Nous sommes heureux d'accueillir nos collègues députés et nos collègues parlementaires européens pour notre traditionnelle réunion conjointe, toujours fructueuse, pour échanger sur les thèmes de l'actualité européenne.
Aujourd'hui, nos débats porteront sur le prochain cadre financier pluriannuel. La Commission européenne doit présenter ses propositions le 2 mai prochain. Nous connaissons les défis à relever, qui sont complexes.
En premier lieu, un défi de calendrier : il est peu vraisemblable que l'on parvienne à un accord d'ici aux prochaines élections européennes de 2019 ; ce qui impliquera de reprendre le dossier avec une nouvelle Commission et un nouveau Parlement.
En deuxième lieu, le défi causé par le retrait du Royaume-Uni se traduira par un manque budgétaire évalué autour de 12 milliards d'euros. Il offre toutefois une occasion unique d'en finir avec les chèques et les rabais distribués depuis l'époque de Mme Thatcher.
En troisième lieu, le défi de financer de nouvelles priorités, pour un montant à peu près équivalent, sans mettre en cause les politiques traditionnelles que sont la PAC et la Cohésion. Au Sénat, nous sommes attachés à la PAC, qui a été pensée et votée il y a cinquante ans, mais reste pertinente, grâce à des réformes régulières. Quant à la Cohésion, elle fait partie des outils de solidarité entre les régions des États membres.
L'Union européenne devra faire des choix volontaristes. Quels objectifs entend-elle poursuivre et quelles sont ses priorités ? Acceptera-t-on d'élever le niveau du budget européen, qui ne représente actuellement que 1 % du PIB de l'Union ? Dotera-t-on le budget européen de nouvelles ressources propres qui le rendraient moins dépendant des contributions budgétaires des États membres ? Dans cette perspective, quelles suites entend-on réserver aux propositions du groupe présidé par M. Mario Monti ?
Pour répondre à ces questions, nous avons le plaisir d'avoir parmi nous Jean Arthuis, qui préside la commission des budgets au Parlement européen. Son éclairage nous sera précieux. De même, nous entendrons avec grand intérêt les points de vue d'Alain Lamassoure et de Pervenche Berès.
Nos rapporteurs sur le cadre financier pluriannuel, Jean-Louis Bourlanges et Christophe Jerretie pour l'Assemblée nationale, Patrice Joly, Fabienne Keller, Jean-François Rapin et Claude Raynal pour le Sénat, seront invités à nous livrer leurs premières analyses.
Je me réjouis d'être au Sénat ce matin, car il me semble essentiel que nos deux commissions et les membres français du Parlement européen aient des échanges réguliers. Il serait du reste fructueux de renforcer notre travail en commun.
Je me félicite également de la présence de spécialistes des questions économiques et budgétaires du Parlement européen que sont Jean Arthuis et Alain Lamassoure, rapporteur de la proposition de directive instaurant une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés.
S'agissant du cadre financier pluriannuel, nous nous trouvons à la croisée des chemins : quelle Europe voulons-nous demain ? Il s'agit de fixer les objectifs que nous nous donnons pour avancer en commun.
La Commission européenne doit remettre ses propositions en mai, dans un contexte particulièrement délicat, car il faut compenser la contribution du Royaume-Uni et trouver les moyens de financer les politiques traditionnelles de l'Union comme les nouvelles priorités. Cette équation est particulièrement difficile à résoudre avec un budget très limité, il est donc temps de décider à vingt-sept de quels moyens l'Union européenne doit disposer pour agir. Allons-nous nous contenter de déployer les budgets existants ou trouver de nouvelles ressources ?
Se pose en outre une question de contrôle démocratique. Il est un peu paradoxal d'adopter un cadre valable pour sept ans sans tenir compte de la date et du résultat des élections européennes à venir. Les parlements ont un rôle à jouer, c'est pourquoi il est important d'échanger dans un cadre interinstitutionnel.
À l'Assemblée nationale, un groupe de travail a été mis en place sur ce thème, sous la présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, dont le rapporteur est M. Christophe Jerretie.
Je suis très heureux de participer à cette réunion, car je relève que notre rôle en matière budgétaire est complémentaire : au Parlement européen, nous votons les dépenses et vous votez les recettes ! Je souhaite que ces réunions soient plus fréquentes, car il est nécessaire de mettre en place une relation plus permanente entre nos institutions.
Le cadre financier pluriannuel est en vigueur pour sept ans. Il s'agit de prévoir les nécessités budgétaires pour la période 2021-2027. De quelle Europe parlons-nous ? Comment prévoir ce qui va se passer en 2025, ou en 2027 ?
L'Europe est un ensemble de bases légales, et la tentation permanente qui y règne est de dire « business as usual ». Notre budget est modeste, avec seulement 1 % du PIB européen. Les seules ressources propres en sont les droits de douane, mais, comme l'Europe exerce à plein sa compétence exclusive en matière de traités internationaux en négociant des traités de libre-échange, ceux-ci fondent. Le reste du budget est financé par les contributions des États.
Or 80 % de ces ressources repartent vers les États membres, grâce à la politique agricole commune (PAC), aux fonds de cohésion et au fonds social européen. Chaque État en aura sa part. Si bien que 20 % seulement de ces fonds servent à financer les actions supranationales. Compte tenu du coût de fonctionnement des institutions, il reste entre 14 % et 15 % pour la recherche, le programme Erasmus, l'action humanitaire, l'accueil des réfugiés, etc. Ainsi, l'Europe se trouve souvent dans l'incapacité de faire face à la nécessité.
Le cadre financier pluriannuel en vigueur depuis 2013 est exécuté avec rigidité : chaque année, on en coupe une tranche. Il ne permet donc pas de faire face à un événement imprévu. Pour cela, l'Union a recours à des instruments financiers extérieurs, tels que la création de fonds fiduciaires ou de facilités budgétaires, ainsi qu'à des techniques d'ingénierie financière.
Le budget de l'Union européenne ne respecte pas les principes d'unité, d'universalité et d'annualité, ce qui met en péril sa sincérité. C'est donc un budget modeste, qui bénéficie de singularités d'exécution, certes appuyées sur des bases légales, mais qui ne sont pas satisfaisantes. Il importe, à mon sens, de recadrer cette démarche pour lui donner un sens politique.
La Commission européenne va déposer sa proposition d'un nouveau cadre financier pluriannuel 2021-2027 en mai prochain. Elle va ainsi fixer des volumes par rubriques, et tenter de rendre plus lisible le budget de l'Union européenne, qui ne l'est pas aujourd'hui, ce qui pose un problème démocratique. En la matière, des marges de progression existent.
Parmi les problèmes à traiter, le Brexit va se solder par une perte de 14 milliards d'euros à partir de 2021, car le Royaume-Uni maintiendra sa contribution durant la période de transition, en 2019 et en 2020.
En l'absence de ressources propres, nous sommes victimes de la tyrannie du juste retour : chacun compare sa contribution à ce qu'il reçoit. Quand des ressources propres seront créées, elles viendront réduire les contributions des États, mais elles ne constitueront pas pour autant de nouveaux moyens, car cela conduirait à alourdir la charge des prélèvements obligatoires à l'échelle de l'Europe. Le rapport Monti précise en effet que de nouvelles ressources propres doivent entraîner la réduction des contributions nationales, comme des prélèvements obligatoires à l'échelon national.
Comment se présente ce cadre financier pluriannuel à l'échelon national ? Le Parlement a voté un rapport d'initiative visant à porter le budget à 1,3 % du PIB européen, afin de couvrir les fonds de cohésion et la PAC au niveau actuel, tout en permettant à l'Union européenne de relever les nouveaux défis qui se présentent à elle. Dans un contexte de menaces nées de la mondialisation, les États membres peuvent-ils encore assumer toute leur souveraineté ? Certaines prérogatives ne devraient-elles pas être transférées à l'échelle européenne pour être enfin effectives ? Je pense à la défense, à la sécurité, à la gestion des migrations, au climat, à la lutte contre le terrorisme mondialisé ou à l'économie numérique, par exemple. Comment financer ces nouveaux défis ?
Je doute en effet qu'en fixant son budget à 1,3 % de son PIB, l'Europe apparaisse comme une puissance mondiale, d'autant qu'une éventuelle progression de ce budget ne devra pas conduire à une augmentation de la dépense publique en Europe.
Il est donc temps que nous définissions des biens communs européens, que les États-nations ne peuvent plus assumer seuls, pour transférer des dépenses nationales vers l'Europe, afin de ne pas augmenter la dépense publique. Toute augmentation du budget de l'Union européenne devrait ainsi avoir pour corollaire un allègement des budgets nationaux.
