Je vous remercie, madame la ministre, de venir nous présenter le projet de loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2019 à 2025, adopté par l'Assemblée nationale le 27 mars dernier, et dont notre commission des finances s'est saisie pour avis. Notre audition est ouverte à la presse et retransmise sur le site internet du Sénat.
Lors de la présentation de votre budget 2018 devant notre commission, vous aviez exposé les grandes orientations de cette LPM. Elles se résumaient, selon vos mots, au triptyque « soutenabilité, préparation de l'avenir, soutien à ceux qui s'engagent ».
Le projet de loi de programmation prévoit un effort significatif en faveur de la défense, de l'ordre de 200 milliards d'euros sur la période 2019-2023, en lien avec l'objectif de porter les crédits consacrés aux armées à un montant correspondant à 2 % du produit intérieur brut d'ici 2025.
Madame la ministre, après votre présentation, je donnerai la parole à Dominique de Legge, notre rapporteur pour avis, rapporteur spécial des crédits de la mission « Défense », puis à Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour avis de la commission des lois, puis à tous les collègues qui le souhaitent.
J'ai présenté le projet de loi de programmation militaire 2019-2025 à vos collègues de la commission des affaires étrangères et de la défense le 20 février dernier. Depuis, ce texte a été examiné et voté à une très large majorité à l'Assemblée nationale. C'est un texte qui consacre - enfin - un renouveau des armées. Je connais l'attachement du Sénat à un débat parlementaire, riche, apaisé, constructif. Je connais aussi les interrogations des uns et des autres. Je les ai entendues en commission au Sénat, ainsi qu'à l'Assemblée nationale... avec plus ou moins de bonne foi. Je suis donc ravie de pouvoir présenter ce texte devant vous et d'aborder directement toutes les préoccupations, en particulier financières.
Mais avant tout, quelle est l'ambition du Gouvernement pour notre défense ? Comment entend-il atteindre les objectifs ? C'est une question centrale car cette LPM ne se résume pas à porter le budget des armées à 2 % du PIB à l'horizon 2025. Il s'agit d'abord de donner aux militaires les moyens de leur mission : protéger la France et les Français. Le Président de la République l'a dit très clairement : d'ici 2030, la France doit pouvoir intervenir partout, gagner sur tous les terrains, l'emporter face à tous les ennemis, seule ou en coalition. Pour réussir ce défi, il nous faut un modèle d'armée complet et équilibré ; ce n'est pas un luxe, c'est une nécessité, si nous voulons faire entendre la voix de notre pays, défendre pleinement les Français, répondre aux menaces qui émergent.
Car ces menaces, comme l'a montré la Revue stratégique, sont aujourd'hui plus fortes, plus imprévisibles, plus diffuses. Le terrorisme, nous venons encore de le voir douloureusement dans l'Aude, continue de frapper, lâche, violent, aveugle. Il faut le combattre jusqu'au bout. Les grandes nations s'arment et font montre de leur puissance par tous les moyens. Quant au cyberespace, comment ignorer qu'il est devenu un espace de confrontations à part entière ?
Le présent projet de loi reflète donc une ambition structurée autour de quatre axes. Il est le premier jalon de notre ambition pour les armées à l'horizon 2030, telle que définie par le Président de la République.
Premier axe : cette loi de programmation militaire 2019-2025 est placée « à hauteur d'homme ». D'abord, avec 6 000 recrutements supplémentaires prévus, nous inversons résolument la tendance baissière des effectifs de ces dix dernières années. Ensuite, nous nous concentrons sur le quotidien de nos soldats, quand les précédentes LPM s'étaient focalisées sur les gros équipements. Avec 23 000 nouveaux treillis ignifugés livrés dès cette année, 25 000 gilets pare-balle dernier standard l'an prochain, des casques supplémentaires, des tenues NRBC, c'est un effort majeur en faveur des petits équipements du quotidien, qui sont toujours les premiers sacrifiés dans les coupes budgétaires. Le « Plan famille » est prolongé. Par ailleurs, de nouveaux droits sont accordés, comme la possibilité pour un militaire en activité de devenir conseiller municipal, dans certaines villes.
Deuxième axe : un renouvellement majeur de nos capacités opérationnelles. Il n'est pas une option, mais un impératif absolu. Équipements vieillissants, parfois devenus inadaptés, impasses capacitaires qui font planer des dangers sur nos forces et sur notre supériorité opérationnelle : nous devions combler les carences du passé tout en restant l'oeil rivé sur l'avenir. C'est donc à la fois une LPM qui répare et qui prépare.
