Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du 4 avril 2018 à 14h30
Sortie de l'indivision successorale et politique du logement en outre-mer — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Nicole Belloubet :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà quelques semaines – le 18 janvier 2018 –, l’Assemblée nationale a adopté la proposition de loi visant à faciliter la sortie de l’indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer.

Ce texte, qui vous est aujourd’hui présenté, propose des dispositifs innovants et nécessaires pour apporter des solutions pratiques aux difficultés de règlement des indivisions successorales en outre-mer, difficultés auxquelles le Gouvernement est particulièrement sensible.

La proposition de loi est née d’une initiative du groupe Nouvelle Gauche et apparentés à l’Assemblée nationale, plus particulièrement de M. Serge Letchimy, député de la Martinique, qui a souhaité porter cette question devant la représentation nationale. Cette initiative heureuse traduit une préoccupation que partagent tous les élus ultramarins, au palais du Luxembourg comme au palais Bourbon, ainsi naturellement que dans les territoires concernés.

La problématique en la matière est en effet bien réelle.

Le sujet a été particulièrement bien analysé, notamment dans un rapport extrêmement complet de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, en date du 23 juin 2016. Ce travail a été coordonné par M. Thani Mohamed Soilihi, aujourd’hui rapporteur au Sénat de cette proposition de loi, que je salue.

Ce rapport constitue, à dire vrai, le travail de référence sur cette question. Votre délégation y avait fait le constat de l’existence d’un état généralisé d’indivision transgénérationnelle, rendant difficile toute utilisation ou disposition de la terre, ce qui constituait dès lors un frein aux investissements économiques ainsi qu’un obstacle à l’accès à l’habitat. Il était observé que cette situation pouvait même aller jusqu’à engendrer des troubles à la paix publique.

Ce problème d’indivision endémique se double d’une problématique de reconstitution des titres de propriété, qui sont extrêmement difficiles à établir.

Sur le plan du contentieux civil, il a été relevé une multiplication des actions en revendication de propriété, conduisant souvent à la formulation de demandes en partage qui engorgent les tribunaux. Les juridictions sont alors confrontées à des difficultés majeures, liées à l’application des règles de gestion de l’indivision de droit commun fondées sur la règle de l’unanimité ou des deux tiers des droits indivis.

Cette réalité est bien identifiée par les pouvoirs publics et, bien entendu, le Gouvernement comprend la volonté forte des parlementaires d’outre-mer d’agir. C’est la raison pour laquelle il a porté un regard attentif et ouvert sur la démarche proposée, en suggérant quelques améliorations au dispositif initial.

Je rappellerai en préalable que, dès 2009, la question du titrement des terres a été mise en débat.

La création d’un groupement d’intérêt public chargé de rassembler tous les éléments propres à reconstituer les titres de propriété dans les départements d’outre-mer et à Saint-Martin, pour les biens fonciers et immobiliers qui en sont dépourvus, a ainsi été autorisée par la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer.

Le dispositif a ensuite été amélioré et complété par la loi du 17 octobre 2013, qui a mis en place une procédure dite de titrement, conduite par un groupement d’intérêt public ayant vocation à être constitué dans chaque région, département ou collectivité d’outre-mer concerné, ou bien par un opérateur public foncier.

La loi du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, dite Égalité réelle outre-mer, a par ailleurs consacré les actes notariés de notoriété constatant une possession acquisitive, et les a sécurisés en enfermant les contestations éventuelles dans un délai de cinq ans pour les immeubles situés en Guadeloupe, en Martinique, à La Réunion, en Guyane, à Saint-Martin et à Mayotte. Il s’agit d’un dispositif équivalent à celui qui est applicable en Corse depuis la loi du 6 mars 2017 visant à favoriser l’assainissement cadastral et la résorption du désordre de propriété.

Le décret d’application du 28 décembre 2017 est venu préciser les modalités de mise en œuvre de ce dispositif. Il est entré en vigueur le 1er janvier 2018.

La loi Égalité réelle outre-mer a également créé, pour Mayotte, une commission d’urgence foncière chargée de préfigurer le groupement d’intérêt public.

Enfin, en Polynésie française, le tribunal foncier se met en place. Le décret du 16 octobre 2017 relatif à l’organisation et au fonctionnement du tribunal foncier de la Polynésie française est en effet entré en vigueur le 1er décembre 2017.

Le Gouvernement convient toutefois qu’il faut aller plus loin sur la question de l’indivision, et ce dans le respect des principes constitutionnels, à savoir le droit de propriété ou le principe d’égalité.

