Intervention de Thierry Dallard

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 10 avril 2018 à 9h05
Audition de M. Thierry dallaRd candidat pressenti pour exercer les fonctions de président du directoire de l'établissement public société du grand paris

Thierry Dallard, candidat pressenti pour exercer les fonctions de Président du directoire de l'établissement public Société du Grand Paris :

C'est un honneur de présenter mon parcours et mes réflexions sur ce grand projet, le Grand Paris Express, pour le mener à bien et le plus vite possible.

Ce projet est d'abord défini par son gigantisme. Le Premier ministre évoque le projet du siècle, c'est plutôt le projet d'une génération. Le réseau parisien de métro fait aussi 200 kilomètres, mais la ligne 1 a été mise en service en 1900 et la ligne 14 dans les années 1990. Il aura fallu presque un siècle pour le réaliser. Comment faire le Grand Paris Express dans des délais beaucoup plus courts ? De même, il aura fallu 15 ans, de 1962 à 1977, pour réaliser la partie centrale du RER A, de Nanterre à Nation. Cela montre la complexité et le temps nécessaire pour ce projet très ambitieux - et l'on manque de qualificatifs...

À l'échelle mondiale, il y a d'autres projets de cette ampleur, il y en a eu et il y en aura encore. C'est effectivement le plus important projet à réaliser dans des délais extrêmement brefs pour l'histoire française et pour celle de l'Île-de-France ; mais Singapour, ville-État de 4 millions d'habitants, est en train de réaliser un projet de taille comparable. D'autres métropoles ont des projets similaires. C'est un défi qui confirme l'ambition française d'avoir en son sein une métropole de niveau mondial. Ce sera pour nos entreprises, nos ingénieries et nos savoir-faire la démonstration que nous sommes leader dans ce domaine. Ce sera aussi l'occasion de continuer à développer ce savoir-faire à l'étranger - une donnée économique qui dépasse largement l'échéance de la réalisation du Grand Paris. Lorsqu'on a ma carrière de maître d'ouvrage, on ne peut pas être indifférent à ce projet essentiel et emblématique en soi.

Deuxième donnée importante sans laquelle je ne serais pas là aujourd'hui, le Gouvernement a rappelé sa volonté de mener à bien ce projet. Le périmètre a été confirmé, malgré un recalage de calendrier - je n'utiliserai pas le terme de « dérive », car nous ne sommes qu'au début du projet. Les dérives interviennent lorsque le projet est réalisé au tiers ou à la moitié... Les dérives sont devant nous, si les risques n'ont pas été quantifiés au bon niveau pour la programmation budgétaire. C'est le troisième quinquennat au cours duquel le projet a été confirmé. La Société du Grand Paris a survécu et sa feuille de route a été confirmée. C'est essentiel pour moi en tant que candidat. Je partage l'ambition, l'intérêt du projet et sa faisabilité - même si les choses ne se passeront évidemment pas comme prévu.

Enfin, au-delà d'un projet technique et financier, évoqué en kilomètres et en milliards d'euros, c'est un acte d'aménagement qui doit s'inscrire dans la politique de la ville et desservir les quartiers qui ne le sont pas ou mal, relier des bassins d'emploi et donc des bassins de vie, créer de l'emploi et des richesses pour les entreprises et donc pour la collectivité, et développer une offre nouvelle de logements qui fait cruellement défaut.

Nous ne construisons plus, à l'instar des grandes infrastructures de transports collectifs de l'Île-de-France, de nouvelles radiales - celles-ci créent de nouveaux espaces d'urbanisation et renforcent l'étalement urbain. C'est un objectif de politique publique : il faut densifier. Répéter à l'envi qu'il faut lutter contre la consommation des matières premières - protéger l'eau, lutter contre le réchauffement de la planète - est un voeu pieux tant que l'étalement urbain continue. Le Grand Paris est un défi technique mais aussi un enjeu pour briser le toujours plus grand, afin de reconstruire une ville et densifier une métropole d'ampleur mondiale. Voilà les trois raisons qui m'intéressent dans ce projet.

Vous avez rappelé mon parcours. J'ai passé onze ans dans le privé, douze ans dans l'administration du ministère de l'équipement et deux ans entre les deux, au sein de l'établissement ASF, qui n'était plus vraiment public puisque 49 % de ses parts étaient vendues au privé, mais avant sa privatisation complète en 2005.

J'ai ainsi une expérience de terrain de dix ans de maître d'oeuvre et de maître d'ouvrage au sein des directions départementales de l'équipement, auprès des collectivités. J'ai travaillé sur des projets routiers dont certains sont assez connus comme le viaduc de Millau, le contournement de Nice ou l'autoroute dans le secteur alpin, mais également sur des projets de transports collectifs comme le réseau de tramway ou le prolongement du métro dans la communauté urbaine de Marseille. Lors de mon retour au sein de l'État après mon passage à ASF, à l'occasion des lois de décentralisation de 2004, j'ai piloté la réorganisation des services du ministère et créé les services de maîtrise d'ouvrage. La maîtrise d'ouvrage est le fil rouge de mon action, à la fois dans les services territoriaux de l'État, en administration centrale, puis durant mes onze années dans le privé. Cette notion caractérise le mieux mon engagement personnel, mes compétences et, in fine, mon métier.

En 2007, Meridiam était une petite start-up de dix personnes, qui travaillait sur un projet de tunnel sous-marin en Irlande, pour un financement de 100 millions d'euros sous gestion. Désormais, Meridiam a près de 7 milliards d'euros sous gestion, a réalisé 60 projets qui totalisent près de 50 milliards d'euros d'investissements, et rassemble plus de 200 personnes. Peu connue du grand public, l'entreprise est très connue dans le secteur des infrastructures. C'est un bel exemple de start-up française qui réussit. J'ai appris une autre façon d'exercer le métier de maître d'ouvrage avec les outils du privé, et avec un souci permanent de la maîtrise des coûts et des délais, pour trouver les bons contrats et les bonnes structures de partage des risques : une jeune start-up ne peut pas s'éloigner de sa cible, sinon elle aura du mal à se développer.