Aucune des trois armées n'a été oubliée et chacune verra ses moyens profondément renouvelés au cours des prochaines années. Quelques exemples : le programme d'équipement majeur de l'armée de terre, Scorpion, sera accéléré pour atteindre en 2025 la moitié de la cible et non plus un tiers ; l'armée de l'air recevra 6 drones armés, de nouveaux avions de chasse, des Rafale et des Mirage 2000D rénovés ainsi que les 12 premiers MRTT, avions ravitailleurs - dont la cible finale est passée de 12 à 15. Quant à la marine nationale, elle recevra de nouveaux sous-marins nucléaires d'attaque, des frégates et des patrouilleurs. Les deux composantes de la dissuasion nucléaire seront renouvelées.
Le troisième axe, c'est la garantie de notre autonomie stratégique, pour s'assurer que la France sera toujours capable de faire entendre sa voix et de l'emporter quels que soient le terrain, l'adversaire, les conditions. Pour anticiper les menaces et les évolutions géopolitiques, 1 500 nouveaux postes et 4,6 milliards d'euros d'investissements dans les équipements sont prévus dans le domaine du renseignement. La lutte dans le cyberespace est dotée de 1,6 milliard d'euros et 1 000 cybercombattants supplémentaires seront recrutés d'ici 2025.
Garantir notre autonomie stratégique exige aussi de fédérer nos alliés, en particulier nos voisins européens, confrontés aux mêmes menaces et aux mêmes dangers que nous, même si les priorités peuvent différer selon les pays. Nous devons porter avec eux des coopérations autour de projets stratégiques. Je pense à notre politique spatiale, à notre groupe aéronaval, à la défense aérienne élargie. L'Europe de la défense ne pourra se construire que grâce à ces projets, grâce à des initiatives concrètes et des opérations communes. C'est seulement ainsi que nous créerons une Europe forte, protectrice et garante de notre souveraineté.
Le quatrième axe est celui de l'innovation, pour construire des armées adaptées aux conflits modernes, des armées numériques, technologiques, afin de préserver notre supériorité opérationnelle dans les conflits futurs. Beaucoup a été fait ces derniers mois, création du fonds Def'Invest entre la direction générale pour l'armement (DGA) et Bpifrance, le lancement du partenariat d'innovation Artemis... Le projet de loi de programmation militaire accélère ce mouvement. L'accent est mis sur la recherche et le développement, le budget consacré aux études et à l'innovation passe de 730 millions d'euros par an aujourd'hui à 1 milliard d'euros par an dès 2022.
Avec ce projet de loi, nous engageons les phases préparatoires des grands programmes d'armement qui structureront l'avenir de nos armées : 1,8 milliard d'euros par an en moyenne seront consacrés aux études, pour concevoir l'aviation de combat du futur, le char de combat du futur ou le successeur du Charles de Gaulle.
Enfin, ce projet de loi est un texte de responsabilité. La Nation consent des moyens exceptionnels à nos armées, il nous faut veiller à ce que chaque euro investi soit un euro bien employé.
Le ministère des armées continuera donc sa modernisation. Mais les précédentes LPM traduisaient une modernisation sous contrainte. Dans le présent projet, la modernisation est choisie, voulue. Les 14 chantiers inscrits dans le plan « Action publique 2022 » sont lancés pour transformer le ministère.
Ces fondements politiques que je viens de détailler ne seraient rien sans des moyens à la hauteur des ambitions. Je souhaite à ce sujet mettre fin à certaines craintes, voire certains fantasmes véhiculés depuis des mois concernant le budget de nos armées. La fin de gestion 2017 offre des bases solides, tout comme l'augmentation conséquente du budget 2018. Il n'y a pas de demi-mesures, pas de « cadavres dans le placard », pas de trompe l'oeil, mais des moyens exceptionnels, qui correspondent aux besoins. Les armées ont trop souvent servi, par le passé, de variable d'ajustement dans le budget de l'État : près de 60 000 emplois en moins entre 2005 et 2015, tandis que le nombre d'emplois dans la fonction publique d'État augmentait.
