Comme le président Maurey, je m’interroge : pourquoi avoir tant tardé à s’emparer du sujet de l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs ? Ce retard nous oblige, à quelques mois de la date butoir fixée par l’Union européenne, à légiférer par voie d’ordonnances, contribuant à nous priver d’un débat pourtant indispensable.
L’ouverture à la concurrence est une obligation européenne. Nous pouvons la transformer en opportunité pour nos transports ferroviaires, qui ont perdu de leur attractivité ces dernières années. Depuis 2011, la fréquentation des trains recule, alors que celle des autres modes de transport – voiture particulière, avion, autocar – progresse. Cette évolution va à l’encontre du modèle que nous devrions défendre pour protéger l’environnement. Elle est à l’opposé de ce qui s’observe chez nos voisins européens, où la part modale du train progresse. Nombre d’entre eux n’ont d’ailleurs pas attendu le quatrième paquet ferroviaire pour ouvrir leurs services à la concurrence, avec des effets positifs sur la qualité de service, sur la fréquentation, sur la réduction des coûts, au profit, bien entendu, des usagers.
C’est la raison pour laquelle nous soutenons, sur le fond, cette réforme, à la condition d’en définir correctement les modalités. Tel est l’objet de cette proposition de loi. Nous nous sommes d’ailleurs attachés, en commission, à clarifier et sécuriser plusieurs dispositions du texte sur le plan juridique, en prenant en compte les observations formulées par le Conseil d’État. C’était l’objectif de cette saisine.
Comme l’a indiqué le président Maurey, l’un des axes forts de la proposition de loi est de chercher à préserver les dessertes TGV considérées comme peu rentables ou même déficitaires, alors qu’une ouverture à la concurrence reposant exclusivement sur le libre accès au réseau prévu par l’Union européenne, l’open access, aboutirait à un écrémage des dessertes.
Aussi la proposition de loi prévoit-elle que l’État conclura des contrats de service public pour l’exploitation des services dits TGV, en combinant des liaisons rentables et des liaisons non rentables. Il s’agit, à ce jour, de la seule solution permettant de préserver de façon certaine des dessertes considérées comme non rentables dans le contexte de l’ouverture à la concurrence, sans rupture de charge pour les usagers. À l’inverse, un conventionnement des seules liaisons non rentables, notamment celles qui permettent de desservir les villes moyennes par des trains TGV, obligerait les usagers à changer de train pour commencer ou terminer leur trajet, ce qui réduirait d’autant l’attractivité du mode ferroviaire par rapport aux autres modes de transport.
L’objectif est non pas de couvrir tous les services TGV par des contrats de service public, mais de faire coexister, dans un système équilibré, des services librement organisés, en open access, et des services conventionnés, comprenant des services à grande vitesse. Il reviendra à l’État, en tant qu’autorité organisatrice, de prendre ses responsabilités dans ce domaine, en déterminant les dessertes qu’il souhaite préserver et en concluant les contrats de service public correspondants.
Les autres dispositifs de la proposition de loi visent à lever les obstacles à une ouverture effective à la concurrence.
Le premier sujet, primordial, est la question des données, car les autorités organisatrices ne parviennent pas, aujourd’hui, à obtenir de l’opérateur historique les informations dont elles ont besoin pour exercer leurs missions.
Pour y remédier, l’article 7 crée un dispositif contraignant, imposant à SNCF Mobilités et SNCF Réseau de transmettre aux autorités organisatrices les informations indispensables à l’exercice de leur mission, dispositif assorti d’une possibilité de sanction par l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, l’ARAFER, en cas de manquement. Les autorités organisatrices devront, quant à elles, fournir aux candidats aux appels d’offres les informations nécessaires à la préparation de leur candidature, comme le prévoit l’article 2. Dans les deux cas, un décret en Conseil d’État, pris après avis de l’ARAFER, déterminera un socle minimal d’informations à transmettre pour fixer un cadre homogène et éviter que des contestations ne bloquent la transmission de ces données.
Le deuxième sujet, c’est celui du transfert de personnels entre entreprises ferroviaires.