L'heure est venue d'ouvrir ce débat et de sensibiliser à ce sujet les citoyens, sinon, je ne vois pas comment l'Europe répondra aux défis issus de la mondialisation, sinon symboliquement.
Je travaille avec Jean Arthuis, mon propos sera complémentaire du sien.
L'Union européenne parle au-dessus de ses moyens, mais agit en dessous. Une des causes du malaise que nous éprouvons tous envers elle réside dans le décalage entre les ambitions proclamées et les décisions prises par les Conseils européens d'une part et la modestie des moyens financiers qui y sont consacrés d'autre part. L'Union prétend mener une politique mondiale avec des pourboires !
Bruxelles conditionne la moitié des règles de droit nouvelles imposée chaque année en France, mais lorsqu'il s'agit d'appliquer les politiques européennes, on ne trouve que moins de 1 % du PIB à leur affecter. C'est dérisoire.
Dans l'histoire de l'Europe, on ne débat pourtant de ce sujet que tous les trente ans. La première fois, c'était en 1967, à la suite de la politique de la chaise vide pratiquée par le général de Gaulle, la deuxième fois, c'était en 1984, au Conseil européen de Fontainebleau, quand Mme Thatcher lâchait son célèbre : « I want my money back ! ». Depuis, silence radio.
Tous les sept ans, le cadre financier pluriannuel impose une camisole de force budgétaire qui interdit de financer d'autres priorités. L'expérience montre que, dans le cas de la France, la seule préoccupation des présidents de la République successifs dans cette gigantesque négociation septennale a été de maintenir les montants de la PAC affectés à la France. C'est une double défaite nationale : nous nous interdisons de développer de nouvelles politiques européennes, tout en croyant avoir réglé le problème de l'agriculture, alors que celui-ci réside bien plus dans le contenu de la politique que dans son financement.
Traité après traité, un véritable effet ciseau se fait jour, les compétences et les prérogatives de l'Union européenne augmentent, mais les moyens financiers en proportion du PIB ont diminué d'un tiers depuis vingt ans. Imaginez l'effet d'une telle évolution sur le budget français !
Nous ne pouvons sortir de cette situation qu'en posant le problème au sommet, idéalement avant les élections européennes, afin de permettre aux électeurs de se prononcer sur le budget européen qu'ils veulent. Trente ans ont passé, il est temps !
Pour avancer, il nous faut bousculer trois vaches sacrées qui barrent la route.
La première est le montant du budget, sur lequel la France doit prendre clairement position à ce sujet. Nos partenaires d'Europe du Nord, Allemagne comprise, défendent la limite à 1 %. Jusqu'à présent, la France s'est alignée implicitement sur cette position, sans jamais l'assumer. Si c'est toujours le cas, alors autant faire autre chose que de s'occuper de politique européenne !
La deuxième est le financement du budget. La grande originalité de l'Europe réside dans ses ressources propres. Elle mène des politiques publiques, il s'agit donc de ressources fiscales, n'ayons pas peur des mots. Le Parlement européen travaille sur le sujet depuis douze ans. Le groupe de travail présidé par M. Monti a proposé des options, nous verrons quelles sont celles que la Commission européenne choisit de prendre à son compte.
Nous proposons de partir d'impôts qui ont déjà un cadre européen, ou qui vont l'avoir : la TVA, l'impôt sur les sociétés, avec le projet d'assiette commune consolidée à l'impôt sur les sociétés (ACCIS), la taxe carbone, la taxe sur les transactions financières, les droits de seigneuriage de la Banque centrale européenne (BCE), etc. Cela représente des dizaines de milliards d'euros. Sommes-nous prêts à franchir le pas et à appliquer les dispositions du traité que nous méconnaissons depuis trente ans ?
Enfin, la troisième vache sacrée, ce sont les économies à réaliser dans le budget européen actuel. Certaines dépenses sont excessives, mal conçues ou mal appliquées, il faut les réduire. C'est le cas, par exemple, de la PAC, qui doit être rendue plus efficace. Il faudra également accepter des sacrifices en matière de fonds structurels, notamment pour les pays dont le revenu moyen est supérieur à la moyenne européenne. En France, il est inférieur ; est-ce un malheur ou un bonheur ? Nous devons avoir le courage de nous poser ces questions.
J'insiste enfin sur la conclusion de Jean Arthuis concernant les économies nationales à faire lorsque nous transférons des compétences, donc des moyens et des charges, à l'Europe. La logique est la même qu'en matière de décentralisation ou de création d'intercommunalité.
Si nous créons, par exemple, un corps européen de gardes-frontières, nous devons transférer au niveau européen les moyens qui y sont consacrés à l'échelle des pays et soulager d'autant les dépenses nationales. Mettons à jour notre logiciel national et européen pour enfin voir l'Europe comme un gisement d'économies nécessaires.
Merci de ce rendez-vous qui intervient à un très bon moment.
J'ai vécu quelques cycles budgétaires européens et je sais combien l'interaction entre les élus nationaux et les élus européens est importante. La question budgétaire commande en effet toutes les autres politiques, il est donc indispensable d'anticiper, comme il faut démontrer l'efficacité de la dépense européenne pour affronter des défis que nous ne pouvons pas résoudre seuls.
La tentation des États membres est souvent de répondre en dehors de tout cadre démocratique. Pour un parlement, le budget est un outil de contrôle de la politique de l'exécutif. Or les chefs d'État et de gouvernement succombent parfois à la tentation des petits arrangements entre amis. Dans le prochain cadre budgétaire pluriannuel, le risque est que cela s'amplifie, nous empêchant également de revenir sur la logique du juste retour, alors qu'il s'agit d'un objectif ancien et partagé.
Dans ce débat budgétaire, tout d'abord, les moyens sont insuffisants. À budget constant, l'Union européenne se bat année après année avec les restes à liquider, une hypocrisie entretenue qui ne permet pas de pilotage raisonné.
Ensuite, la logique économique européenne veut que lorsqu'un État membre finance par ses contributions directes le budget européen, il aggrave son propre déficit et risque de sortir du pacte de stabilité. Il y a quelque chose de vicié dans ce système où la politique menée au niveau européen plombe les équations comptables nationales. On pourrait plutôt déduire les contributions européennes de l'analyse budgétaire des États ou financer le budget européen par des ressources propres. Les nouveaux défis que sont la sécurité, la défense ou le climat nécessitent de nouveaux moyens.
Enfin, la question du Brexit force l'Union européenne à cesser de raisonner à périmètre constant.
S'agissant des ressources, l'objectif défini par le Parlement européen d'une baisse de 40 % des contributions des États membres à terme sera, je l'espère, partagé. Pour qu'il se concrétise, il faut trouver des ressources directes.
La plus prometteuse est le point d'impôt sur les sociétés, parce que la consolidation améliore les conditions de collecte et écrase les inégalités de taux. Cette réforme répondrait également à l'ambition de taxer les plateformes numériques, et pas seulement les GAFA, une mesure populaire et juste, certes, mais qui n'épuise pas le sujet.
À trop s'y intéresser, en effet, on en vient à protéger les entreprises de notre CAC 40. Or en étant plus justes, nous sommes plus crédibles. Je crains, en outre, qu'on ne s'épuise à mener cette réforme, au détriment de celle qui est vraiment nécessaire : la mise en place d'une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés.
Les droits de seigneuriage constituent une autre ressource. Ils ne rapportent pas beaucoup, et, étant issus de l'euro, ils devraient, à mon sens, être affectés au budget de la zone euro.
Concernant les dépenses, mon groupe s'inquiète du financement des progrès nécessaires en matière de défense. Le consensus se renforce petit à petit : l'Union doit faire face à ses propres défis en la matière, mais comment financer cela ?
L'Union européenne pourrait mettre en place un fonds intergouvernemental, en dehors du budget, donc, redéployer de moyens existants, ou créer des ressources nouvelles. Notre groupe est très attaché à cette troisième option, c'est pourquoi, avec le soutien d'une large majorité du Parlement européen, notre objectif est de porter le budget européen à 1,3 % dans ce cadre financier pluriannuel. Nous espérons retrouver cette ambition dans les propositions de la Commission.
S'agissant de l'agriculture, nous avons trop bataillé sur des sujets mêlant environnement, climat et agriculture pour ne pas nous saisir de cette occasion pour aller enfin vers une agriculture plus durable. Cela devra être un des objectifs du budget à venir, que nous n'atteindrons pas, selon moi, par une renationalisation de la PAC.
