert un espace participatif sur le site internet du Sénat, qui lui a permis de recueillir plus de 400 contributions, afin d’entendre tous les points de vue.

Dans le rapport rendu public en février 2018, notre collègue Marie Mercier, rapporteur du groupe de travail, a souligné la nécessité de définir et de mettre en œuvre une stratégie globale qui prenne en compte toutes les dimensions de la lutte contre les violences sexuelles, et qui repose sur quatre piliers : prévenir les violences sexuelles à l’encontre des mineurs ; favoriser l’expression et la prise en compte de la parole des victimes le plus tôt possible ; améliorer la répression pénale des infractions sexuelles commises à l’encontre des mineurs ; disjoindre la prise en charge des victimes d’infractions sexuelles du procès pénal.

La proposition de loi, qui est issue de ces travaux, prévoit, notamment, d’allonger le délai de prescription de l’action publique pour les crimes et délits commis à l’encontre des mineurs et d’instituer une présomption de contrainte pour qualifier de viol une relation sexuelle entre un majeur et un mineur dans deux hypothèses : l’incapacité de discernement du mineur ou l’existence d’une différence d’âge significative entre l’auteur majeur et le mineur.

Elle prévoit en outre d’étendre la surqualification pénale de l’inceste aux viols et agressions sexuelles commis à l’encontre de majeurs, et, bien sûr, d’aggraver les peines encourues pour le délit d’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans.

Enfin, elle prévoit d’affirmer le caractère continu de l’infraction de non-dénonciation des agressions et atteintes sexuelles commises à l’encontre des mineurs afin de reporter le point de départ du délai de prescription au jour où la situation illicite prend fin.

Je voudrais faire part à cette tribune d’un regret, que j’ai déjà évoqué en commission : le fait que la notion d’imprescriptibilité n’ait pas été retenue.

En effet, parmi les mesures destinées à améliorer la répression pénale des infractions sexuelles commises à l’encontre des mineurs figure l’allongement du délai de prescription, qui passerait de vingt ans à trente ans en matière criminelle et de dix ans à vingt ans en matière délictuelle.

Or, pour les victimes concernées, la libération de la parole peut se faire à tout âge. On a ainsi eu à connaître du cas d’un footballeur anglais qui a dénoncé, à l’âge de cinquante-huit ans, des faits dont il a été victime lorsqu’il était adolescent.

La justice estime que les tribunaux vont être engorgés et que les preuves viendront à manquer. Mais c’est déjà le cas lorsque les faits sont dénoncés après vingt ans.

L’imprescriptibilité permettrait, à mon sens, que la parole des victimes soit libérée.

Par ailleurs, seuls les crimes contre l’humanité sont actuellement imprescriptibles. Or toucher à l’innocence d’un enfant, n’est-ce pas porter atteinte à l’humanité tout entière ?

Une piste très intéressante à ce sujet a toutefois été avancée en commission des lois, et je remercie notre collègue François-Noël Buffet de sa proposition d’amendement. Le 7 novembre 2014, une décision en assemblée plénière de la Cour de cassation a reconnu le principe de la possibilité de suspendre la prescription en cas d’obstacle insurmontable. Il serait pertinent – j’y suis très favorable – que le juge considère l’amnésie post-traumatique comme un élément qui puisse suspendre le délai de prescription.

Enfin, je voudrais aborder l’aspect juridique novateur qu’est la présomption de contrainte : cette solution apparaît bien plus satisfaisante que l’instauration d’une présomption irréfragable fondée sur un seuil d’âge qui porterait atteinte à la présomption d’innocence. Nous avons inversé la charge de la preuve, ce qui est primordial pour les victimes, et je m’en réjouis.

Avant de conclure, je veux rendre hommage ici, à cette tribune, à notre rapporteur, Marie Mercier, ainsi qu’aux membres du groupe de travail, pour la qualité de leurs travaux et, surtout, pour leur engagement moral.

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le degré d’une civilisation se mesure à sa propension à protéger les plus vulnérables. En l’occurrence, cette proposition de loi apporte de véritables réponses. Aussi, le groupe Les Indépendants votera sans réserve en faveur de ce texte.

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