Intervention de Martial Bourquin

Mission commune d'information sur Alstom — Réunion du 18 avril 2018 à 18h00
Adoption du rapport d'étape

Photo de Martial BourquinMartial Bourquin, rapporteur :

Il n'en demeure pas moins que dans tout rapprochement d'entreprises, et sans doute plus encore dans le domaine industriel, les synergies et les gains attendus s'effectuent pour partie par des restructurations destinées à assurer des économies d'échelle et à supprimer d'inévitables doublons d'activités. Dans un groupe d'origine binational comme le sera Siemens-Alstom, ces restructurations ne sauraient toutefois porter prioritairement sur la partie française. Alstom n'est pas simplement un acteur industriel historique majeur employant 8 500 emplois en France ; avec ses sites répartis à travers nos territoires, il est aussi un élément fort du maillage industriel de notre pays, avec 4 500 fournisseurs représentant près de 27 000 emplois. Il s'agit de nombreux emplois et d'une valeur ajoutée importante.

Avec ce rapport, nous voulons peser pour que la réalisation de ce rapprochement ne se traduise pas, à moyen terme, par un délaissement de certains sites français qui conduirait, à plus longue échéance, à un démantèlement de notre filière ferroviaire. Or les syndicats nous ont rappelé aujourd'hui, lors de nos auditions, que la filière est un échelon essentiel de l'industrie.

Certes, des garanties ont été données par les parties intéressées, pendant une durée de quatre années à compter de la réalisation de l'opération, sur certains éléments relatifs à la gouvernance et à la stabilité des sites et des effectifs en France. Indéniablement, ces garanties ont été apportées à l'instigation de l'État, exerçant alors les prérogatives de premier actionnaire du groupe Alstom, compte tenu du prêt d'actions dont il bénéficiait de la part du premier actionnaire du groupe Alstom, le groupe Bouygues - nous avons entendu son PDG, Martin Bouygues, tout à l'heure. Mais on ne peut que regretter que l'État n'ait pas été plus loin dans la protection des intérêts d'Alstom en France.

L'État semble avoir pris le parti de soutenir une opération capitalistique très favorable à Siemens en misant sur l'effet d'entraînement à long terme qu'il pourrait induire pour l'industrie ferroviaire française et en souhaitant écarter définitivement les craintes d'un rapprochement entre Siemens et Bombardier qui aurait laissé Alstom seul, sans taille critique, pour affronter la concurrence mondiale.

Mais ce pari sur l'avenir n'aurait-il pas dû être assorti de garanties plus importantes pour le maintien de l'activité en France, alors même que dans les cinq prochaines années, c'est la commande publique française qui, pour l'essentiel, fera vivre le nouveau groupe et que Siemens prendra le contrôle de cette entité dotée d'une trésorerie potentiellement excellente sans lui apporter un seul euro d'argent frais ? Le niveau des garanties obtenu apparaît moindre que celui que l'État avait obtenu en 2014 lors du rachat de la branche énergie d'Alstom par le groupe General Electric, même si ce choix industriel était en lui-même très contestable...

D'autres modalités de rapprochement avec Siemens étaient envisageables, qui auraient pu rééquilibrer la relation industrielle et capitalistique. La stratégie du Gouvernement dans cette opération est discutable, tant il semble n'avoir pas cherché à rééquilibrer, en faveur des intérêts français, l'accord intervenu entre les directions d'Alstom et de Siemens.

Si la présence de l'État au capital ou le maintien de l'exercice des droits de vote dont il disposait dans le cadre de l'accord conclu avec Bouygues aurait certainement empêché le rapprochement lui-même, compte tenu - selon Martin Bouygues - du refus de Siemens de voir l'État au capital de l'entreprise, d'autres garanties auraient pu être envisagées pour assurer davantage la pérennité de l'outil de production en France.

Alstom, et la filière ferroviaire française dans son ensemble, méritaient qu'on les défende davantage, à l'instar de ce que la France avait su faire dans l'aéronautique, en prévoyant un partenariat équilibré entre les différents intérêts nationaux - ce que l'on pourrait qualifier d'Airbus du ferroviaire. Cet exemple fonctionne : la bi-nationalité d'un groupe n'est pas forcément un handicap ; elle n'implique pas qu'un État ou une entreprise prenne nécessairement le dessus. Cela peut aboutir à une opération industrielle de haut niveau. Si une opération capitalistique équilibrée sur le strict modèle d'Airbus s'avérait certes difficile à atteindre, des modalités de coopération industrielle plus favorables aux intérêts français étaient possibles, sous certaines conditions.

