La séance est ouverte à 14 h 00.
Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir cet après-midi M. Jean-Marie Delarue.
Vous avez occupé, monsieur Delarue, le poste de Contrôleur général des lieux de privation de liberté de 2008 à 2014 et vous êtes l'auteur en 2015, avec Jean Bérard, de l'ouvrage Prisons, quel avenir ? Vous avez également siégé en 2016-2017 dans la commission du Livre blanc sur l'immobilier pénitentiaire, présidée par notre ancien collègue Jean-René Lecerf. Vous avez occupé de nombreuses fonctions au cours de votre carrière : vous avez notamment été délégué interministériel à la politique de la ville ; directeur des libertés publiques au ministère de l'intérieur, vous avez siégé au comité consultatif national d'éthique et vous avez présidé, plus récemment, la commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité. Ces expériences vont ont permis d'acquérir une expertise reconnue dans le domaine des politiques sociales et sur les questions de sécurité. Vous êtes connu pour votre indépendance d'esprit et pour la rigueur de vos analyses et nous avons donc souhaité vous entendre sur le sujet d'étude de notre mission d'information, la réinsertion des mineurs enfermés.
Notre rapporteur vous a envoyé une série de questions qui tournent autour d'une interrogation principale : la prison joue-t-elle convenablement son rôle de réinsertion, notamment pour les mineurs ? Ou pensez-vous que des solutions alternatives devraient être privilégiées ? Vous pourrez aussi intervenir sur la question de l'enfermement psychiatrique qui fait partie de notre champ d'investigation. Je vais vous laisser la parole pour une intervention liminaire puis le rapporteur et les autres membres de la mission d'information vous poseront des questions.
La première question sur laquelle vous m'interrogez est celle de l'efficacité dissuasive de l'enfermement, qui est très difficile à évaluer. Pour y parvenir, il faudrait en effet comparer deux cohortes : l'une de jeunes en prison et l'autre purgeant des peines alternatives pour les mêmes délits, sachant que les délits commis par les jeunes sont souvent les mêmes : trafic de stupéfiants, vols avec violence, outrage à agents, coups et blessures volontaires. Or, en France, les statistiques ne procèdent pas suffisamment à ce type de travail longitudinal sur des cohortes. La prison se laisse en outre mal appréhender par ce genre d'études, pour la bonne et simple raison que l'emprisonnement des personnes est souvent considéré comme la seule raison d'être de la prison, dans un but de protection de la population. Cette conception occulte le fait que la prison a pour missions de punir, mais aussi de réinsérer et de prévenir la récidive.
Certains éléments de réponse peuvent néanmoins se retrouver dans les études consacrées à l'aménagement des peines, qui montrent que plus on bénéficie de mesures d'aménagement de peine, moins on est porté à la récidive. Cependant, les mineurs sont peu concernés par ces aménagements de peine, puisqu'ils restent peu de temps en prison. Leur séjour en détention n'excède pas quatre mois en moyenne, contre onze mois pour l'ensemble de la population carcérale.
La perspective de l'enfermement est-elle dissuasive ? C'est sur cette présomption que repose la solennité carcérale au XIXe siècle. À l'aune de mes entretiens avec différents détenus, y compris les mineurs que j'ai pu rencontrer, je suis obligé de répondre négativement à cette question. La prison, au moment où l'on commet un acte délictuel, ne fournit pas une perspective qui va freiner le geste. À l'inverse, la prison serait-elle, pour certains individus, une étape obligatoire vers un parcours glorieux de délinquance ? C'est possible, mais cet effet me paraît marginal.
