Intervention de François Jacq

Commission des affaires économiques — Réunion du 17 avril 2018 à 15h00
Audition de M. François Jacq candidat proposé à la fonction d'administrateur général du commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives cea

François Jacq, candidat proposé à la fonction d'administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) :

Merci pour cette introduction bienveillante, et qui trace presque le parcours de mon exposé ! C'est un honneur de m'exprimer devant vous aujourd'hui, car le CEA n'est pas un mince organisme dans le paysage français, comme en atteste la qualité des administrateurs généraux qui l'ont dirigé depuis la Libération, et je serais fier, le cas échéant, de succéder à un Raoul Dautry, un Pierre Guillaumat, un André Giraud ou un Yannick d'Escatha. Extérieur à cette institution, je n'ai pu asseoir mes analyses que sur mes perceptions, mais il va de soi que le projet que j'ai élaboré sera confronté aux équipes, tant il est vrai qu'un projet ne peut être que collectif - c'est d'ailleurs ce qui définira mon mode de gestion.

Le CEA a plus de soixante-dix ans. Il a accompli de grandes choses, dans le domaine militaire comme dans le civil, et le voilà à la croisée des chemins, essentiellement en raison des mutations qui affectent son environnement extérieur : transition énergétique, transition écologique, transition numérique, sans parler de l'évolution de l'environnement stratégique. Le coeur de mon projet sera de faire du CEA un acteur majeur de ces transitions et de ces transformations. Ce projet comporte trois piliers, assortis de trois conditions.

Premier pilier : faire du CEA un accélérateur de la transition énergétique. Pour cela, il faudra d'une part en faire le catalyseur des nouvelles formes d'énergie et des nouvelles filières énergétiques et, d'autre part, permettre à notre nucléaire civil d'être durable, exportable, sûr et économique. Deuxième pilier : faire du CEA un acteur important de l'industrie et de la médecine de demain, à la croisée de la transition numérique et de l'innovation. Troisième pilier : continuer à disposer d'une dissuasion nucléaire absolument exemplaire et fiable.

La première condition, c'est l'excellence de la recherche, donc le soutien permanent à une recherche qui, sans être nécessairement orientée, est pourvoyeuse d'idées et doit permettre d'ouvrir de nouvelles voies, de nouveaux savoirs, et de s'ouvrir sur le monde extérieur. La deuxième condition, c'est la rigueur : nous ne réussirons rien si nous ne sommes pas exemplaires dans la conduite des projets et dans la gestion des budgets. La troisième condition est d'avoir un projet collectif partagé par l'ensemble de la chaîne hiérarchique et du personnel, et de mettre en mouvement l'organisme par une conduite du changement.

Voilà des années que le CEA travaille sur les nouvelles filières énergétiques. Il est temps désormais de se concentrer sur quelques axes, et notamment sur la décarbonation de notre économie et le stockage durable d'électricité, qui a longtemps relevé du rêve mais qui semble enfin à portée de main. Nous pouvons développer une filière des batteries de demain en partenariat avec les industriels, pour consolider l'existant et préparer l'étape d'après, et nous concentrer aussi sur l'hydrogène, en développant un projet fédérateur qui étudie la viabilité d'une future filière industrielle. Je n'oublie évidemment pas les énergies marines renouvelables, mais la contrainte budgétaire nous obligera à faire des choix, à nous concentrer sur les domaines où le CEA a une vraie valeur ajoutée. En l'espèce, l'Ifremer est bien placé pour y répondre. Tous ces vecteurs énergétiques s'articuleront dans des réseaux électriques sur lesquels le CEA a aussi un rôle important à jouer pour en optimiser la gestion et en faire des réseaux intelligents, notamment en promouvant l'expérimentation locale et en s'appuyant sur les compétences de ses équipes en matière, par exemple, de capteurs ou de gestion de données.

Deuxième aspect du premier pilier : le nucléaire. La contradiction que vous mentionniez, madame la présidente, peut être surmontée. Le choix politique a été fait de diminuer la part du nucléaire dans le mix énergétique - mais de le conserver. Il est donc fondamental d'assurer la viabilité de la filière et de la préserver comme une ressource d'avenir. À cet égard, il est primordial que le CEA se positionne en soutien des industriels et parfois même prenne l'initiative. D'abord, il doit veiller au maintien du parc actuel et de la capacité à l'exploiter, en aidant aussi les industriels à réussir la troisième génération, ce qui n'est pas encore complètement acquis. La responsabilité en est clairement confiée à Framatome et à EDF, mais le CEA peut aider à ce qu'on sorte d'une logique d'opposition entre les acteurs pour aller vers un système de plateformes partagées.

Le nucléaire français ne sera exportable que s'il a plus d'un produit à exporter : le seul EPR ne suffit pas ! À cet égard, le CEA pourra explorer des concepts innovants avec les industriels, ce qui lui permettra de développer des compétences et des innovations aussi en interne.

Le démantèlement et l'assainissement, qui sont souvent perçus comme une charge, peuvent aussi renforcer nos exportations, notamment au vu du nombre croissant d'installations dans le monde qui seront à assainir et à démanteler. Nous devons constituer une filière française du démantèlement qui, grâce à l'expérience acquise sur nos installations, exportera son savoir-faire. Sur ce point, le CEA peut prendre l'initiative, avec les acteurs du nucléaire aussi avec d'autres acteurs de la gestion du déchet non nucléaire, en entraînant aussi tout un tissu de PME.

Deuxième pilier : faire du CEA un acteur de l'industrie et de la médecine de demain. Cela regroupe les questions de transition numérique, de développement de l'électronique, de l'intelligence artificielle, etc. Le CEA compte en son sein de nombreuses compétences : son laboratoire d'électronique et de technologie de l'information (Leti) a été créé en 1967 ! La priorité est d'assurer une maîtrise des technologies du numérique autour de la cyber-sécurité, de la maîtrise et de la protection des données, de l'électronique avancée et de la microélectronique : nous avons à la fois les acteurs nationaux et les compétences au sein du CEA pour construire une filière.

Tous les éléments de cette transition numérique ne sont pas aisés à maîtriser pour tout le tissu industriel, dans lequel nous devons les injecter. Certes, le CEA ne peut pas tout faire, et ne saurait devenir spécialiste de tous les secteurs industriels. En revanche, nous pouvons faire de certaines entreprises, avec lesquelles nous nouerions des partenariats forts, des relais, qui permettraient ensuite d'irriguer le tissu industriel : elles joueraient en quelque sorte le rôle de traducteurs de nos travaux pour irriguer ce tissu.

Dernier élément : la médecine et la biologie, dont on parle moins souvent, mais qui appartiennent à une vieille tradition du CEA, liée à la recherche sur l'atome, aux capacités d'imagerie et de compréhension de la matière ou encore aux travaux sur l'effet des rayonnements, et qui procède aujourd'hui de notre maîtrise des technologies de la génomique et du traitement de la donnée. De fait, au croisement de tout cela, il y a une réelle singularité du CEA, qui ne se substitue ni au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ni à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), et jouera un rôle fondamental pour les thérapies de demain.

Sur le volet militaire, je serai bref, car je le connais moins bien, et il se prête moins à une discussion publique. La direction des applications militaires est une ressource extrêmement précieuse du CEA. Elle a, au fil des années, réussi à doter la France d'une dissuasion que tout le monde s'accorde à reconnaître comme exemplaire ; elle a aussi été capable de gérer la transition vers l'arrêt des essais et le passage à la simulation, avec tout ce que cela implique en termes de maîtrise du laser mégajoule et de calcul haute performance. Mon projet est évidemment de maintenir cette exemplarité et cette parfaite organisation.

La première des conditions que j'énumérais est que la dynamique de recherche doit rester extrêmement forte. Je n'aime guère la distinction entre recherche fondamentale et autre recherche : pour moi, il y a de la bonne et de la mauvaise recherche, tous les chercheurs aspirent à en faire de la bonne, et ce qui en sort n'est jamais totalement prévisible. Certes, le CEA n'est pas un organisme de recherche purement cognitive, et nos programmes sont forcément orientés. Il appartient, cela dit, au CEA, de s'inscrire dans les politiques de sites, à Saclay, à Grenoble... Il doit aussi réfléchir à des partenariats avec l'Inserm ou l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria) tout en restant présent sur des enjeux aussi fondamentaux que l'astrophysique où, qu'il s'agisse de l'analyse de sursauts gamma ou d'équipements embarqués sur des satellites dans le cadre de programmes internationaux, le CEA est impliqué.

Deuxième condition : la rigueur. Il faut regarder les choses en face, le CEA a connu des difficultés dans la conduite d'un certain nombre de grands projets - je pense en particulier au réacteur Jules Horowitz -, où le calendrier et le budget ont dérapé. Sur ces errements, nous disposons d'un certain nombre d'éléments de diagnostic. La compétence d'ingénierie du CEA doit être aussi exemplaire que possible. Pour cela, il n'y a pas de baguette magique : il faut une gestion de projets aussi rigoureuse que possible. J'ai connu la même problématique à mon arrivée à l'Andra en 2007. Il faut un effort constant, permanent. Nous serons exemplaires, là comme dans la gestion budgétaire, qui nous imposera des choix. En effet, pour faire des économies, le rabot est la méthode la plus douloureuse et la plus démoralisante pour les équipes. Mieux vaut renoncer à certains projets. Je ne puis vous dire encore lesquels, et il y aura un travail d'analyse à faire avec les équipes : nous conduirons certainement une revue stratégique d'un certain nombre de projets. C'est un élément de la conduite du changement.

Le CEA a toutes raisons d'être fier de son héritage. Ses compétences, comme cet héritage, doivent être respectés ; on doit les faire fructifier tout en mettant l'organisme en mouvement autour d'un projet partagé par l'ensemble de la chaîne hiérarchique, par le comité de direction, que je souhaite aussi ouvert et aussi divers que possible, et par un CEA que je veux unifié et sans baronnies, sans féodalité, et avec des transversalités qui fonctionnent. Ce sera l'objet de mes premiers échanges avec toutes les parties prenantes.

Le processus de sélection a été long et rigoureux : j'ai passé un grand nombre d'entretiens et d'auditions. J'ai l'impression qu'il fut centré sur deux points : le projet et la manière de gérer des structures ou des organismes. Pour ma part, j'ai dirigé trois organismes, l'Andra, Météo-France et l'Ifremer, à chaque fois dans des conditions assez difficiles. Chez Météo-France, il a fallu refondre toute une partie de l'organisme pour passer à la prévision numérique. À l'Andra, la mise en oeuvre du projet a été parfois douloureuse. À l'Ifremer, le transfert du siège à Plouzané n'a pas été très bien vécu par le personnel, d'autant qu'il s'est accompagné d'un ensemble de restructurations. J'espère avoir à chaque fois contribué à redonner un projet à ces organismes et même à en motiver le personnel autant que faire se peut. Aussi serais-je heureux que cette compétence acquise au fil du temps, ainsi que mon attachement pour le monde de la recherche et pour ce très bel organisme qu'est le CEA se traduisent par un nouveau défi pour moi !

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