L’article 8 de la proposition de loi fixe, de manière précise et détaillée, le régime applicable au transfert des salariés, ce qui lui confère une garantie juridique forte et limite les incertitudes qui résulteraient d’un dispositif trop flou. Ce dernier laisserait des marges d’interprétation et, donc, des possibilités de contentieux au moment du transfert. L’article prévoit que le périmètre des salariés à transférer est arrêté par les autorités organisatrices de transport et communiqué aux opérateurs souhaitant candidater aux appels d’offres. Le transfert s’effectuera prioritairement sur la base du volontariat, puis sur décision de l’entreprise ferroviaire sortante si le nombre de volontaires est inférieur au périmètre arrêté par les autorités organisatrices.
L’article 8 détermine ensuite le socle de droits sociaux garantis aux salariés de SNCF Mobilités transférés, ce que l’on appelle parfois le « sac à dos social » : l’ensemble des salariés conserveront un niveau de rémunération identique à celui qui aura été perçu lors des douze derniers mois précédant le transfert, ainsi que le bénéfice des facilités de circulation ; en outre, les salariés sous statut garderont leur affiliation au régime spécial de retraite de la SNCF et les droits à pension qui en découlent, ainsi que la garantie de l’emploi. À l’issue d’un premier transfert, les salariés qui seraient amenés à rejoindre de nouveau SNCF Mobilités pourront réintégrer le statut s’ils en bénéficiaient initialement. S’ils sont transférés à un nouvel opérateur, leurs droits garantis seront maintenus.
En ce qui concerne les matériels roulants, les autorités organisatrices seront libres de déterminer l’option la plus adaptée : elles pourront avoir recours à une société de location, demander aux entreprises d’apporter leurs propres matériels, ou récupérer la propriété des matériels de SNCF Mobilités pour les mettre à la disposition de l’entreprise remportant le marché. De la même façon, en vue de faciliter l’accès des entreprises ferroviaires aux ateliers de maintenance, les autorités organisatrices pourront en récupérer la propriété.
Pour ce qui est des gares, l’ouverture à la concurrence impose de séparer le gestionnaire des gares de l’opérateur historique de transport, SNCF Mobilités, afin de garantir aux entreprises ferroviaires un accès transparent et non discriminatoire aux gares de voyageurs. À cette fin, l’article 11 prévoit la transformation, au 1er janvier 2020, de Gares & Connexions en société anonyme à capitaux publics, filiale de l’établissement public « de tête » SNCF.
Le capital social de Gares & Connexions pourra être ouvert à d’autres investisseurs, afin de contribuer au développement et à la modernisation des gares, l’État devant, en tout état de cause, demeurer l’actionnaire majoritaire. L’État conclura avec Gares & Connexions un contrat pluriannuel fixant des objectifs de gestion des gares, notamment en matière de trajectoire financière, de qualité de service et d’aménagement du territoire. Afin d’assurer l’indépendance des dirigeants de Gares & Connexions à l’égard des entreprises ferroviaires, plusieurs garanties sont prévues, sur le modèle de ce qui existe actuellement pour SNCF Réseau.
Enfin, pour faciliter l’information aux voyageurs et la vente des billets dans le contexte de l’apparition de nouveaux opérateurs, l’État pourra imposer aux entreprises ferroviaires de participer à un système commun d’information des voyageurs et de vente des billets.
Pour conclure, je veux me réjouir que nous puissions, ici, au Sénat, avoir un débat sur un sujet aussi important, qui a des impacts, on l’a vu, sur les usagers, comme sur les territoires.
Le texte que nous examinons aujourd’hui a été préparé très en amont, après de nombreuses consultations. Il constitue un dispositif équilibré, dont nombre de mesures sont partagées par plusieurs acteurs du secteur. Mes chers collègues, comme le disait Gérard Cornu en commission, saisissons-nous de ce dossier relatif à l’aménagement du territoire et à la desserte de l’ensemble du territoire par les transports ! Je vous invite donc à soutenir cette proposition de loi.