Intervention de Thani Mohamed Soilihi

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 28 mars 2018 à 8h35
Proposition de loi visant à faciliter la sortie de l'indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Thani Mohamed SoilihiThani Mohamed Soilihi, rapporteur :

La proposition de loi visant à faciliter la sortie de l'indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer traite d'un sujet complexe mais essentiel de notre droit positif : le droit de propriété et des successions.

Quelle est la situation en outre-mer ? L'indivision y représente un « fléau endémique », qui entrave le développement des territoires ultramarins, ainsi que j'avais pu le constater avec Mathieu Darnaud et Robert Laufoaulu dans notre rapport d'information relatif à la sécurisation des droits fonciers dans les outre-mer, commis en 2016 au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer. Ce travail a d'ailleurs largement inspiré la présente proposition de loi, comme l'a souligné à plusieurs reprises l'un de ses auteurs, notre collègue député Serge Letchimy, rapporteur du texte à l'Assemblée nationale.

La Guadeloupe, la Martinique et Saint-Martin dans l'arc antillais, Mayotte et La Réunion dans l'océan Indien, ainsi que la Polynésie française dans le Pacifique, pâtissent de situations d'indivision devenues souvent inextricables car résultant de dévolutions successorales non réglées et parfois même non ouvertes sur plusieurs générations. Cette indivision durable et généralisée s'explique par diverses raisons propres à chaque territoire. Elle stérilise une grande partie du foncier disponible sur des territoires où celui-ci est rare. L'activité économique, tout comme la politique d'équipement des collectivités territoriales, en sont entravées. Cette situation entraîne également, selon les auteurs de la proposition de loi, un « délabrement du patrimoine immobilier, engendrant des conséquences sanitaires non négligeables » et constitue « un frein au développement du logement et à la résorption de la pénurie qui touche ce secteur ».

Cet état de fait résulte de l'inadaptation des règles de gestion de l'indivision aux spécificités ultramarines. En application du principe d'identité législative, les départements et régions d'outre-mer sont soumis aux mêmes règles que l'hexagone, à quelques exceptions près. Ainsi, au décès d'une personne, dans l'attente du partage qui fixera l'assiette du droit de chacun sur un lot déterminé, les héritiers sont propriétaires indivis des biens du défunt, à moins que celui-ci n'ait réglé les modalité du partage par testament. Cette situation d'indivision n'a pas vocation à perdurer. L'article 815 du code civil dispose que « nul ne peut être contraint à demeurer dans l'indivision et le partage peut toujours être provoqué ». Cependant, en application de l'article 815-3 du même code, le consentement de tous les indivisaires est requis pour effectuer tout acte de disposition tel que la vente ou le partage. Or, en raison du nombre des indivisaires et de leur éparpillement géographique notamment, l'unanimité est particulièrement difficile à obtenir, ce qui bloque tout projet de vente ou même de réhabilitation des biens.

Certes, il existe des procédures spéciales telles que le partage judiciaire, prévu aux articles 840 et suivants du code civil, ou la possibilité pour les indivisaires détenant au moins deux tiers des droits indivis de demander au tribunal de grande instance d'autoriser la vente d'immeubles par licitation, en application de l'article 815-5-1 du même code, mais elles ne permettent pas aux territoires ultramarins de surmonter les difficultés rencontrées.

Dès lors, comme les y autorise l'article 73 de la Constitution, les auteurs de la proposition de loi ont souhaité adapter les règles du droit commun aux caractéristiques et contraintes particulières de ces territoires par la mise en place d'un dispositif dérogatoire et temporaire de sortie d'indivision applicable jusqu'au 31 décembre 2028.

La proposition de loi, à l'issue de son examen en première lecture à l'Assemblée nationale, prévoit, dans son article 1er, que les biens indivis situés dans les collectivités régies par l'article 73 de la Constitution ainsi qu'à Saint-Pierre-et-Miquelon, et relevant de successions ouvertes depuis plus de cinq ans, pourront faire l'objet d'un partage ou d'une vente à l'initiative des indivisaires titulaires en pleine propriété de plus de la moitié des droits indivis. Ce dispositif ne s'appliquera pas si l'un des indivisaires se trouve dans une situation de faiblesse protégée par la loi : conjoint survivant ayant sa résidence dans le bien, mineur ou majeur protégé, sauf autorisation du juge des tutelles ou du conseil de famille, indivisaire présumé absent, sauf autorisation du juge des tutelles.

L'article 2 de la proposition de loi autorise le notaire à accomplir la vente ou le partage à défaut d'opposition des indivisaires minoritaires, dans les trois mois suivant la notification du projet par acte extrajudiciaire à tous les indivisaires, sa publication dans un journal d'annonces légales, ainsi que sa publicité par voie d'affichage et sur un site internet. En cas d'opposition d'un ou plusieurs indivisaires minoritaires, les indivisaires majoritaires qui souhaitent vendre le bien ou procéder à son partage devront saisir le tribunal. Le projet ne pourra alors être mené à son terme sans une intervention du juge.

Les articles 3 et 4 ont été supprimés et intégrés à l'article 2, pour une meilleure lisibilité de la procédure. L'article 5, ajouté par l'Assemblée nationale, vise à adapter le dispositif d'attribution préférentielle, prévu au 1° de l'article 831-2 du code civil, aux spécificités polynésiennes. Il permet à un héritier copropriétaire ou au conjoint survivant de demander l'attribution préférentielle du bien, s'il démontre qu'il y avait sa résidence « par une possession continue, paisible et publique depuis un délai de dix ans antérieurement à l'introduction de la demande ». Cette attribution préférentielle s'exercerait sous le contrôle du juge, puisqu'elle ne pourrait être demandée que dans l'hypothèse d'un partage judiciaire.

L'article 6, également ajouté par l'Assemblée nationale, vise à empêcher la remise en cause d'un partage judicaire transcrit ou exécuté, par un héritier omis. Le dispositif proposé revient à écarter l'application du premier alinéa de l'article 887-1 du code civil qui dispose que « le partage peut être [...] annulé si un des cohéritiers y a été omis », dans l'hypothèse où l'omission résulterait d'une erreur ou d'une ignorance. L'héritier omis ne pourrait alors que « demander de recevoir sa part, soit en nature, soit en valeur, sans annulation du partage ». Toutefois, afin d'éviter d'éventuels abus, cette dérogation serait limitée aux hypothèses dans lesquelles le partage a été fait en justice.

La protection du droit de propriété est garantie par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Les limites apportées à son exercice doivent donc être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi, comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel à plusieurs occasions.

La situation tout à fait particulière du foncier ultramarin, décrite dans le rapport d'information de la délégation sénatoriale aux outre-mer, constitue un motif d'intérêt général justifiant, dans son principe, la mise en place du régime dérogatoire de sortie d'indivision prévu par la proposition de loi. Quant au caractère proportionné des mesures proposées à l'objectif poursuivi, l'Assemblée nationale, en imposant une notification du projet de vente ou de partage par acte extrajudiciaire à tous les indivisaires, en renforçant les modalités de publicité du projet et en faisant supporter la saisine du juge par les indivisaires à l'initiative du projet, en cas d'opposition d'un indivisaire minoritaire, a apporté de solides garanties qui s'ajoutent au caractère temporaire du dispositif créé.

Aussi je vous propose de nous inscrire dans la continuité des travaux engagés par l'Assemblée nationale, en apportant des modifications de nature à renforcer encore l'efficacité du dispositif tout en lui apportant de nouvelles garanties en termes de sécurité juridique. Sous réserve de l'adoption des amendements, je vous proposerai en conséquence d'adopter cette proposition de loi.

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