Sur la gestion 2017, contrairement aux usages du passé à l'arrivée d'une nouvelle majorité, nous n'avons procédé à aucune annulation ni interruption de programme. Nous avons tenu tous les engagements de la précédente majorité, y compris ceux qui n'étaient pas financés.
La loi de finances initiale affichait 32,4 milliards d'euros, le report des années précédentes se montait à 700 millions d'euros, les ouvertures par décret d'avance ont représenté 950 millions d'euros et les annulations, à l'été, 850 millions d'euros. Le report sur 2018 a été de 38 millions d'euros. Soit un total de 33,2 milliards d'euros. Si l'on majore le montant initial des besoins de financement additionnels pour les opérations extérieures (OPEX) et les missions intérieures (Missint), on obtient le chiffre de 33,4 milliards d'euros, soit un écart de 228 millions d'euros qui correspond au reste à charge de la mission défense. Non seulement la loi de finances exécutée a été supérieure à la loi de finances votée, 33,2 milliards d'euros contre 32,4 milliards d'euros, mais la contribution du ministère au surcoût des OPEX a été de 228 millions d'euros, non de 850 millions d'euros. C'est la juste contribution à la solidarité interministérielle, ni plus, ni moins.
La gestion 2017 constitue donc une base saine ; il en de même pour le budget 2018. Le Parlement, je vous le rappelle, a augmenté les crédits de la défense de 1,8 milliard d'euros. C'est un budget de responsabilité et de cohérence. Il finance les décisions passées, annoncées mais non financées, notamment celles du Conseil de défense d'avril 2016 ou les celles concernant la condition du personnel ; il finance aussi les engagements pris à l'automne et le « Plan famille », ainsi que la hausse de la provision OPEX, 200 millions d'euros, ou le « Paquet protection », 200 millions d'euros également, que j'ai présenté à l'automne. Le budget de 34,4 millions d'euros finance la totalité des mesures qui ont été décidées.
Ce sont donc des bases saines pour le projet de loi de programmation militaire 2019-2025. Celui-ci a été construit autour d'un objectif clair, fixé par le Président de la République : la France consacrera 2 % de sa richesse nationale à la défense en 2025. C'est un objectif ambitieux : nous nous sommes donné les moyens d'y parvenir. Concrètement, ce sont donc 198 milliards d'euros que la France investira dans sa défense entre 2019 et 2023 ; et 295 milliards sont programmés sur l'ensemble de la période couverte par la LPM.
Cette remontée exceptionnelle des crédits de la mission défense a suscité la crainte d'un prétendu « mur budgétaire ». Il n'existe pas. Le budget des armées va augmenter de 1,7 milliard d'euros chaque année jusqu'en 2022 ; et de 3 milliards d'euros à partir de 2023. En 2018, avec 1,8 milliard d'euros de progression, le budget de la mission « Défense » a déjà augmenté de 5,6 %. En 2023, ce sera 7,3 % de plus, soit une différence de 1,7 point par rapport à cette année : la marche n'est pas si haute !
Une actualisation de la LPM est prévue en 2021. Ce choix est pertinent, le même chef de l'État prendra les décisions initiales et les actualisations. Imaginons que les recettes fiscales de la France croissent plus vite que prévu : nous n'allons quand même pas priver les armées de moyens supplémentaires ! L'actualisation prévue à l'article 6 est un bon moyen de surveiller l'exécution de la LPM et de tenir compte des évolutions macroéconomiques pour tracer le chemin qui restera à parcourir d'ici 2025.
À propos de l'objectif de 2 %, j'entends parfois un argument un peu étonnant : le poids des pensions serait « flou » dans le texte de loi. Nous utilisons pourtant ici les mêmes standards que ceux des précédentes lois de programmation. La LPM est présentée en milliards d'euros courants hors pensions. Pour calculer le pourcentage de l'effort de défense, nous ajoutons les pensions civiles et militaires du ministère, selon le périmètre déterminé par l'OTAN.
Le service national universel (SNU) verra le jour et constituera une opportunité extraordinaire pour tous les jeunes, qui vont ainsi se connaître et se comprendre. Ensuite, je veux rassurer les inquiets : le Président de la République s'y est engagé, le SNU aura un financement ad hoc, hors du cadre de la LPM. L'article 3 indique expressément que les moyens prévus dans la LPM le sont à périmètre constant de la mission « Défense ». Par conséquent, le financement du SNU ne ponctionnera d'aucune manière le budget de nos armées prévu dans cette LPM.
