Mesdames et messieurs, je tiens tout d'abord à vous remercier pour votre invitation. C'est une première dans ce format, même si les relations entre l'Unédic et le Sénat sont régulières, notamment lorsqu'il s'agit d'évoquer les questions financières.
Nous sommes dans un temps particulier, puisque nous n'avons pas la version définitive du projet de loi. Malgré tout, le ministère a fait quelques annonces aux partenaires sociaux il y a quinze jours. On a donc un document assez détaillé sur le contenu du projet de loi -même s'il n'est pas très précis.
Je tiens également à précise notre positionnement. Vous allez sans doute solliciter les organisations syndicales et patronales pour connaître leurs analyses sur le projet de loi. L'Unédic est un organisme paritaire. Sa gouvernance ne devrait pas être modifiée par le projet de loi. Nous sommes gestionnaires du régime d'assurance chômage. Nous jouons le rôle d'experts auprès des partenaires sociaux. Nous les éclairons techniquement et juridiquement, pour bien gérer ce régime et prévoir les conséquences des évolutions législatives proposées.
Ces évolutions touchent des sujets éminemment politiques. Nous avons eu une discussion hier en bureau. Nos positions sont extrêmement partagées quant aux évolutions proposées. Notre but sera ici de vous éclairer sur les analyses que nous partageons, mais la parole sera bien évidemment donnée en premier aux organisations syndicales et patronales s'agissant des sujets les plus politiques.
Les principes que partagent unanimement les partenaires sociaux concernent dans un premier temps le rôle de stabilisateur économique et social de l'assurance chômage, qui reste un régime qui protège le niveau de revenu des salariés lorsqu'ils perdent leur emploi, et qui permet, notamment pendant les périodes de crise, de soutenir également le niveau de consommation dans l'ensemble de l'économie française. Ce rôle de stabilisateur économique et social est donc extrêmement important.
Le deuxième principe fort que nous partageons concerne le caractère contributif et assurantiel qui est encore aujourd'hui celui du régime. Celui-ci assure un revenu de remplacement lié au niveau de salaire antérieur. C'est sur la base de ce salaire que sont calculées les cotisations. Un financement par l'impôt et les cotisations sociales change donc la nature et le sens du régime.
Le troisième principe auquel nous sommes fortement attachés est le paritarisme. La loi délègue aux partenaires sociaux la définition des règles d'indemnisation et des taux de cotisation du régime. Dans un deuxième temps, les partenaires sociaux délèguent la gestion de ce régime à l'Unédic. L'Unédic a pour mission de mettre en oeuvre l'accord des partenaires sociaux, entre-temps agréé par l'État.
L'Unédic assure la bonne gestion du régime. Dans la mesure où les règles sont décidées par la négociation entre les partenaires sociaux, la gestion paritaire est relativement apaisée.
Dans tous les cas, gestion paritaire et négociation des règles nous semblent extrêmement importantes. Les représentants des entreprises et des salariés adaptent très régulièrement, depuis soixante ans, les règles à la situation du marché du travail.
En second lieu, la situation financière de l'assurance chômage est marquée par la dizaine d'années de crise que nous avons vécues.
L'assurance chômage est très liée aux cycles conjoncturels. Dès lors que la croissance économique est bonne, on collecte plus de cotisations et on indemnise moins de personnes. Inversement, en période de crise, on collecte moins de cotisations et on doit réaliser davantage de dépenses.
Cela peut sembler une lapalissade, mais il est extrêmement important de comprendre que ce régime n'est pas comme les autres régimes de protection sociale : il est vraiment lié aux cycles conjoncturels, et l'un des objectifs des partenaires sociaux pendant la négociation est de mettre en place des mesures contracycliques, afin que le régime puisse assumer des dépenses en période de crise. Ceci explique le niveau d'endettement après dix années difficiles.
Depuis les dernières négociations de 2014 et 2017, où l'on pressentait déjà une amélioration de la situation économique, les conventions ont permis de réduire le déficit de 1,5 milliard d'euros chaque année. L'équilibre financier devrait être atteint fin 2019. Les conditions de celui-ci à moyen terme ont été complètement rétablies.
