Intervention de Maryse Carrère

Réunion du 11 avril 2018 à 14h30
Réforme du droit des contrats du régime général et de la preuve des obligations — Adoption définitive des conclusions d'une commission mixte paritaire

Photo de Maryse CarrèreMaryse Carrère :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme nombre d’entre nous, je salue le compromis auquel la commission mixte paritaire est parvenue ; il va permettre de clore treize ans de réflexions. Si certaines réformes d’envergure nécessitent de s’inscrire dans le temps long, on peut raisonnablement considérer que celle-ci a souffert de certains temps morts législatifs et de son lot d’incertitudes…

Alors que nous nous préparons à ouvrir les discussions sur les chantiers de la justice, cette expérience devrait nous inviter à réfléchir à la question du recours aux ordonnances pour de telles modifications, qui sont de grande envergure et dépassent une simple codification à droit constant.

Il est clair que le raccourcissement du mandat donné au Président de la République rend la conduite de tels chantiers plus délicate, dans des délais extrêmement courts, qui conduisent soit à négliger la consultation en amont, soit à léguer ces chantiers, inachevés, à la postérité. C’est une contrainte à laquelle Portalis a échappé…

Nous considérons que, dans ces conditions, le recours aux ordonnances ralentit le processus législatif global et expose inutilement les personnes tenues d’appliquer le droit au risque de revirements législatifs au moment d’une ratification intervenant après une alternance, surtout si l’ordonnance procède à des transformations substantielles.

En ce qui concerne la ratification, toutefois, je crois que le succès de la commission mixte paritaire illustre le sens des responsabilités qui prévaut au Parlement, lorsqu’il s’agit de conduire des réformes de fond sans mettre en danger la sécurité juridique de nos concitoyens.

En effet, le texte issu de la commission mixte paritaire répond aux objectifs fixés en 2016 par le précédent gouvernement au moment du dépôt de l’ordonnance : d’abord, le renforcement de l’accessibilité de notre droit des contrats, pour lutter contre l’éparpillement des normes que nous connaissions depuis 1804 ; ensuite, une plus grande protection de la partie la plus faible du contrat ; enfin, une modernisation de notre droit pour répondre à un souci d’attractivité économique.

Cette dernière version permet un bon équilibre entre les différentes propositions de nos deux chambres, alors que les débats conduits en commission mixte paritaire se sont en réalité concentrés sur trois points techniques.

Il s’agissait, en premier lieu, de l’article 4 portant sur la caducité de l’offre en cas de décès, mesure introduite sur l’initiative de notre rapporteur François Pillet, que je salue pour son travail avisé sur ce dossier. À ce sujet, l’Assemblée nationale s’était montrée quelque peu réticente, invoquant notamment les contrats immobiliers, mais, selon nous, le maintien de la caducité garantit une plus grande clarté et sécurité juridique. C’est pourquoi nous nous félicitons du pas fait par l’Assemblée nationale en ce sens.

Ensuite, je me réjouis que, après trois modifications, nous ayons trouvé un terrain d’entente sur les contrats d’adhésion.

L’Assemblée nationale, qui, de prime abord, souhaitait étendre la possibilité d’utiliser le dispositif des clauses abusives à l’ensemble du texte, s’est également rangée à l’avis de notre chambre. La rédaction voulue par les députés aurait permis que toutes les clauses d’un contrat puissent être frappées de nullité, à l’exclusion de celles qui déterminent l’objet du contrat, comme le prix. Ils ont finalement accepté que cette disposition ne s’applique qu’aux clauses non négociables.

Sur ce sujet, on peut considérer que la qualification en clause abusive ne dépend pas seulement du contenu de celle-ci. Elle s’apprécie surtout par rapport à l’équilibre général du contrat. Ainsi, un déséquilibre causé par une clause non négociable peut très bien être compensé par une clause négociable.

Enfin, revenons sur l’article 8 : notre chambre était peu disposée à consacrer la théorie de l’imprévision dans notre droit civil. Je considère que cette disposition contribuera à apaiser les relations contractuelles, en permettant une demande de révision du contrat par l’une des parties en cas d’échec de la renégociation. Le recours au juge devrait également permettre de les pacifier : il faut voir cette mesure, non comme une contrainte, mais d’abord comme un appel aux parties à trouver un accord à l’amiable.

Actuellement, la partie rencontrant des difficultés à exercer le contrat ne peut en demander la révision. Elle est même poussée à aller jusqu’au bout de celui-ci, quand bien même l’exécution du contrat est excessivement difficile pour elle et sa réalisation vitale pour son activité.

Par exemple, elle ne peut pas y mettre un terme pour contracter avec un autre partenaire à un moindre coût. Faire en sorte, comme le souhaitait la Haute Assemblée, que les deux parties soient d’accord pour demander la révision aurait bloqué toute renégociation, la partie favorisée n’y ayant généralement aucun intérêt. La version proposée par les députés et intégrée dans le texte me paraît donc plus adaptée.

Les membres du groupe du RDSE voteront donc ce texte, qui constitue un équilibre très acceptable et préserve la sécurité juridique de nos concitoyens.

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