Ce projet de loi de programmation militaire procède d'un souci majeur de sincérisation. Les hypothèses budgétaires sont solides, fiables, sincères. Le texte se fonde sur des crédits budgétaires fermes. Il n'y a pas de paris sur des ressources exceptionnelles, pas de prévisions par définition aléatoires sur des recettes issues de cessions : uniquement des crédits budgétaires.
Cela ne veut pas dire que le ministère ne bénéficiera pas de recettes exceptionnelles au cours de la période ; 100 % du produit des cessions immobilières reste acquis au ministère des armées. Si recettes exceptionnelles il y a, elles nous permettront de faire mieux et plus vite. Mais elles ne sont pas prises en compte, il n'y a donc pas de risque dans la programmation des dépenses.
Cela me conduit à dire un mot du report de charges. Son montant est un indicateur de l'adéquation entre les ressources prévues et les dépenses programmées. Et en général, les dégradations résultent d'annulations, ou de recettes exceptionnelles qui ne sont pas encaissées pour les montants attendus ou dans les délais prévus. Ne pas prendre en compte de recettes exceptionnelles, c'est également maîtriser mieux le report.
Pour autant, le report zéro n'existe pas : il y a toujours des factures qui arrivent trop tard pour être payées ou sont incomplètes. Ce report de charges structurel et incompressible, Bercy et mes services l'ont estimé à 10 % des crédits hors masse salariale du ministère. Nous avons donc comme objectif de réduire le report de charges à 10 % d'ici fin 2025, contre 16 % fin 2019. Il augmentera cependant en valeur absolue, mécaniquement, parce que notre budget augmente. Il se situera donc autour de 3,7 milliards d'euros fin 2025. C'est un engagement de bonne gestion.
Il y a un dernier point, et pas des moindres, que je voulais évoquer avec vous. On m'interroge souvent sur l'augmentation de la provision des OPEX : les mêmes qui disaient hier que la provision était trop faible et les budgets insincères clament aujourd'hui que la provision va devenir trop forte et empêchera le renouvellement de notre outil de défense.
Mais demain, la provision OPEX et Missint représentera 2,5 % des crédits, contre 2 % dans le cadre de la précédente LPM. Cet élément de sincérisation n'entraîne pas une forte ponction sur le budget des armées.
Je voudrais enfin noter que le projet de loi de programmation militaire comporte un renforcement des pouvoirs de contrôle du Parlement sur l'exécution de la LPM. Cette évolution, proposée par le président de la commission de la défense nationale de l'Assemblée nationale, m'a semblée bienvenue pour que vous puissiez apprécier parfaitement l'exécution de la programmation. C'est une marque de confiance entre nous et un gage de transparence. Je compte sur vous pour signaler tout dérapage ou tout engagement qui ne serait pas respecté mais je peux d'ores et déjà vous dire que je suis très confiante : cette LPM est construite pour pouvoir être appliquée.
Le projet de loi de programmation militaire comporte des aspects positifs. Les chiffres montrent un effort réel et nous sommes sensibles à votre souci de « sincérisation », terme épouvantable mais réalité intéressante. La démarche se retourne un peu contre vous, car sur le 1,8 milliard d'euros que vous avez mentionné, 1,4 milliard d'euros sert à payer des factures anciennes, il n'y a donc guère de marge pour les mesures nouvelles, notamment en faveur des familles.
Vous voulez nous démontrer qu'il n'y a pas de mur budgétaire, et votre présentation est bien faite, mais la réalité demeure : l'effort est reporté sur le prochain quinquennat. Ce ne seront plus 1,7 milliard d'euros supplémentaires, mais 3 milliards d'euros qu'il faudra alors dégager. En pourcentage de PIB, l'évolution est probante, mais au regard des menaces, c'est une autre affaire...
Vous mentionnez l'objectif de 2 % du PIB, mais vous ne vous attardez pas sur les contrats opérationnels. Quelle amélioration par rapport à la précédente LPM, qui a connu un surengagement des armées ? À niveau d'activité inchangé, comment l'effort supplémentaire suffira-t-il à « reconstruire » nos armées, pour reprendre votre terme ?
