Nous entendons, en application de l'article 13 de la Constitution, M. François Jacq, candidat proposé par le Président de la République pour exercer les fonctions d'administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).
À l'issue de cette audition, ouverte à la presse et au public et retransmise sur le site du Sénat, nous procèderons au vote. Les délégations de vote ne sont pas autorisées et je remercie par conséquent chacun d'entre vous de bien vouloir rester jusqu'à la fin de l'audition pour participer au scrutin. L'Assemblée nationale ayant entendu M. Jacq hier, nous dépouillerons immédiatement à l'issue du vote. Le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs de chaque commission représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés. Je ne suis pas inquiète...
Monsieur Jacq, vous êtes pressenti pour succéder, à la tête du CEA, à M. Daniel Verwaerde, au terme d'un processus de sélection dont vous pourrez peut-être nous dire quelques mots. Vous aurez aussi l'occasion de revenir sur votre parcours professionnel, où l'énergie a occupé une grande place, puisqu'avant de présider l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) depuis 2013, et, avant cela, de diriger Météo-France entre 2009 et 2013, vous aviez successivement exercé les fonctions de directeur du département « énergie, transports, environnement, ressources naturelles » au ministère de la recherche entre 1997 et 2000, celles de directeur général de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) de 2000 à 2005, celles de directeur de la demande et des marchés énergétiques au ministère de l'industrie entre 2005 et 2007 et celles, enfin, de conseiller pour l'industrie, la recherche et l'énergie au sein du cabinet du Premier ministre, entre 2007 et 2009. Autant dire que la plupart des sujets dont le CEA traite ne vous sont pas étrangers...
Depuis sa création, il y a plus de soixante-dix ans, le CEA a indéniablement contribué à l'excellence scientifique française, à la sécurité ainsi qu'à la compétitivité de notre pays, comme votre prédécesseur l'avait indiqué devant nous à l'occasion du même exercice il y a trois ans. Fort de ses 16 000 salariés et d'un budget conséquent de 4,6 milliards d'euros, le CEA intervient dans quatre secteurs : la défense et la sécurité, les énergies bas carbone que sont le nucléaire et les renouvelables, la recherche technologique pour l'industrie et la recherche fondamentale en sciences de la matière et du vivant.
Pouvez-vous nous donner une vision plus précise des activités du CEA et, surtout, des orientations que vous comptez lui donner ? Quel est votre projet ?
La question est d'autant plus cruciale que le secteur de l'énergie est confronté à des évolutions et à des défis technologiques majeurs, auxquels la politique énergétique conduite ces dernières années a ajouté une incertitude assez importante sur la place du nucléaire dans le mix de production. Dans un tel contexte, comment appréhendez-vous le rôle du CEA, à la fois sur l'amélioration du parc actuel et sur la préparation des systèmes nucléaires de demain, dits de quatrième génération ? N'y a-t-il pas une forme de paradoxe, de la part de la tutelle du CEA, à lui demander à la fois d'inventer le nucléaire de demain, d'optimiser le nucléaire d'aujourd'hui et d'exporter le savoir-faire français à l'étranger, tout en remettant en cause sa pertinence, ici et maintenant, sur le territoire national ? Comment comptez-vous vivre ce paradoxe ?
Le CEA, qui était rattaché à l'origine aux services du Premier ministre, relève de quatre tutelles - énergie, recherche, industrie et défense - dont les intérêts ne sont pas nécessairement alignés, ce qui complique encore la tâche : une clarification des rôles ne serait-elle pas souhaitable ? Lorsqu'il faudra parler budget et priorités, à qui vous adresserez-vous ?
Pour revenir à la recherche sur le nucléaire, le CEA est-il associé aux réflexions de la filière sur un EPR optimisé, sur l'Atmea - le projet de réacteur de 1 000 MW imaginé par Areva et Mitsubishi - ou encore sur le développement de petits réacteurs modulaires ? L'avenir est-il, selon vous, aux petits réacteurs ou aux objets industriels plus puissants, et plus complexes, tels que l'EPR ? Où en sont les programmes de recherche sur les réacteurs à neutrons rapides capables de fermer le cycle, et donc de rendre le nucléaire parfaitement durable, et à quel horizon une exploitation commerciale vous paraît-elle envisageable ?
