Intervention de Françoise Thébaud

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 5 avril 2018 : 1ère réunion
Audition de Mme Françoise Thébaud historienne professeure émérite à l'université d'avignon

Françoise Thébaud, historienne, professeure émérite à l'université d'Avignon :

Cette question est encore très peu étudiée à ce jour, et cela ne concernerait que les zones occupées. On sait néanmoins qu'il y a eu quelques femmes tondues dans les départements occupés à l'issue de la Première guerre mondiale.

De façon plus générale, la problématique de la fidélité des femmes dans les zones occupées transparaît dans certains romans de guerre. Je pense au Feu de Barbusse. Il me semble qu'il y a des scènes où le soldat craint cette infidélité. En effet, les officiers allemands logeaient chez les familles...

J'en viens à mon troisième thème : Engagements, entre patriotisme, pacifisme et contestations sociales.

Des femmes, les sociétés en guerre attendent des formes particulières de patriotisme et le disent en discours et en images. Les femmes doivent donner leurs fils à la patrie (sur cette carte postale allemande, on lit : « Patrie, tu demandes beaucoup »), insuffler du courage aux hommes et les encourager à partir au combat, notamment au Royaume-Uni où les soldats sont des engagés volontaires jusqu'en 1916 (sur le poster anglais, il est écrit : « Les femmes de Grande Bretagne disent : vas-y ! »).

Les femmes doivent aussi rester fidèles à leurs maris - les États tentent d'ailleurs de contrôler les sexualités - et donner leurs économies pour la guerre, en souscrivant aux emprunts nationaux : les deux affiches présentées sont de style différent, la française marquée, là-encore, de pronatalisme avec une représentation de mère allaitante en bas à droite et un commentaire explicite : « Pour la France qui combat, pour celle qui chaque jour grandit ».

Pour les femmes, le patriotisme au quotidien est de tenir, de faire son travail, de soulager les misères de la guerre. Certaines, critiquées par les plus lucides, font de mauvais vers patriotiques qui exaltent la souffrance ou, en France, traquent les germanismes de la langue, militant pour que le berger allemand (une race de chien) devienne russe, pour que l'eau de Cologne soit rebaptisée eau de Louvain (ville belge).

Le cas des féministes mérite d'amples explications. Chez tous les belligérants, elles sont particulièrement patriotes et actives, du moins dans leur très grande majorité. Avant 1914, existait en Europe et aux États-Unis un mouvement féministe organisé à l'échelle nationale et internationale. Le Conseil international des femmes, l'Alliance internationale pour le suffrage des femmes et l'Union française pour le suffrage des femmes font partie de ce mouvement associatif.

La principale revendication du mouvement féministe était alors le droit de vote pour les femmes, avec des figures célèbres comme la suffragette anglaise Emmeline Pankhurst. Un groupe des droits des femmes s'était ainsi constitué à la Chambre des députés. Avant la guerre, beaucoup avaient l'espoir de voter bientôt, aux élections municipales de 1916.

Dans les congrès internationaux, les militantes avaient proclamé leur attachement à la paix. Mais à la déclaration des guerres, les féministes européennes suspendent leurs revendications - « nous n'avons plus de droits, que des devoirs ». Elles suspendent également leur internationalisme d'avant-guerre. Comme l'écrit la Française Jane Misme : « Tant qu'il y aura la guerre, les femmes de l'ennemi seront aussi l'ennemi », sous-entendu : elles ne sont plus nos soeurs de combat. Partout, elles se veulent des « semeuses de courage » et la force morale de leur pays. Partout, habituées des correspondances internationales, elles jouent un rôle de « fourmi diplomatique », pour faire basculer les pays neutres dans le camp de leur pays. Les Françaises écrivent ainsi aux Américaines et aux Italiennes et essaient de les convaincre de militer pour que leur gouvernement s'engage. Elles veulent aussi éviter une paix prématurée qui serait à l'avantage de l'Allemagne. De fait, l'Italie s'engage en 1915 aux côtés de la France. L'action des femmes a peut-être joué un certain rôle.

Faut-il parler de reniement du féminisme ? L'exemple français apporte une réponse négative. D'une part, les féministes valorisent le rôle des femmes pendant la guerre, soulignant qu'elles font ainsi la preuve de leurs compétences et qu'elles méritent des droits : la couverture du magazine féministe La Vie féminine le dit clairement en comparant le travail de la petite modiste d'avant-guerre et celui de la forte ouvrière de guerre. D'autre part, elles défendent tout au long de la guerre les travailleuses les plus exploitées et demandent une amélioration de leurs conditions de travail. À cet égard, des cours de gymnastique sont mis en place chez Citroën, et la direction s'étonne que ces séances n'aient pas plus de succès. C'est qu'après une journée de travail, les ouvrières n'ont pas de temps pour le sport...

Enfin, les féministes reprennent leurs revendications, celle du suffrage notamment, à partir de 1917.

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