Quant à la dissuasion nucléaire, sa rénovation absorbe des sommes très substantielles. Est-ce compatible avec l'objectif de remise à niveau de l'ensemble des équipements ? Le Charles de Gaulle doit être mis à la retraite dans quinze ans, or la LPM ne comporte que des études pour son remplacement : vous avez coché la case, certes. Mais quelle est l'espérance de vie du porte-avions actuel ? Quelle est la date limite de la décision de renouvellement ? Même remarque sur l'avion de combat du futur, au regard de la disponibilité des aéronefs, hélicoptères en particulier : pouvez-vous nous en dire plus sur les décisions industrielles à prendre ? Et sur la politique d'acquisition des « liasses », ces modes d'emploi sans lesquels l'entretien des A400M ou des hélicoptères nous rend très dépendants des constructeurs ? Nous avons pu mesurer le problème lors de notre déplacement à Clermont-Ferrand.
Je suis un peu gêné : en commission des lois, nous ne parlons jamais d'argent...
mais de liberté, plus précisément de libertés publiques. Ma question portera donc sur l'article 19, qui en cas de situation d'alerte prévoit, au nom de la cybersécurité, un « chalutage » des data. La mesure est-elle pertinente ? Sans analyse des pièces jointes, la surveillance des mouvements numériques sera inefficace ; mais celles-ci sont des éléments de correspondance privée. C'est le point le plus délicat.
La forte activité opérationnelle, de 30 % supérieure à la prévision en dernière LPM, a pénalisé la régénération des matériels et a provoqué une « surchauffe » dans l'emploi des personnels. C'est bien pourquoi le présent projet de loi augmente les crédits d'équipement, pour l'acquisition et l'entretien ; et les moyens de fonctionnement, pour relever le niveau de la préparation opérationnelle. Une LPM à hauteur d'homme, cela signifie aussi rendre plus supportable le haut niveau d'engagement, en améliorant le cadre de vie des familles et les conditions d'entraînement des militaires. La force opérationnelle terrestre est aujourd'hui parvenue à maturité, ce qui permettra à l'armée de terre de mieux concilier l'ensemble de sa mission. Par ailleurs, nous avons entrepris avec le ministre de l'intérieur Gérard Collomb d'améliorer le fonctionnement de l'opération Sentinelle, alors que nous savons que celle-ci sera durable.
En LPM, sont prévus 37 milliards d'euros pour la dissuasion nucléaire, dont 25 milliards d'euros pour la rénovation des deux composantes, aéroportée et océanique. Le budget de la défense progresse, donc également les moyens de la dissuasion nucléaire, en valeur absolue, mais le pourcentage est stable : 12,5 % demain contre 12 % aujourd'hui. Il n'y a donc pas d'effet d'éviction.
Le porte-avions Charles de Gaulle sera retiré en 2040. Les études visent, précisément, à préparer son remplacement ; et aucune décision n'est prise à ce jour sur un deuxième porte-avions. Seront évalués les systèmes de propulsion, de combat aérien, les nouvelles technologies, notamment pour les catapultes. C'est à l'issue de ces études que nous prendrons les décisions.
Pour le système de combat aérien du futur, la LPM pose les fondations du renouvellement des capacités, qui interviendra autour de 2030-2040. Avions, drones, systèmes de commandement connectés et interopérables, nous avons provisionné 1,6 milliard d'euros pour les études, en faisant l'hypothèse de coopérations européennes. La feuille de route est attendue à l'été 2018 et 2021 sera une année importante pour le choix d'une architecture de système de combat. C'est un enjeu majeur pour la construction de l'Europe de la défense et la coopération franco-allemande.
Le maintien en condition opérationnelle (MCO) aéronautique - et, singulièrement, la question des « liasses » - est un sujet important, quand moins de la moitié des avions est en état de voler... J'ai lancé une réforme ambitieuse du MCO aéronautique. La préfiguration d'une direction de la maintenance aéronautique (DMAé) est en cours, elle verra le jour en avril. L'acquisition des « liasses » est bien sûr décisive pour améliorer ce ratio. Je n'ai pas d'éléments particuliers à vous fournir sur cette question, mais nous travaillons à résorber ce problème.