Certaines grandes dépenses devront être maintenues, voire développées. Multiplions par trois le budget du programme Erasmus, afin de lutter contre des tendances qui nuisent à la construction européenne ! De même, il faut multiplier par deux le budget consacré à l'emploi des jeunes.
Enfin, nous devons tenir compte des objectifs issus de la COP 21. Nous demandons donc que le prochain cadre financier pluriannuel permette d'engager un tiers des dépenses liées au climat au plus tard en 2027.
Il faut également mentionner la conditionnalité, le risque de substitution des subventions par des prêts et, enfin, la question de l'insertion du budget de la zone euro.
Ce qui caractérise l'Union européenne aujourd'hui, c'est que dès que nous proposons quelque chose d'ambitieux, nous sommes irréalistes, mais si nous proposons quelque chose de réaliste, alors nous sommes insignifiants !
Je regrette que nous ayons inscrit dans le traité constitutionnel la procédure organisant le cadre financier pluriannuel. La situation antérieure était satisfaisante à mes yeux, avec un accord interinstitutionnel entre la Commission, le Parlement et le Conseil, ce qui permettait un retour à une procédure annuelle, avec le système des dépenses non obligatoires (DNO) conférant des marges de manoeuvre au Parlement. La menace amenait alors les États à adopter une attitude plus communautaire.
Le cadre financier pluriannuel a été présenté comme un outil de cogestion, mais c'est faux. Quand le Parlement a tenté le bras de fer avec le Conseil européen, les bases juridiques du dispositif ont placé les institutions dans une situation impossible. Il s'agit donc d'un contrat d'adhésion du Parlement aux décisions du Conseil, qui exclut les parlements nationaux et qui souffre du système pervers de l'unanimité. J'appelle cela « la procédure Ruy Blas », au cours de laquelle les « ministres intègres » se partagent les dépouilles d'un trésor commun.
Il est extrêmement délicat de faire de vraies propositions dans ce cadre. Nos assemblées doivent combiner la défense des intérêts nationaux, qui doit être prise en compte, avec les intérêts communautaires.
Ensuite, je crois essentiel de distinguer les acquis de la politique communautaire et les nouveaux défis. Ne soyons pas seulement des conservateurs des politiques d'hier, mais aussi les inventeurs des politiques de demain.
Enfin, nous avons intérêt, parlementaires européens et nationaux, à rechercher des voies de convergence, parce que dans ce système institutionnel, nous sommes en situation d'infériorité structurelle.
L'idée d'identifier les biens communs européens que sont la politique européenne de défense, la question du climat, la construction d'un FBI européen, Erasmus, etc. est puissante. Elle nous positionne dans l'avenir de l'Union européenne, au-delà des contingences budgétaires.
Elle contient toutefois un paradoxe. Durant le processus du Brexit, une évaluation des politiques a été menée, qui a conduit à distinguer des domaines où la politique européenne devait se renforcer et d'autres, en revanche, où le niveau national apparaissait plus pertinent.
S'agissant des ressources, plutôt que de taxe carbone, je préfère parler d'inclusion carbone aux frontières, en appliquant un dispositif appuyé sur le différentiel de réglementation compatible avec le cadre de l'OMC.
Je salue le travail du Parlement européen sur l'harmonisation de l'impôt sur les sociétés. Nous devons, à mon sens, soutenir ce principe, car la directive nécessaire sera difficile à adopter dans la mesure où elle devra être approuvée à l'unanimité.
Pour moi, le mot « cadre » évoque d'emblée une structure figée et non évolutive. C'est un problème. Nous avons le choix entre la continuité ou la radicalité. C'est vers cette dernière que nous devons aller ; à défaut, nous ne parviendrons pas à faire évoluer les politiques européennes. Ce que j'ai entendu m'a rappelé les débats relatifs à l'autonomie financière et fiscale des collectivités. Que veut-on pour l'Union européenne, donc pour tout le monde, en matière d'autonomie ?
Vous avez évoqué le lien interbudgétaire, à travers les transferts de compétences et des ressources financières correspondantes. Quel mécanisme devrons-nous alors mettre en place pour maîtriser nos dépenses budgétaires ? Si nous transférons des compétences, il est en effet impératif de transférer les moyens financiers afférents, sinon, nous augmenterons notre déficit, ce qui n'est satisfaisant ni sur un plan financier ni sur un plan politique. Nous devons y réfléchir durant l'année qui vient.
J'ai apprécié la formule de Jean Arthuis selon laquelle le Parlement européen vote les dépenses et les parlements nationaux votent les recettes. Je me souviens qu'il a lui-même déjà voté contre le prélèvement européen !
Nous sommes d'accord sur la nécessité de faire évoluer la PAC, que j'ai de moins en moins envie de défendre, car elle avantage toujours les mêmes : les grands céréaliers et les betteraviers. J'aimerais qu'elle s'oriente un peu plus vers les vignes, les arbres fruitiers et les productions légumières. Si nous voulons plus d'efficacité, profitons-en pour obtenir plus de justice !
On a peu parlé de la conditionnalité des aides. J'y suis très hostile, car cela revient à faire payer à des citoyens les errements de leurs dirigeants et donc à creuser le fossé entre l'Union européenne et les citoyens. En outre, elle fonctionne à géométrie variable : nous sommes très indulgents pour certains, et très coercitifs envers d'autres. Je veux bien croire que la Pologne et la Hongrie se comportent mal, mais alors, quid de l'Espagne, où l'État de droit souffre de ce qui se passe en Catalogne ?
J'ai apprécié les propos de Jean Arthuis : il faudra en effet tôt ou tard des ressources fiscales propres pour l'Europe. Des pays émergents menacent la démocratie européenne et nos valeurs. Tout le monde dit qu'il faut renforcer des garde-côtes et les garde-frontières, mais cela nécessite un budget important. Certes la population est attentive à ce problème, mais pour atteindre le degré de couverture des frontières des États-Unis et du Canada, il faudrait à l'Europe 100 000 garde-frontières et garde-côtes. Des ressources propres sont nécessaires, comme elles l'ont été pour financer les intercommunalités : des contributions par commune auraient posé beaucoup de problèmes.
Deuxième perspective qui plaide dans ce sens : l'Europe de la défense. Avec Pierre Alexandre, nous avons rédigé un rapport sur ce sujet. Le fonds pour la recherche créé récemment de 90 millions d'euros ne représente pas grand-chose ; le montant consacré à l'industrie est aussi insuffisant. Ces sujets peuvent mobiliser les partisans du renforcement de l'Union Européenne.
On pourrait aussi parler d'Erasmus, dont l'accélération renforcerait l'Europe.
Selon la Cour des comptes européenne, il faudra dépenser 1 000 milliards d'euros par an pour réaliser les objectifs européens en matière de transition énergétique et écologique à horizon 2030. Si nous souhaitons mettre en oeuvre l'accord de Paris comme je le propose dans la proposition de résolution européenne que j'ai présentée en janvier-février, les besoins seront encore plus importants.
Les fonds structurels ou le plan Juncker, qui y contribuent, doivent être mieux coordonnés pour cibler les projets à fort impact. Un budget d'investissement propre à la zone euro, comme le propose le Président de la République, pourrait également y contribuer. La France doit plaider pour que la transition énergétique soit identifiée comme une priorité du prochain cadre financier pluriannuel. Avec 20 % pour le climat - 200 milliards d'euros - on est encore loin du compte. Quelle est notre stratégie en termes de montant, mais aussi de gouvernance et d'efficacité des dépenses ? Comment articuler ces dépenses avec les investissements nationaux et privés ? Ces questions doivent être au coeur des consultations citoyennes, car nous avons besoin du soutien des citoyens européens. À ce propos, je vous invite tous à la consultation que j'organise à Strasbourg le 29 avril.
Mon euroscepticisme réel ou prétendu ne m'empêche pas d'être d'accord avec ce qu'a dit M. Arthuis. Les ressources propres, constituées en grande partie des droites de douane, ont diminué drastiquement avec la multiplication des accords de libre-échange avec l'extérieur. C'est une politique de gribouille, qui consiste à scier la branche sur laquelle l'Union européenne est assise. Non seulement, cela met en compétition l'ouvrier français qui travaille 35 heures par semaine avec l'ouvrier chinois qui dort 35 heures et travaille le reste du temps, sans bénéficier d'aucune des conquêtes sociales que nous connaissons, mais nous avons facilité l'invasion de notre marché. Et cela continue !
Pourtant, la solution ne consiste pas en la création d'un impôt européen. M. Arthuis a certes été prudent, en disant que cela diminuerait sans doute la part des prélèvements obligatoires nationaux, l'Union Européennes prenant à sa charge certaines des obligations des États... Pour ma part, je n'y crois pas du tout. L'histoire de l'humanité depuis l'invention de l'impôt s'inscrit en faux. Aucun impôt nouveau ne s'est traduit par la suppression d'impôts existants.
