Je vous remercie pour vos questions qui témoignent de l'intérêt que vous portez à ce sujet. Si vous le voulez bien, je traiterai dans la dernière partie de mon propos l'émancipation et le féminisme.
S'il existe des représentations de femmes sous forme d'allégorie, telle la victoire, sur certains monuments aux morts - on trouve aussi des statues de femmes portant le soldat-, il n'y figure que des noms masculins, ceux des soldats tombés au combat. Les femmes ne sont pas considérées comme des soldats. En revanche, on peut trouver le nom d'infirmières mortes pendant la Première guerre mondiale sur les monuments érigés dans certains hôpitaux, par exemple à Carpentras.
Il me semble que la Mission du Centenaire s'empare peu à peu de la question du rôle décisif des femmes dans la Première guerre mondiale, alors qu'elle était peu mise en valeur au début du centenaire. Je la trouve aujourd'hui bien mieux prise en compte, notamment par des associations ou des médiathèques. La Mission du Centenaire m'avait d'ailleurs demandé une contribution écrite sur le sujet.
J'ai eu l'occasion de me rendre à Verdun il y a à peine quinze jours, dans le cadre d'une journée d'étude dédiée à Colette dans la guerre, et j'ai pu admirer le monument aux agricultrices que citait Monsieur Ménonville, dont j'ai cherché la date (2016). J'ai cependant été un peu surprise par l'appellation de « femmes des territoires », qui renvoie à un vocabulaire contemporain. Il serait plus juste de parler des paysannes. Il n'en demeure pas moins que ce monument, financé notamment par des associations du Mérite agricole, est une excellente initiative. Peut-être y en aura-t-il d'autres. Je voudrais signaler également la récente mise en valeur du monument à Louise de Bettignies, à Lille.
S'agissant des bordels militaires de campagne, je ne suis pas certaine qu'ils aient été créés à l'initiative de Pétain, c'est un point que je vérifierai. Il me semble que c'est plus tardif. C'est l'historien Jean-Yves Naour, auteur de Misères et tourments de la chair - Les moeurs sexuelles des Français, 1914-1918 le grand spécialiste de ces questions.
En tout état de cause, la sexualité des hommes et des femmes pendant la guerre devient vite une préoccupation politique : comment éviter l'infidélité des femmes, qui pourrait affecter le moral des soldats ? On entend ainsi des discours patriotiques autour de la fidélité. C'est un point qui est évoqué dans Les Gardiennes, le roman d'Ernest Pérochon paru en 1924, récemment adapté au cinéma par Xavier Beauvois.
Ainsi, la question de la fidélité est très surveillée : les femmes infidèles sont mises au pilori, il y a des articles de journaux, des lettres de dénonciation dans les commissariats...
L'absence de permission - ou leur faible fréquence - a contribué à l'instauration des BMC. Là encore, on finira par instaurer cette sexualité contrôlée et tarifée, avec pour préoccupation le moral des soldats. Il existe beaucoup de sources sur la prostitution clandestine à Paris pendant la guerre. La France est alors un pays réglementariste, qui a peur des prostituées et qui veut les surveiller médicalement, par crainte des risques liés aux maladies vénériennes, qu'on ne sait pas soigner, en l'absence des antibiotiques. Par ailleurs, en cas de maladie, il faut soigner le soldat, avec des conséquences sur le nombre de combattants disponibles, et à terme, on craint que sa descendance ne soit affectée par les maladies vénériennes... Il faut se souvenir que ces maladies, de même que la tuberculose, étaient très redoutées jusqu'à la Seconde guerre mondiale.
Votre remarque sur le racisme sous-jacent à l'instauration des bordels militaires de campagne est juste. N'oublions pas que l'anthropologie d'alors se réfère à une hiérarchie des races. On applique la même logique à la sexualité des soldats.