J'en viens à l'article 19. La cybermenace s'intensifie et notre territoire y est très vulnérable. Il est le lieu de « dernier rebond » des attaquants cyber qui cherchent à perturber nos services et nos réseaux de communication internet. La forte porosité des réseaux aux assauts du crime organisé et du terrorisme a conduit le Gouvernement à vouloir renforcer les actions défensives. L'Agence nationale de la sécurité des systèmes informatiques (Anssi) en sera le pivot, avec Comcyber pour les systèmes d'information de la défense. Il s'agit d'une part de demander aux opérateurs de créer des mécanismes de détection des perturbations sur les réseaux, d'autre part de mettre sous tutelle temporairement les serveurs compromis par des attaques cyber. L'équilibre est-il préservé du point de vue des libertés publiques ? Oui, car les opérateurs ont une obligation de destruction des données qui ne sont pas nécessaires à cette cyber-défense, et la durée de conservation des autres est précisée. L'Autorité de contrôle des communications électroniques et des postes (Arcep) effectuera un contrôle a posteriori - la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement n'était pas le bon organe, puisqu'il ne s'agit pas ici de renseignement technique. L'Assemblée nationale a tenu à inscrire dans la loi les dispositions relatives au contrôle. Une précision : ce ne sont pas les data, mais les virus, que nous traquons ici : ne refaisons pas la loi sur le renseignement ! Le but est de pouvoir tracer les marqueurs des virus qui se propagent sur les réseaux, sans entrer dans les messages, mais en vérifiant si l'enveloppe de ces messages est perturbée.
Nous avons noté l'effort budgétaire et la sincérisation de la provision OPEX. Ces mesures seront financées par la croissance mais aussi, certainement, par des économies, dans le cadre du programme « Action publique 2022 », lequel n'épargne pas votre ministère. Quelles sont les pistes de travail ? Par ailleurs, il est prévu que les activités de soutien aux exportations (Soutex) fassent l'objet d'une meilleure prise en charge par les industriels. Selon quelles modalités ?
Pouvez-vous nous dire vos intentions en matière de modernisation de la politique de rémunération des militaires ? Quels seront les contours de la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) ?
Quelle part de frustration comporte cet « effort majeur de sincérisation » dont vous nous avez parlé ? On avait pu reprocher au précédent gouvernement l'insuffisance des crédits mais aussi une absence de choix. Vous embrassez au contraire de nombreux objectifs... Mais la crédibilité exige de dire ce qui sera décalé, ce à quoi il faut renoncer, bref, préciser les choix opérés.
Sur l'Europe de la défense, où en est-on de l'initiative européenne d'intervention et quels espoirs placez-vous dans le Fonds européen de défense pour rendre tout cela crédible ?
Vous avez annoncé la mise en place d'une agence pour l'innovation au sein de votre ministère. Pouvez-vous nous en détailler les contours et notamment nous préciser le rôle de la direction générale pour l'armement (DGA) ? La cyberdéfense, on en parle depuis longtemps. Lorsque votre prédécesseur était venu il y a un an célébrer les vingt ans de la direction du renseignement militaire, il avait annoncé un « Intelligence campus » à Creil. Cela semble aujourd'hui compromis. Avez-vous un autre projet de cyberdéfense pour ce site ?
Je centrerai mes questions sur les objectifs : que peut faire le ministère avec les sommes programmées, qu'est-il contraint de laisser de côté ? Sur ces aspects, la LPM est un peu courte ! « Sincérisation » des crédits, volonté de « faire mieux que les gouvernements précédents », soit : Jean-Yves Le Drian appréciera que vous sincérisiez ses comptes. Mais il faut mettre les choses en perspective : il y a cinq ans, la croissance était de 0,4 %, non de 2 % comme aujourd'hui. Espérons du moins que la nouvelle programmation sera entièrement appliquée, car la tradition veut plutôt que l'on fixe des objectifs ambitieux et qu'on ne les atteigne jamais.
Le spatial, qui exige de travailler avec nos alliés, avec les Européens, a un lien avec la cybersécurité. Les industries spatiales américaine ou chinoise travaillent grâce aux crédits de la défense. Un budget militaire spatial important, c'est l'assurance d'applications civiles importantes... Quelle est votre vision des choses ?
