Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, Victor Hugo a un jour déclaré : « Je suis réconcilié avec le chemin de fer, c’est décidément très beau. »
S’il est une ambition que nous partageons tous dans cet hémicycle, c’est bien de parvenir à cette réconciliation et de pouvoir, collectivement, écrire l’avenir de notre chemin de fer. Car, oui, le chemin de fer est une partie intégrante de l’histoire de notre pays ! Il a apporté une contribution éclatante à l’aménagement de notre territoire national, du nord au sud et de l’est à l’ouest. Notre imaginaire collectif y est à jamais associé grâce à Émile Zola, à Jean Renoir ou à cette image inoubliable de Jean Gabin dans La Bête humaine, sans oublier Claude Monet et ses versions de la gare Saint-Lazare. Le rail, les gares, le train, voilà bien ce qui forge notre ADN collectif, voilà le ciment de notre grand roman national !
Avec près de 29 000 kilomètres de lignes exploitées – sans intégrer les 2 800 kilomètres de ligne à grande vitesse – et près de 3 000 gares, notre réseau ferroviaire se classe en deuxième position en Europe. Pourtant, mes chers collègues, nous partageons sur ces travées le même constat : notre système ferroviaire est malade, encalminé, et il est essentiel qu’il se réinvente et se régénère pour être un acteur du formidable chantier des mobilités du quotidien qui s’ouvre devant nous.
Madame la ministre, vous avez fait de la lutte contre « l’assignation à résidence » une priorité. Nous partageons tous, ici, cette volonté, qui doit être un marqueur fort de ce quinquennat. Ce combat est celui de tous les acteurs de la mobilité et, au premier rang d’entre eux, du service public ferroviaire, à la seule condition qu’il soit à la hauteur du rendez-vous.
Tel est bien là l’objectif premier que poursuit le Gouvernement avec le projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire, présenté le 15 mars dernier. Cela nous donne l’occasion de mettre un terme au débat qui agite une partie des élus de notre assemblée quant à la confiscation du débat parlementaire qui en serait la conséquence.
N’ayons pas la mémoire courte, mes chers collègues. Rappelons que de grandes réformes sociales, porteuses de progrès, ont emprunté le même chemin. La sécurité sociale en 1945, ou bien encore le temps de travail, l’établissement de l’âge de la retraite à soixante ans, la cinquième semaine de congés payés en 1982 en sont quelques exemples patents, mais il y en a d’autres.
Nous aurons un véritable débat, sans tabou aucun, sur l’avenir de notre service public ferroviaire, sans éluder aucune question, ce qui a été trop souvent le cas toutes ces dernières années. Le débat aura lieu, et je ne doute pas un seul instant que le Parlement saura faire entendre sa voix.
Dans ce contexte, nous pouvons donc nous interroger légitimement sur l’opportunité de l’examen de cette proposition de loi articulée autour de l’ouverture à la concurrence et qui laisse de côté bien des sujets essentiels pour l’avenir de notre service public ferroviaire. L’inscription rapide de ce texte à notre agenda peut être sujette, dans le contexte du moment, à bien des interprétations, mais je préfère m’en tenir au fond et ne pas entrer dans telle ou telle polémique stérile.
Sur le fond, soyons clairs, nous ne rejoignons pas forcément la position des auteurs de la proposition de loi, qui souhaitent accorder « des droits exclusifs aux entreprises ferroviaires pour l’exploitation des services de transport ferroviaire à grande vitesse, en contrepartie de la réalisation d’obligations de service public définies en fonction des besoins d’aménagement du territoire ». Comment imaginer qu’un cadre aussi contraignant garantisse un service de qualité aux usagers et un aménagement équilibré du territoire ferroviaire sans proposer des contreparties financières qui devraient être versées à un moment ou à un autre ? Qui plus est, sa faisabilité nécessiterait une mise en œuvre de moyens humains et financiers qu’il semble bien impossible de mobiliser. Il suffit, pour s’en convaincre, de regarder l’exemple britannique.
Nous partageons la volonté de mise en œuvre d’un modèle, d’un cercle vertueux, qui sera profitable aux usagers, aux entreprises ferroviaires, à l’État, aux collectivités territoriales et à l’aménagement du territoire. Le libre accès, ou open access, est une réponse qui peut paraître, de prime abord, déstabilisante, mais elle est surtout dynamisante. Chacun convient en effet de la nécessité d’instiller un aiguillon pour stimuler les exploitants et leur éviter de s’endormir sur leurs droits exclusifs.
Le libre accès relève d’un espace d’initiative et de liberté commerciale. Encore convient-il de le mettre en œuvre dans le cadre d’une refonte de la politique tarifaire des péages et d’un rôle conforté, voire accru, du régulateur qu’est l’ARAFER. En effet, nous parlons ici non de dérégulation sauvage, mais de prévisibilité tarifaire encadrée, qui permettra notamment aux opérateurs d’être des acteurs clés de la révolution et d’irriguer tout ou partie du territoire national à l’instar d’autres pays et du succès remporté sur des lignes pourtant condamnées si rien n’était fait.
Plus de trains qui roulent, plus de gares desservies, c’est à coup sûr renforcer l’offre des mobilités dans le pays, dans un cadre tarifaire supportable pour tous.
Le cadre tarifaire est une constante dans notre histoire nationale. Je ne résiste donc pas au plaisir de partager avec vous, mes chers collègues, ces mots d’Alphonse Allais : « Les tarifs des chemins de fer sont aménagés d’une manière imbécile. On devrait faire payer des suppléments pour les retours… puisque les gens sont forcés de revenir. »