En tant qu'exploitant nucléaire, le CEA a développé une grande compétence en matière d'assainissement, de démantèlement des installations et de gestion des déchets ; à l'heure où de nombreuses installations arrivent en fin de vie, quel sera son positionnement ?
En matière de production d'énergie renouvelable, les recherches du CEA portent prioritairement sur l'optimisation de l'énergie solaire, photovoltaïque ou thermique, la valorisation énergétique des déchets ou le développement de micro-organismes présentant un intérêt énergétique. Les équipes du CEA travaillent aussi à l'amélioration du stockage électrochimique, décisif pour pallier l'intermittence des énergies renouvelables, ainsi qu'au développement de l'hydrogène et de la pile à combustible. Pourriez-vous nous présenter les perspectives de chacune de ces filières ? Le CEA ne gagnerait-il pas à s'intéresser, aussi, à l'hydraulique, à l'éolien ainsi qu'aux énergies marines renouvelables ? Celles-ci sont prometteuses - et ce n'est pas le dirigeant de l'Ifremer que vous êtes encore qui me démentira... Est-ce la contrainte budgétaire qui oblige à se concentrer sur certaines filières ?
En matière de recherche appliquée, le CEA explore de très nombreux sujets, allant des nanotechnologies et nanosciences à la microélectronique ou aux progrès de l'imagerie médicale. Comment les interactions du CEA avec le monde de l'industrie pourraient-elles être encore renforcées ?
En matière de recherche fondamentale enfin, quelles sont les grandes questions auxquelles tente de répondre le CEA et comment cette recherche fondamentale irrigue-t-elle ses autres activités ?
Merci pour cette introduction bienveillante, et qui trace presque le parcours de mon exposé ! C'est un honneur de m'exprimer devant vous aujourd'hui, car le CEA n'est pas un mince organisme dans le paysage français, comme en atteste la qualité des administrateurs généraux qui l'ont dirigé depuis la Libération, et je serais fier, le cas échéant, de succéder à un Raoul Dautry, un Pierre Guillaumat, un André Giraud ou un Yannick d'Escatha. Extérieur à cette institution, je n'ai pu asseoir mes analyses que sur mes perceptions, mais il va de soi que le projet que j'ai élaboré sera confronté aux équipes, tant il est vrai qu'un projet ne peut être que collectif - c'est d'ailleurs ce qui définira mon mode de gestion.
Le CEA a plus de soixante-dix ans. Il a accompli de grandes choses, dans le domaine militaire comme dans le civil, et le voilà à la croisée des chemins, essentiellement en raison des mutations qui affectent son environnement extérieur : transition énergétique, transition écologique, transition numérique, sans parler de l'évolution de l'environnement stratégique. Le coeur de mon projet sera de faire du CEA un acteur majeur de ces transitions et de ces transformations. Ce projet comporte trois piliers, assortis de trois conditions.
Premier pilier : faire du CEA un accélérateur de la transition énergétique. Pour cela, il faudra d'une part en faire le catalyseur des nouvelles formes d'énergie et des nouvelles filières énergétiques et, d'autre part, permettre à notre nucléaire civil d'être durable, exportable, sûr et économique. Deuxième pilier : faire du CEA un acteur important de l'industrie et de la médecine de demain, à la croisée de la transition numérique et de l'innovation. Troisième pilier : continuer à disposer d'une dissuasion nucléaire absolument exemplaire et fiable.
La première condition, c'est l'excellence de la recherche, donc le soutien permanent à une recherche qui, sans être nécessairement orientée, est pourvoyeuse d'idées et doit permettre d'ouvrir de nouvelles voies, de nouveaux savoirs, et de s'ouvrir sur le monde extérieur. La deuxième condition, c'est la rigueur : nous ne réussirons rien si nous ne sommes pas exemplaires dans la conduite des projets et dans la gestion des budgets. La troisième condition est d'avoir un projet collectif partagé par l'ensemble de la chaîne hiérarchique et du personnel, et de mettre en mouvement l'organisme par une conduite du changement.
