J'ai présenté le projet de loi de programmation militaire 2019-2025 à vos collègues de la commission des affaires étrangères et de la défense le 20 février dernier. Depuis, ce texte a été examiné et voté à une très large majorité à l'Assemblée nationale. C'est un texte qui consacre - enfin - un renouveau des armées. Je connais l'attachement du Sénat à un débat parlementaire, riche, apaisé, constructif. Je connais aussi les interrogations des uns et des autres. Je les ai entendues en commission au Sénat, ainsi qu'à l'Assemblée nationale... avec plus ou moins de bonne foi. Je suis donc ravie de pouvoir présenter ce texte devant vous et d'aborder directement toutes les préoccupations, en particulier financières.
Mais avant tout, quelle est l'ambition du Gouvernement pour notre défense ? Comment entend-il atteindre les objectifs ? C'est une question centrale car cette LPM ne se résume pas à porter le budget des armées à 2 % du PIB à l'horizon 2025. Il s'agit d'abord de donner aux militaires les moyens de leur mission : protéger la France et les Français. Le Président de la République l'a dit très clairement : d'ici 2030, la France doit pouvoir intervenir partout, gagner sur tous les terrains, l'emporter face à tous les ennemis, seule ou en coalition. Pour réussir ce défi, il nous faut un modèle d'armée complet et équilibré ; ce n'est pas un luxe, c'est une nécessité, si nous voulons faire entendre la voix de notre pays, défendre pleinement les Français, répondre aux menaces qui émergent.
Car ces menaces, comme l'a montré la Revue stratégique, sont aujourd'hui plus fortes, plus imprévisibles, plus diffuses. Le terrorisme, nous venons encore de le voir douloureusement dans l'Aude, continue de frapper, lâche, violent, aveugle. Il faut le combattre jusqu'au bout. Les grandes nations s'arment et font montre de leur puissance par tous les moyens. Quant au cyberespace, comment ignorer qu'il est devenu un espace de confrontations à part entière ?
Le présent projet de loi reflète donc une ambition structurée autour de quatre axes. Il est le premier jalon de notre ambition pour les armées à l'horizon 2030, telle que définie par le Président de la République.
Premier axe : cette loi de programmation militaire 2019-2025 est placée « à hauteur d'homme ». D'abord, avec 6 000 recrutements supplémentaires prévus, nous inversons résolument la tendance baissière des effectifs de ces dix dernières années. Ensuite, nous nous concentrons sur le quotidien de nos soldats, quand les précédentes LPM s'étaient focalisées sur les gros équipements. Avec 23 000 nouveaux treillis ignifugés livrés dès cette année, 25 000 gilets pare-balle dernier standard l'an prochain, des casques supplémentaires, des tenues NRBC, c'est un effort majeur en faveur des petits équipements du quotidien, qui sont toujours les premiers sacrifiés dans les coupes budgétaires. Le « Plan famille » est prolongé. Par ailleurs, de nouveaux droits sont accordés, comme la possibilité pour un militaire en activité de devenir conseiller municipal, dans certaines villes.
Deuxième axe : un renouvellement majeur de nos capacités opérationnelles. Il n'est pas une option, mais un impératif absolu. Équipements vieillissants, parfois devenus inadaptés, impasses capacitaires qui font planer des dangers sur nos forces et sur notre supériorité opérationnelle : nous devions combler les carences du passé tout en restant l'oeil rivé sur l'avenir. C'est donc à la fois une LPM qui répare et qui prépare.
Aucune des trois armées n'a été oubliée et chacune verra ses moyens profondément renouvelés au cours des prochaines années. Quelques exemples : le programme d'équipement majeur de l'armée de terre, Scorpion, sera accéléré pour atteindre en 2025 la moitié de la cible et non plus un tiers ; l'armée de l'air recevra 6 drones armés, de nouveaux avions de chasse, des Rafale et des Mirage 2000D rénovés ainsi que les 12 premiers MRTT, avions ravitailleurs - dont la cible finale est passée de 12 à 15. Quant à la marine nationale, elle recevra de nouveaux sous-marins nucléaires d'attaque, des frégates et des patrouilleurs. Les deux composantes de la dissuasion nucléaire seront renouvelées.
Le troisième axe, c'est la garantie de notre autonomie stratégique, pour s'assurer que la France sera toujours capable de faire entendre sa voix et de l'emporter quels que soient le terrain, l'adversaire, les conditions. Pour anticiper les menaces et les évolutions géopolitiques, 1 500 nouveaux postes et 4,6 milliards d'euros d'investissements dans les équipements sont prévus dans le domaine du renseignement. La lutte dans le cyberespace est dotée de 1,6 milliard d'euros et 1 000 cybercombattants supplémentaires seront recrutés d'ici 2025.
