Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable

Réunion du 10 avril 2018 à 9h05

Résumé de la réunion

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  • métro
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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Nous entendons M. Thierry Dallard, candidat pressenti par le Premier ministre pour exercer les fonctions de président du directoire de l'établissement public de la Société du Grand Paris, en application de l'article 8 de la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris. Ce n'est pas une audition en application de l'article 13 de la Constitution : il n'y aura pas de vote à l'issue de cette audition.

Selon la loi relative au Grand Paris, le président du directoire est nommé par décret après avis du conseil de surveillance - qui a été favorable hier - et après audition devant les commissions permanentes compétentes du Parlement. Cette audition intervient dans un contexte compliqué : nous avons été assez impressionnés d'entendre Mme de Kersauson, présidente de la 2ème chambre de la Cour des comptes, évoquer cette dérive budgétaire et financière, décrite dans un rapport de la Cour. Le budget est passé de 19 milliards d'euros à 35 milliards d'euros, si ce n'est davantage, avec des retards qui compliquent la visibilité du projet.

Ancien élève de l'École normale supérieure et ingénieur des Ponts-et-chaussées, vous avez successivement travaillé au Centre d'études techniques de l'équipement Méditerranée, ancêtre du Cerema (Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement), puis à la Direction départementale de l'équipement (DDE) des Bouches-du-Rhône, avant de rejoindre la société des Autoroutes du sud de la France (ASF) comme directeur du développement. Vous avez également été en poste au ministère des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer puis en 2007, vous avez rejoint la société Méridiam infrastructure, spécialisée dans le développement et le financement de projets d'infrastructures. Pour marquer cet engagement dans la durée, vous avez démissionné de la fonction publique en 2017.

Vous avez donc un profil de technicien qui paraît offrir toutes les garanties nécessaires pour cette fonction, même si vous avez davantage travaillé sur les infrastructures routières. Il y a eu une soixantaine de candidatures. De quelle manière le choix a-t-il été fait ? Quelle est votre feuille de route dans le cadre de cette équation très compliquée, avec un objectif fixé par le Premier ministre de réduction des coûts du Grand Paris Express de l'ordre de 10 %, alors même qu'un certain nombre de projets d'interconnexion ne seraient pas financés à ce stade ? Vous évoquerez sans doute le respect des échéances et notamment celle de 2024. Même s'il y a eu un rephasage - raisonnable par rapport à un chantier que le Premier ministre a qualifié de « chantier du siècle » - le projet est particulièrement important, avec 200 kilomètres de lignes, 68 gares et interconnexions. Il y a même des problèmes très concrets : une vingtaine de tunneliers seraient nécessaires, alors qu'il y en a autant dans toute l'Europe...

Quels sont les liens de votre société avec la Société du Grand Paris ? Quelle sera votre future indépendance, sachant que vous êtes en poste depuis une dizaine d'années ?

Debut de section - Permalien
Thierry Dallard, candidat pressenti pour exercer les fonctions de Président du directoire de l'établissement public Société du Grand Paris

C'est un honneur de présenter mon parcours et mes réflexions sur ce grand projet, le Grand Paris Express, pour le mener à bien et le plus vite possible.

Ce projet est d'abord défini par son gigantisme. Le Premier ministre évoque le projet du siècle, c'est plutôt le projet d'une génération. Le réseau parisien de métro fait aussi 200 kilomètres, mais la ligne 1 a été mise en service en 1900 et la ligne 14 dans les années 1990. Il aura fallu presque un siècle pour le réaliser. Comment faire le Grand Paris Express dans des délais beaucoup plus courts ? De même, il aura fallu 15 ans, de 1962 à 1977, pour réaliser la partie centrale du RER A, de Nanterre à Nation. Cela montre la complexité et le temps nécessaire pour ce projet très ambitieux - et l'on manque de qualificatifs...