Le calcul du nombre des mineurs enfermés chaque année en France n'intéressait personne, au moins jusqu'en 2012, date à laquelle le Contrôle des lieux de privation de liberté en a publié le chiffre. La population des mineurs en prison représente entre 600 et 800 détenus, soit 1,2% de la population carcérale. Ce chiffre est stable depuis un quart de siècle, quelle que soit l'évolution de la délinquance juvénile, alors que la population carcérale a doublé depuis 2001. Si l'on considère le flux, on constate qu'entre 3 200 et 3 500 jeunes entrent en détention chaque année. Ce chiffre doit être comparé avec les 250 000 jeunes mis en cause par la police nationale et la gendarmerie et avec les 165 000 affaires initiées par le Parquet, ainsi qu'avec les 92 500 mineurs suivis par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). En 2016, 445 enfants sont également entrés en centre éducatif fermé (CEF).
Le nombre de mineurs placés en garde à vue est mal connu. En extrapolant à partir des visites effectuées par le Contrôle des lieux de privation de liberté dans les commissariats, où quelque 20% des personnes en garde à vue sont des mineurs, il y aurait, chaque année, environ 85 000 mineurs placés en garde à vue.
Si l'on considère les seules mesures d'enfermement dans la durée, on dénombre 6.850 mesures d'enfermement, à comparer aux 90 000 incarcérations, aux 100 000 hospitalisations sous contrainte et aux 36 000 mesures d'enfermement d'étrangers prononcées chaque année. Les mineurs représentent donc seulement, gardes à vue exclues, 3% des mesures de privation de liberté.
La Convention internationale des droits de l'enfant stipule que l'enfermement est une mesure de dernier recours qui doit être la plus brève possible. C'est là l'esprit-même de l'ordonnance du 2 février 1945. Encore faut-il évaluer le poids relatif de la prison par rapport aux autres sanctions appliquées aux mineurs, ainsi que les modalités de cet enfermement.
L'ordonnance de 1945 n'a pas supprimé la prison pour les mineurs, mais elle a fait coexister, autant que faire se peut, un système éducatif avec un système carcéral. Pour reprendre les termes d'un article de Manuel Palacio, publié dans les Cahiers de la sécurité intérieure, « après 1945 apparaît une période particulièrement confuse où certains mineurs sont placés dans des structures éducatives dont les modalités de fonctionnement sont carcérales et d'autres sont détenus dans des prisons traditionnelles qui abritent des populations adultes ». Or, le partage entre ces deux modalités ne s'est pas opéré de manière claire.
Les réformes et réflexions conduites au début de ce siècle et aboutissant à la création des CEF, ont contourné l'obstacle de la modification de l'ordonnance de 1945. Au-delà de l'opposition entre l'éducatif et l'enfermement, elles ont ainsi inventé un dispositif éducatif enfermé. Celui-ci présente trois aspects depuis 2002: premier aspect positif, il permet d'introduire les éducateurs de la PJJ dans les prisons traditionnelles. Second aspect plus négatif : il amorce le retour à la pratique antérieure d'un centre fermé non pénitentiaire pour mineurs ; le dernier centre de ce type, héritier des maisons de correction, avait fermé en 1979. Enfin, troisième aspect, la création des EPM par la loi d'orientation pour la justice du 9 septembre 2002 représente une novation en matière carcérale ; domaine d'ailleurs où peu de choses ont été inventées depuis l'invention de la prison.
Telle qu'elle est formulée, l'évaluation du caractère dissuasif de la prison me semble donc malaisée. En effet, nous ne sommes pas dans un domaine purement cartésien qui permette de trancher sur l'opportunité de la prison. L'attitude des juges des enfants est en effet diverse : pour nombre d'entre eux, il existe une hiérarchie croissante entre une mesure de suivi en milieu ouvert, un placement en centre éducatif renforcé, en centre éducatif fermé, puis en prison. Pour d'autres, la prison demeure incontournable, dès la première infraction, pour que le mineur prenne conscience de la faute qu'il a commise. Dans ce contexte, je regrette que ne soit pas définie, au niveau de chaque cour d'appel, pour les juges du siège, y compris pour les juges des enfants, une politique pénale assurant un minimum de cohérence dans leurs orientations, tout en préservant bien sûr strictement leur indépendance sur chaque dossier individuel. Ce même problème se retrouve en matière d'application des peines.
