Nous entrons dans l'acte 2 du protocole expérimental en vertu duquel notre commission examine les dispositions, en amont de leur examen par les commissions législatives, de transposition de directives européennes. L'acte 1 avait été assuré récemment par Simon Sutour et Jean-François Rapin pour, respectivement, le règlement général sur la protection des données à caractère personnel et les services de paiement. Pour ce qui est des secrets d'affaires, notre commission a traité de ce sujet grâce à la proposition de résolution de Sophie Joissains. Les premiers travaux européens sur le secret d'affaires et sa protection ont été lancés il y a huit ans.
La directive du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulguées - dits « secrets d'affaires » - contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites, doit être transposée avant le 9 juin. C'est pourquoi l'Assemblée nationale, à la faveur d'une niche du groupe La République en Marche, a adopté le 28 mars une proposition de loi présentée par le député Raphaël Gauvain et les membres de son groupe.
La protection des savoir-faire, des procédés, des recettes de fabrication et des stratégies commerciales est essentielle au développement de l'innovation et au maintien des avantages concurrentiels des entreprises. Fondée sur l'article 114 du traité, qui prévoit le rapprochement des législations nationales pour établir ou assurer le fonctionnement du marché intérieur, la directive entend assurer la sécurité juridique nécessaire. Elle s'inscrit dans le cadre de l'initiative de la Commission européenne « une Union de l'innovation » et constitue l'un des piliers de la stratégie « Europe 2020 ».
Son processus d'adoption a été marqué par une grande convergence de vues entre les États membres et des réactions très vives de journalistes et d'associations non-gouvernementales : ceux-ci craignaient que le texte ne puisse servir à dissimuler des turpitudes et ne porte atteinte à la liberté d'informer. Une longue phase d'études et de consultations, notamment numériques, a été engagée en 2010 par la Commission européenne. Elle a fait apparaître que 20 % des entreprises avaient subi au moins une tentative d'appropriation illicite de leurs secrets d'affaires au cours des dernières années et de fortes disparités ont été constatées dans les niveaux de protection d'un État membre à l'autre.
Présentée le 28 novembre 2013 par le Commissaire européen au marché intérieur et aux services, Michel Barnier, la directive a été bien accueillie par le Conseil qui a mis l'accent sur la « valeur commerciale des informations » et le caractère civil de sa protection. De manière générale, le Conseil a souhaité que les mesures protectrices des secrets d'affaires fassent l'objet d'une harmonisation minimale. Comme ce sujet relève de la codécision, le Parlement européen s'en est également saisi. Après le renouvellement en 2014, sa commission des affaires juridiques a longuement discuté du texte, sur lequel plus de 300 amendements ont été déposés.
Notre commission des affaires européennes a examiné la proposition de directive en juin 2014, sur le rapport de Sophie Joissains, qui s'excuse de ne pas avoir pu poursuivre le travail sur ce sujet. La proposition de résolution européenne devenue résolution du Sénat marquait un accord de principe sur les orientations retenues à ce stade, en particulier l'objectif d'harmonisation de la définition des secrets d'affaires dans l'Union européenne. Elle mettait toutefois l'accent sur le caractère minimal de l'harmonisation, avant d'insister sur la nécessité d'un renvoi au droit commun des régimes de responsabilité civile nationaux. Elle approuvait la reprise de la définition des secrets d'affaires figurant dans l'accord ADPIC, accord de l'OMC sur la propriété intellectuelle - à l'époque, le multilatéralisme existait... - et la définition du champ des clauses d'exclusion et d'exonération. Elle attirait l'attention sur le respect du principe de publicité des débats au cours des procédures judiciaires, le respect du contradictoire et des droits de la défense. Enfin, elle considérait que les États membres doivent conserver la faculté d'instituer un délit pénal spécifique en cas d'atteinte au secret des affaires. La présente transposition n'en prévoit pas.
Notre commission a ensuite fait un point en mai 2015 avec la Chancellerie, qui a permis de constater que toutes les orientations mises en avant par le Sénat étaient prises en compte dans le texte de compromis. En juillet 2015, elle a entendu Mme Constance Le Grip, alors rapporteure au Parlement européen, qui a évoqué l'équilibre trouvé entre la nécessaire protection des secrets d'affaires et la préservation de la liberté d'expression et d'information.
Présentée à l'issue de consultations approfondies, la proposition de loi transpose - c'est son objet unique - la directive dans un titre nouveau du code de commerce, intitulé « De la protection du secret des affaires ». On a quitté, vous le notez, l'approche initiale, de la propriété intellectuelle. Le texte s'articule avec le droit commun de la responsabilité civile et met en oeuvre quelques-unes des facultés ouvertes par la directive. En particulier, le juge peut, dans une procédure judiciaire, prendre d'office des mesures de protection des secrets d'affaires.
Des précisions utiles, reprises des considérants de la directive, sont apportées. Il est indiqué que la valeur commerciale - concept pivot du secret des affaires - est « effective ou potentielle ». La protection de l'environnement est ajoutée à la liste, non limitative, des intérêts légitimes reconnus par le droit de l'Union ou le droit national pouvant justifier une atteinte au secret des affaires : la charte de l'environnement fait en effet partie du bloc de constitutionnalité depuis 2004.
L'approche est quelque peu restrictive. Dans la rédaction de l'Assemblée nationale, une mesure de protection raisonnable consiste, notamment, en la mention explicite du caractère confidentiel de l'information. Un coup de tampon suffirait ! Mais son absence pourrait dès lors exclure la qualification de secret d'affaires, ce qui paraît contraire à l'esprit de la directive. Le texte des députés exige une violation des mesures de protection mises en place par le détenteur légitime, quand la directive met l'accent sur l'absence de consentement de celui-ci. Enfin, la protection du secret des affaires n'est assurée qu'en cas d'atteinte « significative », exigence que n'impose pas la directive. La commission des lois et son rapporteur, Christophe-André Frassa, ne manqueront pas d'y remédier !
Enfin, mon projet d'observations souligne la nécessité de protéger les entreprises européennes contre les atteintes internationales au secret des affaires, je songe en particulier aux demandes de communication de preuves par l'Office of foreign assets control américain. Une loi française de 1968 dite de blocage, un règlement de l'Union européenne de 1996, tendaient déjà à encadrer la communication de documents et de renseignements économiques, commerciaux et techniques à des entreprises étrangères. Je souhaite approfondir ce point, si vous me mandatez à cet effet. Mais cela excède l'objet de ce texte.