À l'échelle mondiale, il y a d'autres projets de cette ampleur, il y en a eu et il y en aura encore. C'est effectivement le plus important projet à réaliser dans des délais extrêmement brefs pour l'histoire française et pour celle de l'Île-de-France ; mais Singapour, ville-État de 4 millions d'habitants, est en train de réaliser un projet de taille comparable. D'autres métropoles ont des projets similaires. C'est un défi qui confirme l'ambition française d'avoir en son sein une métropole de niveau mondial. Ce sera pour nos entreprises, nos ingénieries et nos savoir-faire la démonstration que nous sommes leader dans ce domaine. Ce sera aussi l'occasion de continuer à développer ce savoir-faire à l'étranger - une donnée économique qui dépasse largement l'échéance de la réalisation du Grand Paris. Lorsqu'on a ma carrière de maître d'ouvrage, on ne peut pas être indifférent à ce projet essentiel et emblématique en soi.

Deuxième donnée importante sans laquelle je ne serais pas là aujourd'hui, le Gouvernement a rappelé sa volonté de mener à bien ce projet. Le périmètre a été confirmé, malgré un recalage de calendrier - je n'utiliserai pas le terme de « dérive », car nous ne sommes qu'au début du projet. Les dérives interviennent lorsque le projet est réalisé au tiers ou à la moitié... Les dérives sont devant nous, si les risques n'ont pas été quantifiés au bon niveau pour la programmation budgétaire. C'est le troisième quinquennat au cours duquel le projet a été confirmé. La Société du Grand Paris a survécu et sa feuille de route a été confirmée. C'est essentiel pour moi en tant que candidat. Je partage l'ambition, l'intérêt du projet et sa faisabilité - même si les choses ne se passeront évidemment pas comme prévu.

Enfin, au-delà d'un projet technique et financier, évoqué en kilomètres et en milliards d'euros, c'est un acte d'aménagement qui doit s'inscrire dans la politique de la ville et desservir les quartiers qui ne le sont pas ou mal, relier des bassins d'emploi et donc des bassins de vie, créer de l'emploi et des richesses pour les entreprises et donc pour la collectivité, et développer une offre nouvelle de logements qui fait cruellement défaut.

Nous ne construisons plus, à l'instar des grandes infrastructures de transports collectifs de l'Île-de-France, de nouvelles radiales - celles-ci créent de nouveaux espaces d'urbanisation et renforcent l'étalement urbain. C'est un objectif de politique publique : il faut densifier. Répéter à l'envi qu'il faut lutter contre la consommation des matières premières - protéger l'eau, lutter contre le réchauffement de la planète - est un voeu pieux tant que l'étalement urbain continue. Le Grand Paris est un défi technique mais aussi un enjeu pour briser le toujours plus grand, afin de reconstruire une ville et densifier une métropole d'ampleur mondiale. Voilà les trois raisons qui m'intéressent dans ce projet.

Vous avez rappelé mon parcours. J'ai passé onze ans dans le privé, douze ans dans l'administration du ministère de l'équipement et deux ans entre les deux, au sein de l'établissement ASF, qui n'était plus vraiment public puisque 49 % de ses parts étaient vendues au privé, mais avant sa privatisation complète en 2005.

J'ai ainsi une expérience de terrain de dix ans de maître d'oeuvre et de maître d'ouvrage au sein des directions départementales de l'équipement, auprès des collectivités. J'ai travaillé sur des projets routiers dont certains sont assez connus comme le viaduc de Millau, le contournement de Nice ou l'autoroute dans le secteur alpin, mais également sur des projets de transports collectifs comme le réseau de tramway ou le prolongement du métro dans la communauté urbaine de Marseille. Lors de mon retour au sein de l'État après mon passage à ASF, à l'occasion des lois de décentralisation de 2004, j'ai piloté la réorganisation des services du ministère et créé les services de maîtrise d'ouvrage. La maîtrise d'ouvrage est le fil rouge de mon action, à la fois dans les services territoriaux de l'État, en administration centrale, puis durant mes onze années dans le privé. Cette notion caractérise le mieux mon engagement personnel, mes compétences et, in fine, mon métier.

En 2007, Meridiam était une petite start-up de dix personnes, qui travaillait sur un projet de tunnel sous-marin en Irlande, pour un financement de 100 millions d'euros sous gestion. Désormais, Meridiam a près de 7 milliards d'euros sous gestion, a réalisé 60 projets qui totalisent près de 50 milliards d'euros d'investissements, et rassemble plus de 200 personnes. Peu connue du grand public, l'entreprise est très connue dans le secteur des infrastructures. C'est un bel exemple de start-up française qui réussit. J'ai appris une autre façon d'exercer le métier de maître d'ouvrage avec les outils du privé, et avec un souci permanent de la maîtrise des coûts et des délais, pour trouver les bons contrats et les bonnes structures de partage des risques : une jeune start-up ne peut pas s'éloigner de sa cible, sinon elle aura du mal à se développer.