En outre, chaque juge, une fois une mesure décidée, est confronté à son exécution matérielle. Les soirées des juges des enfants se passent souvent à rechercher des places où accueillir les jeunes. Cette question ne se pose pas pour la prison qui accueille tous ceux qu'on lui envoie, ce qui explique le phénomène de la surpopulation carcérale...Je regrette que le ministère de la Justice ait été incapable, jusqu'ici, d'élaborer un système informatique qui permettrait d'identifier rapidement les places disponibles dans les différentes structures existant à proximité. C'est à mes yeux une source de biais considérable, puisque, suivant les disponibilités, la nature de la décision du juge va changer.
Les EPM ont introduit des nouveautés considérables. Au lieu d'assurer une ségrégation par âge dans le même espace, ces établissements l'instaurent dans des espaces différents. L'architecture de ces établissements a été pensée en fonction du but qui leur avait été assigné. À l'inverse des prisons où le régime individuel est la règle, la vie collective est la norme dans les EPM. C'est là une révolution copernicienne dans la manière d'incarcérer des personnes. La diversité dans les activités sportives, ludiques et d'apprentissage constitue une autre innovation. Enfin, ces établissements représentent un pari coûteux, qui va à l'encontre des pratiques jusqu'alors constatées, impliquant la construction d'établissements d'une soixantaine de places qui ne sont généralement pas occupées dans leur totalité. L'exception demeure l'EPM de Marseille, qui connaît une certaine surpopulation.
Nous venons de visiter ce dernier établissement où plusieurs places demeuraient vacantes. La surpopulation que vous évoquez était liée, semble-t-il, à la fermeture du quartier pour mineurs de la maison d'arrêt de Toulon. Elle était donc passagère.
Je vous crois bien volontiers, mais les matelas au sol que nous avons constatés étaient cependant bien postérieurs à la fermeture de la maison d'arrêt de Toulon.
Quoi qu'il en soit, certains choix se sont révélés contre-productifs. Les emplois du temps ont été conçus comme une suite incessante d'activités ; l'enfant rêvant ou seul n'ayant pas le droit de citer. Les désaccords sur la gestion de ces établissements entre l'administration pénitentiaire et la PJJ ont été à l'origine d'importantes difficultés. Enfin, avec le temps et les difficultés de gestion, les originalités du début tendent à s'essouffler, les personnels volontaires ayant été progressivement remplacés par des personnels désignés. Les EPM restent une prison, c'est à dire une rupture avec la société. Les mêmes violences qu'en prison s'y retrouvent. Il convient donc de ne pas exagérer leurs différences avec les quartiers pour mineurs.
Je suis convaincu que les relations avec la famille sont primordiales pour favoriser la réinsertion des mineurs. En raison du faible nombre de ces établissements, être envoyé dans un EPM revient, le plus souvent, à être éloigné de sa famille. Quand j'ai visité l'EPM de Lavaur, dans le Tarn, si vingt pensionnaires provenaient de la région Midi-Pyrénées, vingt-et-un étaient issus d'autres régions, dont un de Guyane. De plus, lorsqu'un jeune se montre indiscipliné dans un quartier pour mineurs, il peut être transféré dans un EPM. Ainsi, l'EPM d'Orvault accueille des jeunes détenus en provenance de toutes les prisons de la région Nouvelle Aquitaine.
Alors que les mineurs détenus dans les quartiers pour mineurs se fondent dans la population carcérale, ceux détenus dans les EPM sont marqués socialement comme étant les moins dociles. Or, identifier certains jeunes comme particulièrement indisciplinés revient à leur attribuer, à tort ou à raison, un rôle, auxquels ces jeunes ont ensuite tendance à se conformer. En outre, certains objectifs initiaux ont été oubliés : des gestions différenciées apparaissent désormais dans les EPM, comme dans les prisons traditionnelles, en ce sens où certains jeunes disposent de moins de latitude que d'autres, ce qui crée inévitablement des tensions dans ces structures de taille réduite.
