Intervention de Françoise Thébaud

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 5 avril 2018 : 1ère réunion
Audition de Mme Françoise Thébaud historienne professeure émérite à l'université d'avignon

Françoise Thébaud, historienne, professeure émérite à l'université d'Avignon :

Effectivement, les divorces ont augmenté après la guerre, notamment en 1920-1921, souvent à l'initiative des hommes d'ailleurs, alors que c'était plutôt l'inverse avant. Les hommes sont souvent déboussolés par l'expérience de la guerre et par les changements qui se sont produits en leur absence dans leur foyer. Ils ne retrouvent pas la femme qu'ils ont quittée en 1914.

La question des enfants issus des viols concerne d'abord les territoires occupés et se pose au printemps 1915, quand sont nés les enfants issus des viols commis pendant l'invasion allemande à l'été 1914. Que faire de ces enfants ? Cette interrogation a suscité bien des débats chez les médecins, les curés et les féministes. Il n'y a pas de réponse homogène, mais on retrouve deux réponses extrêmes, qui peuvent transcender les clivages traditionnels. Pour certains, ce sont des « vipéreaux » qu'il faut éliminer, d'affreux petits Allemands en puissance. Pour d'autres, on pourra en faire de bons petits Français grâce à l'éducation. On en revient au débat de l'époque entre nature et culture, inné et acquis. Qu'est-ce qui est transmis ? Est-ce le sang allemand qui va couler dans leurs veines ou bien l'éducation qui en fera des personnes assimilables par la France ?

Ce sont des échanges souvent très violents. Les hommes politiques doivent pourtant statuer. Que fait finalement la France ? Elle adopte une position « moyenne ». À l'époque, l'avortement est un crime ; il ne sera correctionnalisé qu'en 1923, pour mieux le réprimer d'ailleurs. Certaines femmes qui ont tué leurs nouveau-nés sont acquittées, alors que l'infanticide est très poursuivi en temps normal. La presse patriotique présente ces femmes comme des héroïnes qui ont tué des Allemands ! On facilite l'abandon à l'Assistance publique si les femmes le souhaitent et l'accouchement sous X, anonyme, pour répondre à ces situations douloureuses.

On ne connaît ni le nombre de viols, ni le nombre de celles qui ont avorté, tué leurs bébés ou les ont abandonnés. Les historiens manquent de statistiques sur ce point, pour ce qui concerne la Première guerre, mais il est certain qu'il y eut de nombreux drames. Pendant la Seconde guerre mondiale, on évalue le nombre d'enfants issus de couples franco-allemands à 100 000, avec des vies d'enfants également difficiles dans les familles marquées par la mémoire des deux guerres.

Pourquoi les Françaises n'ont pas obtenu le droit de vote en 1919 ? Durant l'entre deux guerre, la Chambre des députés adoptera à cinq reprises un texte de loi en ce sens, mais pas le Sénat, qui bloque le vote des femmes. Il est intéressant à cet égard de se reporter aux débats parlementaires de l'époque.

Les partisans du droit de vote pour les femmes mettent en avant le rôle des femmes dans la guerre, l'égalité de tous les individus, les exemples des pays étrangers.

Les opposants invoquent pour leur part la « nature féminine » vouée à la maternité, et un éditorial de la Dépêche du midi, grand journal radical, écrit en 1927 que « le sexe du cerveau des femmes n'est pas fait pour l'arène politique». C'est l'argument naturaliste sur les capacités intellectuelles et physiques des femmes, qui seraient inférieures à celles des hommes.

L'argument le plus fort au sein du Sénat émane du parti radical laïciste, qui met en garde contre le danger que représenterait le vote des femmes pour la République, au motif que les femmes seraient influencées par les curés.

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