En effet, mais comme le faisait observer la féministe française Marcelle Capy à l'issue d'un reportage dans une usine de guerre - elle me fait penser à Florence Aubenas, auteure du Quai de Ouistreham, une enquête sur la vie des femmes de ménage - « il faut avoir faim pour faire ce métier-là ». Certes, ces ouvrières sont mieux payées que dans l'habillement ou la couture - métiers de femmes - mais on leur fait payer les aménagements liés à la féminisation des ateliers ! Certes, elles peuvent s'acheter des oranges ou des bas de soie, qui sont à l'époque des biens difficilement accessibles à la plupart des gens, mais au prix de véritables dangers. Des témoignages de médecins de l'époque dénoncent les conditions de travail de ces ouvrières. Certaines subissent les conséquences de la manipulation de produits chimiques. D'autres meurent de maladie ou d'épuisement...
Dernier point avant de conclure sur la mobilisation : y eut-il pendant la Grande Guerre des femmes dans les armées ?
Les seules combattantes semblent être des Serbes et des Russes, notamment le bataillon féminin de la mort commandé par Maria Botchkareva (1889-1920), dont les mémoires parus aux États-Unis en 1919 viennent d'être réédités en français. Après avoir quitté la Russie lors de la révolution d'octobre, elle a rejoint les forces contre-révolutionnaires et a été exécutée par les Bolchéviques.
Par ailleurs, parce que les sociétés occidentales de l'époque considèrent que ce n'est pas la place des femmes, seul le Royaume-Uni crée tardivement et avec réticence des corps auxiliaires féminins des armées, qui encadrent en 1918 40 000 femmes, dont 8 500 à l'étranger. Ces femmes, qui s'occupent des cuisines, de la mécanique et du transport logistique, sont très critiquées et suscitent plus encore que les ouvrières de guerre une peur de la masculinisation des femmes.
Ni l'Allemagne, ni la France ne créent de tels corps auxiliaires féminins. La France, où les années de guerre voient l'affirmation d'un pronatalisme appelé à durer de nombreuses décennies, préfère affirmer que le combat des femmes est l'enfantement. On peut même parler d'« impôt du sang », compte tenu des décès en couches. On le voit sur ces cartes postales, très populaires, qui montrent une femme enceinte casquée (« Allons, Mesdames, travaillez pour la France ! »). L'objectif est de mettre au monde de la « graine de poilu », qui est représentée sur cette carte postale en train d'uriner dans le casque à pointe allemand, symbole de l'ennemi.
Combien de femmes ont été mobilisées au travail pendant la guerre ? Le bilan est contrasté selon les nations. En France où, avant 1914, les femmes constituent plus d'un tiers de la main-d'oeuvre, leur nombre augmente de 20 % dans le commerce et l'industrie. Au Royaume-Uni où les femmes, y compris des milieux populaires, arrêtaient de travailler après le mariage, leur nombre augmente de plus 50 %.
Pour l'Allemagne, il est difficile de donner un taux de croissance : il y a par exemple 30 000 ouvrières chez Krupp, la grande entreprise de canons, mais beaucoup de femmes ne répondent pas aux appels du gouvernement à venir travailler car leur énergie est occupée à trouver de la nourriture pour leur famille.
Cette remarque fait transition vers le deuxième thème : les épreuves de guerre, que je traiterai après une première séquence de questions/réponses, si vous le voulez bien.