Ce projet d'une grande complexité a fait l'objet d'une annonce courageuse : reconnaître que l'on s'est trompé sur 20 % à 30 % du coût initial, que les sujets techniques sont plus complexes et que le calendrier sera plus long est un facteur important pour avancer. Je m'engage devant vous : la notion de transparence est pour moi essentielle, je la pratique depuis 25 ans, et elle est aussi essentielle lorsqu'on doit porter un projet qui n'a aucune chance de réussir sans un portage à tous les niveaux, des élus de la Nation aux élus de terrain - et notamment la région, autorité organisatrice à travers l'agence Île-de-France Mobilités. Il faut non seulement remplir cette mission, mais aussi être garant de son intégrité. Je ne vais pas abandonner telle ou telle partie pour tenir les délais ou l'enveloppe.

Il faudra être très vigilant pour trois familles d'acteurs. D'abord, les personnels de la Société du Grand Paris (SGP) sont au coeur de tous les débats et objets de toutes les critiques. C'est le propre d'un maître d'ouvrage que d'être en première ligne. Je tiens à souligner la qualité du travail mené entre 2010 et la fin de 2014, date des premières enquêtes publiques pour la ligne 15. En un temps très court, cette équipe a réussi à asseoir la légitimité de ce projet - c'est le plus difficile. Je lis dans la presse que l'État n'est pas assez ambitieux, qu'il ne prévoit pas d'aller assez vite pour mener à bien le Grand Paris, mais une durée de 15 ans entre les décrets de déclaration d'utilité publique de 2015, date de naissance du projet, et 2030, date d'achèvement de l'ensemble du Grand Paris Express, suppose un projet dense ! C'est le temps qu'il a fallu pour la ligne de RER entre Nanterre et Nation...

Mes prédécesseurs ont su consolider politiquement un projet caractérisé par des contraintes importantes. Donner un plafond d'emplois de 200 personnes pour une maîtrise d'ouvrage d'un tel projet revient à attacher deux grosses enclumes aux chevilles de l'ancien président du directoire. La Cour des comptes a repris dans son rapport l'exemple de Crossrail à Londres, projet de modernisation du métro, dont la maîtrise d'ouvrage requérait 700 personnes. De même, j'ai l'expérience de la ligne de TGV Tours-Bordeaux qui a nécessité 6 milliards d'euros de travaux, soit un sixième du Grand Paris Express, et dont la mission de maîtrise d'ouvrage - gestion de l'environnement, expropriations, gestion des nuisances, relations avec le territoire, coordination des entreprises, gestion des risques...- rassemblait 200 personnes. On ne peut espérer construire 200 kilomètres de métro dans le Grand Paris, avec 200 personnes, pour 35 milliards d'euros, alors qu'il en faut à peu près autant pour un projet de 6 milliards d'euros dans une zone beaucoup moins dense ! Nous devons repositionner les équipes sur leur coeur de métier, dans une phase opérationnelle.

Deuxième enjeu, ce projet n'est pas uniquement technique, c'est un acte d'aménagement complexe dans son intégration urbaine. Paradoxalement, on parle beaucoup des difficultés des tunneliers, du besoin de congeler les sols ou des argiles vertes ; lorsque tout sera mis en service, plus personne n'évoquera ces problèmes, mais un sujet restera pour le prochain siècle : le fonctionnement des gares et leurs interfaces avec l'environnement urbain, pour assurer la mobilité entre tous les modes de transport. C'est un sujet majeur de collaboration avec les territoires et leurs représentants.

Il faut accompagner une troisième famille d'acteurs, les entreprises - d'ingénierie, de travaux publics - déjà mobilisées au travers de multiples marchés. Il faut les aider et les former. La véritable difficulté n'est pas d'obtenir des tunneliers - on peut toujours en acheter ou en construire, si on y met le prix - mais des équipes qui savent manier cet outil. Il faut des équipes expérimentées en travaux souterrains : tel est le plus grand facteur limitant, qui a conduit à réduire de 28 à 21 les tunneliers nécessaires - ce qui est encore très ambitieux.