Si l'on admet l'impossibilité ou le défaut rédhibitoire du groupement d'intérêt économique (GIE) - défendu cependant par la CGT - en raison de sa lourdeur d'organisation et des limites d'activités inhérentes à ce modèle juridique, la variante de la filiale commune était théoriquement envisageable pour contourner l'obstacle que pouvait constituer le fort morcèlement de l'actionnariat d'Alstom. Elle aurait permis la mise en place d'un Airbus du ferroviaire plus équilibré que la solution retenue in fine. Elle pouvait rester, d'un point de vue capitalistique, une co-entreprise à structure légère et agile sur le modèle, par exemple, de celle qui lie la Snecma - devenue Safran - à General Electric depuis 50 ans et permet de construire les moteurs d'avions civils les plus vendus au monde. Pourquoi ce qui existe entre GE et Safran aurait été impossible là ? Mais ces pistes n'ont pas été retenues, et nous n'avons obtenu aucune réponse sur les raisons de ce choix.

La représentation nationale, dans ce dossier, est mise devant le fait accompli. C'est encore très dommage. Lorsqu'on évoque le ferroviaire, on parle de mobilité, et le ferroviaire joue un rôle décisif dans la crise climatique. Si l'État français protégeait le ferroviaire, il deviendrait un secteur de premier plan.

Le 23 mars 2018, les directions d'Alstom et de Siemens ont réitéré leur protocole d'accord signé le 27 septembre 2017. Le rapprochement entre les deux sociétés et ses modalités sont désormais pleinement actés. Sa mise en oeuvre reste néanmoins soumise à trois conditions cumulatives : d'abord, il faut l'approbation de l'accord par les organes délibérants des deux sociétés, et notamment l'assemblée générale des actionnaires d'Alstom, qui devrait se réunir en juillet 2018. L'assemblée donnera probablement son accord à l'opération, les actionnaires - et notamment l'actionnaire de référence Bouygues - ayant un intérêt financier évident à sa réalisation, compte tenu des primes et dividendes annoncés - Martin Bouygues nous avait assuré ne rien gagner dans l'affaire, mais il ne faut pas oublier les 500 millions d'euros qui résulte de ces distributions - tandis que l'État a marqué son approbation du projet. Ensuite, il faut obtenir l'autorisation de l'État au titre du contrôle des investissements étrangers. Là encore, compte tenu des garanties prises par les deux sociétés dans le cadre du rapprochement, que l'État considère comme suffisantes, il est très vraisemblable que l'autorisation sera accordée - les services de l'État nous ont assurés être prêts. Enfin, la Commission européenne doit autoriser le rapprochement dans le cadre du contrôle des concentrations. L'opération ne devrait vraisemblablement pas être jugée contraire au droit européen, notamment si le marché de référence est mondial. En revanche, il ne peut être exclu que la Commission demande aux deux acteurs des compensations, si le marché de référence est européen, afin que la concurrence sur les marchés concernés soit préservée. C'est donc probablement une décision d'autorisation qui sera délivrée par l'autorité européenne, sous réserve de mesures compensatoires.

Dans ces conditions, on ne peut que prendre acte du rapprochement annoncé. Pour autant, il est encore possible de mieux en accompagner les conséquences. C'est ce qui nous conduit à formuler plusieurs préconisations.

La première, c'est d'utiliser la commande publique pour maintenir l'activité des sites français. Compte tenu des achats publics massifs attendus en France dans les années à venir en matière d'équipements, de services et d'infrastructures ferroviaires, les pouvoirs publics doivent utiliser la commande publique comme un levier pour favoriser la localisation en France de la production des équipements ferroviaires, des centres de recherche et d'ingénierie. Il faut exploiter tous les leviers permis par le droit de la commande publique pour faire en sorte que ces investissements publics puissent sauvegarder et créer de l'emploi en France.

L'État, qui contrôle de grandes entreprises publiques clientes d'Alstom, doit peser sur les décisions d'achat de ces dernières afin d'offrir des débouchés à la production réalisée en France. On peut donc se réjouir de l'annonce faite par l'État de commander à Alstom 100 « TGV du futur ». J'étais hier à La Rochelle avec Daniel Laurent, Damien Gay, Corinne Imbert. C'est bien de faire des déclarations, mais les salariés sont comme saint Thomas, ils attendent la réalité de la commande. Chaque semaine qui passe sans commande ferme leur porte préjudice avec un nombre impressionnant de jours chômés...

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