Il faut donc revenir au pacte européen originel : une zone de libre-échange composée de pays de même niveau de vie et de protection sociale. Et adopter un protectionnisme intelligent contre la concurrence déloyale des masses laborieuses d'Asie ou d'Afrique.
L'agence Frontex et la police européenne sont deux sujets qui m'intéressent particulièrement, et sont au coeur d'un rapport que je suis en train de terminer pour la commission des affaires européennes de l'Assemblée. Ces travaux m'ont donné l'impression que le problème est moins le manque de moyens que le manque de volonté politique. Chaque pays veut maintenir sa souveraineté. Nous n'avons pas de projet pour faire évoluer cet ensemble d'États-nations vers le fédéralisme. Cela ne sert à rien de parler de financement si nous n'avons pas de vision. Ma question est simple : avons-nous encore une volonté européenne ?
On le voit en rencontrant nos homologues d'autres pays, il faut plus se parler si on veut mieux se comprendre et supprimer des malentendus, mais aussi déminer l'euroscepticisme et l'europhobie. Il faudra donc réitérer ce type d'initiatives.
MM. Arthuis et Lamassoure l'ont dit, il faut raisonner simplement pour résoudre des questions complexes. Les transferts de compétences entre communes et intercommunalités se sont fondés sur un principe très simple : faire ensemble ce qu'on ne peut plus ou qu'on n'a jamais pu faire seul, mais qui est attendu par nos concitoyens. Nous avons besoin d'une Europe qui protège. Si nous expliquons que nous avons besoin d'une frontière protégée, d'une défense commune, cela parlera à nos concitoyens.
Je me méfie par principe des dotations d'une autorité à une autre : elles ne sont jamais acquises et les tentations de les rogner peuvent être fortes... Je préfère les ressources dédiées. On en parle une fois pour toutes, et les attributaires ont une visibilité. Il faut aussi multiplier les crédits d'Erasmus. Ce sont les jeunes qui se rencontrent qui nous aideront à renforcer le dialogue.
Je vois beaucoup d'avantages aux transferts de compétence en matière de protection des frontières. Mais les États, même les plus avancés, ne sont pas prêts : la position française sur Dublin le montre. Malheureusement, il n'y a pas de volonté politique.
Monsieur Arthuis, comment les aides à l'Afrique pour accompagner le rapatriement des migrants sont-elles contrôlées ? Il est un peu bizarre de parler dans une enceinte du cadre pluriannuel d'une part, et dans une autre d'un éventuel budget de la zone euro : nous n'avons déjà pas assez d'argent pour le budget existant, et on veut créer un autre budget ? Il vaudrait mieux solidifier ce qui a besoin de l'être. Il faudrait augmenter le contrôle démocratique des dépenses par un parlement de la zone euro. Le budget de la zone euro pourrait ne pas être un budget en plus, mais la contribution commune des pays de la zone euro au budget européen, avec en son sein des ressources propres plus importantes.
Alain Lamassoure, je suis d'accord pour ne pas figer le budget de la PAC, pour rendre la PAC plus efficace ; mais pas pour diminuer les montants avant d'avoir discuté de cette évolution. Pour cela, nous avons besoin d'être d'accord sur le constat : est-elle injuste, n'est-elle pas durable ?
Madame Berès, qu'est-ce qu'une agriculture durable ? Faisons-nous de l'idéologie écologique ou de l'économie ? Faire de l'économie, cela suppose de construire une ferme européenne - ce n'est pas évident, c'est déjà difficile de construire une ferme en France - c'est-à-dire d'avoir des agriculteurs dynamiques, qui exportent, qui aient un revenu comparable aux autres catégories de la population, et qui nourrissent la population. C'est la base de la PAC. D'accord pour modifier la PAC, mais mettons-nous d'accord sur les bases. Votre mot de durabilité me fait peur. Verdissement après verdissement, on affaiblit avec des idées reçues la réalité de l'agriculture.
Il faut un budget européen ambitieux - on ne peut que souscrire à l'objectif d'1,3 % du PIB du Parlement européen ; il faut des ressources propres, telle la taxation carbone et une harmonisation fiscale. Le RDSE est favorable au fléchage d'un point de TVA pour financer l'Union européenne. Dans notre ADN, nous avons la construction européenne, mais aussi les territoires et la ruralité. La PAC doit évoluer ; mais cela fait cinquante ans qu'elle le fait, elle n'est pas figée ; elle doit évoluer encore, mais rester ambitieuse. Au-delà de la vision budgétaire, il faut avoir une vision ambitieuse de l'agriculture européenne.
Je me souviens qu'à l'automne dernier, le Parlement européen avait souhaité que la politique de cohésion reste le premier budget d'investissement de l'Union. À quel niveau situe-t-il cette dotation ? Le Sénat est très attentif à la politique de cohésion territoriale, dont devraient bénéficier toutes les régions. Lorsque nous entendons le commissaire européen dire dès ses premières interventions qu'il veut réduire ce budget de 10 %, nous sommes inquiets, d'autant plus que nous voyons le plan Juncker s'y substituer de plus en plus. Ne devrions-nous pas envoyer un deuxième signal au Parlement européen sur un montant de dotation en dessous duquel il ne faudrait pas descendre ?
L'Europe a été créée après la guerre. Il a été demandé aux agriculteurs de nourrir le peuple des six pays concernés, et cela a été une chance. Dans le monde d'aujourd'hui, l'enjeu de la sécurité alimentaire est partout prégnant. Pour l'Europe, baisser les armes sur ce sujet avec une baisse du budget est regrettable. À la veille des élections européennes, l'indépendance alimentaire est un beau sujet.
Il ne faut pas être conservateur. Ce fut l'une des erreurs de la France : lorsque l'Allemagne pilotait le cadre financier pluriannuel, Matignon et l'Élysée - alors en cohabitation - avaient arbitré qu'il fallait défendre la PAC en statu quo. Nous avons manqué l'occasion de faire financer des investissements par l'Union européenne - ce que nous essayons désormais de faire avec le plan Juncker. La France n'a pas d'agenda offensif. Nous le faisons d'une certaine manière avec la politique de la défense au niveau national, mais il pourrait y avoir un agenda offensif avec les investissements d'excellence. Cela ne nécessite pas, si l'on respecte l'objectif de budget à hauteur de 1,3 % de RNB, de sacrifier la PAC qui doit évoluer, en intégrant des critères de durabilité - des agriculteurs meurent d'excès de glyphosate. Soyons réalistes et cohérents. C'est pour cela que le débat est important. Vous, représentants de la France, que définissez-vous comme principaux biens communs que le budget européen doit financer ?
Madame Keller, je n'ai pas parlé de taxe carbone mais on pourrait envisager l'inclusion carbone dans les ressources propres. Réfléchissons à autre chose, voyez les travaux de Lionel Fontagné. Avec Édouard Martin, nous avons travaillé sur l'ajustement carbone aux frontières. Actuellement, il ne concerne que l'industrie. Lionel Fontagné propose, un peu comme les espaces créés par des accords de libre-échange, de créer des clubs climat. Cela pourrait être très utile.
Beaucoup d'entre vous ont comparé le budget européen à celui des intercommunalités. You have a point. Les enjeux sont similaires.
Je n'ai pas de problème avec la conditionnalité si elle est juste et efficace, et qu'elle fait consensus. Il est normal que celui qui finance attende des droits et des devoirs, comme nous l'avions défendu lors des débats sur la charte. Mais il y a une difficulté : la conditionnalité macroéconomique s'appuie sur un pacte inefficace. L'article 2 - par rapport aux populations - est un mauvais angle d'attaque. Nous devons vérifier que la Hongrie n'utilise pas des fonds structurels pour financer de la propagande anti-européenne, mais ceux-ci doivent pouvoir financer Erasmus pour des étudiants hongrois.
L'articulation des budgets de l'Union et de la zone euro mériteraient une nouvelle réunion. Le budget de la zone euro a deux raisons d'être. D'abord, de disposer d'un budget contracyclique en cas de choc symétrique ou asymétrique de la zone euro. Ensuite, il est impossible pour les pays de la zone euro de faire fonctionner un mécanisme de stabilisation automatique, car il manque un ajustement économique par la variation de taux. Aucun budget de la zone euro ne justifie qu'il existe des investissements thématiques. Investir pour le climat dans l'Europe des 19 et non des 27 serait une erreur. Le 27 mai prochain, la commission européenne donnera une ligne très modeste mais identifiant des besoins spécifiques d'ajustement pour la zone euro. Faisons très attention. Dans l'accord de grande coalition, ce point très soutenu par notre pays, depuis l'origine, n'est pas acquis. Si l'on veut privilégier des investissements sur l'énergie ou le climat dans la zone euro, nous ne convaincrons pas ainsi nos partenaires.
