Quand on creuse, on trouve un réseau humain, un correspondant. Je suis très sceptique sur le pouvoir de fascination des images qui rendraient les enfants fous. Bien sûr, internet contribue à la conversion, par l'identification à la cause de populations persécutées pendant des siècles et que l'on va venger et à des frères virils que l'on veut imiter et dont on veut être digne.
Il y a également un appétit pour l'argumentation, un renforcement des croyances, sur les massacres en Palestine ou en Tchétchénie, qui débouche sur un discours du « tous coupables ». Nous avons tendance à qualifier tout cela de « complotisme », alors que c'est plus compliqué.
Internet est un instrument de renforcement des croyances et des passions. Ce n'est pas pour rien que tous ces groupes ont produit des images et des textes ! Les membres de la Rote Armee Fraktion passaient un temps incroyable à discuter chacun des termes et des virgules de leurs écrits. Le discours est important !
Celui de Daech est d'autant plus fascinant qu'il utilise la technologie 2.0 avec beaucoup plus d'efficacité qu'Al-Qaïda.
Al-Qaïda diffusait déjà des prédicateurs filmés, mais Daech a produit d'incroyables vidéos de violences, montées comme du Sergio Leone. C'est un peu de mauvais goût, mais il faut mesurer que lorsque vous filmez l'exécution de dix-huit personnes, vous n'avez qu'une seule prise ! Daech employait des professionnels bien payés, utilisait des drones et mettait en application une grande culture cinématographique. Une de mes étudiantes, photographe, a passé des heures à étudier la technique hypersophistiquée utilisée dans ces scènes.
Il y a donc ces blockbusters, accompagnés de chants, mais il y a aussi des revues. Je ne vous les montrerai pas pour ne pas me mettre en contravention avec la loi, mais ce sont des magazines de quarante-huit pages avec une véritable mise en page, des rubriques diverses, et même une partie destinée aux femmes, sur fond rose, avec des pétales. Chaque paragraphe contient une sourate ou un Hadith.
De surcroît, Daech utilise énormément les réseaux sociaux, c'est sa dimension 2.0, pour donner la parole à ses partisans. Ceux-ci communiquent entre eux, ils ont commencé sur Facebook, où ils se sont fait prendre, et utilisent maintenant Telegram. Ainsi sont nés les « moujatweets », des selfies de combattants montrant leur virilité, leurs armes et la douceur de la vie qu'ils menaient. On y voit des fruits en abondance, des embrassades, des scènes de fraternité.
Tout ne s'explique sans doute pas par le pouvoir de cette propagande, mais elle est bien la plus sophistiquée et la plus efficace que j'ai étudiée, par son contenu comme par les canaux par lesquels elle passe.