Plutôt que de construire de nouveaux EPM, il faut s'interroger sur ce qu'on y fait et se demander quels liens ces établissements et les CEF entretiennent avec ce qui les précède et avec ce qui les suit. Notre justice a trop tendance à balloter ces mineurs dans des établissements successifs, de trimestre en trimestre. On confie ces jeunes, qui ont par définition besoin de stabilité, à des personnes qui ne savent pas ce qu'ils ont pu faire au cours du trimestre précédent. Quel parent accepterait de voir son fils traité de la sorte ? Je plaide donc pour que la protection judiciaire de la jeunesse assure un lien entre l'ensemble des mesures destinées à favoriser un parcours d'insertion ; la prison, l'EPM ou le CEF doivent devenir des étapes dans le parcours de réinsertion d'un jeune délinquant. La PJJ a mis en place des éducateurs « fil rouge » mais cela demeure insuffisant. Ne pourrait-on pas désigner une « personne de confiance », choisie parmi les éducateurs que le mineur est amené à rencontrer, qui le suivrait tout au long de son parcours ? Trop souvent, le lien est actuellement voué à se rompre à l'issue d'un trimestre.
Les CEF sont comme les EPM : on y trouve le meilleur comme le pire, tant dans les comportements des enfants que dans celui de leur personnel. Il manque une stratégie clairement affirmée pour les CEF, qui n'ont finalement été considérés que comme un sas entre la prison et les autres formes d'assistance éducative. La majorité des CEF sont gérés par des associations, dont la qualité du travail est très inégale. En 2010, la direction de la PJJ a projeté de rédiger un nouveau cahier des charges destiné aux associations en charge des CEF, mais ce cahier des charges n'était toujours pas terminé quatre années plus tard, quand j'ai quitté mes fonctions de contrôleur général ! En outre, dans ces établissements, les jeunes de toute provenance et de tout parcours délinquant, comprenant parfois des crimes de sang et des viols, sont mêlés les uns aux autres. Tel n'était pas l'objectif de la création de ces centres ! Malgré son dévouement, le personnel de ces centres est sous-qualifié pour gérer une telle diversité de profils.
Comment des jeunes coupables de crimes peuvent-ils avoir été envoyés dans un CEF ?
Soit dans le cadre d'une mesure de sursis avec mise à l'épreuve, soit dans le cadre d'un contrôle judiciaire ou d'une sanction pénale stricto sensu. Certains juges peuvent penser que le crime a revêtu un caractère « accidentel », appelant une peine autre que l'incarcération. Une telle démarche, d'un point de vue pédagogique, pose un problème car il est difficile de s'adresser à des groupes de jeunes aux profils aussi disparates.
Préconisez-vous de rassembler les jeunes en fonction de la gravité des faits qu'ils ont commis, afin d'assurer une prise en charge plus adaptée ?
Si on mélange des jeunes aux profils diversifiés dans un même centre, encore faut-il s'assurer que la pédagogie retenue soit efficace pour l'ensemble de ces jeunes. Or, leur placement se fait, avant tout, en fonction de l'existence ou non d'une place disponible dans telle ou telle structure, et non sur la base d'une démarche pédagogique réfléchie. Cela impliquerait d'ailleurs de connaitre en amont le projet pédagogique de chaque centre, alors que la plupart des associations manquent d'une stratégie bien définie. Les aléas du placement s'ajoutent à la diversité des parcours et installent des situations difficilement gérables. On ne sait pas dire aujourd'hui si telle pédagogie est plus adaptée pour tel ou tel profil ni s'il est pertinent ou non de mêler des jeunes ayant commis des crimes ou des délits de natures différentes.
Quelle est l'origine de ces carences que vous décrivez ? Est-ce dû à un manque de moyens ?
Les CEF comprennent un nombre élevé d'encadrants - sept ou huit jeunes sont encadrés par vingt-trois ou vingt-quatre personnes - et leur coût pour la collectivité est donc élevé. Le problème provient donc plutôt d'un déficit de stratégie.