Je suis moins optimiste sur l'intégration carbone aux frontières que Mme Keller. Nous devons appliquer la même taxe chez nous. Alors que les Américains inventent de nouvelles barrières que nous voulons faire tomber à l'OMC, soyons prudent.
Monsieur Jerretie, l'esprit de nos propositions, c'est de considérer l'Union européenne comme une collectivité territoriale. La souveraineté fiscale appartient aux parlements nationaux. Mais l'Union européenne a besoin d'avoir une certaine marge de manoeuvre sur l'assiette fiscale dont elle bénéfice, qui lui est transférée, en tout ou partie, par le souverain fiscal.
Si l'on plaide la nécessité de transférer des dépenses et des ressources fiscales du national à l'Union européenne, il faut un mécanisme garantissant que cela ne coûte pas plus cher pour une efficacité plus grande - voire que cela coûte moins cher. J'ai proposé de mettre en réseau les cours des comptes nationales pour vérifier cela. Si nous l'avions fait plus tôt, nous aurions peut-être évité de créer de nouvelles agences européennes ou nationales...
Sur la conditionnalité, je rejoins Pervenche Berès. Il faut faire payer les citoyens pour les erreurs de leur Gouvernement afin de les responsabiliser. Dans quelques semaines, la Hongrie risque d'avoir, à la suite des élections, deux partis dominants d'extrême droite, voire un parti néonazi.
Nous ne pouvons pas continuer à avoir des gouvernements qui se comportent ainsi avec les félicitations de leurs concitoyens qui les réélisent, et qui, après avoir injurié l'Union européenne, bénéficient d'aides de l'Union qui représentent en moyenne 4 % de leur PIB chaque année. Ce n'est pas possible ! Avons-nous une politique européenne ? La France doit répondre en donnant l'exemple, mais elle donne parfois le mauvais exemple. Tous nos gouvernements veulent une politique européenne d'immigration, mais nous avons laissé tous seuls les Italiens pour gérer les problèmes de l'immigration dans le canal de Sicile, et le ministre de l'intérieur italien pour négocier avec les réseaux de passeurs en Libye.
Oui, nous devons maintenir la PAC, ses objectifs d'indépendance alimentaire, de qualité alimentaire, d'une agriculture prenant mieux en compte la protection de l'environnement, et définir le nouveau projet avant de parler de financement. Sinon, nous adopterions un mauvais financement pour un mauvais projet. Les dernières adaptations n'ont pas été bonnes, les agriculteurs souffrent, nous avons besoin d'une politique différente.
Pour la politique de cohésion, nous défendons que des pays comme la France aient accès aux fonds structurels mais nous devons changer nos manières de les utiliser. J'ai l'honneur d'avoir été un conseiller régional dans une région qui n'existe plus ; 1 000 projets locaux étaient financés par l'Union européenne chaque année. Le président de la région pouvait ainsi affirmer, au bout de six ans, qu'il avait contribué à financer toutes les communes par des fonds européens - qui servent donc à du clientélisme régional. Si les fonds étaient utilisés pour de véritables projets avec une dimension européenne, de par leur montant ou leur qualité de projet-pilote, alors nous serions crédibles et aurions une argumentation plus convaincante.
Cette réunion nous prouve qu'il serait judicieux de nous rencontrer plus fréquemment.
Je remercie les sénateurs : vous avez adopté un amendement sur le projet de loi ratifiant les ordonnances sur le travail qui permet de suspendre certaines clauses du contrat d'apprentissage, et notamment la rémunération pendant la mobilité des apprentis, ce qui favorisera de longues mobilités, et donc Erasmus Pro. Merci de l'avoir défendu en commission mixte paritaire et merci au Conseil constitutionnel de ne pas l'avoir censuré - nous étions à la limite du cavalier législatif, mais la cause était juste.
Les deux grandes rubriques de dépenses, la PAC et les fonds de cohésion, sont en fait le moyen pour les États membres de se réapproprier les fonds qu'ils ont versés au budget européen... Le contenu de la PAC doit être revu. Je suis incapable d'expliquer aux agriculteurs comment elle fonctionne entre règlements européens, règlements nationaux, et les régions en ajoutent une couche... Il faut proclamer un cessez le feu pour qu'elle soit compréhensible.
Comment récupérer l'argent des fonds de cohésion ? Près de 80 % du budget repart vers les États membres. Chaque année, l'Europe rend de l'argent aux États. Est-ce dû à la complexité ou à la saturation des dépenses publiques car les fonds européens ne couvrent pas 100 % des dépenses, et les investisseurs hésitent ? Nous avons un devoir de simplification.
Les contrôles sont liés au règlement financier de 500 pages, qu'on vient de simplifier. N'est-on pas à la limite de la publicité mensongère ? Ce règlement est fondé sur l'idée de méfiance. Comme certains États européens ont des pratiques à la limite de l'État de droit, le règlement financier a été écrit pour éviter des pratiques blâmables et l'orientation des fonds vers des caches secrètes. Au nom de l'égalité entre États membres, ce règlement est appliqué à tous. Revoyons ces dispositions.
Frontex est l'exemple type d'une Europe incapable d'acheter des aéronefs ou des bateaux pour contrôler ses frontières. Ils sont achetés par les États membres et loués à Frontex. Le personnel est mis à disposition des États qui ont une frontière extérieure, comme l'Italie et la Grèce. On peut ainsi voir trois uniformes différents sur un même lieu : l'Europe n'est pas visible. L'Union européenne ne marche pas car les États sont restés dans une logique très corporatiste. L'Europe « fait joli » dans le paysage, mais chacun veut garder son autorité. Sur certains points, nos chefs d'État donnent à voir leur impuissance politique, ce qui nourrit le populisme et l'euroscepticisme.
À l'approche du prochain cadre financier, alertons les citoyens. Il y a des bases légales pour le faire. Sinon ce sera business as usual, le cadre financier restera le même, comme si le monde n'avait pas changé, et nous ne répondrons pas aux questions qui fâchent. Comme le Parlement européen ne compte pas de groupe majoritaire, il faut se mettre d'accord, et nos rapports ne font jamais moins de 40 pages - on décide plus facilement d'un arbre de Noël que d'options claires pour l'avenir...
Il sera difficile de prétendre qu'avec 1,3 % du PIB, nous construisons une puissance mondiale, rivalisant avec les États-Unis, la Russie ou la Chine, ou avec les multinationales du numérique ou de la finance. Les citoyens sont plus aptes à la réforme que les gouvernements. L'Union européenne est gouvernée en réalité par le Coreper (Comité des représentants permanents), à savoir les diplomates représentants les États et qui, chaque semaine, préparent les accords. L'heure est venue de changer cela, sauf à faire le choix d'une Europe qui s'anesthésie et qui périt.
On fait comme s'il existait une politique extérieure de l'Union européenne avec le Service européen d'action extérieure, pour lequel on a acheté un immeuble à Pékin et à Tokyo. Nous avons désormais 29 ambassades ! Réorientons vers le budget européen des moyens mal employés au niveau national, pour démontrer qu'il existe une valeur ajoutée européenne, pour faire émerger une Union européenne qui protège.
La PAC n'est pas qu'une question de crédits. À quoi sert de verser des subsides à des éleveurs bovins si, au même moment, des accords de libre-échange sont signés, qui les mettront en faillite ? Revoyons la politique de concurrence pour permettre aux agriculteurs de se regrouper pour essayer de faire grimper un peu les prix. C'est une question de cohérence.
L'Europe mérite un véritable débat plutôt que des références aux bases légales. Assez ! Le politique doit s'impliquer pour que l'Europe se charge de ce que les États membres ne peuvent plus faire au niveau national. Aidez-nous à identifier ces missions qui pourraient être utilement reprises par l'Union européenne.
Nous multiplierons les échanges entre parlementaires nationaux et européens pour définir des biens communs. Il faut aussi donner la parole au citoyen. Le Président de la République lancera des consultations citoyennes le 17 avril. J'espère que nous pourrons aussi entendre la voix des électeurs des 27 États membres qui ont donné leur accord pour y participer. Soyons cohérents. Nous sommes encore dans l'optique « je donne, donc je dois avoir un retour ». Défendons un intérêt collectif au niveau européen.