Voilà des années que le CEA travaille sur les nouvelles filières énergétiques. Il est temps désormais de se concentrer sur quelques axes, et notamment sur la décarbonation de notre économie et le stockage durable d'électricité, qui a longtemps relevé du rêve mais qui semble enfin à portée de main. Nous pouvons développer une filière des batteries de demain en partenariat avec les industriels, pour consolider l'existant et préparer l'étape d'après, et nous concentrer aussi sur l'hydrogène, en développant un projet fédérateur qui étudie la viabilité d'une future filière industrielle. Je n'oublie évidemment pas les énergies marines renouvelables, mais la contrainte budgétaire nous obligera à faire des choix, à nous concentrer sur les domaines où le CEA a une vraie valeur ajoutée. En l'espèce, l'Ifremer est bien placé pour y répondre. Tous ces vecteurs énergétiques s'articuleront dans des réseaux électriques sur lesquels le CEA a aussi un rôle important à jouer pour en optimiser la gestion et en faire des réseaux intelligents, notamment en promouvant l'expérimentation locale et en s'appuyant sur les compétences de ses équipes en matière, par exemple, de capteurs ou de gestion de données.
Deuxième aspect du premier pilier : le nucléaire. La contradiction que vous mentionniez, madame la présidente, peut être surmontée. Le choix politique a été fait de diminuer la part du nucléaire dans le mix énergétique - mais de le conserver. Il est donc fondamental d'assurer la viabilité de la filière et de la préserver comme une ressource d'avenir. À cet égard, il est primordial que le CEA se positionne en soutien des industriels et parfois même prenne l'initiative. D'abord, il doit veiller au maintien du parc actuel et de la capacité à l'exploiter, en aidant aussi les industriels à réussir la troisième génération, ce qui n'est pas encore complètement acquis. La responsabilité en est clairement confiée à Framatome et à EDF, mais le CEA peut aider à ce qu'on sorte d'une logique d'opposition entre les acteurs pour aller vers un système de plateformes partagées.
Le nucléaire français ne sera exportable que s'il a plus d'un produit à exporter : le seul EPR ne suffit pas ! À cet égard, le CEA pourra explorer des concepts innovants avec les industriels, ce qui lui permettra de développer des compétences et des innovations aussi en interne.
Le démantèlement et l'assainissement, qui sont souvent perçus comme une charge, peuvent aussi renforcer nos exportations, notamment au vu du nombre croissant d'installations dans le monde qui seront à assainir et à démanteler. Nous devons constituer une filière française du démantèlement qui, grâce à l'expérience acquise sur nos installations, exportera son savoir-faire. Sur ce point, le CEA peut prendre l'initiative, avec les acteurs du nucléaire aussi avec d'autres acteurs de la gestion du déchet non nucléaire, en entraînant aussi tout un tissu de PME.
Deuxième pilier : faire du CEA un acteur de l'industrie et de la médecine de demain. Cela regroupe les questions de transition numérique, de développement de l'électronique, de l'intelligence artificielle, etc. Le CEA compte en son sein de nombreuses compétences : son laboratoire d'électronique et de technologie de l'information (Leti) a été créé en 1967 ! La priorité est d'assurer une maîtrise des technologies du numérique autour de la cyber-sécurité, de la maîtrise et de la protection des données, de l'électronique avancée et de la microélectronique : nous avons à la fois les acteurs nationaux et les compétences au sein du CEA pour construire une filière.
Tous les éléments de cette transition numérique ne sont pas aisés à maîtriser pour tout le tissu industriel, dans lequel nous devons les injecter. Certes, le CEA ne peut pas tout faire, et ne saurait devenir spécialiste de tous les secteurs industriels. En revanche, nous pouvons faire de certaines entreprises, avec lesquelles nous nouerions des partenariats forts, des relais, qui permettraient ensuite d'irriguer le tissu industriel : elles joueraient en quelque sorte le rôle de traducteurs de nos travaux pour irriguer ce tissu.
Dernier élément : la médecine et la biologie, dont on parle moins souvent, mais qui appartiennent à une vieille tradition du CEA, liée à la recherche sur l'atome, aux capacités d'imagerie et de compréhension de la matière ou encore aux travaux sur l'effet des rayonnements, et qui procède aujourd'hui de notre maîtrise des technologies de la génomique et du traitement de la donnée. De fait, au croisement de tout cela, il y a une réelle singularité du CEA, qui ne se substitue ni au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ni à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), et jouera un rôle fondamental pour les thérapies de demain.
