Le terrorisme n'est pas un parti ; certains mouvements politiques ou religieux emploient la méthode terroriste à certains moments. Le cas de Daech est particulier, par les sites qu'il frappe, par le degré de violence et les moyens militaires employés ainsi que par les effets politiques recherchés.
Daech a tué environ 300 Français, sa létalité est donc très élevée par rapport à ce que nous avons connu précédemment. Dans les années 1970, Action directe a tué dix personnes, soit une décimale de moins qu'en Allemagne et deux décimales de moins qu'en Italie.
Cette caractéristique s'explique par le fait que Daech choisit des cibles molles. Ce n'est pas inédit en France : Émile Henry avait lancé une bombe dans le café Terminus, en affirmant : « Aucun bourgeois n'est innocent ». Il considérait - à tort - qu'il ne pouvait y avoir que des bourgeois dans ce café. De même, le FLN a attaqué le Milkbar à Alger, et, rue de Rennes ou à la station Saint-Michel, ce sont des innocents qui ont été visés.
Daech n'est donc pas le premier mouvement à frapper des victimes innocentes au hasard, mais il le fait avec une efficacité remarquable. Celle-ci tient au fait - c'est la deuxième spécificité de Daech - que tous les moyens sont employés, et que l'action se fait à tous les niveaux.
Daech peut ainsi organiser des attentats militairement sophistiqués, comme le soir du Bataclan : des attaques conjointes, une organisation, des commandos aguerris regroupant plusieurs nationalités, qui ont su éviter la police, disposer de faux papiers et trouver des logeurs, même si ceux-ci n'étaient pas très malins.
Dans le même temps, le mouvement encourage également des actions spontanées ou semi-spontanées : un homme prend un couteau et se jette sur un policier ou un militaire, en sachant qu'il a très peu de chances de survivre. Ces attaques sont moins redoutables, à l'exception de celle de Nice, où un camion jeté dans une foule compacte a fait beaucoup de dégâts. La capacité de nuisance de Daech est donc supérieure à ce que nous avions connu auparavant.
La troisième spécificité se trouve dans la motivation de ce groupe. L'attentat de la rue de Rennes avait un objectif politique rationnel, celui de la station Saint-Michel également. Il s'agissait de faire pression sur l'État français ou de le punir pour ses relations avec l'État algérien, bref, de faire valoir une revendication à laquelle la France pouvait, ou non, se plier.
Dans le cas présent, la seule manière de céder à Daech serait de dissoudre l'État, de nous convertir en masse au sunnisme salafiste et de faire allégeance au califat. De ce point de vue, les militants de Daech sont maximalistes : ils attendent la fin du monde, la conquête de la Terre et le salut de leurs âmes. Ce message simple est répété constamment.
Ainsi, même s'il y a aujourd'hui beaucoup moins de productions vidéo et de moins en moins en français, j'ai entendu récemment un nashid, un chant religieux uniquement vocal, à cheval entre le rap et la mélopée, dont les paroles étaient très simples : « Tuons-les tous ; la victoire est proche, nous irons au paradis ». Ces chants sont plus nombreux en anglais et surtout en arabe, mais n'oublions pas que Daech a publié durant une période un mensuel en onze langues.
Enfin, la dernière spécificité de Daech est stratégique. Al-Qaïda avait une stratégie « raisonnable » à long terme, basée sur l'idée qu'il fallait d'abord frapper l'ennemi lointain pour ne pas réitérer l'erreur de l'Afghanistan. Daech, au contraire, a, tout de suite, voulu établir le califat et se lancer dans la conquête du monde. Cette stratégie a mené à la territorialisation du mouvement, avec une organisation qui avait tous les attributs de la souveraineté, hormis, heureusement, la reconnaissance des autres États. Ainsi, la stratégie terroriste était élaborée dans un véritable ministère, dirigé par Al-Adnani.