« Action publique 2022 » concerne bien sûr aussi le ministère des armées. Cependant, la transformation désormais, je l'ai souligné, n'est plus subie mais choisie. Il n'est plus question de supprimer 60 000 emplois, mais de gagner en efficacité. La Nation nous dote de moyens exceptionnels, chaque euro doit être dépensé au plus utile. Nous avons identifié 14 chantiers de modernisation, dont certains recoupent ceux sur lesquels travaille le Comité « Action publique 2022 », qu'il s'agisse de la réforme de la politique d'acquisition de la DGA ou de la réforme du MCO aéronautique. Des externalisations ont déjà été mises en oeuvre dans le passé. Je ne suis pas favorable à ce qu'elles soient systématiques. Je suis confiante dans notre capacité à progresser, le travail avec le comité est constructif, et tous les gains seront recyclés au profit du ministère.
Quelques mots du Soutex : il faut poursuivre la prise en charge financière de ces activités, mais le dispositif présentait le défaut de mobiliser beaucoup de personnel au ministère, en particulier au sein de l'armée de l'air. Sur les 6 000 créations de postes prévues, 400 visent à l'accompagnement des missions Soutex afin que nos armées ne soient pas pénalisées dans leur fonctionnement.
La nouvelle politique de rémunération des militaires a été décidée en novembre 2016 ; elle sera progressivement déployée, à partir de 2021. Les mesures indiciaires et indemnitaires visent à prendre en compte les sujétions particulières, les parcours professionnels et les activités spécifiques, les qualifications et les compétences, ainsi que les questions liées aux leviers de gestion... À l'automne 2018, seront prises les premières mesures, pour les praticiens du service de santé des armées et les ingénieurs de l'armement, puis les militaires du rang et les officiers. Cela représente un coût estimé à 480 millions d'euros.
Je n'ai pas le sentiment que la hausse de provision OPEX doive se traduire par une frustration et impose en elle-même des choix. La provision de 1,1 milliard d'euros, pour 1,3 milliard effectivement dépensés en 2017, est un bon compromis : elle est plus réaliste, mais n'entraîne pas de ponction sur les moyens des armées.
Nous sommes en train de travailler à l'adoption du règlement financier du Fonds européen de défense. Après une première réunion le 15 mars dernier, nous en aurons une autre en avril, peut-être conclusive. La recherche-développement et les projets capacitaires recevront des financements communautaires, c'est une révolution, et il est prévu de s'assurer que ceux-ci iront à des entreprises européennes !
Une Agence de l'innovation sera créée auprès de la DGA, pour piloter l'ensemble des outils existants ou en cours de développement afin de favoriser l'innovation, technologique ou d'usage. Il s'agit d'élargir l'écosystème : actuellement la DGA travaille avec les grands groupes, or nombre d'innovations civiles développées dans des start-up ou des PME pourraient utilement être captées pour des applications militaires.
Quant au domaine spatial, sans énumérer le détail des cinq grands programmes, je vous indique que la rénovation et la modernisation concernent tous les outils d'observation : c'est un effort considérable.
Depuis plusieurs années, l'opération Sentinelle consomme des moyens humains considérables, au détriment de l'entraînement et de la préparation opérationnelle. Les moyens budgétaires et humains seront-ils suffisants, sur le long terme, pour les besoins de l'opération Sentinelle ? Je me suis rendue au Tchad et au Niger avec le président Larcher. Les hommes de l'opération Barkhane venaient de perdre deux soldats des Spahis de Valence... Nous avons été impressionnés par leur engagement dans des conditions très difficiles, et par l'efficacité des drones de surveillance dans une région dépourvue de routes - les rares qui existent sont minées. La France a tardé à s'équiper : quelle est votre volonté en la matière ?
La Brigade franco-allemande est opérationnelle depuis près de trente ans au moins, comme l'Eurocorps basé à Strasbourg. Ces unités sont déjà intervenues sous mandat européen dans le passé, comme au Congo. Quelle est votre vision de ces deux outils dans une Europe de la défense renforcée ?
Madame la ministre, vous nous avez déjà rassurés sur le service national universel, mais de nombreuses interrogations demeurent. C'est un engagement fort du Président de la République. Des rapports, parlementaires en particulier, ont été rédigés sur le sujet, mais la cacophonie demeure sur les financements...
Il y a quatre-vingt-dix ans, était signé le pacte « Briand-Kellogg » qui condamnait le recours à la guerre. Nous en sommes bien loin...
