Intervention de Gérard Cornu

Réunion du 28 mars 2018 à 14h30
Avenir des lignes lgv et aménagement du territoire — Débat organisé à la demande du groupe les républicains

Photo de Gérard CornuGérard Cornu :

Je me réjouis de l’initiative du groupe Les Républicains qui permet de débattre sereinement des conclusions du Conseil d’orientation des infrastructures, le COI, sur un sujet caractérisé depuis trop longtemps, il faut oser le dire, par les annonces et la fuite en avant, et par une technique bien connue en politique et bien éprouvée, qui veut que les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent !

La mission confiée au COI consistait donc à évaluer les besoins en termes de mobilité, à étudier les projets de transport sur tout le territoire et à les prioriser selon une grille comportant six critères d’évaluation : environnement, mobilité pour tous-solidarité, qualité de vie-efficience, sécurité et sûreté, aménagement du territoire, enfin création de valeur socio-économique. Il s’agissait aussi de trouver des pistes de financement associées, en fonction des différents scénarios.

Car avec une dette publique établie à 2 500 milliards d’euros à la fin de l’année 2017, soit plus de 95 % de notre PIB, il est plus que temps de céder enfin au réalisme, d’en finir avec les promesses qui n’engendrent que frustrations et déceptions, et donc de tenir compte de la contrainte financière. C’est également ce que préconise le rapport Spinetta, qui ne fait que renforcer les conclusions du COI.

Partageant a priori cette approche faite de rigueur et de pragmatisme, j’ai accepté d’être membre du COI, composé de dix élus locaux, nationaux et européens de différentes sensibilités politiques, et de six personnalités qualifiées. J’ai d’ailleurs eu le plaisir de retrouver deux collègues sénateurs, Hervé Maurey et Michel Dagbert, ainsi que notre ancien collègue Louis Nègre, spécialiste de ces sujets. Le rapport du COI s’intitule Mobilité du quotidien : répondre aux urgences et préparer l ’ avenir. On ne saurait mieux dire !

Certaines réactions à ce rapport ont été vives, ce n’est pas une surprise. Je le comprends d’ailleurs, d’autant que le rôle des élus, notamment des sénateurs, est de défendre ardemment leur territoire. Ils le font avec pugnacité et compétence, ce que nul ne peut leur reprocher.

Cependant, ce rapport est guidé par une logique forte, qui vise à transformer en actes les intentions affichées. Si l’expression des politiques générales est admise par tous, en tirer les conséquences concrètes, en rupture avec les habitudes antérieures, est forcément plus délicat.

Il n’est pas question de délaisser le ferroviaire ni de se désengager des territoires ruraux, comme on a pu l’entendre dire depuis la parution du rapport.

Il n’est pas question non plus de ne maintenir que les lignes qui seraient considérées comme rentables ou susceptibles de l’être.

Il est question, simplement, de mieux prioriser les dépenses de l’État : le transport ferroviaire doit répondre à des besoins effectifs. Si l’on estime que l’on ne peut plus se permettre de maintenir un trafic qui ne serait pas suffisamment utile, il est bien évident qu’il faut trouver des modes alternatifs de transport permettant aux habitants de circuler le plus facilement possible.

Le travail du COI a donc consisté à analyser une série de projets et leur coût, face aux crédits disponibles – j’insiste bien sur ce dernier point.

Depuis octobre 2017, de multiples auditions, réunions et déplacements ont eu lieu. Plus de quarante projets ont été passés en revue, dont une demi-douzaine de LGV et une quinzaine de tronçons autoroutiers, sans oublier les projets fluviaux.

Nous avons discuté, fait des choix et proposé au Gouvernement trois scénarios, construits à partir du périmètre actuel des transports de l’État, dans tous les modes, excepté l’aérien qui sera traité dans le cadre des Assises de l’aérien.

Trois scénarios donc, l’un à 48 milliards d’euros, l’autre à 60 milliards d’euros et enfin le dernier à 80 milliards d’euros. C’est-à-dire que le COI a fait le choix de repousser plus ou moins loin dans le temps les grands travaux en les découpant, dans certains cas, en phases successives.

Le premier scénario est celui de l’orthodoxie financière. Il prévoit sans ressources supplémentaires d’accorder 2, 4 milliards d’euros par an à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF, soit 48 milliards d’euros en vingt ans, ce qui laisse très peu de marges de manœuvre et oblige à une pause de cinq à dix ans pour les grands projets. Ce scénario repousse autour de 2050 l’ambition de les avoir achevés. C’est finalement un scénario « au fil de l’eau », qui s’éloigne assez peu de la politique qui a toujours prévalu jusqu’à présent. Il n’a pas ma préférence, même s’il a le mérite d’avoir été mis noir sur blanc.