A cet égard, permettez-moi de rappeler le travail que j'ai effectué avec ma collègue Esther Benbassa sur la déradicalisation. Nous avons constaté qu'une myriade d'associations intervient de façon très disparate dans ce domaine. L'État, qui finance ces associations, n'a pas suffisamment structuré leur travail. Nous avions préconisé la mise en place d'un cahier des charges national et un arrêté ministériel vient d'être pris en ce sens. J'ai l'impression que la situation que vous décrivez présente des similitudes avec ce que nous avons constaté dans le secteur de la déradicalisation.
L'État manque trop souvent de clairvoyance quant aux moyens à mobiliser pour atteindre les objectifs qu'il se fixe.
J'y crois énormément ! À titre d'exemple, parmi les associations qui ont reçu, par voie d'appel d'offres la gestion d'un CEF, je voudrais citer une association d'origine espagnole, dont les références pédagogiques étaient clairement dépassées, et qui a pourtant obtenu la gestion de deux centres. Face à des jeunes aussi divers, sa gestion a été un échec, comme l'atteste le nombre de fugues constatées. À cet égard, il serait intéressant que la PJJ vous indique quel est le nombre de fugues au niveau national. L'absentéisme des membres du personnel, souvent élevé, est une autre expression du malaise constaté dans certains CEF.
Enfin, l'hospitalisation psychiatrique connaît de réelles difficultés. La pédopsychiatrie est encore en plus mauvais état. Je ne sais pas combien de jeunes entrent, chaque année, en hôpital psychiatrique sous contrainte, en l'absence de recensement par le ministère de la santé. On sait seulement que 3.000 mineurs étaient entrés en hôpital psychiatrique en 2003. Ce chiffre est très faible si on le compare à celui du nombre d'hospitalisation en soins sans consentement pour les adultes. En outre, je ne sais pas bien comment l'interpréter, dans la mesure où la pédopsychiatrie suit les jeunes jusqu'à l'âge de quinze ans. Les mineurs sont soignés en ambulatoire et, faute de places dans les services pédopsychiatriques, ils sont versés dans les services pour adultes. À l'hôpital de Marseille, nous avons ainsi découvert qu'un enfant de dix ans séjournait dans un service pour adultes, ce qui n'est pas acceptable.
S'agissant des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA), je crois que la santé doit primer : il ne faut donc pas hésiter à placer en UHSA un mineur, si sa santé l'exige, quand bien même cela interromprait, provisoirement, son parcours de réinsertion. Aucune statistique n'est disponible à ce sujet. Toutefois, si l'on procède à une extrapolation à partir du nombre de détenus admis chaque année en soins sans consentement, on peut estimer que 78 mineurs environ sont concernés chaque année, ce qui est très faible.
Je terminerai en évoquant les mesures de rechange mises en oeuvre au Canada, qui ne sont pas limitées aux adultes et qui sont inscrites dans le code criminel depuis 1996. Le parquet peut décider, dans certains cas, que les poursuites judiciaires de droit commun ne s'appliqueront pas au prévenu qui pourra, par d'autres mesures, comme des rencontres avec les victimes ou des compensations financières, obtenir l'effacement de son délit. Au Québec, depuis quelques années, une expérimentation vise à étendre ces mesures de rechange aux mineurs. Une conférence de consensus, qui s'est tenue en 2016, a proposé de systématiser ces mesures de rechange, qui relèvent pour le moment d'une politique administrative. Néanmoins, ces mesures de rechange ressemblent beaucoup aux mesures alternatives que nous avons instaurées en France depuis les années 1990. Je ne crois donc pas qu'il faille attendre beaucoup de ces mesures par rapport à celles dont nous disposons déjà. Le problème réside surtout dans l'utilisation par les juges de ces mesures, compte tenu des contraintes logistiques que je viens de vous évoquer.