Le niveau de la dette est extrêmement élevé après dix années de crise, mais voit son coût complètement maîtrisé par le régime. La dette, fin 2019, devrait atteindre 36 milliards d'euros, soit l'équivalent de onze mois de recettes.
Les partenaires sociaux se sont attachés à comprendre l'origine de la dette. Il est important de vous alerter sur ce point : cette dette comporte deux dimensions. Elle est la conséquence pour moitié de la crise économique, qui sera résorbée très facilement dans la phase positive du cycle économique, et de décisions publiques prises bien avant 2009.
La problématique du financement des travailleurs transfrontaliers dépasse largement l'Unédic et dépend des accords de refinancement avec les États voisins. Cela peut paraître anecdotique, mais représente environ 600 millions d'euros de pertes par an, qui expliquent une grande partie de la dette sur dix ans.
Je rappelle également que l'Unédic finance les deux tiers du budget de Pôle emploi, ce qui représente environ 3,5 milliards d'euros par an, soit 10 % de nos recettes annuelles. Ce montant est beaucoup plus important que ne l'était la part des dépenses dites actives, en 2008, lors de la création de Pôle emploi.
Les charges de la dette sont complètement maîtrisées. Elles représentent aujourd'hui 1 % des recettes de l'assurance chômage. On peut donc assumer cette charge. Par ailleurs, la remontée des taux d'intérêt à venir ne présente pas de risques pour l'Unédic.
La dette est garantie chaque année par l'État, mais l'objectif des partenaires sociaux a toujours été de ne pas avoir à l'activer durant les dix années de crise.
Le troisième temps de mon intervention concernera la réforme de l'assurance chômage en cours.
Je formulerai mes remarques sur la base de l'accord que les partenaires sociaux ont signé le 22 février dernier, qui permettra d'éclairer les évolutions proposées dans le projet de loi.
Quatre thèmes ont essentiellement retenu notre attention.
L'ouverture de l'assurance chômage aux démissionnaires est un point sur lequel on a beaucoup réfléchi paritairement. Le Gouvernement reprendrait d'ailleurs la plupart de ces réflexions.
Si, dans le principe, l'assurance chômage bénéficie à ceux qui sont privés involontairement d'emploi, il existait déjà dans les règles un certain nombre de cas prévus pour prendre en charge les démissionnaires. Il s'agissait donc pour nous de réfléchir non pas à un cas supplémentaire mais de façon adaptée aux réalités du marché du travail, sans provoquer d'effets d'aubaine ni donner à penser à certaines personnes, surestimant leurs chances, qu'elles pourraient retrouver un emploi après une démission.
Cela peut évidemment être une très bonne chose dès lors qu'un projet professionnel est identifié et accompagné. C'est sur cet axe que les partenaires sociaux ont trouvé pertinent d'élargir le bénéfice de l'assurance chômage aux démissionnaires.
Il s'agit bien aujourd'hui d'ouvrir l'assurance chômage aux salariés qui démissionneraient, alors même qu'ils sont en train de construire un projet professionnel et qu'ils ont essayé de mobiliser l'ensemble des dispositifs en cours de contrat de travail. C'était une revendication forte des organisations syndicales.
Il existe toute sorte de congés pour préparer son projet professionnel. Démissionner constitue un choix très fort pour un salarié. Il est plus sécurisant pour lui de prendre un congé, de préparer son projet professionnel, qui peut échouer ou non, et de conserver son contrat de travail.
L'idée était aussi que certaines personnes, qui retrouvent facilement un emploi parce qu'elles ont moins besoin d'accompagnement, n'abusent pas du système, les finances n'étant pas extensibles. Il ne s'agit pas de faire bénéficier d'un droit davantage de personnes au détriment de celles qui perdent involontairement leur emploi.
Une fois ces principes posés, les partenaires sociaux ont estimé, notamment grâce à l'Unédic, le coût de cette mesure. Ils ont retenu une condition de sept ans de travail continu avant la démission pour pouvoir bénéficier de ce dispositif, et ont décidé de ne retenir que les projets nécessitant une formation longue.
La création d'entreprise a été exclue par les partenaires sociaux, car il existe plusieurs dispositifs de l'assurance chômage, comme l'ARCE (aide à la reprise ou à la création d'entreprise), qui permet de mobiliser une partie du capital des droits, ou encore le cumul entre allocation et revenu d'emploi, qui permet d'aider les créateurs d'entreprise.