Je précise aux membres de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale que M. Damien Abad m'a fait parvenir sa démission de sa fonction de rapporteur sur les enjeux européens de l'industrie de défense. J'ai reçu la candidature d'Éric Straumann pour le remplacer.
Je salue la présence de notre nouveau collègue, Olivier Henno, sénateur du Nord, issu du groupe de l'Union centriste, qui remplace M. Jean-Marie Mizzon.
Nous allons entendre la communication de Jacques Bigot sur le groupe de contrôle parlementaire conjoint d'Europol. Notre collègue y représente le Sénat, avec Sophie Joissains, au titre de notre commission et de celle des lois. C'est l'une des innovations du traité de Lisbonne qui a prévu d'associer les parlements nationaux au contrôle d'Europol et à l'évaluation d'Eurojust.
Nous pouvons nous féliciter que ce groupe conjoint prenne enfin forme et traduise concrètement l'exigence d'un contrôle démocratique d'Europol. Jacques Bigot a participé à la réunion qui s'est tenue à Sofia : un règlement intérieur a été adopté et des échanges ont eu lieu sur la coopération policière.
Les 18 et 19 mars derniers, à Sofia, s'est tenue la deuxième réunion du groupe de contrôle parlementaire conjoint (GCPC) d'Europol. Sophie Joissains n'avait pu s'y rendre puisqu'elle rapportait le projet de loi sur les données personnelles. Avec nos collègues députés, nous avons été très agréablement surpris que le règlement intérieur ait pu être rapidement adopté, car cela n'avait pas été possible lors de la précédente réunion à Bruxelles, en octobre dernier. Ce groupe composé de 16 représentants du Parlement européen et de représentants de tous les parlements nationaux se réunira deux fois par an pour échanger avec l'agence Europol.
Nous avons assisté à des auditions intéressantes du directeur et du commissaire européen chargé de la sécurité. Europol s'investit beaucoup dans les échanges d'information, notamment grâce à son système Siena, qui peut délivrer plus d'un million d'informations et compte plus d'un million de données.
L'agence a de gros investissements informatiques à financer : c'est un problème. Heureusement, le budget d'Europol a été doublé à 122 millions d'euros. En 2019, il faudra créer les centres de données. Mais 85 % des données proviennent de cinq États, dont la France. Il reste du travail à accomplir pour que les autres États membres communiquent des informations indispensables à la lutte contre la cybercriminalité, le terrorisme et le crime organisé.
J'ai interrogé le directeur de l'agence. Celle-ci doit rendre compte de son fonctionnement au groupe de contrôle ; mais les membres du groupe doivent aussi interpeller les services internes de leurs pays sur la communication des données à Europol. C'est la condition pour qu'il fonctionne !
La cybersécurité pose d'importantes questions. La cybercriminalité représente une menace croissante. L'action concertée au sein de l'Union européenne est indispensable. En 2017, il y a eu plus de 4 000 cyberattaques par jour dans l'Union européenne ; quatre entreprises européennes sur cinq y ont été confrontées, et plus de 40 % des consommateurs, jusque dans les hôpitaux. Les dommages ne sont pas seulement économiques, mais aussi politiques. Nous avons vu le rôle de la cybercriminalité dans la radicalisation. Europol s'est dotée d'un centre de lutte contre la cybercriminalité. Il est souhaitable que chacun des États membres en fasse autant d'ici fin 2019. La France s'est déjà dotée d'une Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi).
Incontestablement, cette lutte contre la cybercriminalité nécessite une action globale et une étroite coopération. Cela reste l'un des sujets majeurs avec la lutte contre le terrorisme et le crime organisé.
Nous nous sommes penchés sur les relations avec les pays des Balkans - nous étions en Bulgarie - et sur les projets d'Europol dans le cadre des accords avec des pays tiers, comme l'Égypte ou la Turquie. L'échange de données peut conduire certains pays à faire un usage de ces informations pour des raisons politiques et non pour lutter contre la délinquance et le crime organisé...
J'ai interpellé le Commissaire européen à la sécurité sur le Parquet européen. Le recensement d'informations par Europol est une chose, la capacité à développer des stratégies communes de lutte contre la criminalité en est une autre - elle exige la création d'un Parquet européen qui doit être accepté par les États membres car la question relève de leur souveraineté.
Les travaux ont été d'excellente qualité. Le directeur d'Europol est anglais, de même que le commissaire à la sécurité et le président de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) du Parlement européen. C'est lui qui animait les débats. Ils doivent être très malheureux du Brexit.
Je me félicite que la résolution que j'avais présentée avec Michel Delebarre, et qui avait été adoptée par notre commission, ait porté ses fruits et que ce groupe ait été mis en place. Je m'inquiète que 85 % des informations proviennent de cinq pays seulement. J'avais déjà soulevé ce problème il y a un an lors de la première réunion interparlementaire sur ce projet de réforme à Bruxelles.
Je m'inquiète qu'avec les moyens importants apportés à Europol, on ne puisse pas avoir accès à davantage d'informations. Il faudra solliciter les pays hors Union européenne, notamment d'Asie centrale - j'y travaille au sein de la commission parlementaire de l'OTAN. Certes, beaucoup de pays de l'Union européenne se sentent moins concernés que la France, mais nous devons développer notre action.
Rob Wainwright, le directeur d'Europol, sera remplacé en mai 2018 par une directrice belge ; ce changement était prévu depuis longtemps.
Les 85 % d'informations collectées le sont parmi les pays membres de l'agence et de l'Union européenne. Les coopérations avec les autres pays sont plus complexes : il faut s'assurer de la nature des données, de leur utilisation et du respect de certaines règles.
Nous devons aussi échanger avec les membres du groupe de contrôle pour interpeller les pays qui ne donnent pas. L'agence Europol, décidée en 2007, devait être mise en place en 2009. On l'a vu à propos du règlement de fonctionnement. Il faut donner du temps au temps ; c'est cela l'Europe !
Notre ordre du jour appelle l'examen des observations de Philippe Bonnecarrère sur la proposition de loi qui concerne le secret des affaires, plus précisément intitulée « protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulguées contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites », qui fait l'objet d'une procédure accélérée. La Conférence des présidents a en effet confié à la commission des affaires européennes, à titre expérimental, une mission sur l'intégration des textes européens en droit national. Nous devons exercer une vigilance particulière à l'égard d'éventuelles surtranspositions. La Conférence des présidents a considéré que cette mission devait pouvoir s'exercer également sur des propositions de loi adoptées par l'Assemblée nationale. C'est très positif.
À l'initiative de Sophie Joissains, nous avions adopté une résolution européenne sur la proposition de directive. Nous avions notamment souhaité une harmonisation minimale qui laisse aux États membres la faculté d'adopter des dispositions plus protectrices. Notre rapporteur nous dira ce qu'il faut penser de la transposition proposée au Sénat.
Nous entrons dans l'acte 2 du protocole expérimental en vertu duquel notre commission examine les dispositions, en amont de leur examen par les commissions législatives, de transposition de directives européennes. L'acte 1 avait été assuré récemment par Simon Sutour et Jean-François Rapin pour, respectivement, le règlement général sur la protection des données à caractère personnel et les services de paiement. Pour ce qui est des secrets d'affaires, notre commission a traité de ce sujet grâce à la proposition de résolution de Sophie Joissains. Les premiers travaux européens sur le secret d'affaires et sa protection ont été lancés il y a huit ans.
La directive du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulguées - dits « secrets d'affaires » - contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites, doit être transposée avant le 9 juin. C'est pourquoi l'Assemblée nationale, à la faveur d'une niche du groupe La République en Marche, a adopté le 28 mars une proposition de loi présentée par le député Raphaël Gauvain et les membres de son groupe.
La protection des savoir-faire, des procédés, des recettes de fabrication et des stratégies commerciales est essentielle au développement de l'innovation et au maintien des avantages concurrentiels des entreprises. Fondée sur l'article 114 du traité, qui prévoit le rapprochement des législations nationales pour établir ou assurer le fonctionnement du marché intérieur, la directive entend assurer la sécurité juridique nécessaire. Elle s'inscrit dans le cadre de l'initiative de la Commission européenne « une Union de l'innovation » et constitue l'un des piliers de la stratégie « Europe 2020 ».
Son processus d'adoption a été marqué par une grande convergence de vues entre les États membres et des réactions très vives de journalistes et d'associations non-gouvernementales : ceux-ci craignaient que le texte ne puisse servir à dissimuler des turpitudes et ne porte atteinte à la liberté d'informer. Une longue phase d'études et de consultations, notamment numériques, a été engagée en 2010 par la Commission européenne. Elle a fait apparaître que 20 % des entreprises avaient subi au moins une tentative d'appropriation illicite de leurs secrets d'affaires au cours des dernières années et de fortes disparités ont été constatées dans les niveaux de protection d'un État membre à l'autre.