Votre constat que la PJJ n'a pas de stratégie par rapport aux CEF m'a fait frémir ! Notre rapport devrait formuler des préconisations aussi pratiques que possible et les CEF pourraient fournir une piste, à condition qu'il y ait une forme de cohérence d'un établissement à l'autre, grâce à une stratégie arrêtée par leur autorité de tutelle qu'est la PJJ. Par ailleurs, comment réécririez-vous l'ordonnance de 1945, au-delà de ses nombreuses modifications depuis sa promulgation ?
La PJJ s'est montrée réticente face aux structures en milieu fermé, parce que ses personnels y sont farouchement opposés et qu'elle n'a pas osé braver cette opposition. Les directeurs de CEF manquent d'informations concernant le parcours des jeunes à l'extérieur de leurs centres : je me souviens d'un échange que j'avais eu avec l'un d'entre eux, qui m'avait expliqué qu'il n'avait pas d'informations sur le devenir de ses jeunes mais que certains avaient la gentillesse de lui donner des nouvelles en lui envoyant des cartes postales...
Je ne crois pas possible de supprimer les peines d'emprisonnement de l'ordonnance de 1945. En revanche, je rêve qu'on introduise dans les quartiers pour mineurs certaines mesures qui ont été prises dans les EPM, et réciproquement, mais je ne pense pas que cela nécessite beaucoup de mesures législatives. Je souhaite aussi que l'on donne les moyens techniques aux juges de faire vivre toutes les mesures qui sont à leur disposition, ce qui implique de moderniser le système judiciaire.
La Loire-Atlantique est concernée par un projet de CEF mixte, qui accueillerait huit garçons et quatre filles. Que pensez-vous de la mixité dans ce type d'établissement ?
Dans ma commune, nous avons un CEF dont le directeur a à coeur de mettre en oeuvre un projet pédagogique de qualité destiné à assurer leur réinsertion. D'ailleurs, plus de la moitié des adolescents qui quittent ce centre en partent avec un projet. En ce qui concerne la pédopsychiatrie, dans mon département, la Corrèze, les services de psychiatrie n'acceptent pas de mineurs et la pédopsychiatrie n'y est pas implantée ; seuls une dizaine de lits se trouve en Haute-Vienne pour trois départements ! Cette situation s'avère catastrophique à la fois pour les adolescents internés en CEF et pour les médecins, qui ne peuvent faire suivre des enfants présentant des troubles du comportement. Enfin, dans les CEF, il me paraît anormal qu'on ne puisse faire des analyses pour détecter la présence de cannabis dans les urines sans l'accord du jeune.
Comme je l'indiquais, tout dépend de la manière dont le CEF est géré : certains fonctionnent très bien, mais le choix de certaines associations gestionnaires peut s'avérer inapproprié, faute d'une stratégie cohérente de la protection judiciaire de la jeunesse, ce qui conduit d'ailleurs le ministère de la Justice à fermer chaque année un certain nombre de CEF. Plutôt que d'en construire de nouveaux, il me semble donc préférable de stabiliser les 52 centres existants. Concernant la mixité, je me souviens que la gestion de certains centres était si difficile, je pense en particulier à deux établissements dans le nord de la France, qu'il a fallu y mettre un terme. Je suis donc réservé et je tends à penser que l'introduction de la mixité devrait être réservée aux centres qui ont fait la preuve de leur solidité, à l'issue d'une période de fonctionnement d'un ou deux ans par exemple.
Des CEF implantés en zone rurale connaissent des réussites lorsque les jeunes peuvent effectuer des stages de formation dans les entreprises implantées localement, avec lesquelles le CEF a noué des liens forts. Il n'en reste pas moins que beaucoup de CEF connaissent des difficultés liées notamment au turn over du personnel. En outre, je connais certains collèges qui refusent de scolariser des élèves à leur sortie du CEF.
Il m'appartient, au nom de l'ensemble des membres de la mission, de vous remercier pour votre intervention et pour les éclairages que vous nous avez apportés sur ce sujet qui nous préoccupe.
La séance est levée à 15h00.