Je rencontrerai très prochainement M. Gilles Carrez, à qui le Gouvernement a confié une mission sur le financement du projet. Spécificité de ce projet, ce financement est exclusivement assuré par la région Île-de-France et par ses communes grâce à la fiscalité particulière sur l'immobilier de bureau.

J'ai 52 ans. Cela fait 11 ans que je suis dans une entreprise à forte valeur entrepreneuriale, qui a connu une très forte croissance. J'aurais pu continuer cette aventure jusqu'au bout, avec de nouveaux champs de développement, en Afrique, en Turquie ou en Jordanie, et une forte croissance des effectifs, qu'il faut accompagner. Ce projet aurait été passionnant. L'alternative était celle ouverte par la nécessité de trouver un nouveau président du directoire de la SGP. J'ai choisi d'être candidat à cette autre éventualité, mais cela n'est ni un moyen de revenir dans un cycle de la fonction publique - j'ai démissionné du corps des Ponts en 2017 - ni dans une logique de faire un poste de deux ou trois ans pour rebondir dans un autre. Je suis candidat car je pense que le projet est faisable ; il va certainement subir encore de multiples tempêtes et évolutions, mais c'est à cet ouvrage que j'ai envie de consacrer mes prochaines années.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Cornu

Vous avez tout à fait le profil pour embrasser cette difficile fonction. Dans votre exposé, parfois technique, vous êtes déjà dans la peau de cette fonction. Il n'y a pas forcément de débat sur la personne qui doit être à ce poste important, mais deux débats méritent d'être posés. Pourquoi est-ce une fatalité que les grands projets dérapent financièrement et spolient soit les actionnaires, soit les collectivités qui les financent ?

Actuellement, il y a Paris, en Île-de-France et le reste de la France connaît d'énormes problèmes d'aménagement du territoire - visibles dans les rapports de MM. Jean-Cyril Spinetta et Philippe Duron - et des difficultés financières pour réaliser des projets. Le reste de la France voit aussi des sommes considérables consacrées au Grand Paris. Cela pose problème à de nombreux Français et met en cause l'harmonie de l'ensemble du territoire.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Chaize

Merci de cet exposé et de votre présentation très motivée. Nous avons toujours regardé avec inquiétude l'évolution des coûts. L'estimation des travaux est-elle suffisamment fiable ? Le plan d'affaires est-il suffisamment solide pour garantir une véritable réussite ? Je ne suis pas inquiet pour ce grand chantier, utile pour notre pays, et il ne faut pas avoir peur des coûts de ces grands travaux. Néanmoins, il est aussi important d'avoir, en regard de ces investissements, des recettes liées aux coûts d'exploitation. Comment rendre les plans d'affaires plus pertinents ?

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Bazin

Sénateur du Val-d'Oise, je présidais ce département de 2011 à 2017. À ce titre, j'ai siégé assidûment au conseil de surveillance de la Société du Grand Paris. Vous avez certainement déjà pu mesurer la crise de confiance entre les élus d'Île-de-France, la Société du Grand Paris et l'État. Quelle est la crédibilité de la parole de l'État ? Comment rétablir la confiance nécessaire entre le président du directoire et les élus ? Dans votre brillante carrière, vous avez fait la démonstration de vos capacités de maître d'ouvrage. Mais comment envisagez-vous la relation avec les élus, une des conditions de la réussite du portage collectif que vous avez évoqué ?

Il y a une très grave crise de confiance : jusqu'à l'été 2017, toutes nos interventions - dont les miennes - portaient régulièrement sur la crédibilité de la réalisation du calendrier. La réponse était la même de la part du directoire : dormez tranquille, tout sera réalisé dans les délais prévus... Sauf que l'été dernier, il est apparu que les délais pouvaient être respectés, mais avec 200 millions de dépenses supplémentaires pour la ligne 17 uniquement... Depuis, nous avons appris que le projet n'était techniquement pas possible, selon une analyse de la Cour des comptes... Comment comptez-vous répondre à cette crise de confiance et rétablir la transparence nécessaire ? Le décret de création de la Société du Grand Paris prévoyait initialement une tutelle de trois ministères - c'est aussi l'un des problèmes de la gouvernance de la SGP. Comment et à qui rendrez-vous compte, directement au ministère des transports ou au préfet de région ?

