Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi sur l’avortement, portée par Simone Veil, a été promulguée le 17 janvier 1975, après des débats plus que houleux, et a grandement contribué au mouvement de libération des femmes.
Avant son adoption, subir, pratiquer ou aider une interruption de grossesse étaient pénalement sanctionnés. Les femmes qui souhaitaient avorter étaient alors contraintes de se rendre à l’étranger ou de le faire clandestinement.
On dénombrait à cette époque près de 1 000 avortements clandestins par jour en France, dans des conditions souvent épouvantables, qui mettaient en danger la vie de celles qui avaient recours l’IVG.
Au moment de son adoption, la loi Veil ne suspendait la pénalisation de l’avortement que pour une durée de cinq ans. Il aura fallu attendre 1979 pour que l’avortement soit définitivement légalisé dans notre pays et 1983 pour que cet acte médical soit remboursé par la sécurité sociale.
En juillet 2001, le délai au cours duquel l’interruption volontaire de grossesse est autorisée était allongé de dix à douze semaines et l’autorisation parentale était supprimée.
Aujourd’hui, le droit à l’interruption volontaire de grossesse est inscrit dans la loi à l’article L. 2212-1 du code de la santé publique et permet à toute femme enceinte, majeure ou mineure, qui ne veut pas poursuivre une grossesse d’en demander l’interruption à un médecin.
Depuis 1993, il existe même un délit spécifique d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse, puni de deux ans de prison et de 30 000 euros d’amende. En 2014, ce délit a été étendu au fait d’empêcher l’accès des femmes à l’information sur l’IVG. Une loi de février 2017 a également étendu ce délit aux sites internet anti-IVG.
La France peut se targuer de disposer d’une telle législation. Ce droit, obtenu de haute lutte, est aujourd’hui étroitement limité – lorsqu’il n’est pas combattu – en Europe.
En Pologne, par exemple, alors qu’elle était pratiquée légalement pendant plus de quarante ans, l’interruption volontaire de grossesse a été de nouveau interdite en 1997. Elle n’est désormais admise qu’en cas de viol, d’inceste ou pour raisons médicales.
C’est également le cas à Chypre, où l’IVG n’est autorisée qu’en cas de risque majeur pour la santé ou de viol.
Les Irlandais, quant à eux, vont être appelés à se prononcer le 25 mai prochain par référendum sur la libéralisation de l’avortement, actuellement prévu seulement en cas de risque mortel pour la mère.
En Espagne, en 2013, un projet de loi restreignant le droit à l’avortement aux cas de grave danger pour la vie, la santé physique ou psychologique de la femme ou de viol avait été approuvé en conseil des ministres. Face aux nombreuses manifestations, le gouvernement espagnol a fait machine arrière en proposant un texte interdisant aux mineures d’avorter sans le consentement de leurs parents.
Au Portugal et en Slovaquie, les femmes doivent supporter elles-mêmes le coût de l’IVG.
À Malte, enfin, l’avortement est totalement interdit.
C’est dans ce contexte de recul européen, voire national – on assiste encore aujourd’hui, dans notre pays, à des manifestations anti-IVG –, qu’a lieu ce débat sur la constitutionnalisation de ce droit fondamental.
L’inscription de l’interruption volontaire de grossesse dans notre Constitution apporterait une garantie supplémentaire – malheureusement pas intangible – contre son éventuelle remise en cause par une majorité politique hostile.
Toutefois, au-delà du symbole que représente la constitutionnalisation de ce droit, il me semble surtout indispensable d’assurer concrètement les conditions de son accès à toutes les femmes, sur tout notre territoire.
Les délais pour obtenir un premier rendez-vous, la fermeture de 130 centres pratiquant les interruptions volontaires de grossesse en dix ans à l’occasion de restructurations hospitalières, les réseaux insuffisamment structurés, la pénurie de praticiens en ville et à l’hôpital, ou encore le manque de moyens dans les centres de santé ou les associations – planning familial en tête – viennent entraver l’accès à ce droit.
Par ailleurs, une étude a montré que près de 212 000 avortements ont été réalisés en France en 2016. C’est dans les outre-mer, notamment en Guadeloupe, que le nombre d’IVG est le plus élevé.
En effet, si le taux moyen de recours à l’IVG est de 13, 9 pour 1 000 femmes âgées de quinze à quarante-neuf ans en métropole, il s’établit à 25, 2 dans les départements et régions d’outre-mer
La même enquête, réalisée auprès de femmes mineures, révèle des disparités semblables, Mayotte figurant en haut du classement
Ces chiffres témoignent malheureusement d’un véritable manque d’information sur les différents moyens de contraception existants et sur l’importance de bien adapter sa contraception à son âge, à ses antécédents de santé et à son mode de vie.
Il me semble, à ce titre, tout aussi important de développer les campagnes d’information à l’attention de la population, particulièrement des mineurs, surtout en outre-mer.
Je conclurai en rappelant que se prononcer en faveur du droit à l’avortement, ce n’est pas encourager celui-ci. C’est répondre à une situation de fait, à des histoires, parfois dramatiques, qui devraient transcender les convictions de tout un chacun.