La défense est un ministère régalien par excellence. Les crédits augmentent, en France comme chez nos voisins, et c'est une bonne chose car la menace augmente et se transforme. Mais pour élaborer ce modèle d'armée capable d'intervenir partout et tout le temps, faire un peu moins mal qu'avant n'est pas suffisant. Je n'ai rien vu d'exceptionnel dans votre présentation. Vous n'avez pas annoncé un deuxième porte-avions. Le Charles de Gaulle reste dix-huit mois en carénage, l'emploi des aéronefs est très limité... Qu'envisagez-vous pour sauvegarder l'industrie militaire française ? Quelle part de souveraineté doit être préservée des investissements dans des équipements étrangers ? Parmi les éléments exceptionnels, je ne vois que la démission du chef d'état-major des armées l'an dernier, événement choquant et sans précédent. À part cela, rien de nouveau.
J'espère que les perspectives économiques permettront de financer effectivement les mesures que vous présentez. Je veux dire un mot moi aussi de l'article 19 et de la cyberdéfense. L'Assemblée nationale a heureusement supprimé l'article 20. Sur les 3 000 créations de postes annoncées dans la première phase, combien iront effectivement à la cyberdéfense et au renseignement ? Le pôle d'excellence cyber de Rennes sera-t-il conforté ? L'Arcep recevra-t-il de nouveaux moyens pour assurer ses nouvelles missions ?
Je salue l'effort conséquent sur les crédits prévus en LPM.
Que sera le futur statut des militaires, après la réforme des retraites et la création d'un régime de retraite universel ? Les recrutements ne risquent-ils pas d'être affectés par les incertitudes qui planent ?
Le rapporteur spécial du logement que je suis vous interrogera sur la libération du foncier qui appartient aux armées. Votre ministère est le seul qui conserve le produit des cessions, mais la pollution des terrains rend les ventes plus difficiles. Déduire du produit de la vente les coûts de dépollution est une opportunité pour débloquer des opérations. Pourrez-vous me communiquer un tableau de synthèse sur les opérations prévues pour les cinq ans à venir ?
Le projet d'« Intelligence campus » sera poursuivi, mais en lien avec la création de l'Agence de l'innovation.
Sentinelle a connu une montée en puissance depuis 2015. Le mode opératoire a été infléchi, le but étant de le rendre plus efficace, en maintenant l'effectif actuel : 7 000 hommes, avec possibilité de monter à 10 000 si le Président de la République le décide.
La livraison de drones armés interviendra en 2019. Nous « rétrofiterons » ensuite les drones que nous possédons déjà. Ce ne sont pas des robots tueurs, ils resteront opérés par des hommes placés au plus près des forces au Sahel - et non manoeuvrés depuis Paris, comme certains en expriment la crainte !
L'Eurocorps et la brigade franco-allemande sont les piliers de l'Europe de la défense qui doivent être consolidés. Le premier est reconnu par l'OTAN comme état-major de réaction rapide ; la seconde est cette année au Mali, dans le cadre de la mission de formation de l'Union européenne au Mali (EUTM), ainsi qu'en République centrafricaine. Des hélicoptères allemands de la Minusma épaulent les forces françaises au Mali.
La réflexion interministérielle est en cours sur le SNU ; le général Daniel Ménaouine rendra ses conclusions à la fin du mois. Je pourrai donc, lors des débats en commission et en séance publique, vous apporter des compléments d'information.
Les équipements militaires ont pour la grande majorité une très forte dominante nationale. La Revue stratégique a publié un tableau où sont énumérés les équipements de souveraineté, et ceux qui peuvent faire l'objet de coopération industrielle au plan européen.
Pour les missions qui font l'objet de l'article 19, 1 000 recrutements sont prévus, et 1,6 milliard d'euros d'investissements. L'Anssi relève des crédits du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, autrement dit, du Premier ministre, hors périmètre de la LPM.
La réforme des retraites pose beaucoup de questions dans l'ensemble de la population française, mais certaines sont spécifiques aux militaires, dont les carrières sont beaucoup plus courtes. Je l'ai précisé au Haut-Commissaire en charge de la réforme des retraites, il importe de préserver des flux réguliers, autrement dit une capacité à attirer massivement des jeunes, pour compenser les départs massifs à la retraite, qui interviennent à un âge où une seconde carrière est encore possible. C'est un point critique pour nos armées, le Haut-Commissaire en a pris note.
Enfin, les cessions de foncier sont estimées à 500 millions d'euros sur la période de programmation, y compris l'îlot Saint-Germain. Le ministère des armées conservera l'intégralité de ces recettes.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 10 h 35.