Intervention de François-Bernard Huyghe

Commission d'enquête menace terroriste après chute de l'Etat islamique — Réunion du 6 mars 2018 à 15h00
Audition de M. François-Bernard Huyghe directeur de recherche à l'institut de relations internationales et stratégiques iris

François-Bernard Huyghe, directeur de recherche à l'IRIS :

C'est une question centrale depuis les années 1970 et beaucoup d'écoles s'affrontent à ce sujet. Je ne crois pas à quelque chose de mécanique : on serait soumis à de mauvaises idées extrémistes et on tomberait dans la violence comme dans l'alcool. Je suis donc très opposé à l'idée selon laquelle on pourrait soigner le djihadisme comme un accident de vie à cause d'une famille monoparentale ou d'un passage à Pôle emploi.

En France, on débat pour déterminer la puissance de l'idéologie dans ce processus. La question est connue : assiste-t-on à une islamisation de la radicalité ou à une radicalisation de l'islamisme ? S'agit-il de personnalités antisociales, de braqueurs de supérettes, qui se sont saisis de ce prétexte, ou, au contraire, doit-on constater l'efficacité de la propagande et de la conversion totale au djihadisme ?

En tout état de cause, il s'agit d'une idéologie dont la promesse est très puissante : tu iras au paradis, tu conquerras la Terre, tu seras un héros et tu vengeras des siècles d'humiliation.

Il n'existe pas de cause unique, mais des parcours terroristes, avec une part de rationalité. On tue des gens et on sacrifie sa vie, car on considère que c'est utile pour accélérer la victoire, ou l'avènement du paradis sur Terre. La bonne réponse à cette question n'est donc sans doute ni macro ni micro, mais méso, entre les deux.

Je ne crois pas que l'on devienne terroriste tout seul, on emploie une grande violence et on se sacrifie, au contraire, parce que l'on a des camarades. Le facteur de groupe me semble très important, et vous aurez compris que je ne crois pas au loup solitaire.

Dans le très bon livre de David Thomson ou dans celui de Romain Caillet - Le combat vous a été prescrit -, on repère bien la reproduction du modèle des aînés et de l'action avec les frères. On fait partie d'un groupe combattant qui se considère comme une avant-garde. Cela ne vaut d'ailleurs pas seulement pour les djihadistes, c'était déjà le cas pour l'extrême gauche des années de plomb, par exemple.

Une fois que l'on a dit cela, que fait-on ? Je suis sceptique quant aux méthodes qui envisagent la radicalisation comme une sorte de maladie mentale - on a constaté leur échec en France - ou sur celles qui entendent effectuer un copié-collé des méthodes de lutte contre les sectes.

Nous devons nous placer à un niveau intermédiaire, pour appréhender le désir de compétition, d'héroïsme et de solidarité avec les camarades qui est à l'oeuvre.

On sait que la déradicalisation à la française ne fonctionne pas. La méthode américaine non plus. En outre, on ne sait pas proposer de contre-discours, parce que nous le concevons selon nos propres codes. Nous avons atteint le comble du ridicule avec une campagne dont le slogan était : « Si tu vas là-bas, tu vas tuer des gens et mourir », alors que ceux qui étaient ciblés par la campagne allaient là-bas précisément pour tuer des gens et pour mourir ! De même, prétendre convaincre les jeunes qu'ils sont manipulés et les inciter à croire ce que disent les journaux, c'est inefficace.

À partir d'exemples en Allemagne et au Royaume-Uni, on peut tenter d'empêcher les gens d'entrer dans ce cycle d'identification collective, mais « déradicaliser » est un mot ridicule, qui n'a aucun sens, et cela ne fonctionne pas. Je ne vois pas quel traitement psychologique on pourrait infliger aux combattants de retour. Certains d'entre eux finiront par se décourager, parce qu'on ne peut pas tenir éternellement sur l'adrénaline, certains retourneront peut-être à la criminalité.

Je n'ai jamais rencontré de « déradicalisé ». J'ai rencontré en Italie des pentiti, des repentis. David Thomson cite toutefois des exemples : il ne s'agit pas de conversions idéologiques à la tolérance et à la démocratie, mais de gens qui considèrent que, si leur idéal était juste, la méthode n'était pas la bonne. Ils redeviennent alors salafistes quiétistes. On peut les croire, ou non.

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