Intervention de Guillaume Arnell

Réunion du 4 avril 2018 à 14h30
Sortie de l'indivision successorale et politique du logement en outre-mer — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Guillaume ArnellGuillaume Arnell :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi peut susciter d’emblée trois interrogations de la part de nos concitoyens ou même de nos collègues : quelle est la nécessité de légiférer spécifiquement sur la problématique de l’indivision ? pourquoi uniquement en outre-mer ? et pour quels résultats ?

Les réponses, mes chers collègues, figurent dans le rapport de mission de notre délégation à l’outre-mer.

En effet, cette proposition de loi s’inspire très largement du rapport d’information n° 721 intitulé Une sécurisation du lien à la terre respectueuse des identités foncières : 30 propositions au service du développement des territoires, paru en 2016.

Sous le titre « Une caractéristique de la situation foncière des outre-mer », M. le rapporteur nous livrait cette phrase tout à fait éclairante : « Le manque de sécurité de la propriété privée se manifeste dans la conjonction d’une carence de titrement et d’une indivision endémique. » Tous les territoires ultramarins connaissent en effet ces problématiques, avec des degrés variables de complexité.

Tout d’abord, la carence de titrement : de nombreux biens immobiliers ou terrains sont détenus sans titre de propriété ou sans document juridique. Il est donc extrêmement difficile aujourd’hui de « régulariser » ces situations, dès lors qu’un droit de propriété est contesté.

À cela s’ajoute une autre difficulté, qui se cumule souvent à la première : l’indivision, qui est largement répandue en outre-mer.

Ainsi, nombreux sont les terrains et les biens qui appartiennent non pas à une personne seule, mais à une famille. Pour réaliser une transaction immobilière, il faut donc l’accord de l’ensemble des membres de la famille, ce qui peut aisément représenter plus de dix personnes.

Cette situation « contribue au gel d’un foncier déjà très rare et étrangle ainsi le développement de territoires qui peinent à trouver une dynamique économique endogène », pour reprendre vos mots de 2016, monsieur le rapporteur.

Face à ce constat, quel est l’apport de la proposition de loi de notre collègue député Serge Letchimy ?

Le texte initial a connu des améliorations tant à l’Assemblée nationale qu’au sein de notre commission des lois. Pour citer les notaires de Saint-Martin que j’ai pris le soin de consulter en amont, « il était juridiquement surprenant qu’un texte dérogatoire fixe une majorité à 51 % pour les actes de disposition les plus graves – partages et ventes – et une majorité de deux tiers pour les actes d’administration ». Je me félicite donc de l’harmonisation à 51 % dans les deux cas ou encore de l’attribution préférentielle introduite par l’article 5.

Cependant cette proposition de loi présente des limites, car il est extrêmement fréquent que les indivisaires soient très nombreux et que plusieurs d’entre eux aient quitté le territoire et que les familles soient éclatées de par le monde. Or il y a parfois méconnaissance de l’identité et de la localisation précises de certains indivisaires.

Aussi, afin de donner plus de chances aux indivisaires d’exprimer leur désaccord éventuel, j’ai cru bon, pour tenir compte de la spécificité de mon territoire, de présenter un amendement tendant à porter de trois à quatre mois le délai leur permettant de réagir à la suite de la notification du notaire, pour les situations les plus complexes.

Un autre problème qui n’a pas du tout été abordé est celui des indivisaires en pleine capacité juridique, mais « incapables » dans la réalité. Je pense aux personnes en rupture familiale, aux personnes sous influence de substances addictives, mais aussi aux personnes en situation de handicap.

Je sais que la situation des majeurs incapables est prévue par la loi, notamment par le placement sous tutelle ou sous curatelle. Mais, à Saint-Martin, les familles n’ont pas culturellement pris l’habitude de systématiquement signaler leurs proches incapables ou ne font pas les démarches administratives nécessaires. Ce n’est que par un long processus d’acceptation psychologique et culturelle que ce sujet évoluera dans les territoires ultramarins, mais en attendant, il serait pourtant nécessaire de prendre des mesures dérogatoires et protectrices.

Il est indiscutable, mes chers collègues, que cette proposition de loi représente une avancée utile et nécessaire pour nos territoires ultramarins. C’est la raison pour laquelle je suis favorable à son application à Saint-Martin, ce qui n’était prévu ni dans la version initiale ni dans le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale.

Cependant, la proposition de loi ouvre également la voie à d’autres difficultés comme le règlement financier des droits de succession pour des familles souvent largement précarisées. Car il s’agit généralement non pas de régler une succession directe, mais de traiter une suite de successions non réglées.

Nous pensions également à tort que l’indivision permettait de protéger le patrimoine familial, mais il ne faudrait pas non plus qu’il ouvre trop facilement la porte à la spéculation immobilière et foncière.

Madame la garde des sceaux, il serait opportun que le Gouvernement s’attache pleinement à travailler sur ces problèmes complexes, plus particulièrement sur celui de la carence de titrement. Dix ans après notre accession au statut de collectivité, il est urgent de régler définitivement et en profondeur la question du cadastre à Saint-Martin.

Le groupe du RDSE, malgré les réserves que je viens d’évoquer, votera à l’unanimité en faveur de ce texte.

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