Intervention de Edouard Sauvage

Commission des affaires économiques — Réunion du 4 avril 2018 à 11h00
Audition de M. Edouard Sauvage directeur général de gaz réseau distribution france grdf

Edouard Sauvage, directeur général de Gaz Réseau Distribution France (GRDF) :

Je vous remercie de me permettre d'évoquer devant votre commission les multiples sujets d'actualité de notre société. GRDF opère, depuis la nationalisation de cette activité en 1946, le réseau de distribution de gaz sur la très grande majorité du territoire, soit 200 000 kilomètres de réseau, près de 11 millions de clients et plus de 9 500 communes raccordés. Son chiffre d'affaires, stable, s'établit à 3,5 milliards d'euros par an et dépend de la formule tarifaire fixée pour quatre ans par le régulateur avec des exigences de productivité. Pour la période en cours, cette trajectoire tarifaire correspond ainsi à l'inflation - 0,8 %. En 2017, nous avons réalisé 858 millions d'euros d'investissements, soit une augmentation de 13 % par rapport à 2016, essentiellement destinés à la modernisation du réseau et à la sécurité, ainsi qu'à l'installation des compteurs communicants, qui monte en puissance et se poursuivra jusqu'en 2022.

Le gaz s'inscrit pleinement dans la transition énergétique. Quel que soit le scénario envisagé de substitution d'énergies au profit du gaz, la consommation diminue, ce qui dégage à la fois des marges de manoeuvre pour moderniser notre réseau et pour profiter des atouts d'une énergie qui peut se stocker et se transporter sur tout le territoire, notamment dans la perspective des variations saisonnières de consommation. Vous le savez, les infrastructures gazières ont été conçues pour faire face aux hivers les plus rigoureux mais aussi à des ruptures d'approvisionnement majeures.

Ce recul de la demande tient principalement à l'efficacité énergétique croissante dans le secteur résidentiel, liée pour partie à l'amélioration de l'isolation des bâtiments et, surtout, des processus gaziers eux-mêmes. À titre d'illustration, les chaudières à condensation améliorent de 30 % l'efficacité énergétique par rapport aux matériels précédents et de nouvelles générations de chaudières (micro-cogénérations, piles à combustibles ou solutions hybrides) devraient offrir prochainement des performances encore supérieures, le tout occasionnant des gains très importants par le simple remplacement d'appareils existants sans qu'il faille mener de lourdes opérations de rénovation du bâti.

C'est donc un levier pour la transition énergétique qui est aisé et relativement peu coûteux à mettre en oeuvre (3 000 à 4 000 euros pour un remplacement standard), d'autant que peuvent être sollicitées des aides de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) pour les ménages aux revenus modestes. Si je compare à un véhicule, le remplacement d'une chaudière reviendrait à améliorer les capacités du moteur, et donc à produire la plus grande part de la performance énergétique, quand le renforcement de l'isolation du bâti correspondrait davantage au travail sur l'aérodynamisme du véhicule.

L'efficacité énergétique passe aussi par une meilleure appropriation de leur consommation par nos clients et c'est précisément la raison pour laquelle nous investissons environ un milliard d'euros dans notre programme d'équipement en compteurs communicants. Vous avez raison de le souligner, madame la présidente, l'acceptabilité de ce compteur est aujourd'hui très élevée car la promesse faite au client est simple : c'est celle d'un relevé quotidien de la consommation qui doit permettre, ensuite, de réaliser des économies d'énergie, toute la question étant de savoir qui délivre ces conseils au client.

Dans la mesure où les directives européennes ont clairement séparé les rôles, les gestionnaires de réseau ne peuvent conseiller les consommateurs ; il importe donc que les fournisseurs ou les opérateurs de services qui se positionneraient sur ce créneau se saisissent de cette opportunité en offrant à leurs clients des services complémentaires, par exemple de comparaison des consommations d'une année sur l'autre, et des conseils pour adapter, le cas échéant, leur installation. Les particuliers mesureront d'autant mieux l'intérêt de ces nouveaux compteurs.

Il convient cependant de veiller à l'équilibre entre la nécessaire confidentialité de ces données personnelles et l'envie d'un grand nombre d'opérateurs d'en disposer. Cet accès aux données doit selon nous être limité à une décision volontaire des clients, d'où la nécessité de les convaincre de l'intérêt, pour eux, d'une telle transmission. En matière d'agrégation des données, GRDF, en sa qualité de tiers de confiance, doit fournir aux autorités concédantes et aux collectivités territoriales des données agrégées qui leur permettent de cibler des zones de leur territoire dans lesquelles une opération globale de rénovation de l'habitat se justifierait.

La diminution annoncée de la consommation de gaz devrait favoriser les nouveaux usages, notamment en matière de transport au profit d'une meilleure qualité de l'air dans les agglomérations. La France a, longtemps, accusé un retard en la matière au regard d'autres pays européens comme l'Italie, en limitant, faute de stations, l'usage de GNV à des flottes captives à l'instar des véhicules de ramassage de déchets et des bus, qui peuvent être rechargés dans un entrepôt. Pour autant, deux tiers des villes utilisent au moins partiellement ce type de technologies, qui se développe aussi dans le transport de marchandises, en particulier pour la livraison au client final selon un système qui diffère finalement assez peu de la flotte captive : on voit bien que, pour alimenter, par exemple, la ville de Paris à partir du marché de Rungis, il suffit d'installer une station à la sortie du marché pour que les véhicules puissent faire la navette sans difficulté.

