Intervention de Hervé Maurey

Réunion du 28 mars 2018 à 21h30
Ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Hervé MaureyHervé Maurey :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le quatrième paquet ferroviaire, adopté en décembre 2016, a fixé des échéances très claires pour l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs : le 3 décembre 2019 pour les services conventionnés, TER et TET ; le 14 décembre 2020 pour les services librement organisés, c’est-à-dire les TGV, avec une obligation de transposition de la directive d’ici au 25 décembre 2018.

Les échéances sont donc proches et l’expérience de la libéralisation du fret ferroviaire nous montre qu’il faut anticiper cette réforme le plus en amont possible.

C’est pour cela, mais aussi parce que nous pensons, Louis Nègre et moi-même, que l’ouverture à la concurrence peut et doit être une chance pour le secteur ferroviaire en général, la SNCF en particulier et surtout pour les usagers, que nous avons décidé de travailler à la rédaction d’une proposition de loi dès le début de l’année 2017. Qu’il me soit, à ce stade, permis de saluer le travail et l’engagement constant sur cette question de notre ancien collègue Louis Nègre, qui aime rappeler que l’on parle depuis 1991 de la libéralisation du transport ferroviaire, et qu’il est donc grand temps de passer de la parole aux actes.

Nous savions que l’ancien gouvernement ne se saisirait pas de ce dossier avant les échéances électorales et nous nous doutions que le gouvernement issu des élections du printemps aurait certainement d’autres urgences. Nous avons donc préparé cette proposition de loi en travaillant avec l’ensemble des parties prenantes : syndicats, usagers, régions, ARAFER, groupe public ferroviaire, nouveaux entrants et, bien sûr, ministères.

Dès votre nomination, madame la ministre, nous vous avons fait part de notre initiative, en vous indiquant que notre démarche visait non pas à gêner le Gouvernement, encore moins à le court-circuiter, mais, au contraire, à mettre à sa disposition notre travail, pour qu’il s’en saisisse le plus rapidement possible. Nous n’avons d’ailleurs pas manqué de vous alerter sur la nécessité de légiférer rapidement, pour définir les modalités de cette réforme d’ampleur.

Nous avons déposé notre texte le 6 septembre 2017 et nous vous l’avons présenté dans l’esprit de coconstruction qui était le nôtre. À votre demande, j’ai accepté de renoncer à l’inscription de ce texte à l’ordre du jour en janvier, comme cela était prévu, car vous souhaitiez attendre les conclusions de la mission de M. Spinetta. J’ai accédé à votre souhait, car vous m’aviez assuré que cette proposition de loi serait le véhicule législatif soutenu par le Gouvernement pour mener à bien sa réforme.

Profitant de ce délai supplémentaire pour conforter la qualité juridique du texte, le président du Sénat a saisi le Conseil d’État, comme la Constitution le lui permet depuis 2008. Celui-ci a rendu son avis le 22 février dernier. Je tiens à souligner le caractère tout à fait exceptionnel de cette démarche, puisque seules quatre propositions de loi d’initiative sénatoriale avaient été précédemment soumises au Conseil d’État.

Quelle ne fut donc pas notre surprise d’apprendre que le Gouvernement décidait finalement de procéder à la réforme du système ferroviaire par ordonnances ! Comment ne pas y voir un mépris absolu du travail du Sénat, du Parlement dans son ensemble et, au-delà, de nos compatriotes, car, sur un tel sujet, un vrai débat s’impose ?

La raison invoquée par le Gouvernement est qu’il faut aller vite. Tout à fait d’accord, mais pourquoi avoir attendu aussi longtemps avant de lancer les concertations ? Vous saviez, madame la ministre, que ces échéances existaient ; Louis Nègre et moi-même vous les avions rappelées à plusieurs reprises. Le Gouvernement a préféré prendre son temps, pour ne pas dire le perdre.

Aujourd’hui, la concertation avec les syndicats est une priorité, mais pourquoi, au nom de cette concertation, refuser le débat avec le Parlement ? Le Gouvernement ne serait-il pas plus fort s’il pouvait s’appuyer sur un soutien du Parlement ?

J’observe d’ailleurs avec étonnement que vous avez, depuis l’origine, voulu éluder le débat sur le sujet. Le transport ferroviaire a été écarté des Assises nationales de la mobilité, au motif qu’un expert aux compétences reconnues dans le secteur aérien allait nous expliquer comment sauver le secteur ferroviaire. L’avenir du système ferroviaire concerne tout de même, vous le savez mieux que quiconque, 3, 2 millions de voyageurs par jour. Pourquoi avoir sacrifié le nécessaire débat, dans l’attente des oracles de M. Spinetta, devenu, en quelque sorte, le « gourou » du ferroviaire ?

Aujourd’hui, pour justifier les ordonnances, vous invoquez, après avoir perdu beaucoup de temps, la nécessité d’aller vite. Mais savez-vous, madame la ministre, qu’il faut en moyenne six mois pour examiner un projet de loi en procédure accélérée, alors que le délai moyen entre la demande d’habilitation par le Parlement et la signature de l’ordonnance est de dix-huit mois ? Ce n’est pas moi qui le dis, mais les statistiques qui l’attestent.

En l’espèce, nous avons, vous avez, une proposition de loi qui est prête, qui a été examinée par le Conseil d’État et qui, à la suite de cet avis du Conseil d’État, a été améliorée grâce au travail de notre rapporteur en commission. Vous avez donc, grâce à ce texte, la possibilité d’aller plus vite que par ordonnances, lesquelles, dans le meilleur des cas, ne seraient pas adoptées avant le mois de juin. En même temps, vous avez la possibilité de permettre un vrai débat parlementaire.

Madame la ministre, jamais une réforme d’une telle ampleur n’a été décidée par ordonnances, en demandant des habilitations aussi floues. Vous allez nous répondre qu’au fur et à mesure de l’examen de la loi d’habilitation vous introduirez des dispositions législatives définitives. Cette démarche pour le moins inédite, pour ne pas dire exotique, n’est pas de nature à nous rassurer, car les mesures que vous introduirez et qui porteront certainement sur des sujets majeurs n’auront pas été examinées préalablement par le Conseil d’État et ne le seront pas non plus, dans la mesure où il ne s’agira pas d’ordonnances, a posteriori.

Il y a également fort à parier que le Parlement sera, comme c’est souvent le cas, saisi tardivement et aura, de ce fait, peu de temps pour les examiner et mener les concertations nécessaires. L’expérience nous montre en effet que le Gouvernement nous saisit trop souvent au dernier moment de ses amendements, parfois même quelques heures avant l’ouverture de la séance.

Je voudrais, avant de conclure, évoquer deux points fondamentaux pour nous. Premièrement, l’ouverture à la concurrence doit se traduire non pas par une dégradation de la qualité du service offert aux clients, mais par une amélioration. Deuxièmement, l’ouverture à la concurrence ne doit pas se faire au détriment des territoires.

Nous sommes donc en désaccord total avec la position de M. Spinetta, préconisant de recentrer le ferroviaire sur « les dessertes à grande vitesse entre les principales métropoles françaises ». Cette position est en contradiction absolue avec le concept d’aménagement du territoire, auquel nous sommes particulièrement attachés. De même, nous ne sommes pas favorables à une ouverture à la concurrence des services TGV reposant exclusivement sur le libre accès au réseau, ce que l’on appelle l’open access, car elle aboutirait à la disparition de nombreuses liaisons, moins rentables ou déficitaires, mais pourtant indispensables à l’aménagement du territoire.

Nous voulons éviter un tel écrémage, du type de celui qui est opéré par les opérateurs de téléphonie, et préserver la desserte des villes moyennes par les services TGV. Par ce texte, nous proposons donc une mesure forte, pour répondre à la nécessité de préserver l’aménagement du territoire, en prévoyant que l’État, en tant qu’autorité organisatrice de transport, conclura des contrats de service public pour les services TGV, en combinant, dans un même contrat, services rentables et services non rentables, dès lors, bien sûr, que ce sera nécessaire. Nous aurons l’occasion d’en reparler au cours du débat.

Madame la ministre, vous l’avez compris, nous sommes favorables à une réforme ambitieuse du système ferroviaire et de la SNCF, ainsi qu’à son ouverture à la concurrence, mais pas dans ces conditions. Grâce à cette proposition de loi, le débat que le Gouvernement voulait nous refuser aura lieu. Je remercie chaleureusement tous les groupes du Sénat qui ont souhaité ou accepté son inscription à l’ordre du jour de notre assemblée.

Nous ne sommes pas, sur ces travées, tous d’accord sur le texte que je présente ce soir.

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