À chaque examen du budget, j'ai posé des questions sur le dimensionnement insuffisant des équipes. La Société du Grand Paris nous répondait que ce n'était pas formidable, mais qu'elles y arriveraient. Voilà encore un élément de crédibilité à rétablir. On estime qu'il manque plus de 200 postes. La Cour des comptes a dénoncé une externalisation et une dépendance de la SGP à l'égard de bureaux d'études extérieurs. Avez-vous obtenu des engagements précis de la Direction du budget pour disposer des effectifs nécessaires afin de mener à bien un projet d'une telle ampleur ?

Nous nous interrogeons sur la crédibilité définitive du budget global, auquel contribuent les habitants et les entreprises d'Île-de-France. L'État n'a jamais versé ses 4 milliards d'euros initialement prévus - c'est d'ailleurs une des raisons du dérapage parce que cela a généré des intérêts, selon la Cour des comptes.... Lorsque ce projet sera réalisé, il rapportera plus de 100 milliards d'euros de PIB pour la France. Mettons davantage en avant ces recettes considérables en regard des dépenses.

Debut de section - Permalien
Thierry Dallard, candidat pressenti pour exercer les fonctions de Président du directoire de l'établissement public Société du Grand Paris

Heureusement, le fort dépassement des budgets initiaux des grands projets n'est pas une fatalité. Certes, certains éléphants blancs comme Eurotunnel ont marqué les esprits. De nombreux risques ont été sous-estimés alors que la partie géologique du tunnel sous la Manche était très simple. Les conséquences de la commission de sécurité ont mené à une surenchère et à une revue complète du projet alors que les recettes n'étaient pas plus importantes. Cela a très mal fini pour les actionnaires. Même si chaque cas est individuel, chaque problème est dû à une sous-estimation des risques. Il en est de même dans les contrats de plan État-région.

Debut de section - Permalien
Thierry Dallard, candidat pressenti pour exercer les fonctions de Président du directoire de l'établissement public Société du Grand Paris

Le risque est souvent mal cerné au moment du démarrage du projet. Il y a un risque supplémentaire fréquent d'instabilité budgétaire pour les projets financés sur le rythme budgétaire. Toutes les DDE ont connu cela durant les dernières décennies : vous organisez un allotissement, lancez des appels d'offre, et tout est arrêté faute d'autorisations ou de crédits de paiement nécessaires. Il faut couper le projet en tranches, le relancer, et cela coûte cher. La SGP a l'avantage d'avoir une fiscalité dédiée. Le financement doit être mis au service du planning - il y aura déjà suffisamment à faire avec les risques techniques. Dans certaines zones, on peut devoir congeler le sol pour faire des trous, et plus cette nécessité multipliera, plus cela sera long et coûtera cher. L'évaluation de ces risques peut être plus ou moins respectée... C'est un projet d'aménagement, et non une science exacte ni un produit manufacturé à la chaine.

Comment, face à chaque risque, définir un plan B ou C, une solution qui peut éventuellement coûter moins cher ? La maîtrise d'ouvrage doit être très réactive. Lorsqu'un aléa est rencontré, il faut pouvoir décider rapidement sur la base d'une expertise fiable, et en toute autonomie, sur le terrain. Le Premier ministre s'est engagé à investir les moyens nécessaires. Le plafond d'emplois doit disparaître. Je ne suis pas capable d'estimer le nombre de personnes nécessaires - un audit est en cours. Il devra à la fois préciser le nombre de personnes nécessaires, à quel moment, et avec quels profils, afin de ne pas totalement dépendre des entreprises extérieures sur le plan technique, mais aussi de pouvoir gérer les marchés publics - si l'on traite dix fois plus de contrats qu'on ne le peut, on fera preuve de moins de vigilance.

L'équilibre entre l'Île-de-France et la province est un sujet éminemment sensible. En tant que candidat à la présidence du directoire, je ne suis pas légitime à me prononcer sur ce sujet. Mais à l'automne dernier, j'ai pu mesurer lors des Assises de la mobilité que contrairement à une idée assez erronée, ce n'est pas parce que notre pays est équipé qu'il n'a pas besoin d'équipements...