C’est dans cet état d’esprit que, dès le dépôt de la proposition de loi, les ministères de la justice et des outre-mer se sont attachés à engager un dialogue constructif avec tous les parlementaires intéressés par ce sujet, naturellement avec l’auteur de la proposition de loi M. Serge Letchimy, mais aussi avec M. Olivier Serva, président de la délégation aux outre-mer à l’Assemblée nationale. Nous avons pu également échanger en amont avec votre rapporteur, pour voir dans quelles conditions ce texte pouvait prospérer.

Cette réflexion collaborative a permis une évolution du texte présenté à l’Assemblée nationale. Certaines dispositions demeurant encore perfectibles, le Gouvernement a été particulièrement attentif, lors de la discussion en séance du 18 janvier dernier, à l’amélioration de deux garanties considérées comme essentielles : d’une part, la notification individuelle du projet de partage ou de vente à l’ensemble des indivisaires afin de les mettre en mesure de s’opposer à l’acte et, d’autre part, la saisine du juge par les indivisaires majoritaires en cas d’opposition afin de veiller au respect du droit de propriété de chacun.

Les amendements déposés par le Gouvernement sur ces deux points ont été adoptés par l’Assemblée nationale. Il en est ressorti un texte qui me paraît équilibré et solide, tout à la fois porteur de renouveau pour ces successions ultramarines et respectueux des droits en présence.

Votre commission des lois a également imprimé sa marque à cette proposition de loi pour en améliorer les termes.

Le texte issu de la commission, tel qu’il vous est aujourd’hui présenté, comporte des précisions rédactionnelles supplémentaires, qui me paraissent tout à fait adaptées.

Je constate par ailleurs que votre commission des lois a procédé à diverses extensions quant au champ territorial de la proposition de loi, aux fins d’y inclure les collectivités de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. Elle a également prévu d’étendre les dispositions concernant l’attribution préférentielle et l’omission d’héritiers, qui, initialement, ne visaient que la Polynésie française, aux autres collectivités d’outre-mer.

Je relève également que le délai pour permettre l’accès au dispositif de vente et de partage a été porté à dix ans, contre cinq ans dans la version adoptée par l’Assemblée nationale, et que le texte étend désormais les pouvoirs de la majorité des indivisaires aux actes d’administration de l’indivision.

Le Gouvernement en prend acte et n’entendra pas revenir sur ces modifications, estimées nécessaires par le rapporteur et la commission des lois, dont je salue le président.

Seules deux divergences me semblent demeurer à ce stade.

Le nouvel article 5 A de la proposition de loi concernant le partage par souche en Polynésie française, adopté sur l’initiative de Mme Lana Tetuanui, renvoie à une question que nous avons déjà évoquée à l’Assemblée nationale avec Mme Maina Sage. C’est un sujet complexe, et je comprends bien entendu les préoccupations des parlementaires de Polynésie.

J’ai demandé à mon cabinet et à mes services de mener un travail de fond pour continuer à creuser cette question extrêmement importante. Ce travail a déjà débuté – il a été entamé pendant l’examen de la proposition de loi à l’Assemblée nationale. Il suppose d’y consacrer un peu de temps pour bien mesurer les besoins exprimés et déterminer les réponses juridiques adaptées.

Je propose donc, en lien avec le ministère des outre-mer, que cette réflexion soit conduite de manière plus formelle, avec le soutien de la direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la justice. Je souhaite que les sénateurs et les députés de Polynésie puissent participer à ce travail commun pour trouver les solutions les plus opérationnelles, dans le respect de nos principes fondamentaux.

À ce stade, donc, la rédaction de l’article 5 A me semble aller trop loin. Elle ne préserve pas suffisamment les droits de l’ensemble des indivisaires, ainsi que l’accès au juge. Le Gouvernement proposera donc de revenir sur cette mesure.

De même, et c’est le second point de divergence, il sera proposé de revenir sur le nouvel article 2 bis, qui comporte des dispositions fiscales prolongeant le système d’exonérations fiscales prévu pour Mayotte de 2025 à 2028 et l’étendant aux autres collectivités ultramarines.

Au-delà de ces deux points de désaccord provisoire, je me réjouis que nous ayons ici l’occasion, ensemble, de faire évoluer notre droit, avec la perspective de faire progresser de manière concrète la question des successions en outre-mer.

Je sais cette considération partagée par ma collègue Annick Girardin, ministre des outre-mer, qui n’a pu être présente aujourd’hui, mais dont l’action est guidée par le souci constant d’une législation qui permette de prendre en compte les caractéristiques et contraintes particulières des outre-mer. C’est une préoccupation, je crois, que nous partageons tous ici !

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