Sur le volet militaire, je serai bref, car je le connais moins bien, et il se prête moins à une discussion publique. La direction des applications militaires est une ressource extrêmement précieuse du CEA. Elle a, au fil des années, réussi à doter la France d'une dissuasion que tout le monde s'accorde à reconnaître comme exemplaire ; elle a aussi été capable de gérer la transition vers l'arrêt des essais et le passage à la simulation, avec tout ce que cela implique en termes de maîtrise du laser mégajoule et de calcul haute performance. Mon projet est évidemment de maintenir cette exemplarité et cette parfaite organisation.
La première des conditions que j'énumérais est que la dynamique de recherche doit rester extrêmement forte. Je n'aime guère la distinction entre recherche fondamentale et autre recherche : pour moi, il y a de la bonne et de la mauvaise recherche, tous les chercheurs aspirent à en faire de la bonne, et ce qui en sort n'est jamais totalement prévisible. Certes, le CEA n'est pas un organisme de recherche purement cognitive, et nos programmes sont forcément orientés. Il appartient, cela dit, au CEA, de s'inscrire dans les politiques de sites, à Saclay, à Grenoble... Il doit aussi réfléchir à des partenariats avec l'Inserm ou l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria) tout en restant présent sur des enjeux aussi fondamentaux que l'astrophysique où, qu'il s'agisse de l'analyse de sursauts gamma ou d'équipements embarqués sur des satellites dans le cadre de programmes internationaux, le CEA est impliqué.
Deuxième condition : la rigueur. Il faut regarder les choses en face, le CEA a connu des difficultés dans la conduite d'un certain nombre de grands projets - je pense en particulier au réacteur Jules Horowitz -, où le calendrier et le budget ont dérapé. Sur ces errements, nous disposons d'un certain nombre d'éléments de diagnostic. La compétence d'ingénierie du CEA doit être aussi exemplaire que possible. Pour cela, il n'y a pas de baguette magique : il faut une gestion de projets aussi rigoureuse que possible. J'ai connu la même problématique à mon arrivée à l'Andra en 2007. Il faut un effort constant, permanent. Nous serons exemplaires, là comme dans la gestion budgétaire, qui nous imposera des choix. En effet, pour faire des économies, le rabot est la méthode la plus douloureuse et la plus démoralisante pour les équipes. Mieux vaut renoncer à certains projets. Je ne puis vous dire encore lesquels, et il y aura un travail d'analyse à faire avec les équipes : nous conduirons certainement une revue stratégique d'un certain nombre de projets. C'est un élément de la conduite du changement.
Le CEA a toutes raisons d'être fier de son héritage. Ses compétences, comme cet héritage, doivent être respectés ; on doit les faire fructifier tout en mettant l'organisme en mouvement autour d'un projet partagé par l'ensemble de la chaîne hiérarchique, par le comité de direction, que je souhaite aussi ouvert et aussi divers que possible, et par un CEA que je veux unifié et sans baronnies, sans féodalité, et avec des transversalités qui fonctionnent. Ce sera l'objet de mes premiers échanges avec toutes les parties prenantes.
Le processus de sélection a été long et rigoureux : j'ai passé un grand nombre d'entretiens et d'auditions. J'ai l'impression qu'il fut centré sur deux points : le projet et la manière de gérer des structures ou des organismes. Pour ma part, j'ai dirigé trois organismes, l'Andra, Météo-France et l'Ifremer, à chaque fois dans des conditions assez difficiles. Chez Météo-France, il a fallu refondre toute une partie de l'organisme pour passer à la prévision numérique. À l'Andra, la mise en oeuvre du projet a été parfois douloureuse. À l'Ifremer, le transfert du siège à Plouzané n'a pas été très bien vécu par le personnel, d'autant qu'il s'est accompagné d'un ensemble de restructurations. J'espère avoir à chaque fois contribué à redonner un projet à ces organismes et même à en motiver le personnel autant que faire se peut. Aussi serais-je heureux que cette compétence acquise au fil du temps, ainsi que mon attachement pour le monde de la recherche et pour ce très bel organisme qu'est le CEA se traduisent par un nouveau défi pour moi !
Le CEA doit, dites-vous, être un acteur majeur de la transition énergétique. S'agissant du stockage de l'électricité, des solutions sont annoncées depuis quatorze ou quinze ans. Je crois savoir que le CEA travaille à cet égard sur des technologies prometteuses de pile à combustible, ainsi que sur le projet Myrte, dont l'objectif est de démontrer que l'hydrogène peut pallier la nature intermittente de certaines énergies renouvelables. Laquelle de ces technologies vous paraît être la plus apte à développer une filière industrielle dans les meilleurs délais ?