Présentée le 28 novembre 2013 par le Commissaire européen au marché intérieur et aux services, Michel Barnier, la directive a été bien accueillie par le Conseil qui a mis l'accent sur la « valeur commerciale des informations » et le caractère civil de sa protection. De manière générale, le Conseil a souhaité que les mesures protectrices des secrets d'affaires fassent l'objet d'une harmonisation minimale. Comme ce sujet relève de la codécision, le Parlement européen s'en est également saisi. Après le renouvellement en 2014, sa commission des affaires juridiques a longuement discuté du texte, sur lequel plus de 300 amendements ont été déposés.
Notre commission des affaires européennes a examiné la proposition de directive en juin 2014, sur le rapport de Sophie Joissains, qui s'excuse de ne pas avoir pu poursuivre le travail sur ce sujet. La proposition de résolution européenne devenue résolution du Sénat marquait un accord de principe sur les orientations retenues à ce stade, en particulier l'objectif d'harmonisation de la définition des secrets d'affaires dans l'Union européenne. Elle mettait toutefois l'accent sur le caractère minimal de l'harmonisation, avant d'insister sur la nécessité d'un renvoi au droit commun des régimes de responsabilité civile nationaux. Elle approuvait la reprise de la définition des secrets d'affaires figurant dans l'accord ADPIC, accord de l'OMC sur la propriété intellectuelle - à l'époque, le multilatéralisme existait... - et la définition du champ des clauses d'exclusion et d'exonération. Elle attirait l'attention sur le respect du principe de publicité des débats au cours des procédures judiciaires, le respect du contradictoire et des droits de la défense. Enfin, elle considérait que les États membres doivent conserver la faculté d'instituer un délit pénal spécifique en cas d'atteinte au secret des affaires. La présente transposition n'en prévoit pas.
Notre commission a ensuite fait un point en mai 2015 avec la Chancellerie, qui a permis de constater que toutes les orientations mises en avant par le Sénat étaient prises en compte dans le texte de compromis. En juillet 2015, elle a entendu Mme Constance Le Grip, alors rapporteure au Parlement européen, qui a évoqué l'équilibre trouvé entre la nécessaire protection des secrets d'affaires et la préservation de la liberté d'expression et d'information.
Présentée à l'issue de consultations approfondies, la proposition de loi transpose - c'est son objet unique - la directive dans un titre nouveau du code de commerce, intitulé « De la protection du secret des affaires ». On a quitté, vous le notez, l'approche initiale, de la propriété intellectuelle. Le texte s'articule avec le droit commun de la responsabilité civile et met en oeuvre quelques-unes des facultés ouvertes par la directive. En particulier, le juge peut, dans une procédure judiciaire, prendre d'office des mesures de protection des secrets d'affaires.
Des précisions utiles, reprises des considérants de la directive, sont apportées. Il est indiqué que la valeur commerciale - concept pivot du secret des affaires - est « effective ou potentielle ». La protection de l'environnement est ajoutée à la liste, non limitative, des intérêts légitimes reconnus par le droit de l'Union ou le droit national pouvant justifier une atteinte au secret des affaires : la charte de l'environnement fait en effet partie du bloc de constitutionnalité depuis 2004.
L'approche est quelque peu restrictive. Dans la rédaction de l'Assemblée nationale, une mesure de protection raisonnable consiste, notamment, en la mention explicite du caractère confidentiel de l'information. Un coup de tampon suffirait ! Mais son absence pourrait dès lors exclure la qualification de secret d'affaires, ce qui paraît contraire à l'esprit de la directive. Le texte des députés exige une violation des mesures de protection mises en place par le détenteur légitime, quand la directive met l'accent sur l'absence de consentement de celui-ci. Enfin, la protection du secret des affaires n'est assurée qu'en cas d'atteinte « significative », exigence que n'impose pas la directive. La commission des lois et son rapporteur, Christophe-André Frassa, ne manqueront pas d'y remédier !
Enfin, mon projet d'observations souligne la nécessité de protéger les entreprises européennes contre les atteintes internationales au secret des affaires, je songe en particulier aux demandes de communication de preuves par l'Office of foreign assets control américain. Une loi française de 1968 dite de blocage, un règlement de l'Union européenne de 1996, tendaient déjà à encadrer la communication de documents et de renseignements économiques, commerciaux et techniques à des entreprises étrangères. Je souhaite approfondir ce point, si vous me mandatez à cet effet. Mais cela excède l'objet de ce texte.
C'est pourquoi je vous propose d'y travailler dans un autre cadre.
Pour conclure, un mot sur les réactions soulevées par la directive et la proposition de loi. Protéger le secret des affaires, est-ce faciliter la dissimulation de turpitudes ? Empêcher de nouveaux Panama papers ? Le secret des affaires peut-il priver les lanceurs d'alerte et la presse du droit d'informer sur des sujets d'intérêt général ? La directive, notamment à l'initiative du Parlement européen, précise que le droit à l'information n'est pas remis en cause : aucune procédure pour atteinte au secret des affaires n'est recevable lorsque le secret des affaires a été obtenu, utilisé ou révélé au titre du droit à la liberté d'expression et d'information, ou pour révéler une faute, un acte répréhensible, une activité illégale ; et ce dans le but de protéger l'intérêt général.
L'Assemblée nationale a pris deux précautions supplémentaires bienvenues. Elle a ajouté une référence explicite à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, mentionnée par la directive et qui garantit la liberté d'information. Et elle crée une amende civile, non prévue par la directive, en cas de procédure abusive ou dilatoire d'invocation du secret des affaires.
La Commission travaille à une proposition de directive sur les lanceurs d'alerte. Nous suivrons bien sûr ce processus avec attention.
C'est un sujet important. On ne saurait cacher sous le secret des affaires des activités illégales, y compris dans le domaine de l'environnement.
Merci pour cette analyse pertinente. La directive a évolué car dans un premier temps, elle ne visait pas le cas spécifique des journalistes, ni celui des lanceurs d'alerte. Cela avait suscité de l'émoi dans certains États membres, et jusqu'à la Commission, qui préparait une proposition de directive sur les lanceurs d'alerte. Des bornes ont été posées, un amendement voté à l'Assemblée nationale contre les recours abusifs et l'acharnement judiciaire auquel s'adonnent certaines entreprises. L'amende de 50 000 euros peut être proportionnelle, dans la limite de 20 % des sommes réclamées : 400 000 euros, par exemple, pour une requête abusive réclamant 2 millions d'euros de dommages et intérêts. Les entreprises y réfléchiront à deux fois avant d'utiliser des procédures juridiques, très techniques, par exemple contre la presse. Au bout du compte, la justice rend raison au professionnel visé, mais entretemps, il a été condamné plusieurs fois, car il n'a pas de gros moyens pour se défendre ! Je ne citerai pas de nom, mais un grand industriel français de l'informatique était coutumier de ces procédures. Bref, le présent texte est de bonne qualité, efficace. Les réserves que j'émettais en 2014 et 2015 n'ont plus lieu d'être. Je souligne également qu'il n'y a pas non plus de risque d'entrave au droit d'information des syndicats.
Ai-je manqué une étape ? Qu'en est-il des fonctionnaires lanceurs d'alerte ? Ce point n'a pas été tranché à ce jour, car le statut - et singulièrement le devoir de réserve - entre en contradiction avec la démarche du lanceur d'alerte.
L'enjeu n'est pas négligeable pour les entreprises : protection du fonds de commerce, des recettes, des actifs incorporels... Le grand nombre des cyber-attaques rappelé par M. Bigot nous montre l'importance de la sécurité économique.
Vous recevrez peut-être des mails - j'en ai reçu un seul, pour ma part - contre ce texte, qui serait liberticide. Les apiculteurs, ainsi, croient qu'ils ne pourront plus dénoncer les néonicotinoïdes. Pas du tout, puisque la liberté d'information est préservée, comme la liberté de communication, la liberté de la presse, la protection de l'environnement ; et la charte européenne est expressément mentionnée. Les dispositions relatives au secret des affaires sont claires, le texte est propre. Le secret des affaires ne fait pas obstacle à l'exercice des pouvoirs d'enquête, de contrôle, d'autorisation ou de sanction des autorités administratives et judiciaires. Une commission d'enquête ne pourra se voir opposer le secret des affaires. L'exercice du droit d'alerte est bien pris en compte, tout comme les démarches qui visent à faire cesser les menaces contre les libertés publiques, la sécurité publique, l'environnement, etc. Enfin, le secret n'est pas protégé lorsque les informations ont été obtenues par le comité central d'entreprise.