Les besoins d'équipement sont de plus en plus coûteux, à Paris comme à Lyon, Toulouse ou Marseille. Le Grand Paris a pour particularité d'être financé par la fiscalité de ses entreprises et de ses habitants : c'est une des conditions posée dès son lancement.

Les estimations sont-elles fiables ? Je n'ai pas fait la tournée de tous les acteurs, mais j'imagine que le travail réalisé par les équipes de la Société du Grand Paris est sérieux, et je n'imagine pas que les chiffres donnés n'aient pas été communiqués avec sincérité.

Quant aux évaluations du risque, il est possible qu'elles soient encore révisées : c'est pourquoi il faut mener à bien, en parallèle, un plan de recherche d'économies, afin d'être prêts à réagir lorsque les aléas se matérialiseront. Il ne s'agit pas de revenir sur les fonctionnalités du projet mais d'examiner son ordonnancement : il suffit parfois de réorganiser un appel d'offres pour optimiser les coûts et faire disparaître un risque.

J'ai évoqué en introduction la crise de confiance : c'est l'un des éléments-clés. Sans confiance, impossible d'avancer ni de prendre les décisions nécessaires. Ce sera donc pour moi une question prioritaire. Mais la confiance, cela ne se décrète pas ! J'aurai besoin, en tant que maître d'ouvrage, d'un tableau de suivi des risques. Le document qui existe est illisible car trop technique. J'aimerais en faire quelque chose de simple, de transparent et de communicable, pour que les risques que nous allons gérer au fil de l'eau soient partagés et suivis.

L'un des gros enjeux sera la tutelle de l'État car, si l'État est unique, il a tendance à être pluriel. La chance de ce projet est qu'il suscite une préoccupation très forte à la tête du gouvernement. Cela aidera à obtenir des arbitrages rapides si besoin. De fait, nous sommes dans une course contre la montre. Ce projet est en fait une combinaison entre un cent mètres et un marathon : il faut tenir sur la distance, mais ne pas passer six mois à se poser des questions à chaque étape.

La mission de Gilles Carrez sera évidemment un moment important pour ajuster les coûts estimés au regard des aléas. Un projet urbain peut récupérer les recettes générées autour des gares : en fait, celles-ci sont souvent assez modestes, en tous cas elles ne sont pas à l'échelle. Certes, un sou est un sou. En réalité, ces recettes jouent surtout sur la crédibilité des acteurs privés.

Quant à la création de richesse, je ne saurais vous dire s'il elle s'élèvera à 100 ou 200 milliards d'euros ; en tous cas, on ne communique pas assez sur ce thème. Les projets d'infrastructures, qui sont souvent vus comme des projets coûteux, sont tout de même des investissements ! Dans le cas de la Société du Grand Paris, les débats qui ont eu lieu montrent bien que la rentabilité socio-économique est indiscutable : ce projet est porteur de richesses directement et indirectement. Pour lutter contre le réchauffement de la planète ou économiser les ressources, la re-densification urbaine est incontournable. C'est un projet essentiellement environnemental.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Vous avez raison : Bercy a tendance à ne regarder que la colonne des dépenses et pas le gain apporté par un projet. C'est comme si un chef d'entreprise renonçait à acheter une machine uniquement parce qu'elle coûte cher, sans s'intéresser à ce qu'elle pourrait rapporter ! Il y a une dizaine d'années, quand j'ai commencé à travailler sur le déploiement du très haut débit, on m'a dit à Bercy que le déficit public était tel qu'on n'allait pas encore dépenser des millions d'euros... Je ne suis pas sûr que vous ayez répondu à la question sur la perception de ce projet dans les territoires.

Debut de section - PermalienPhoto de Benoît Huré

Oui, c'est une communication positive qu'il faut avoir, car elle peut intéresser bien au-delà du Grand Paris. Ajoutons qu'un tel chantier, pendant sa durée, contribue massivement à l'enrichissement collectif. Les emplois qu'il crée, ce sont autant de chômeurs en moins. Les entreprises qu'il fait travailler paient l'impôt et les charges sociales. Ces considérations incluent l'ensemble des Français dans la dynamique du projet.