Grâce aux initiatives lancées par des syndicats d'énergie et par des énergéticiens (distributeurs de carburants ou fournisseurs de gaz), nous disposons désormais d'un grand programme de développement de stations de GNV sur le territoire national et il existe une vraie volonté de la filière, représentée par la Fédération nationale des transports routiers (FNTR), de s'engager dans cette voie, d'autant qu'il n'existe guère, pour les véhicules de grande taille, d'alternative électrique. En votant la stabilisation de la fiscalité sur le GNV pendant cinq ans et la prolongation du suramortissement sur deux ans, le législateur a donné de la visibilité et permis à la filière de décoller : ainsi, 50 % des véhicules GNV nouvellement immatriculés en Europe le sont désormais en France. S'agissant du transport en car sur longues distances, le développement du GNV est désormais possible ; il avait longtemps été freiné par le fait que le réservoir était installé en partie en lieu et place des soutes à bagages, ce qui n'est plus le cas.

Vous l'aurez compris, nous sommes sereins sur le développement du transport au gaz pour les véhicules lourds. D'ailleurs, plusieurs enseignes, en particulier dans la grande distribution, s'engagent en faveur du biométhane, et donc du bioGNV, pour leurs livraisons afin de réduire la pollution. Alors que le GNV avait déjà l'avantage de diviser par deux le volume sonore et de réduire de 90 % l'émission de particules fines et d'oxydes d'azote (NOx) par rapport au gazole, le bioGNV est aujourd'hui l'unique solution renouvelable disponible qui permette aussi de réduire de 90 % les émissions de dioxyde de carbone.

Comment, dans ce contexte de croissance des usages, développer la production de biométhane ? La France était historiquement en retard par rapport à l'Allemagne et aux pays du Nord de l'Europe mais la filière est en plein développement. Désormais 44 méthaniseurs injectent du gaz dans notre réseau, tandis que 361 projets, correspondant à 8 TWh de production, sont au stade des études détaillées et ont donc déjà fait l'objet d'un investissement financier du promoteur, ce qui atteste de leur sérieux. Dans ces conditions, l'ambition affichée par la PPE pour 2023 sera atteinte.

Pour savoir ce qu'il en sera à plus longue échéance, GRDF a apporté son soutien à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) dans le cadre d'une étude relative à la possibilité de disposer d'un gaz 100 % renouvelable à l'horizon 2050. Les résultats indiquent que cet objectif est atteignable avec la ressource existante grâce à plusieurs techniques, permettant chacune de couvrir environ un tiers des besoins : la méthanisation des déchets, principalement agricoles mais aussi en provenance des stations d'épuration, des décharges existantes ou du tri sélectif des déchets dans les zones urbaines ; les technologies, qui restent à développer, de pyrogazéification de matières ligneuses, ce qui évite en particulier d'avoir à transporter le bois sur de longues distances, et le « power to gas », c'est-à-dire la fabrication d'hydrogène rendue possible par l'excès de production d'électricité à certaines périodes de l'année, qui ira croissant avec le développement des énergies renouvelables intermittentes. Nous testons cette troisième voie dans le cadre d'un pilote qui démarrera avant l'été, à Dunkerque, et permettra d'alimenter en hydrogène une flotte de bus et un lotissement en l'injectant dans le réseau de gaz naturel existant. L'hydrogène peut également être recombiné à du dioxyde de carbone pour créer du méthane, avec cette même logique de profiter des réseaux et des stockages existants pour le distribuer.

L'étude de l'Ademe indique, en outre, que les investissements sur le réseau seront très limités pour parvenir à ce 100 % de gaz renouvelable en 2050, étant entendu qu'il n'existe aucune problématique d'intermittence ou de stockage avec le biométhane. Il s'agira d'une énergie disponible toute l'année moyennant un investissement tout à fait minime en compresseurs rebours vers le réseau de transport, dont nous testons actuellement trois pilotes avec GRTgaz.

Quant au coût du biométhane lui-même, il sera certes supérieur à celui du gaz fossile disponible sur les marchés internationaux mais sera parfaitement comparable à celui envisagé par l'Ademe dans son scénario pour une électricité 100 % renouvelable. Et c'est surtout, d'après l'Ademe, un coût qui apparaît totalement pertinent en 2050 si l'on tient compte de la raréfaction des ressources fossiles et d'un montant de taxe carbone qui ira croissant. À court terme, le tarif de rachat moyen du gaz renouvelable est inférieur de 30 % à celui de l'électricité renouvelable. Le choix en faveur du gaz semble donc évident, d'autant qu'il offre des revenus complémentaires aux agriculteurs et qu'il permettra aussi d'étendre, par la même occasion, le réseau de gaz pour apporter une alternative au fioul domestique à un plus grand nombre de nos concitoyens.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion