Intervention de Jean-Marie Delarue

Mission d'information réinsertion des mineurs enfermés — Réunion du 19 avril 2018 à 14h00
Audition de M. Jean-Marie delaRue conseiller d'état ancien contrôleur général des lieux de privations et de liberté auteur du livre « prisons quel avenir? »

Jean-Marie Delarue :

Je vous crois bien volontiers, mais les matelas au sol que nous avons constatés étaient cependant bien postérieurs à la fermeture de la maison d'arrêt de Toulon.

Quoi qu'il en soit, certains choix se sont révélés contre-productifs. Les emplois du temps ont été conçus comme une suite incessante d'activités ; l'enfant rêvant ou seul n'ayant pas le droit de citer. Les désaccords sur la gestion de ces établissements entre l'administration pénitentiaire et la PJJ ont été à l'origine d'importantes difficultés. Enfin, avec le temps et les difficultés de gestion, les originalités du début tendent à s'essouffler, les personnels volontaires ayant été progressivement remplacés par des personnels désignés. Les EPM restent une prison, c'est à dire une rupture avec la société. Les mêmes violences qu'en prison s'y retrouvent. Il convient donc de ne pas exagérer leurs différences avec les quartiers pour mineurs.

Je suis convaincu que les relations avec la famille sont primordiales pour favoriser la réinsertion des mineurs. En raison du faible nombre de ces établissements, être envoyé dans un EPM revient, le plus souvent, à être éloigné de sa famille. Quand j'ai visité l'EPM de Lavaur, dans le Tarn, si vingt pensionnaires provenaient de la région Midi-Pyrénées, vingt-et-un étaient issus d'autres régions, dont un de Guyane. De plus, lorsqu'un jeune se montre indiscipliné dans un quartier pour mineurs, il peut être transféré dans un EPM. Ainsi, l'EPM d'Orvault accueille des jeunes détenus en provenance de toutes les prisons de la région Nouvelle Aquitaine.

Alors que les mineurs détenus dans les quartiers pour mineurs se fondent dans la population carcérale, ceux détenus dans les EPM sont marqués socialement comme étant les moins dociles. Or, identifier certains jeunes comme particulièrement indisciplinés revient à leur attribuer, à tort ou à raison, un rôle, auxquels ces jeunes ont ensuite tendance à se conformer. En outre, certains objectifs initiaux ont été oubliés : des gestions différenciées apparaissent désormais dans les EPM, comme dans les prisons traditionnelles, en ce sens où certains jeunes disposent de moins de latitude que d'autres, ce qui crée inévitablement des tensions dans ces structures de taille réduite.

Plutôt que de construire de nouveaux EPM, il faut s'interroger sur ce qu'on y fait et se demander quels liens ces établissements et les CEF entretiennent avec ce qui les précède et avec ce qui les suit. Notre justice a trop tendance à balloter ces mineurs dans des établissements successifs, de trimestre en trimestre. On confie ces jeunes, qui ont par définition besoin de stabilité, à des personnes qui ne savent pas ce qu'ils ont pu faire au cours du trimestre précédent. Quel parent accepterait de voir son fils traité de la sorte ? Je plaide donc pour que la protection judiciaire de la jeunesse assure un lien entre l'ensemble des mesures destinées à favoriser un parcours d'insertion ; la prison, l'EPM ou le CEF doivent devenir des étapes dans le parcours de réinsertion d'un jeune délinquant. La PJJ a mis en place des éducateurs « fil rouge » mais cela demeure insuffisant. Ne pourrait-on pas désigner une « personne de confiance », choisie parmi les éducateurs que le mineur est amené à rencontrer, qui le suivrait tout au long de son parcours ? Trop souvent, le lien est actuellement voué à se rompre à l'issue d'un trimestre.

Les CEF sont comme les EPM : on y trouve le meilleur comme le pire, tant dans les comportements des enfants que dans celui de leur personnel. Il manque une stratégie clairement affirmée pour les CEF, qui n'ont finalement été considérés que comme un sas entre la prison et les autres formes d'assistance éducative. La majorité des CEF sont gérés par des associations, dont la qualité du travail est très inégale. En 2010, la direction de la PJJ a projeté de rédiger un nouveau cahier des charges destiné aux associations en charge des CEF, mais ce cahier des charges n'était toujours pas terminé quatre années plus tard, quand j'ai quitté mes fonctions de contrôleur général ! En outre, dans ces établissements, les jeunes de toute provenance et de tout parcours délinquant, comprenant parfois des crimes de sang et des viols, sont mêlés les uns aux autres. Tel n'était pas l'objectif de la création de ces centres ! Malgré son dévouement, le personnel de ces centres est sous-qualifié pour gérer une telle diversité de profils.

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