Intervention de Elisabeth Borne

Réunion du 28 mars 2018 à 14h30
Avenir des lignes lgv et aménagement du territoire — Débat organisé à la demande du groupe les républicains

Elisabeth Borne :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, lors de son discours du 1er juillet à Rennes, le Président de la République a souhaité que la politique des mobilités se recentre sur les préoccupations premières de nos concitoyens et de nos entreprises : les transports du quotidien, la lutte contre la congestion des grandes agglomérations, l’accès à l’emploi et aux services dans les territoires, l’optimisation de nos systèmes logistiques. Il a voulu également que cette réforme s’engage dès le début du quinquennat.

Les besoins de nos territoires, de nos concitoyens, de nos entreprises, évoluent, vous le savez, rapidement, et le secteur des transports doit contribuer activement à la transition écologique, dans un contexte marqué par les contraintes qui pèsent sur les capacités financières des pouvoirs publics : sur celles de l’État et, j’en suis consciente, sur celles des collectivités.

L’État et les collectivités territoriales doivent donc anticiper et accompagner ces évolutions en révisant en profondeur leurs stratégies et leurs modes d’action.

En effet, pour ne prendre que l’exemple du ferroviaire qui sera au cœur de nos échanges pendant les prochains jours, si l’inauguration de quatre lignes à grande vitesse au cours des deux dernières années peut être un légitime motif de satisfaction, voire de fierté, qui peut se satisfaire de la dégradation continue de nos infrastructures de transports, des 5 300 kilomètres de notre réseau ferré sur lesquels nos trains circulent au ralenti et ne sont plus à même de répondre aux besoins des usagers ?

Il y a donc urgence à revisiter nos choix d’investissement et, là où des promesses non financées ont longtemps créé de faux espoirs, abîmé la confiance de nos concitoyens dans les engagements de l’État, nourri le sentiment d’abandon de nombreux territoires, nous voulons leur proposer un nouveau cadre d’action et de programmation tourné vers les besoins du quotidien, équilibré en ressources et en dépenses.

Ce besoin de changement, votre Haute Assemblée l’appelle de ses vœux depuis plusieurs années.

Ce besoin de changement, nos concitoyens l’ont exprimé avec impatience dans les ateliers territoriaux des Assises nationales de la mobilité.

Cette impatience, celle dont vous êtes également les témoins dans vos territoires, je la comprends, je la partage et je mesure l’urgence de lui apporter une réponse, au risque de voir se creuser les fractures sociales et territoriales.

Le Gouvernement s’est donc employé à ouvrir une page nouvelle, faite d’écoute, de cohérence et de sincérité.

C’est le sens de la mise en place en septembre dernier du Conseil d’orientation des infrastructures, présidé par Philippe Duron. Ce conseil, je l’ai souhaité composé de femmes et d’hommes en prise directe avec les besoins des territoires et de nos concitoyens. J’ai souhaité qu’il représente la diversité des collectivités territoriales. J’ai souhaité que ses travaux puissent s’enrichir de la diversité des horizons tant professionnels que politiques de ses membres.

Permettez-moi de saluer, devant vous, l’engagement de vos collègues qui ont activement contribué aux travaux du COI : Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, Gérard Cornu, que je remercie d’être à l’initiative de ce débat, et Michel Dagbert. La mission confiée était ardue, ils n’ont ménagé ni leur temps ni leurs efforts pour réussir cette ambition collective.

Au final, c’est bien à l’unanimité des membres du COI que le rapport qui m’a été remis le 1er février dernier a été adopté. Il débouchera, vous le savez, sur une loi de programmation qui vous sera présentée dans les prochaines semaines, et répondra ainsi à la première recommandation formulée par la commission des finances du Sénat en septembre 2016 dans son rapport Infrastructures de transport : sélectionner rigoureusement, financer durablement. Celui-ci préconisait d’« adopter, au début de chaque législature, une loi de programmation des infrastructures de transport, établissant une liste hiérarchisée des grands projets et une programmation financière pluriannuelle, sur la base des travaux d’une commission permanente composée d’élus nationaux, locaux et d’experts, qui sera ensuite chargée d’examiner tous les ans l’avancement des projets programmés et de proposer, le cas échéant, des ajustements ». Cette recommandation ne restera pas lettre morte.

C’est l’objectif même de la démarche dans laquelle le Gouvernement s’est engagé.

C’est l’exercice courageux auquel se sont employés les membres du COI durant quatre mois d’un travail considérable qui fera date, ponctué par plus de cinq cents auditions.

Ce rapport réinterroge de fond en comble notre politique d’investissements dans les infrastructures, en repartant d’une question simple et primordiale : à quels besoins devons-nous répondre en priorité ?

Il propose trois scénarios. C’est là aussi le caractère inédit de ce travail : les membres du COI ont placé les besoins d’investissements face aux réalités des moyens que nous devons y consacrer.

Le scénario n° 1, à ressources constantes, permet juste de satisfaire les besoins d’entretien du patrimoine existant. Il fait donc preuve de sincérité en montrant ce qu’il est possible de faire à ressources constantes.

Le scénario n° 2 permet de répondre aux priorités fixées par le Président de la République et nécessite d’affecter au secteur des transports des moyens supplémentaires significatifs, à hauteur de 600 millions d’euros par an.

