Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du 11 avril 2018 à 14h30
Réforme du droit des contrats du régime général et de la preuve des obligations — Adoption définitive des conclusions d'une commission mixte paritaire

Nicole Belloubet :

… ainsi qu’à Sacha Houlié, votre homologue à l’Assemblée nationale.

Le texte qui vous est soumis est un texte exceptionnel à plusieurs égards. Il est d’une ampleur rare – près de 350 articles – et d’une technicité toute particulière, qui a conduit le rapporteur de votre commission des lois à mener un travail d’analyse tout à fait considérable. C’est surtout un texte fondamental pour les relations économiques, des plus usuelles aux plus exceptionnelles.

Cet exercice de ratification présentait également un enjeu capital en termes de sécurité juridique. Il appartenait naturellement au Parlement de se saisir de l’ordonnance et d’en modifier les termes, s’il le jugeait nécessaire. Mais il fallait parallèlement prendre en considération le fait que ce nouveau droit des contrats était entré en vigueur depuis plus d’un an et que les praticiens se l’étaient d’ores et déjà approprié, au prix d’importants efforts d’adaptation compte tenu de l’ampleur que je relevais précédemment.

Cet enjeu, monsieur le rapporteur, vous l’avez immédiatement saisi et ne l’avez jamais perdu de vue. Vous avez veillé à concentrer les débats sur les modifications qui vous sont apparues strictement nécessaires. Finalement, sur les 350 articles environ de l’ordonnance, seulement une vingtaine se trouve modifiée à l’issue de ces débats particulièrement riches.

Les modifications apportées n’avaient, pour la grande majorité d’entre elles, qu’un seul objectif : préciser la loi pour renforcer la sécurité juridique. L’exigence de sécurité juridique a réellement guidé les travaux de votre commission des lois, qui a par ailleurs proposé de nombreuses lignes d’interprétation, confirmées au cours des débats par le Gouvernement, puis par l’Assemblée nationale. Ces travaux préparatoires constitueront – c’est certain – un outil précieux pour l’ensemble des praticiens.

Au-delà de la correction de quelques malfaçons, les deux lectures ont permis aux deux assemblées de converger sur de nombreux points. Pour en donner quelques exemples, je pourrais citer la définition du contrat d’adhésion, figure contractuelle devenue incontournable, qui a fait son entrée dans le code civil et qui est désormais clarifiée ; le sort des sûretés en cas de cession de contrat ou de dette a, lui aussi, été précisé, tandis que le mécanisme de la réduction du prix a été rendu plus lisible.

Sur d’autres points, les modifications apportées ont permis de compléter très utilement le texte de l’ordonnance. Ainsi en est-il, par exemple, de la disposition relative à la réticence dolosive, qui a été mise en cohérence avec la solution retenue en matière de devoir général d’information. Il en résulte que l’estimation de la valeur de la prestation est désormais exclue du champ de la réticence dolosive, afin d’inscrire dans la loi la jurisprudence Baldus.

Comme l’a rappelé M. le rapporteur, les points les plus débattus furent liés, sans surprise, à deux des innovations majeures de l’ordonnance : la prohibition des clauses abusives et la révision pour imprévision.

Sur le premier point, le texte qui vous est aujourd’hui soumis définit clairement et opportunément le champ de la prohibition des clauses abusives.

L’étendue de ce champ a donné lieu à un débat extrêmement soutenu. Au terme de vos travaux, celui-ci recouvre désormais les clauses non négociables au sein des contrats d’adhésion. Cette modification, qui ne remet pas en cause le caractère protecteur de cette disposition, est parfaitement cohérente avec les critères dégagés au cours de la navette sur la définition du contrat d’adhésion : c’est précisément la soustraction de ces clauses à la négociation qui justifie l’atteinte portée à la force obligatoire du contrat.

Le second point majeur de débat porta sur les prérogatives du juge en matière d’imprévision. Le principe même de la révision du contrat pour imprévision n’a pas été remis en cause, démontrant ainsi le consensus existant sur l’utilité de cette innovation majeure de l’ordonnance pour adapter notre droit des contrats aux bouleversements économiques qui peuvent affecter leur exécution.

Le seul point de désaccord résidait dans la faculté pour le juge de réviser le contrat à la demande d’une seule des parties. Le Gouvernement était et reste persuadé de l’utilité de prévoir cette option, sans laquelle l’efficacité du dispositif risquait d’être paralysée en cas de mauvaise foi de l’un des contractants.

Les débats nourris sur ce sujet auront permis de rappeler, s’il en était besoin, le caractère supplétif de cette disposition et surtout d’en démontrer, au-delà de ces murs, l’utilité en certaines hypothèses, en ce sens que la rupture du contrat ne se révèle pas toujours la solution économiquement la plus adaptée.

Ainsi, au-delà de la confrontation des points de vue, nécessaire sur ces dispositions importantes, le dialogue constructif des chambres, dont je remercie une nouvelle fois chacun des protagonistes, aura permis d’écrire un texte à la fois cohérent et amélioré. L’équilibre de l’ordonnance se trouve pleinement maintenu à l’issue de cette ratification, qui confère à ce texte majeur toute la valeur juridique qu’il mérite.

Mesdames, messieurs les sénateurs, cette réforme va aujourd’hui être parachevée par votre vote. Elle se termine donc, tout au moins dans sa première étape, car elle doit désormais se prolonger par la nécessaire refondation du droit de la responsabilité civile. Votre assemblée s’en est d’ores et déjà saisie, puisqu’elle a confié à vos collègues François Pillet et Jacques Bigot une mission d’information sur ce projet, élaboré selon la même méthode ouverte et transparente que celui de la réforme des contrats.

Je forme donc aujourd’hui le vœu que l’esprit de responsabilité et de compromis qui a présidé aux travaux de l’ambitieuse réforme qui s’achève aujourd’hui nous permette de poursuivre demain, ensemble, dans ce même élan, la modernisation de notre droit civil.

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