Quelle sera, par ailleurs, la stratégie du CEA en matière de démantèlement du nucléaire, eu égard notamment à ses conséquences en termes d'emploi sur le tissu industriel français ?
Le CEA et ses partenaires ont lancé, il y a quelques années, la première phase du projet de construction d'un démonstrateur de production de biocarburants deuxième génération : cette filière, que vous n'avez pas évoquée, doit-elle constituer un axe fort de la recherche du CEA afin de permettre son déploiement industriel ?
La fusion thermonucléaire deutérium-tritium dégage, semble-t-il, une énergie considérable en usant de très peu de combustibles. Or, les réserves terrestres de ces matériaux sont presque illimitées. S'agit-il, pour vous, d'un développement prioritaire ? Quand pourraient être envisagés la construction d'un premier prototype et le déploiement de réacteurs industriels ?
S'agissant enfin du Département analyse, surveillance, environnement du CEA, le Dase, je me réjouis que le Centre d'alerte au tsunami (Cenalt), désormais accrédité, fonctionne de façon satisfaisante en matière d'alerte montante. Reste néanmoins à rendre opérationnelle l'alerte descendante...
Lors de la COP 22, à Marrakech au mois de novembre 2016, le CEA et l'agence marocaine de promotion des énergies renouvelables Masen ont présenté la première centrale solaire thermodynamique, qui, grâce à la technologie des miroirs de Fresnel, permet de produire à la fois de l'électricité et du froid sous forme de glace souterraine, mais également de dessaler l'eau de mer. De nombreux industriels et les collectivités d'Afrique subsaharienne sont évidemment intéressés. Quel avenir envisagez-vous pour cette technologie et comment, le cas échéant, pourrait-elle être développée par la France ?
Avec ses centres modernes de recherche, ses 16 000 techniciens, ingénieurs et chercheur, ses 743 dépôts de brevets, ses 195 start-up, son budget supérieur à 4 milliards d'euros et ses trente pôles de compétitivité, le CEA est un bien bel organisme ! Il ne peut néanmoins tout faire... La spécialisation imposée par l'étendue du champ de la transition énergétique et l'impact du numérique rendent nécessaires les collaborations. Mais ne craignez-vous pas qu'à force de partenariats, le CEA perde son identité ou intervienne en doublon avec, par exemple, l'Inserm ou le CNRS ? Un organisme d'une telle ampleur ne pourrait-il pas, à terme, se révéler impossible à piloter, malgré tout le talent de sa direction et de son personnel, alors qu'il intervient dans des champs stratégiques pour la recherche et l'industrie nationales ?
J'aimerais vous interroger sur l'implication du CEA dans le projet ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor). Vous nous avez par ailleurs présenté vos objectifs, mais où réside l'originalité de votre projet par rapport à celui mis en oeuvre par l'actuel administrateur général, Daniel Verwaerde ?
Vous n'avez pas abordé le projet Astrid, un démonstrateur technologique pour la quatrième génération de réacteurs nucléaires, qui utiliserait de l'uranium 238. Quelle vision portez-vous pour ce projet, dont l'ambition a été amoindrie faute de moyens suffisants, qui permettrait d'éliminer nos déchets nucléaires ?
Dans un entretien donné au journal Les Échos, Daniel Verwaerde faisait état de son souhait que le CEA conserve un lien privilégié avec Areva. Avez-vous des informations sur les intentions du Gouvernement en la matière ? Quelle est votre approche de ce dossier ?
Faisant appel à votre expérience à la tête de l'Andra, j'aimerais savoir si, selon vous, les nouvelles technologies permettront à terme de recycler intégralement les déchets nucléaires. Au-delà de l'opinion de chacun sur l'énergie nucléaire, le problème des déchets demeure. Or, l'avenir du centre de stockage en profondeur de Bure interroge à l'aune de l'épisode fâcheux de Notre-Dame-des-Landes. Arriverons-nous un jour à enfouir un container à Bure ?