Le deuxième scénario prévoit 60 milliards d’euros en vingt ans pour l’AFITF, soit 3 milliards d’euros de dépenses par an – 55 % au-dessus des dépenses 2012-2016. Il s’agit de consentir un effort accru, considérable et soutenu dans la durée pour affecter 600 millions d’euros supplémentaires à l’AFITF à partir de recettes existantes ou de nouvelles recettes à trouver. Ce scénario permet d’avancer les premières phases des grands projets les plus utiles et de réduire la saturation des principaux nœuds ferroviaires. Les projets sont ensuite poursuivis de façon progressive.

L’effort est encore accru avec le troisième scénario, qui prévoit 80 milliards en vingt ans pour l’AFITF, soit 3, 5 milliards d’euros par an à court terme d’ici à 2022, puis 4, 4 milliards d’euros par an durant les dix années suivantes, et ensuite 4 milliards d’euros par an. Ce scénario, qui conduit à doubler pendant au moins dix ans la dépense, précise les possibilités concrètes pour accélérer telle ou telle opération. Néanmoins, d’après le COI, un tel niveau semble difficile à atteindre, d’une part, pour les collectivités territoriales appelées à cofinancer, d’autre part, pour l’État supposé être en mesure de dégager des moyens accrus.

Cela étant, j’assume, quel que soit le scénario qui sera finalement retenu par le Gouvernement, la priorité accordée dans le rapport à la résorption des nœuds ferroviaires, car ceux-ci sont à l’origine de nombreux dysfonctionnements. J’assume également le choix de la rénovation des trains du quotidien au détriment de la création de lignes nouvelles, dont les financements sont de toute façon impossibles à identifier, du côté de l’État comme des collectivités locales.

Oui, il est absolument fondamental de traiter prioritairement les nœuds ferroviaires afin de rendre les gares plus efficaces et fiables, de décongestionner les accès aux principales gares et de préparer la création de lignes nouvelles, sous peine de contribuer encore plus à leur saturation. C’est une urgence et une priorité absolue.

Les usagers ne savent pas toujours qu’un train à l’arrêt n’est pas forcément en panne et qu’il peut tout simplement être obligé d’attendre son tour. S’agissant des TGV, cet engorgement, ces retards ne sont pas admissibles. Il n’est pas non plus admissible que les TGV soient trop souvent contraints de ralentir à l’approche des gares, alors qu’ils sont conçus pour rouler à une vitesse bien plus élevée. La résorption des nœuds ferroviaires permettra aux TGV circulant de conserver leur vitesse optimale. À quoi sert-il d’avoir construit des lignes spécifiques si les TGV sont obligés d’y rouler à la vitesse de TER à cause des nœuds ferroviaires ?

Les nœuds ferroviaires franciliens qui perturbent l’accès aux grandes gares franciliennes doivent être prioritairement décongestionnés, et pas seulement à Paris. On parle trop souvent – à tort selon moi– de Paris, qui aurait été privilégié.

Il faut également traiter le nœud ferroviaire lyonnais, qui présente le plus grand caractère d’urgence. Mais aussi traiter les nœuds ferroviaires du nord de Toulouse et du sud de Bordeaux, Marseille et Nice, sans oublier – le rapport le précise d’ailleurs – d’agir rapidement sur des nœuds de plus petite ampleur.

La prochaine ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs est devenue inéluctable depuis l’adoption du quatrième « paquet ferroviaire » en décembre 2016. Nous en discuterons tout à l’heure lors de l’examen de la proposition de loi d’Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, et de Louis Nègre, notre ancien collègue sénateur. Cette ouverture impose la mise à niveau de notre patrimoine ferroviaire, qui a commencé à se déliter avec la priorité accordée à la création de nouvelles lignes de TGV.

C’est pourquoi le COI a insisté, au-delà des nœuds ferroviaires, sur le maillage du territoire, en préconisant la régénération des lignes de trains du quotidien et la rénovation des lignes ferroviaires existantes.

Pour conclure, est-ce la fin de l’histoire pour les projets qui ne sont pas retenus par le Conseil d’orientation des infrastructures ? Bien sûr que non ! Le COI a rejeté très peu de projets. Dans la plupart des cas, il a simplement considéré que tel ou tel projet était moins prioritaire et pouvait attendre. Ces projets pourront donc être réexaminés dans le cadre d’une clause de revoyure.

Le COI a fait des propositions en vue d’une programmation qui a vocation à être inscrite dans la loi d’orientation sur les mobilités. Il appartient maintenant au Gouvernement de décider des suites qu’il entend donner à ces propositions, puis de les traduire dans un projet de loi soumis à la représentation nationale.

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