Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte présenté aujourd’hui est le fruit d’un travail approfondi de la commission des lois pour protéger les mineurs victimes d’infractions sexuelles. Je veux saluer ce travail essentiel, qui porte sur un sujet de société grave qu’il convient de prévenir, parce que nous avons le devoir d’assurer à nos enfants la meilleure protection possible.
Le travail remarquable effectué par nos collègues Philippe Bas et Marie Mercier démontre combien il est urgent de prendre en compte le volet prévention de tels actes, de mieux écouter la parole des jeunes victimes et d’améliorer la réponse pénale, sans oublier la prise en charge spécifique des enfants.
Pour autant, j’émettrai une réserve importante concernant l’article 2. En effet, les prescriptions longues et reportées à la majorité des victimes conduisent à la tenue de procès plusieurs dizaines d’années après les faits. Par exemple, pour une victime âgée de cinq ans au moment des faits, la plainte pourrait être déposée jusqu’à ses quarante-huit ans et le procès avoir lieu, après deux années d’instruction, soit quarante-cinq ans après les faits.
Cela pose un évident problème de preuves, extrêmement difficiles à recueillir tant d’années après.
Par ailleurs, cela peut entraîner de fortes désillusions pour les victimes, qui accepteraient difficilement classements sans suite, non-lieux, relaxes ou acquittements, faute de preuves suffisantes. Soyons vigilants sur cette question.
Il s’agit de sensibiliser toute la société. Tel est le message utile de cette proposition de loi.
L’article 3 prévoit d’instituer une présomption de contrainte pour qualifier de viol une relation sexuelle entre un majeur et un mineur lorsqu’il existe une incapacité de discernement du mineur ou une différence d’âge significative. En effet, combien dénombre-t-on de situations dans lesquelles l’abus a été commis par influence, ruse, chantage, pression morale d’un majeur en direction d’un mineur ? Combien de silences tabous ? Combien de vies traumatisées et de vies affectives brisées pour longtemps, pour toujours ?
Toutefois, là aussi, le législateur doit garder à l’esprit l’utilité d’une analyse critique des situations, parfois bien plus complexes qu’on ne l’imagine. Il ne faudrait pas que cette disposition renverse la charge de la preuve en faisant du supposé auteur un présumé coupable – et non pas un présumé innocent. Seule la présomption de contrainte lorsque le mineur est incapable de discernement pourrait avoir du sens, même si, objectivement, en pareille situation, elle serait déjà retenue par le juge.
Par ailleurs, le périmètre de la « différence d’âge significative » est flou et fera forcément l’objet de débats dans les tribunaux.
La différence d’âge cumulée à l’autorité de fait ou de droit est d’ailleurs déjà admise comme pouvant caractériser la contrainte – je vous renvoie à l’article 222-22-1 du code pénal. Pour autant, le constat est fait que le taux de signalement reste faible parce que les obstacles sont multiples et les tabous persistants, d’où l’importance de l’information et de la sensibilisation, en direction tant des mineurs que des adultes. Le rapport de la commission des lois le démontre avec lucidité, monsieur Bas.
C’est toute la chaîne éducative, parentale, médicale et judiciaire qui est concernée par une meilleure approche. Votre rapport souligne avec justesse les besoins d’un meilleur accompagnement des jeunes victimes.
La réponse pénale n’est qu’une étape ; elle n’est pas la réponse absolue parce qu’elle ne peut pas englober le processus de reconstruction personnelle d’une jeune victime. L’écoute, la prise en compte de la parole de l’enfant sont déterminantes dans le processus de reconstruction.
Dans le cadre de l’accompagnement du processus de reconstruction des victimes, l’annexe le confirme : « La justice pénale ne peut plus être l’unique recours des victimes. D’autres voies que le procès pénal, permettant la reconnaissance et la reconstruction des victimes, doivent être développées. Il convient ainsi d’encourager le recours à la justice restaurative et de faciliter la réparation des préjudices subis. » Nous attendons aussi le détail des préconisations de la Haute Autorité de santé, la HAS, dans le cadre d’un protocole national de prise en charge, avec une cartographie de l’offre de prise en charge spécialisée des victimes de violences sexuelles.
En conclusion, même si certains articles méritent des modifications, le présent texte propose des avancées par la loi et la justice. Il s’agit non pas d’oublier, non pas d’effacer, mais de réparer !