J'ai comme vous le souvenir douloureux, monsieur Courteau, des promesses des années quatre-vingt-dix sur les piles à combustible ou sur le stockage qui ne se sont pas avérées... Rien n'est certes abouti, mais la solution est désormais à portée de main. S'agissant, à titre d'illustration, de l'hydrogène, que vous mentionniez comme vecteur potentiel de stockage, les progrès accomplis sur les électrolyseurs ont permis la réduction du coût d'une électrolyse, c'est-à-dire de la capacité à récupérer l'électricité, à électrolyser l'eau et à obtenir de l'hydrogène, qui peut ensuite être stocké, y compris sous forme solide. La technologie n'est certes pas encore opérationnelle, mais elle a considérablement progressé. Je doute, pour ma part, de l'avènement d'une « civilisation de l'hydrogène », mais son utilisation dans un futur mix énergétique est désormais avérée, d'autant qu'un certain nombre de processus industriels consomment déjà de l'hydrogène, mais qui est produit à partir d'éléments fossiles et qui émet par conséquent des gaz à effet de serre.
Je vous remercie de me permettre de préciser ma pensée en matière de démantèlement du nucléaire : nous abordons à mon sens cette question avec une trop grande segmentation entre les différents acteurs. Organisons la filière française sous l'égide d'un acteur industriel leader, autour duquel s'organiserait tout un tissu d'entreprises. Lançons une installation « pilote » pour réaliser une opération intégrée de démantèlement et d'assainissement à des coûts et dans des conditions raisonnables, afin d'exporter ensuite ce savoir-faire.
Je n'ai effectivement pas fait mention des biocarburants, sur lesquels pourtant le CEA poursuit des recherches. Nous devons en effet concentrer nos effectifs et nos ressources sur les projets où les compétences du CEA semblent évidentes et ont atteint une taille critique. Certes, les biocarburants constituent un enjeu majeur de la transition énergétique, mais il ne m'apparaît pas certain, sous réserve d'inventaire et de discussion avec les équipes du CEA, que ce dernier représente le meilleur vecteur de développement pour ces technologies.
Concernant la fusion thermonucléaire comme le projet ITER, il faut avoir en tête le calendrier.
Le projet, encore au stade de la recherche, envisage effectivement, en 2050, la production d'une machine de démonstration, qui pourrait elle--même conduire à une éventuelle réalisation industrielle vers la fin du siècle. Cette perspective est lointaine et nécessite, sur une longue période, de faire coïncider avancées des connaissances et réalisations effectives, mais également de traiter les urgences sans injurier l'avenir. J'y ai aussi peu insisté car ITER est une opération internationale, certes installée sur le sol français, sous l'autorité de Bernard Bigot ; le CEA y contribue mais ne la pilote pas.
Monsieur Courteau, votre remarque sur le Dase est tout à fait pertinente et je la partage : la détection ne fait pas l'avertissement. Président-directeur général de Météo-France à l'époque de la tempête Xynthia, je ne le sais que trop bien... Entendu par une commission d'enquête sénatoriale sur ce sujet, j'avais ainsi indiqué que nous avions connaissance de la survenue d'une surcote et que les éléments d'avertissement avaient été envoyés aux préfectures. Seulement, il n'existait alors aucun dispositif de vigilance et d'avertissement similaire à celui créé après 1999 pour les tempêtes, la vigilance « vagues-submersion » n'ayant été généralisée qu'après.
Nous poursuivons effectivement, monsieur Decool, des travaux sur les miroirs de Fresnel, qui représentent un bon exemple de « diplomatie énergétique ». La France oeuvre en faveur de l'accord de Paris sur le climat, malgré un contexte quelque peu compliqué par le retrait américain ; cela suppose de proposer des voies de développement technologiquement accessibles aux différents pays en respectant les spécificités climatiques et énergétiques.
