Intervention de Jocelyne Guidez

Réunion du 4 avril 2018 à 14h30
Sortie de l'indivision successorale et politique du logement en outre-mer — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Jocelyne GuidezJocelyne Guidez :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, si le sujet qui nous occupe aujourd’hui paraît, au premier abord, étroitement technique, il n’en est pas moins essentiel, en ce qu’il touche directement au quotidien de nos concitoyens d’outre-mer.

Le foncier et l’indivision constituent deux problématiques majeures auxquelles sont confrontées les collectivités d’outre-mer et, à travers elles, leurs populations.

Plus que de mesures juridico-financières, il est ici question de mesures sociales, avec des familles qui, ne pouvant se loger, se retrouvent bloquées dans leurs projets de vie.

En Martinique, par exemple, 40 % du parc immobilier est en indivision. Ce seuil ne nous inquiéterait pas outre mesure si la conception traditionnellement communautaire de la propriété et la forte émigration des indivisaires vers la métropole n’avaient pas conduit au blocage de la situation de nombreux biens. Ces derniers étant parfois absents ou réticents à la cession, les indivisions « bloquées » se sont en effet multipliées.

Prenez le village mahorais de Chiconi, où deux indivisions de 75 et 81 hectares représentent à elles seules les trois quarts de la surface immobilière locative locale. C’est énorme ! Qui plus est lorsque l’une d’elles regroupe 69 indivisaires.

Plus préoccupant encore, certaines indivisions en Polynésie française sont à présent centenaires et concernent parfois jusqu’à un millier de personnes, sans que l’on puisse, en l’état actuel du droit, traiter ces dossiers de façon satisfaisante.

Certes, les tribunaux locaux ont su s’adapter, dégageant en quelque sorte leur propre droit, et appliquant des principes variés comme la souche familiale, le droit au retour ou encore l’attribution préférentielle.

Je vous passerai enfin l’énumération des conséquences négatives qu’entraîne ce phénomène d’indivision et que les auteurs de la présente proposition de loi ont parfaitement identifiées.

Je vous dirai simplement qu’il est aujourd’hui urgent que nous libérions le foncier en outre-mer. Cette libération doit être durable, stable et, surtout, assise sur de solides bases légales.

En tant que représentants des collectivités locales et des territoires, nous devons être vigilants à la situation de l’outre-mer.

C’est ce à quoi s’attache le texte de nos homologues du groupe Nouvelle Gauche à l’Assemblée nationale, et c’est ce à quoi a veillé la commission des lois du Sénat. Je salue d’ailleurs le travail de la commission, qui a su, avec acuité, amender le texte afin de le rendre plus équilibré et plus efficient.

En effet, ce n’est pas chose aisée que de parvenir à un texte qui n’empiète pas de façon disproportionnée sur les droits de propriété des indivisaires minoritaires, tout en renforçant l’efficacité du dispositif juridique.

Bien considérée, cette proposition de loi permet une stabilisation des droits de propriété de la majorité des indivisaires, sans rendre pour autant impuissants ceux qui seraient hostiles à la vente. Il s’agit d’un bel équilibre trouvé.

Aussi vais-je revenir sur ce qui a été décidé en commission.

Le champ d’application des articles 1er, 5 et 6 a été opportunément étendu par la commission afin de couvrir des collectivités ultramarines jusqu’ici oubliées par la proposition de loi. Il s’agit d’une bonne chose, car, si la situation n’est pas identique d’une île à l’autre, la libération du foncier doit se faire pour l’ensemble de l’outre-mer.

L’article 1er prévoit un dispositif dérogatoire de sortie d’indivision aux successions ouvertes depuis plus de dix ans – et non plus cinq ans, comme le prévoyait le texte transmis par l’Assemblée. Ce nouveau délai devrait opportunément permettre de rendre le dispositif compatible avec certaines actions ouvertes par le code civil s’inscrivant dans des délais plus longs. Tel est ainsi le cas de l’action en possession d’état pour établir une filiation post mortem avec le de cujus, qui se prescrit par dix ans, ou encore de l’option successorale, qui peut être exercée par l’héritier dans ce même délai.

La proposition de loi autorise par ailleurs la vente ou le partage du bien sur l’initiative des indivisaires titulaires de plus de la moitié des droits indivis seulement, ce qui n’était pas cohérent avec l’exigence, à présent supprimée, d’une majorité fixée à deux tiers.

Ces deux modifications apportées en commission montrent le sérieux et la pertinence du travail sénatorial. Plus fondamentalement, nous approuvons les dispositions spécifiques prévues à l’article 1er, afin d’empêcher qu’une vente ne s’opère lorsqu’elle risquerait de léser certaines personnes vulnérables. Cette mesure procède du bon sens.

En prévoyant expressément, à l’article 2, la possibilité pour tout indivisaire qui le souhaiterait d’exercer un droit de préemption pour se porter acquéreur du bien, aux prix et conditions de la cession projetée, la commission a par ailleurs su prendre en compte l’histoire de terres qui, pour les familles concernées, font l’objet d’un attachement charnel, au plus grand bénéfice de la culture locale.

Et parce qu’il était nécessaire de mettre fin au rôle bloquant des indivisaires minoritaires, c’est une bonne chose que la commission des lois ait supprimé la notion de « présomption de consentement », estimant qu’il était plus pertinent de prévoir que la vente ou le partage du bien leur serait « opposable ». Ainsi, un indivisaire seul qui refuse de prêter son concours à la vente ou au partage sans pour autant s’y opposer ne bloquera plus l’ensemble du processus et sera présumé consentir à la vente.

De même, l’ajout de l’article 2 bis est bienvenu dans l’optique de libération du foncier que j’évoquais.

Je profite du temps qui m’est donné pour saluer notre collègue Lana Tetuanui, dont le travail a conduit à l’introduction de l’article 5 A, même si le sujet, je l’avoue, reste très complexe.

Il serait désormais possible, en Polynésie, de procéder à un partage du bien par souche, quand le partage par tête est rendu impossible en raison notamment du nombre d’héritiers ou de l’ancienneté de la succession. Cet article fait ainsi écho aux attentes de la cour d’appel de Papeete et se conforme utilement au code de procédure civile de la Polynésie française.

Ce texte serait en définitive une avancée importante. Il devrait permettre aux collectivités de conduire une politique du logement plus efficace et plus juste. Il devrait surtout faciliter le quotidien de centaines de familles, qui retrouveront ainsi la pleine propriété et le libre usage de leurs terres.

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