Le scénario n° 3 correspond à l’accélération des projets du scénario n° 2 pour mieux répondre aux attentes des territoires. Cependant, il mobilise environ 80 milliards d’euros en vingt ans en direction de l’AFITF, soit un doublement des dépenses par rapport à la période 2012-2016, et ce pendant au moins dix ans.

Les trois scénarios, je le répète, ont le mérite de la cohérence. Ils mettent tout le monde face à la complexité et à la réalité de l’équation qui s’impose à nous.

Quel que soit le scénario que nous choisirons, le rapport nous recommande un certain nombre de priorités. Je dois dire que j’y ai retrouvé beaucoup de mes convictions ! Elles répondent en effet toutes au cœur du combat que je mène pour les transports du quotidien.

Il préconise tout d’abord l’entretien et la régénération des réseaux existants. Chacun a en tête les innombrables exemples d’un réseau, qu’il soit ferroviaire, routier ou fluvial, qui marque des signes de fatigue par manque d’entretien. Ce n’est tout simplement plus tenable. Il s’agit là d’un besoin que je qualifierai d’élémentaire, de vital !

L’autre priorité mise en avant, à laquelle je sais que vous êtes particulièrement attentifs, est le désenclavement de tous nos territoires. Voilà un exemple d’une politique d’infrastructures qui ne tourne plus rond : c’est ce que je me dis quand, dans mes déplacements, je suis confrontée à des habitants, à des élus, qui désespèrent de voir la modernisation de certains axes routiers repoussée de contrat de plan en contrat de plan, de décennie en décennie, alors que ces chantiers sont pourtant indispensables ! Il ne s’agit pas de grands travaux, mais de contournements de bourgs, d’aménagements de sécurité, de créneaux de dépassement, indispensables pour relier correctement tout notre territoire.

Je l’ai indiqué, je suis convaincue que ce désenclavement routier peut être achevé en l’espace d’une décennie. Voilà une belle ambition, une ambition utile !

De la même façon, le ferroviaire doit pleinement s’adapter à l’émergence des métropoles où nous devons renforcer la place du train pour transporter beaucoup de voyageurs. Il nous faut en effet, comme vous l’avez souligné à juste titre, monsieur Cornu, traiter les nœuds ferroviaires pour rendre nos plus grandes gares pleinement efficaces et fiables.

La place du ferroviaire reste naturellement essentielle dans le désenclavement des territoires au travers des « petites lignes », terme impropre pour qualifier des lignes souvent essentielles aux besoins de mobilité de nombreux territoires.

La dernière priorité est celle des mobilités douces, dont le vélo, bien sûr. Je me suis réjouie que le COI ait fait de ce mode de transport propre, extrêmement pertinent sur de nombreux trajets du quotidien, un élément central d’une politique d’équipement. Cela participe d’une prise de conscience en faveur de laquelle je milite beaucoup.

Quant aux projets d’infrastructures tant discutés, le COI a apporté au débat une vision nouvelle, qui me semble extrêmement novatrice et utile. En effet, sur bon nombre de projets, le débat ne peut se résumer à la question de faire ou de ne pas faire. Le rapport souligne parfaitement qu’un grand projet peut très bien se réaliser et répondre à nos priorités, selon le rythme et le phasage qu’on lui donne.

Le rapport du COI ouvre, je le souhaite, une nouvelle page et une nouvelle approche dans nos choix d’investissement. Il nous donne les outils nécessaires pour sortir des impasses financières et politiques sans renoncer à notre ambition collective de répondre aux besoins de mobilité de nos concitoyens.

En effet, il ne s’agit pas de dépenser moins, de faire des économies. Nous aurons même à investir plus, à engager davantage de moyens pour nos infrastructures ! Mais l’enjeu est aussi et d’abord d’investir mieux, c’est-à-dire de faire des choix pertinents pour nos concitoyens, de répondre à leurs besoins, de telle sorte que chaque euro investi soit le plus utile possible.

Le Gouvernement fera bientôt connaître ses choix. Il vous appartiendra de débattre de ces investissements et d’une programmation sincère de nos infrastructures pour les prochaines années, à la fois pour améliorer le quotidien de chacun, mais aussi pour la crédibilité de la parole publique.

Ce débat, nous l’engageons aujourd’hui, et je m’en réjouis, car je suis convaincue qu’il viendra très utilement compléter les nombreuses consultations que j’ai engagées depuis le mois de février et qui m’ont permis d’échanger directement avec certains d’entre vous.

À l’aune de ce débat, consciente que de vos travées trouveront à s’exprimer les légitimes attentes des territoires que vous représentez, je veux vous rendre attentifs au défi que nous avons à relever ensemble, celui de définir une stratégie ambitieuse, réaliste et cohérente, car, pour reprendre les propos de vos collègues Hervé Maurey et Louis-Jean de Nicolaÿ dans leur rapport de mai dernier, « si chacun de ces projets, pris individuellement, peut paraître fondé, leur agrégation ne répond à aucun moment à une stratégie d’ensemble véritablement réfléchie et intégrée ». C’est cette stratégie que je souhaite pouvoir construire avec vous !

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