Garantir notre autonomie stratégique exige aussi de fédérer nos alliés, en particulier nos voisins européens, confrontés aux mêmes menaces et aux mêmes dangers que nous, même si les priorités peuvent différer selon les pays. Nous devons porter avec eux des coopérations autour de projets stratégiques. Je pense à notre politique spatiale, à notre groupe aéronaval, à la défense aérienne élargie. L'Europe de la défense ne pourra se construire que grâce à ces projets, grâce à des initiatives concrètes et des opérations communes. C'est seulement ainsi que nous créerons une Europe forte, protectrice et garante de notre souveraineté.
Le quatrième axe est celui de l'innovation, pour construire des armées adaptées aux conflits modernes, des armées numériques, technologiques, afin de préserver notre supériorité opérationnelle dans les conflits futurs. Beaucoup a été fait ces derniers mois, création du fonds Def'Invest entre la direction générale pour l'armement (DGA) et Bpifrance, le lancement du partenariat d'innovation Artemis... Le projet de loi de programmation militaire accélère ce mouvement. L'accent est mis sur la recherche et le développement, le budget consacré aux études et à l'innovation passe de 730 millions d'euros par an aujourd'hui à 1 milliard d'euros par an dès 2022.
Avec ce projet de loi, nous engageons les phases préparatoires des grands programmes d'armement qui structureront l'avenir de nos armées : 1,8 milliard d'euros par an en moyenne seront consacrés aux études, pour concevoir l'aviation de combat du futur, le char de combat du futur ou le successeur du Charles de Gaulle.
Enfin, ce projet de loi est un texte de responsabilité. La Nation consent des moyens exceptionnels à nos armées, il nous faut veiller à ce que chaque euro investi soit un euro bien employé.
Le ministère des armées continuera donc sa modernisation. Mais les précédentes LPM traduisaient une modernisation sous contrainte. Dans le présent projet, la modernisation est choisie, voulue. Les 14 chantiers inscrits dans le plan « Action publique 2022 » sont lancés pour transformer le ministère.
Ces fondements politiques que je viens de détailler ne seraient rien sans des moyens à la hauteur des ambitions. Je souhaite à ce sujet mettre fin à certaines craintes, voire certains fantasmes véhiculés depuis des mois concernant le budget de nos armées. La fin de gestion 2017 offre des bases solides, tout comme l'augmentation conséquente du budget 2018. Il n'y a pas de demi-mesures, pas de « cadavres dans le placard », pas de trompe l'oeil, mais des moyens exceptionnels, qui correspondent aux besoins. Les armées ont trop souvent servi, par le passé, de variable d'ajustement dans le budget de l'État : près de 60 000 emplois en moins entre 2005 et 2015, tandis que le nombre d'emplois dans la fonction publique d'État augmentait.
Sur la gestion 2017, contrairement aux usages du passé à l'arrivée d'une nouvelle majorité, nous n'avons procédé à aucune annulation ni interruption de programme. Nous avons tenu tous les engagements de la précédente majorité, y compris ceux qui n'étaient pas financés.
La loi de finances initiale affichait 32,4 milliards d'euros, le report des années précédentes se montait à 700 millions d'euros, les ouvertures par décret d'avance ont représenté 950 millions d'euros et les annulations, à l'été, 850 millions d'euros. Le report sur 2018 a été de 38 millions d'euros. Soit un total de 33,2 milliards d'euros. Si l'on majore le montant initial des besoins de financement additionnels pour les opérations extérieures (OPEX) et les missions intérieures (Missint), on obtient le chiffre de 33,4 milliards d'euros, soit un écart de 228 millions d'euros qui correspond au reste à charge de la mission défense. Non seulement la loi de finances exécutée a été supérieure à la loi de finances votée, 33,2 milliards d'euros contre 32,4 milliards d'euros, mais la contribution du ministère au surcoût des OPEX a été de 228 millions d'euros, non de 850 millions d'euros. C'est la juste contribution à la solidarité interministérielle, ni plus, ni moins.
La gestion 2017 constitue donc une base saine ; il en de même pour le budget 2018. Le Parlement, je vous le rappelle, a augmenté les crédits de la défense de 1,8 milliard d'euros. C'est un budget de responsabilité et de cohérence. Il finance les décisions passées, annoncées mais non financées, notamment celles du Conseil de défense d'avril 2016 ou les celles concernant la condition du personnel ; il finance aussi les engagements pris à l'automne et le « Plan famille », ainsi que la hausse de la provision OPEX, 200 millions d'euros, ou le « Paquet protection », 200 millions d'euros également, que j'ai présenté à l'automne. Le budget de 34,4 millions d'euros finance la totalité des mesures qui ont été décidées.
Ce sont donc des bases saines pour le projet de loi de programmation militaire 2019-2025. Celui-ci a été construit autour d'un objectif clair, fixé par le Président de la République : la France consacrera 2 % de sa richesse nationale à la défense en 2025. C'est un objectif ambitieux : nous nous sommes donné les moyens d'y parvenir. Concrètement, ce sont donc 198 milliards d'euros que la France investira dans sa défense entre 2019 et 2023 ; et 295 milliards sont programmés sur l'ensemble de la période couverte par la LPM.
