Intervention de Christophe Priou

Réunion du 4 avril 2018 à 14h30
Sortie de l'indivision successorale et politique du logement en outre-mer — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Christophe PriouChristophe Priou :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, chers collègues, ce texte assez technique et spécifique révèle la complexité de situations susceptibles de freiner, voire de bloquer, des projets de construction de logements dans nos territoires ultramarins.

En droit civil, l’indivision permet le maintien pour une certaine durée de l’unité d’un bien ou d’un ensemble de biens après la mort de son propriétaire : le bien est donc « indivis ». Élu de Loire-Atlantique, je peux témoigner de la complexité de l’indivision, qui répond à une situation unique en France. Par les lettres patentes accordées par le roi Louis XVI, le 28 janvier 1784, les riverains du marais de Brière – 7 000 hectares – se voient reconnaître la « propriété, possession et jouissance commune et publique » de la Grande Brière Mottière, c’est-à-dire une propriété originale puisqu’elle est collective, indivise et inaliénable. Aujourd’hui encore, les Briérons continuent à jouir de cette propriété et à gérer eux-mêmes leur marais.

Comme nous le savons tous, les indivisaires partagent la jouissance du bien, mais ils ne peuvent décider qu’unanimement des actes de vente ou de bail commercial concernant le bien.

L’héritage historique du parc immobilier ultramarin et des pratiques propres aux structures successorales et familiales de ces territoires ont conduit à une prévalence bien plus importante de l’indivision au sein du parc locatif en outre-mer qu’en métropole, allant jusqu’à 40 % en Martinique.

Aussi, une conception traditionnellement communautaire de la propriété ainsi qu’une insuffisance des registres et actes notariés ont conduit au blocage de la situation de nombreux biens. Les indivisaires n’étant parfois pas tous connus, étant absents ou réticents à la cession, les indivisions « bloquées » se sont multipliées.

Le résultat de ce phénomène est la multiplication de situations d’indivisions très complexes et lourdes. Il existe des biens constitués de plusieurs dizaines d’indivisaires, parfois plus de soixante et même jusqu’à mille personnes en Polynésie française.

Cette situation de blocage rend difficile l’aménagement du territoire, avec notamment une complexification de la collecte de la taxe foncière, des procédures à rallonge, un engorgement des tribunaux locaux, une hausse importante du prix du foncier non indivis et un délabrement des biens indivis laissés à l’abandon.

Des dispositifs permettant de sortir de l’indivision – je pense à l’article 815 du code civil – existent : prescription décennale de l’option successorale, administration par un mandataire successoral, constatation de l’état d’abandon d’une parcelle, expropriation pour cause d’intérêt public, etc. Pour autant, ces dispositions doivent être adaptées à la situation spécifique de la propriété indivise en outre-mer où les indivisaires ne sont, dans de nombreux cas, pas tous connus. En Martinique ou à Mayotte, par exemple, des mesures ponctuelles permettent de débloquer des situations inextricables.

Il faut également citer les dispositions législatives suivantes : la loi du 23 juin 2006 a fait passer la majorité nécessaire aux actes d’administration aux deux tiers des indivisaires ; la loi du 13 octobre 2014 a fait passer la majorité nécessaire aux actes de disposition de terres agricoles ultramarines indivises à deux tiers des droits ; la loi du 6 mars 2017 a fait passer la majorité nécessaire aux actes de disposition des immeubles situés en Corse à deux tiers des droits.

Concernant la présente proposition de loi, elle vise à débloquer la situation de nombreuses indivisions dans les territoires d’outre-mer français en permettant à la majorité absolue des indivisaires de vendre le bien. Un indivisaire absent ou solitaire déterminé à faire obstacle à une cession ne serait alors plus en mesure de paralyser durablement la situation d’un bien pour les successions ouvertes depuis au moins cinq ans.

Cela pose néanmoins question sur le risque d’une atteinte au droit de propriété des indivisaires tel qu’il existe actuellement dans le cadre de la prise de décision. Mais, par ailleurs, n’a-t-on pas le devoir de stabiliser les droits de la majorité des indivisaires lorsqu’il est impossible de parvenir à un règlement amiable ?

Au demeurant, la proposition de loi ne rend pas impuissant l’indivisaire hostile à la vente ; ce dernier peut faire connaître son opposition sous trois mois de la notification ou publication de la décision de vente. Les indivisaires majoritaires doivent alors saisir le tribunal de grande instance, qui autorise la vente ou le partage sous réserve que cela ne porte pas une atteinte excessive aux droits des indivisaires minoritaires.

Espérons que ces différents dispositifs dérogatoires transitoires permettent de favoriser l’accès de nos compatriotes ultramarins à un logement décent et que l’accès aux terrains relance les programmes de construction de logements, pierre angulaire de l’aménagement des territoires en outre-mer comme en métropole.

La gestion foncière est également de première importance pour les collectivités locales dans le cadre de l’élaboration des plans locaux d’urbanisme. L’action publique doit pouvoir s’appuyer sur des leviers efficaces pour une politique du logement efficiente. Lié à un enjeu d’intérêt public, ce texte est utile pourvu que ces solutions innovantes soient d’abord profitables aux Français d’outre-mer, attachés à leur terre, et qu’elles offrent la garantie d’une politique d’aménagement raisonnable.

À l’Assemblée nationale, le groupe Les Républicains a été favorable à ce texte. Je souhaite qu’ici, au Sénat, il en soit de même.

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