Debut de section - Permalien
Thierry Dallard, candidat pressenti pour exercer les fonctions de Président du directoire de l'établissement public Société du Grand Paris

Vous avez raison. De plus, la concentration du projet dans le temps crée un vrai enjeu de ressources humaines. Il va falloir former à une multitude de métiers, de l'ouvrier spécialisé à l'ingénieur en passant par le technicien et nombre de métiers intermédiaires qui ne sont pas uniquement liés aux travaux souterrains. Un projet de cette nature, à travers le projet urbain et le projet territorial qu'il porte, a vocation à ne pas être le dernier, loin s'en faut. En France comme à l'étranger, il sera dupliqué. C'est une force pour nos entreprises, notamment à l'export. De la même manière que les métros de Londres et de Paris avaient été pionniers, ce projet fera école par son ampleur.

Debut de section - PermalienPhoto de Sébastien Meurant

En commission des finances, lorsqu'on voit passer des chiffrages allant de 25 à 35 milliards d'euros, on se pose des questions : un tel écart laisse songeur. Il est vrai que la période de taux bas que nous connaissons est favorable pour lancer des grands projets d'infrastructure. Vous avez travaillé sur des ouvrages qui ont fait appel au financement privé, ce qui est un bon point. Effectivement, des taxes sont affectées à ce projet. Le département du Val-d Oise paie mais trouve qu'il n'aura que peu de retombées positives, avec une portion de ligne uniquement. Je m'interroge sur le coût des infrastructures ferroviaires et des aménagements correspondants - notamment les gares. Les architectes sont des artistes, ce qui n'est pas toujours une bonne nouvelle pour les finances ! Qui exploitera ces infrastructures ? SNCF, RATP, entreprises privées ?

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Bazin

Vous avez évoqué la question des interconnexions, qui est essentielle, notamment pour les départements qui sont peu pourvus en gares comme le Val-d'Oise. Nous avons des radiales vers Paris, mais l'interconnexion de ces radiales avec le métro automatique est évidemment cruciale. C'est l'un des éléments qu'on a mis en avant pour faire accepter le projet par nos électeurs, puisque cela facilitera leurs déplacements au quotidien de banlieue à banlieue. Or, la Cour des comptes a montré que ces interconnexions étaient largement sous-financées. Qu'en pensez-vous ?

Debut de section - Permalien
Thierry Dallard, candidat pressenti pour exercer les fonctions de Président du directoire de l'établissement public Société du Grand Paris

Je n'ai pas encore une vision exhaustive du sujet...

Debut de section - Permalien
Thierry Dallard, candidat pressenti pour exercer les fonctions de Président du directoire de l'établissement public Société du Grand Paris

Il y a effectivement des enjeux d'interconnexions. Ils concernent souvent des investissements qui ne sont pas sur le Grand Paris Express mais qui prévoient par exemple la création d'une gare sur le réseau ferré national. La ministre des Transports a annoncé une enquête publique sur l'un de ces projets. Je regarderai ce sujet avec beaucoup d'attention, même s'il dépasse partiellement mon champ de compétences. De toutes façons, le Grand Paris Express est là pour interconnecter les radiales - mais celles-ci ont aussi leurs propres contraintes d'exploitation.

Sur les 68 gares, je n'ai pas encore mesuré où nous en sommes. Pour certaines, on a déjà commencé à creuser. Presque toujours, se pose la question du caractère emblématique d'une gare. Dans la genèse d'un projet, il faut faire rêver, par exemple en l'incarnant par une image fédératrice. A Paris, le métro s'est réalisé de manière discrète, même s'il a fallu éventrer les boulevards - ce qui serait une solution pour réduire les coûts ! Résultat : le métro est très discret dans son émergence parisienne. Il est vrai qu'une des études préliminaires prévoyait qu'un métro aérien traverse la place de l'Opéra...

Il y a une volonté de marquer un renouveau à travers les gares. Il faut être pragmatique, et il ne faudra rien s'interdire. N'oublions pas qu'on ne fait pas ce métro pour se faire plaisir mais pour qu'elle rende un service. L'établissement Île-de-France Mobilités sera l'autorité organisatrice auprès de la région. La loi prévoit que l'exploitant sera choisi par appel d'offres. L'ouverture pour la RATP sur la partie métropolitaine est fixée en 2039, et en 2025 pour les bus sur certaines parties du réseau.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Merci, et bon courage ! La priorité sera d'être à nouveau crédible en termes de délais et de budget. L'échéance de 2024 est absolument incontournable, même si elle est très proche.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 10 h 05.