Le Gouvernement, dans le projet de loi, pour ce qu'on en sait, retiendrait quant à lui cinq ans de travail avant la démission et prendrait en compte les projets de création d'entreprise en sus de ce que nous avons prévu.
L'Unédic a fait des estimations du coût supplémentaire qui interviendrait à la suite de ces décisions. La proposition des partenaires sociaux s'élève à une dépense comprise entre 180 millions d'euros et 330 millions d'euros. On n'a aujourd'hui que peu de détails, et ces estimations sont extrêmement délicates à réaliser, faute de référentiel.
Avec la solution du Gouvernement, le coût serait probablement supérieur d'au moins 50 %.
S'agissant des indépendants, les partenaires sociaux ont retenu deux problématiques. Ils ont pris acte du fait que le Gouvernement a saisi les partenaires sociaux en indiquant que le nouveau droit des indépendants ne devait pas conduire à mettre en place une contribution sociale supplémentaire.
Dès lors, les partenaires sociaux ont considéré, en l'absence de cotisation sociale, qu'il s'agissait d'un dispositif de solidarité qui relève de la responsabilité de l'État et non de l'assurance chômage.
Ils ont également examiné la situation des travailleurs indépendants économiquement dépendants, comme les personnes travaillant sur les plateformes, qui ont une relation de dépendance économique très forte. Les partenaires sociaux souhaitent se pencher sur ces situations de manière plus approfondie, l'idée étant de réfléchir de façon plus transversale à la protection sociale de ces travailleurs.
Troisième axe : l'emploi durable ou les contrats courts. C'est un sujet extrêmement important, qui fait partie de nos négociations depuis un certain nombre d'années. La réduction de la précarité a été une préoccupation constante.
On a d'abord établi tout un tas de diagnostics approfondis, en particulier grâce aux travaux de l'Unédic, afin d'essayer de comprendre le fort accroissement des contrats de travail de moins d'un mois. L'explosion date du début des années 2000, mais cette situation est aujourd'hui extrêmement structurelle. Elle concerne surtout quelques secteurs, comme l'hébergement-restauration, le commerce, le transport-entreposage, le médico-social.
Nombre de ces contrats courts interviennent dans le cadre d'une relation extrêmement durable, du fait d'un phénomène d'emploi chez le même employeur, entrecoupé de période de chômage.
Les partenaires sociaux ont pris acte de la volonté du Gouvernement de mettre en place un bonus-malus. Le choix qui a été arrêté a été de responsabiliser les acteurs. On s'aperçoit que les motifs de recours aux contrats très courts - CDD d'usage, CDD classiques, contrats intérimaires -différent souvent en fonction du modèle économique des branches. L'idée est de responsabiliser chaque secteur en fonction des modèles économiques afin de réduire les contrats courts et de faire d'autres propositions, d'ici la fin de l'année, pour une meilleure gestion de l'emploi dans les branches.
Enfin, les partenaires sociaux ont exprimé leur volonté forte de conserver un régime financé par les contributions des employeurs et des salariés. Il ne s'agit pas d'un régime de solidarité nationale, mais d'un régime qui organise une solidarité interprofessionnelle, et assure un revenu fondé sur des cotisations liées au salaire antérieur. Il est pour nous essentiel de lier le financement à la nature du risque, qui relève de la relation d'emploi.
Malgré tout, le Gouvernement a choisi de supprimer les cotisations salariales qui ne font l'objet que d'une exonération, celles-ci devant être financées et remboursées à l'euro-l'euro par la TVA, puis par la CSG.
On se trouve aujourd'hui dans un financement mixte qui ne qualifie pas le sens ni la philosophie du régime.
Le projet de loi prévoit le financement par l'impôt du régime pour une part non négligeable. C'est un point sur lequel nous attirons l'attention des parlementaires : il s'agit d'assurer à l'assurance chômage des ressources sécurisées et dynamiques, dont le montant ne varie pas chaque année en fonction d'autres considérations qui pourraient avoir un impact extrêmement fort sur les droits des demandeurs d'emploi.