Intervention de Éric Gold

Réunion du 28 mars 2018 à 21h30
Ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs — Discussion générale

Photo de Éric GoldÉric Gold :

Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, à la veille de l’examen du projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire, nous nous réunissons aujourd’hui pour débattre de l’ouverture à la concurrence du deuxième plus grand réseau ferré d’Europe, après celui de l’Allemagne.

Le Gouvernement propose de recourir aux ordonnances pour transposer le quatrième paquet ferroviaire et réformer la SNCF. La présente proposition de loi intervient donc à point nommé, car elle vient illustrer les vertus du bicamérisme, que le groupe du RDSE ne cessera de défendre, la qualité du travail sénatorial et la nécessité de garantir en toutes circonstances les pouvoirs du Parlement.

Une réforme aussi majeure que celle du transport ferroviaire mérite cette discussion de fond, qui intéresse nos concitoyens non seulement en tant qu’usagers, mais aussi en tant que contribuables. Nous saluons ainsi l’initiative conjointe de notre collègue Hervé Maurey et de Louis Nègre, ancien sénateur.

Mes chers collègues, il est bien question de réformer. D’une part, la France doit se mettre en conformité avec ses engagements européens ; dans ce domaine, mieux vaut anticiper que réagir aux événements. D’autre part, la SNCF est confrontée à une dette importante et croissante – elle accumule 2 milliards d’euros par an de déficit – ainsi qu’à une stagnation de la part modale du ferroviaire depuis 2010.

Nous préparons l’ouverture à la concurrence dans un contexte particulier : l’État stratège est totalement absent depuis plus de trente ans en ce qui concerne l’aménagement du territoire, que ce soit en matière de choix de dessertes ou de financement des infrastructures. Les inquiétudes des agents, des usagers, des territoires et des parlementaires que nous sommes sont donc pleinement justifiées. Des directives sont données, mais la feuille de route n’est pas toujours lisible. La priorité accordée par le passé au financement des lignes à grande vitesse a conduit à ce que des lignes moins importantes, qui structurent pourtant le territoire de la République, soient délaissées. Les défauts d’entretien font peser aujourd’hui de réelles menaces sur certaines dessertes.

Avec 13 milliards d’euros de dépenses publiques allouées chaque année au ferroviaire, nos collectivités territoriales et nos concitoyens sont en droit d’exiger un service complet et de qualité. Or le taux de retard demeure élevé par rapport aux autres pays européens.

Certes, la SNCF n’a pas vocation à être bénéficiaire, puisqu’elle remplit une mission de service public vitale pour l’accès de tous aux transports, la réduction des gaz à effet de serre et le maillage territorial. J’y suis particulièrement sensible, comme tous les membres de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Toutefois, j’ai la conviction qu’un tel service peut aller de pair avec une gouvernance efficace et des finances assainies.

L’achèvement de l’ouverture à la concurrence constitue l’occasion pour la France d’apporter les améliorations qui s’imposent à la gouvernance de notre système ferroviaire. Le législateur déterminera les modalités de cette libéralisation, mais nous pensons que ce débat aurait dû avoir lieu avant 2018, dernière année avant l’échéance fixée par le droit européen.

En l’état actuel, deux positions semblent se dessiner quant aux modalités de l’entrée des nouveaux opérateurs sur le marché des LGV : d’un côté, l’open access, permettant à toute entreprise d’accéder au réseau sans appel d’offres ; de l’autre, un système de franchises qui régulerait cet accès afin de ne pas remettre en cause la péréquation existant entre les lignes rentables et les lignes déficitaires, au détriment de l’aménagement du territoire. Les deux options comportent leurs avantages et leurs inconvénients. C’est la raison pour laquelle nos voisins européens ont procédé à une combinaison des deux.

Le rapport Abraham de 2011 évoquait de multiples possibilités entre les deux extrêmes. Les auteurs de la proposition de loi font le pari de la concurrence pour le marché pour certaines liaisons à côté des lignes en open access. Le Gouvernement semble préférer ce dernier, tout en envisageant d’imposer des obligations de service public, comme le propose le rapport Spinetta, qui évoque une taxe de péréquation afin d’éviter l’écrémage que les élus ruraux craignent à juste titre.

Mes chers collègues, il est extrêmement difficile d’anticiper les effets de la mise en concurrence ou d’établir des comparaisons au niveau européen tant les marchés diffèrent, la part modale du ferroviaire en Allemagne ou en Italie restant, pour le moment, inférieure à celle de la France. Si la concurrence peut être bénéfique en matière de qualité de service, nous nous interrogeons sur ses effets à l’égard des prix et de la préservation des lignes peu rentables. Élu d’une zone géographique où le mot « enclavement » a du sens, je ne peux que saluer cette volonté de maintenir les lignes secondaires et d’inciter les entreprises à les desservir.

La coordination de l’offre de transports sur l’ensemble de nos territoires doit également être assurée. L’usager doit rester au centre de l’organisation des dessertes sans pâtir de la multiplication des opérateurs. À cet égard, je salue la proposition de création par le texte d’un système commun d’information des voyageurs et de vente de billets.

Nombreux sont les points qui restent à trancher et qu’une proposition de loi ne peut avoir l’ambition de résoudre : avenir du statut du cheminot, du groupe ferroviaire intégré ; avenir des infrastructures et des financements, ou encore de la dette de SNCF Réseau. Cependant, l’aperçu de la réforme proposée par le projet de loi ne semble pas non plus régler cette question. La présente proposition de loi constitue un prélude à un débat éclairé au sein de la Haute Assemblée, alors que le champ d’habilitation proposé par le Gouvernement demeure à ce stade imprécis. Ainsi, nous ne disposons pas de tous les éléments, notamment du plus essentiel de tous : l’issue des concertations avec l’ensemble des parties prenantes. Or cette réforme historique ne peut faire l’économie d’un dialogue fondamental.

Le groupe du RDSE, tout en reconnaissant la qualité de la proposition de loi, s’abstiendra toutefois sur ce texte.

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