Cette remontée exceptionnelle des crédits de la mission défense a suscité la crainte d'un prétendu « mur budgétaire ». Il n'existe pas. Le budget des armées va augmenter de 1,7 milliard d'euros chaque année jusqu'en 2022 ; et de 3 milliards d'euros à partir de 2023. En 2018, avec 1,8 milliard d'euros de progression, le budget de la mission « Défense » a déjà augmenté de 5,6 %. En 2023, ce sera 7,3 % de plus, soit une différence de 1,7 point par rapport à cette année : la marche n'est pas si haute !
Une actualisation de la LPM est prévue en 2021. Ce choix est pertinent, le même chef de l'État prendra les décisions initiales et les actualisations. Imaginons que les recettes fiscales de la France croissent plus vite que prévu : nous n'allons quand même pas priver les armées de moyens supplémentaires ! L'actualisation prévue à l'article 6 est un bon moyen de surveiller l'exécution de la LPM et de tenir compte des évolutions macroéconomiques pour tracer le chemin qui restera à parcourir d'ici 2025.
À propos de l'objectif de 2 %, j'entends parfois un argument un peu étonnant : le poids des pensions serait « flou » dans le texte de loi. Nous utilisons pourtant ici les mêmes standards que ceux des précédentes lois de programmation. La LPM est présentée en milliards d'euros courants hors pensions. Pour calculer le pourcentage de l'effort de défense, nous ajoutons les pensions civiles et militaires du ministère, selon le périmètre déterminé par l'OTAN.
Le service national universel (SNU) verra le jour et constituera une opportunité extraordinaire pour tous les jeunes, qui vont ainsi se connaître et se comprendre. Ensuite, je veux rassurer les inquiets : le Président de la République s'y est engagé, le SNU aura un financement ad hoc, hors du cadre de la LPM. L'article 3 indique expressément que les moyens prévus dans la LPM le sont à périmètre constant de la mission « Défense ». Par conséquent, le financement du SNU ne ponctionnera d'aucune manière le budget de nos armées prévu dans cette LPM.
Ce projet de loi de programmation militaire procède d'un souci majeur de sincérisation. Les hypothèses budgétaires sont solides, fiables, sincères. Le texte se fonde sur des crédits budgétaires fermes. Il n'y a pas de paris sur des ressources exceptionnelles, pas de prévisions par définition aléatoires sur des recettes issues de cessions : uniquement des crédits budgétaires.
Cela ne veut pas dire que le ministère ne bénéficiera pas de recettes exceptionnelles au cours de la période ; 100 % du produit des cessions immobilières reste acquis au ministère des armées. Si recettes exceptionnelles il y a, elles nous permettront de faire mieux et plus vite. Mais elles ne sont pas prises en compte, il n'y a donc pas de risque dans la programmation des dépenses.
Cela me conduit à dire un mot du report de charges. Son montant est un indicateur de l'adéquation entre les ressources prévues et les dépenses programmées. Et en général, les dégradations résultent d'annulations, ou de recettes exceptionnelles qui ne sont pas encaissées pour les montants attendus ou dans les délais prévus. Ne pas prendre en compte de recettes exceptionnelles, c'est également maîtriser mieux le report.
Pour autant, le report zéro n'existe pas : il y a toujours des factures qui arrivent trop tard pour être payées ou sont incomplètes. Ce report de charges structurel et incompressible, Bercy et mes services l'ont estimé à 10 % des crédits hors masse salariale du ministère. Nous avons donc comme objectif de réduire le report de charges à 10 % d'ici fin 2025, contre 16 % fin 2019. Il augmentera cependant en valeur absolue, mécaniquement, parce que notre budget augmente. Il se situera donc autour de 3,7 milliards d'euros fin 2025. C'est un engagement de bonne gestion.
Il y a un dernier point, et pas des moindres, que je voulais évoquer avec vous. On m'interroge souvent sur l'augmentation de la provision des OPEX : les mêmes qui disaient hier que la provision était trop faible et les budgets insincères clament aujourd'hui que la provision va devenir trop forte et empêchera le renouvellement de notre outil de défense.
Mais demain, la provision OPEX et Missint représentera 2,5 % des crédits, contre 2 % dans le cadre de la précédente LPM. Cet élément de sincérisation n'entraîne pas une forte ponction sur le budget des armées.
Je voudrais enfin noter que le projet de loi de programmation militaire comporte un renforcement des pouvoirs de contrôle du Parlement sur l'exécution de la LPM. Cette évolution, proposée par le président de la commission de la défense nationale de l'Assemblée nationale, m'a semblée bienvenue pour que vous puissiez apprécier parfaitement l'exécution de la programmation. C'est une marque de confiance entre nous et un gage de transparence. Je compte sur vous pour signaler tout dérapage ou tout engagement qui ne serait pas respecté mais je peux d'ores et déjà vous dire que je suis très confiante : cette LPM est construite pour pouvoir être appliquée.