Monsieur Daunis pose la question majeure à laquelle un dirigeant d'organisme est confronté : on veut toujours lui en faire faire plus, surtout si ça se passe bien. Je ne crois pas que le CEA souffre à ce jour d'une perte d'identité ou intervienne en doublon, mais il convient de rester vigilant. Ainsi, dans le domaine de la recherche technologique, hors nucléaire et énergie, le CEA a certes déployé une capacité d'irrigation du tissu industriel mais s'est aussi, je crois, lancé dans une fuite en avant et s'est parfois éparpillé sur de nombreux sujets. À l'aune d'un examen des activités stratégiques, il conviendra donc de renoncer à certaines actions. Je crois en revanche à l'intérêt des partenariats, notamment avec l'Inserm et le CNRS, avec lesquels existe une réelle complémentarité. Le CEA n'a pas vocation à investir tous les domaines. Ainsi, s'agissant des énergies marines renouvelables, j'estime plus judicieux de miser sur l'Ifremer que de multiplier les acteurs. Toutefois, l'Ifremer elle-même ne peut tout gérer avec seulement 250 personnes ; elle y perdrait aussi son âme. L'ascèse est un exercice permanent, alors que la tentation inverse est grande.
Madame Procaccia m'interrogeait sur l'originalité de mon projet, question également posée hier par vos collègues de l'Assemblée nationale... Je ne crois pas, pour m'en être entretenu avec lui, qu'il existe une différence considérable entre la vision portée par Daniel Verwaerde et la mienne. J'estime néanmoins pouvoir apporter au CEA ma capacité, acquise au gré de mes précédentes responsabilités, à mobiliser les énergies et les équipes autour d'un projet et à conduire des changements. Je suis convaincu de l'intérêt du travail en commun et de la transversalité entre directions. Les équipes de la technologie, du nucléaire, des applications militaires doivent, par exemple, travailler ensemble sur les enjeux de la cyber-sécurité et de la guerre moderne. À l'Ifremer, je me suis ainsi attaché à rapprocher les océanographes, les biologistes et les ingénieurs.
S'agissant, monsieur Cabanel, du projet Astrid, je vous avoue ne guère croire à une quatrième génération de réacteurs sans troisième génération aboutie et exportable. Nous devons certes garder des perspectives pour l'avenir, mais le déploiement industriel d'une quatrième génération apparaît éminemment lointain.
Madame Férat a mentionné Areva et la manière dont le groupe s'est recomposé entre Orano sur le cycle, Framatome sur les réacteurs avec EDF et la structure qui porte le projet Olkiluoto. Nous devons conserver une proximité extrêmement forte avec ces entités mais cette proximité n'est pas nécessairement capitalistique. Je partage, à cet égard, le point de vue de Daniel Verwaerde. On a trop souffert, et j'ai connu cette situation à l'Andra, de rivalité entre acteurs dont la filière ne peut plus se permettre le luxe aujourd'hui ! Tant sur le volet réacteurs que sur le volet cycle, il faut encore plus et encore mieux collaborer et la volonté est là, de toutes parts.
Je répondrai enfin à Michel Raison, qui s'inquiétait de la situation à Bure. Lorsque j'ai pris mes fonctions en 2000 à l'Andra, 2 500 à 3 000 personnes y campaient l'été, abaissant les grilles, envahissant le site et détruisant des matériels. Nous l'avons oublié désormais, mais j'en garde, pour ma part, un souvenir douloureux ! Nous nous sommes alors lancés dans un ambitieux travail d'explicitation et avons fait progresser alors une compréhension partagée sur le sujet, évaporée depuis. Peut-être suis-je d'un optimisme béat ou d'une naïveté militante, mais je pense qu'il n'est d'autre solution que l'explicitation. Il y aura toujours des déchets : malgré les recherches et les analyses, le rêve ultime de la disparition des déchets déjà produits a vécu... Nous avons donc besoin d'une solution. À Bure, nous avons considérablement progressé, et, même si elle demande encore un long travail technique, notamment sur la réversibilité, et de conviction, je reste convaincu que cette solution doit être défendue.
En termes de déploiement industriel, il n'y a pas d'urgence. Nous devons poursuivre le travail d'explication dans le calme et la sérénité, en démontrant la faisabilité du projet et en continuant de progresser sur les aspects scientifiques et techniques.
Je vous remercie d'avoir répondu précisément aux questions des membres de la commission, monsieur Jacq.
La commission procède au vote sur la candidature de M. François Jacq, candidat proposé aux fonctions d'administrateur général du CEA, en application de l'article 13 de la Constitution.
Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants : 21.
Bulletins blancs ou nuls : 1.
Nombre de suffrages exprimés : 20.
Pour : 19.
Contre : 1.
La commission donne un avis favorable à la nomination de M. François Jacq aux fonctions d'administrateur général du CEA.
La réunion est close à 16 heures 10.