Ce projet d'une grande complexité a fait l'objet d'une annonce courageuse : reconnaître que l'on s'est trompé sur 20 % à 30 % du coût initial, que les sujets techniques sont plus complexes et que le calendrier sera plus long est un facteur important pour avancer. Je m'engage devant vous : la notion de transparence est pour moi essentielle, je la pratique depuis 25 ans, et elle est aussi essentielle lorsqu'on doit porter un projet qui n'a aucune chance de réussir sans un portage à tous les niveaux, des élus de la Nation aux élus de terrain - et notamment la région, autorité organisatrice à travers l'agence Île-de-France Mobilités. Il faut non seulement remplir cette mission, mais aussi être garant de son intégrité. Je ne vais pas abandonner telle ou telle partie pour tenir les délais ou l'enveloppe.

Il faudra être très vigilant pour trois familles d'acteurs. D'abord, les personnels de la Société du Grand Paris (SGP) sont au coeur de tous les débats et objets de toutes les critiques. C'est le propre d'un maître d'ouvrage que d'être en première ligne. Je tiens à souligner la qualité du travail mené entre 2010 et la fin de 2014, date des premières enquêtes publiques pour la ligne 15. En un temps très court, cette équipe a réussi à asseoir la légitimité de ce projet - c'est le plus difficile. Je lis dans la presse que l'État n'est pas assez ambitieux, qu'il ne prévoit pas d'aller assez vite pour mener à bien le Grand Paris, mais une durée de 15 ans entre les décrets de déclaration d'utilité publique de 2015, date de naissance du projet, et 2030, date d'achèvement de l'ensemble du Grand Paris Express, suppose un projet dense ! C'est le temps qu'il a fallu pour la ligne de RER entre Nanterre et Nation...

Mes prédécesseurs ont su consolider politiquement un projet caractérisé par des contraintes importantes. Donner un plafond d'emplois de 200 personnes pour une maîtrise d'ouvrage d'un tel projet revient à attacher deux grosses enclumes aux chevilles de l'ancien président du directoire. La Cour des comptes a repris dans son rapport l'exemple de Crossrail à Londres, projet de modernisation du métro, dont la maîtrise d'ouvrage requérait 700 personnes. De même, j'ai l'expérience de la ligne de TGV Tours-Bordeaux qui a nécessité 6 milliards d'euros de travaux, soit un sixième du Grand Paris Express, et dont la mission de maîtrise d'ouvrage - gestion de l'environnement, expropriations, gestion des nuisances, relations avec le territoire, coordination des entreprises, gestion des risques...- rassemblait 200 personnes. On ne peut espérer construire 200 kilomètres de métro dans le Grand Paris, avec 200 personnes, pour 35 milliards d'euros, alors qu'il en faut à peu près autant pour un projet de 6 milliards d'euros dans une zone beaucoup moins dense ! Nous devons repositionner les équipes sur leur coeur de métier, dans une phase opérationnelle.

Deuxième enjeu, ce projet n'est pas uniquement technique, c'est un acte d'aménagement complexe dans son intégration urbaine. Paradoxalement, on parle beaucoup des difficultés des tunneliers, du besoin de congeler les sols ou des argiles vertes ; lorsque tout sera mis en service, plus personne n'évoquera ces problèmes, mais un sujet restera pour le prochain siècle : le fonctionnement des gares et leurs interfaces avec l'environnement urbain, pour assurer la mobilité entre tous les modes de transport. C'est un sujet majeur de collaboration avec les territoires et leurs représentants.

Il faut accompagner une troisième famille d'acteurs, les entreprises - d'ingénierie, de travaux publics - déjà mobilisées au travers de multiples marchés. Il faut les aider et les former. La véritable difficulté n'est pas d'obtenir des tunneliers - on peut toujours en acheter ou en construire, si on y met le prix - mais des équipes qui savent manier cet outil. Il faut des équipes expérimentées en travaux souterrains : tel est le plus grand facteur limitant, qui a conduit à réduire de 28 à 21 les tunneliers nécessaires - ce qui est encore très ambitieux.

Je rencontrerai très prochainement M. Gilles Carrez, à qui le Gouvernement a confié une mission sur le financement du projet. Spécificité de ce projet, ce financement est exclusivement assuré par la région Île-de-France et par ses communes grâce à la fiscalité particulière sur l'immobilier de bureau.

J'ai 52 ans. Cela fait 11 ans que je suis dans une entreprise à forte valeur entrepreneuriale, qui a connu une très forte croissance. J'aurais pu continuer cette aventure jusqu'au bout, avec de nouveaux champs de développement, en Afrique, en Turquie ou en Jordanie, et une forte croissance des effectifs, qu'il faut accompagner. Ce projet aurait été passionnant. L'alternative était celle ouverte par la nécessité de trouver un nouveau président du directoire de la SGP. J'ai choisi d'être candidat à cette autre éventualité, mais cela n'est ni un moyen de revenir dans un cycle de la fonction publique - j'ai démissionné du corps des Ponts en 2017 - ni dans une logique de faire un poste de deux ou trois ans pour rebondir dans un autre. Je suis candidat car je pense que le projet est faisable ; il va certainement subir encore de multiples tempêtes et évolutions, mais c'est à cet ouvrage que j'ai envie de consacrer mes prochaines années.

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