À M. Allizard, je précise que la directive ne définit pas qui est un lanceur d'alerte. Mais la Commission y travaille. Au plan national, je vous renvoie à l'article 40 du code de procédure pénale qui fait obligation aux fonctionnaires de dénoncer au parquet les crimes ou délits dont ils ont connaissance dans l'exercice de leurs fonctions.
Nous avons seulement quelques suggestions à faire à la commission des lois, sans faire obstacle à l'adoption du texte.
Nous les approuvons. Nous ne laisserons pas un pays, les États-Unis, tenter d'étouffer le multilatéralisme. La directive est complémentaire de l'accord ADPIC.
À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a, à l'unanimité, autorisé la publication du rapport d'information et adopté les observations dans la rédaction suivante :
(1) La directive (UE) n° 2016/943 du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulguées contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites vise à favoriser le développement de l'innovation et le maintien des avantages concurrentiels des entreprises européennes au sein du marché intérieur.
(2) Plus particulièrement, elle définit :
(3) - la nature des informations protégées au titre des secrets d'affaires ;
(4) - les conditions dans lesquelles des secrets d'affaires peuvent être légitimement obtenus ;
(5) - les comportements illicites d'obtention, d'utilisation ou de divulgation de secrets d'affaires ;
(6) - les cas dans lesquels la protection des secrets d'affaires n'est pas opposable ;
(7) - enfin, les mesures susceptibles d'être prises par le juge civil pour empêcher, faire cesser ou réparer une atteinte à des secrets d'affaires ;
(8) Vu les articles 288 et 114 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,
(9) Vu l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne,
(10) Vu l'accord de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) sur les aspects de droit de propriété intellectuelle touchant au commerce dit ADPIC, annexé au traité de Marrakech du 14 avril 1994,
(11) Vu le règlement (CE) n° 2271/96 du Conseil du 22 novembre 1996 portant protection contre les effets de l'application extraterritoriale d'une législation adoptée par un pays tiers ainsi que des actions fondées sur elle ou en découlant,
(12) Vu la directive (UE) n° 2016/943 du Parlement et du Conseil du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulguées (secrets d'affaires) contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites,
(13) Vu la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l'environnement,
(14) Vu la résolution européenne du Sénat n° 154 (2013-2014) sur la proposition de directive relative à la protection des secrets d'affaires,
(15) Vu la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, portant transposition de la directive du Parlement et du Conseil du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulguées contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation,
(16) La commission des affaires européennes fait les observations suivantes :
(17) Sur la nature du secret d'affaires et de la procédure qui en assure la protection :
(18) Elle constate que la proposition de loi s'inscrit effectivement dans la logique de la directive qu'elle transpose en n'insérant pas les dispositions relatives au secret d'affaires dans le code de la propriété intellectuelle, marquant ainsi que le secret d'affaires, auquel ne sont pas attachés des droits exclusifs, relève d'un dispositif de protection spécifique ;
(19) Elle observe que, conformément au souhait du Sénat, la directive n'exige pas qu'un régime spécifique de responsabilité civile soit mis en place, au fond comme en matière procédurale ;
(20) Elle relève que, sauf dispositions spécifiques prévues par la directive, la proposition de loi renvoie en conséquence implicitement au droit commun de la procédure civile, par exemple en matière de prescription ;
(21) Sur l'étendue et l'opposabilité du secret d'affaires :
(22) Elle constate avec satisfaction que, conformément à la résolution du Sénat, la directive reprend la définition des secrets d'affaires figurant dans l'accord ADPIC ;
(23) Elle observe toutefois que le texte adopté par l'Assemblée nationale a réduit les modes d'acquisition licites de secrets d'affaires en ne reprenant pas toute pratique « conforme aux usages honnêtes en matière commerciale » qu'elle aurait pu transcrire, comme elle l'a fait à l'article suivant comme toute pratique « conforme aux usages en matière commerciale » ;
(24) Elle constate en revanche que la proposition de loi précise la portée du critère de la valeur commerciale de l'information, qui est l'un des trois éléments constitutifs de la définition du secret d'affaires, en reprenant l'indication figurant au considérant 14 de la directive selon laquelle la valeur commerciale peut être effective ou potentielle ;
(25) Elle relève toutefois que le texte adopté indique qu'une mesure de protection raisonnable consiste notamment en la mention explicite que l'information est confidentielle, ce qui pourrait laisser à penser, alors que la directive n'exige pas une telle mesure de protection de ce secret, que l'absence d'une telle mention pourrait être considérée comme excluant la qualification de secret d'affaires ;
(26) Elle observe en outre que l'exigence d'une violation des mesures de protection mises en place par le détenteur légitime d'un secret d'affaires, prévue par la proposition de loi, n'est pas un élément nécessaire pour que l'atteinte au secret d'affaires soit constituée au titre de la directive et réduit dès lors la portée de la protection que prévoit la directive ;
(27) Elle constate également que la constitution de l'atteinte au secret d'affaires en cas de production, d'offre ou de mise sur le marché, d'importation, d'exportation ou de stockage de produits résultant de l'exploitation d'un secret d'affaires est subordonnée par la proposition de loi à une condition de significativité, ce qui a pour effet de réduire la portée de la protection prévue par la directive ;
(28) Sur la portée des exceptions destinées à garantir la liberté d'expression et le droit à l'information :
(29) Elle constate que le texte adopté fait opportunément référence à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, que mentionne la directive et qui garantit la liberté d'information ;
(30) Elle relève en outre que, conformément à la charte de l'environnement qui fait partie du bloc de constitutionnalité depuis 2004, la portée de la dérogation au secret d'affaires au nom de la protection de l'ordre public a été complétée pour ajouter la protection de l'environnement au nombre des intérêts légitimes reconnus par le droit de l'Union ou le droit national qui peuvent justifier une atteinte au secret d'affaires et dont la directive donne une liste non limitative ;
(31) Elle observe par ailleurs qu'alors que l'article 5 de la directive prévoit que les entreprises ne pourront pas obtenir en justice des mesures conservatoires, en particulier d'interdiction de publication ou de réparation en cas de révélation au public, par un lanceur d'alerte ou un journaliste exerçant son droit à la liberté d'expression, d'informations couvertes par le secret d'affaires, le texte de transposition prévoit qu'en pareil cas le secret d'affaires n'est pas protégé ;
(32) Sur la réparation du dommage causé par une atteinte au secret d'affaires :
(33) Elle relève que la proposition de loi précise utilement que la perte de chance est l'un des critères d'évaluation non limitatifs du préjudice subi du fait d'une atteinte au secret d'affaires, en cohérence avec la précision apportée au critère de la valeur commerciale, effective ou potentielle, de l'information ainsi protégée ;
(34) Elle constate que, comme l'y autorise la directive, la proposition de loi permet au juge d'ordonner d'office la publicité de la décision sur l'obtention, l'utilisation ou la divulgation illicites d'un secret d'affaires ;
(35) Elle observe que la proposition de loi prévoit un régime autonome d'amende civile, sans préjudice de la réparation du dommage causé à la victime, non prévu par la directive mais que celle-ci n'exclut pas, en cas d'utilisation abusive des mesures de protection du secret d'affaires ;
(36) Sur le respect du contradictoire au cours de la procédure :
Elle constate que l'équilibre trouvé par la directive entre la nécessité de protéger le secret d'affaires et le respect des droits de la défense et du contradictoire répond à la préoccupation formulée par le Sénat dans sa résolution ;
(37) Sur les travaux complémentaires à envisager au niveau européen :
(38) Elle précise qu'elle suivra avec attention les discussions sur la proposition de directive annoncée par la Commission européenne sur les lanceurs d'alerte et en proposera une analyse dans un délai qui permettrait au Sénat d'adopter une proposition de résolution européenne puis qu'elle assurera le suivi des discussions au niveau européen ;
Je vous propose tout naturellement de charger Philippe Bonnecarrère d'approfondir la question de la stratégie de l'Union européenne face à l'extraterritorialité des lois américaines.
Par ailleurs, en écho à la récente audition de la ministre en charge des affaires européennes, je vous propose de désigner Jean-Pierre Leleux pour examiner une proposition de règlement tendant à aligner les procédures de réglementation sur les nouvelles dispositions issues du traité de Lisbonne, qui prévoient des actes délégués et des actes d'exécution. Notre collègue, je le rappelle, est de Grasse, et ce règlement concernera toute une série de domaines, dont la réglementation des cosmétiques.
Il en est ainsi décidé.
La réunion est close à 11 h 50.