Nous sommes réunis pour adopter notre rapport sur Alstom. Nous avons mené 38 auditions depuis le 13 décembre dernier, durant 65 heures, et avons entendu 57 personnalités. Nous nous sommes déplacés sur différents sites - nous étions hier encore à La Rochelle.
Nous avons souhaité examiner les problèmes d'Alstom avant de compléter ce premier volet par un second sur la stratégie industrielle de la France. Nous avions réalisé, avec Martial Bourquin il y a quelques années, un rapport sur ce sujet et nous regrettons que plusieurs de nos préconisations n'aient pas été suivies d'effets. En 1980, il y avait 5,4 millions d'emplois industriels en France ; aujourd'hui, il y en a 2,4 millions. Le temps presse. Les raisons en sont le manque de compétitivité et le manque de réactivité des entreprises ou de certaines de leurs directions sur des questions telles que la recherche et développement (R&D), la robotisation...
Alstom a connu différentes étapes importantes récemment : une opération de cession d'activités à General Electric en 2014, puis le rapprochement en 2017-2018 avec Siemens, qui était lui-même en cours de négociation avec Bombardier. Nous avons noté la capacité de la France à accompagner Alstom par la prise de commandes importantes. Au-delà des résultats d'Alstom en trésorerie, la France devrait accompagner cette démarche car Alstom a un chiffre d'affaires non négligeable : il représente 70 % du chiffre d'affaires du futur regroupement. Avec Martial Bourquin, nous avons vu avec étonnement que Siemens prend le contrôle de l'activité : le président et cinq administrateurs seront désignés par Siemens, sur les onze membres du conseil d'administration. Une opération de rapprochement apparaissait évidente, et faire un groupe franco-allemand était une nécessité : n'oublions pas la puissance des Chinois et des Américains.
Pour comprendre la dernière évolution d'Alstom, qui a poussé le groupe socialiste et républicain à demander la création de notre mission d'information - tandis que l'Assemblée nationale a créé une commission d'enquête à la demande du groupe Les Républicains, ce qui montre que nous étions tous interloqués par cette transformation du groupe - il faut revenir en 1990.
En 1990, la Compagnie générale d'Électricité (CGE), qui deviendra en 1991 Alcatel-Alsthom, est un groupe présent dans le secteur des équipements et des services de production et de distribution d'énergie, des équipements et des services ferroviaires et dans celui des chantiers navals. Il comprend également des activités dans le domaine des télécommunications, des câbles, des batteries, de l'ingénierie électrique à destination des entreprises, et même des multimédias et de la presse.
En 2018, les restes du groupe Alstom, réduit au seul secteur ferroviaire depuis la vente de son activité « Énergie » en 2014 à General Electric, auxquels sont apportés les actifs « Mobility » du groupe Siemens, font l'objet d'une prise de contrôle par le groupe allemand, qui en devient l'actionnaire majoritaire.
En trente ans, un conglomérat industriel puissant, à capitaux majoritairement nationaux, a laissé place à plusieurs activités exercées par des single players dont nombre d'entre eux sont dirigés par des intérêts étrangers. Cette évolution est symptomatique de la mutation de l'industrie française, qui a vu certains des groupes qui constituaient le socle de sa puissance industrielle démantelés et vendus à la découpe, le plus souvent à des acteurs industriels ou financiers étrangers.
Au terme de nos travaux sur l'évolution d'Alstom, ma conviction - partagée par Alain Chatillon - est que le principe même d'un rapprochement entre deux acteurs européens majeurs du secteur ferroviaire a tout son sens d'un point de vue économique. La nécessité de disposer d'une taille critique, dans un marché ferroviaire devenu mondial et livré à l'ambition de groupes non européens ayant un pouvoir de marché potentiellement considérable, justifie sans conteste la volonté de constituer un acteur majeur, susceptible de peser au niveau mondial. Plusieurs marchés importants aux États-Unis ont été remportés par de grands groupes chinois, et quelques groupes japonais sont également très actifs sur le marché mondial.
Mais il faut s'assurer que ces stratégies d'entreprises, si cohérentes et respectables soient-elles, ne préjudicient pas aux intérêts industriels de notre pays. Or, la prise de contrôle de l'assemblée générale et du conseil d'administration d'Alstom par un investisseur étranger ne peut que susciter un sentiment d'appréhension. La façon dont se font ces regroupements est aussi importante. Ce rapprochement crée un sentiment d'appréhension dans les douze sites du groupe en France et chez les 4 500 sous-traitants sur le terrain. L'industrie est le maillage essentiel de nos territoires.
Certes, au cours de nos travaux et déplacements, nous avons eu des assurances tant du groupe Alstom que du groupe Siemens - que nous avons rencontré à Munich - de l'absence de toute volonté de mettre à mal l'appareil industriel exceptionnel du groupe Alstom, en particulier en France. De même, le Gouvernement, tant au niveau politique qu'au niveau administratif, s'est montré résolument optimiste sur les incidences de ce rapprochement pour notre pays.
Il n'en demeure pas moins que dans tout rapprochement d'entreprises, et sans doute plus encore dans le domaine industriel, les synergies et les gains attendus s'effectuent pour partie par des restructurations destinées à assurer des économies d'échelle et à supprimer d'inévitables doublons d'activités. Dans un groupe d'origine binational comme le sera Siemens-Alstom, ces restructurations ne sauraient toutefois porter prioritairement sur la partie française. Alstom n'est pas simplement un acteur industriel historique majeur employant 8 500 emplois en France ; avec ses sites répartis à travers nos territoires, il est aussi un élément fort du maillage industriel de notre pays, avec 4 500 fournisseurs représentant près de 27 000 emplois. Il s'agit de nombreux emplois et d'une valeur ajoutée importante.
Avec ce rapport, nous voulons peser pour que la réalisation de ce rapprochement ne se traduise pas, à moyen terme, par un délaissement de certains sites français qui conduirait, à plus longue échéance, à un démantèlement de notre filière ferroviaire. Or les syndicats nous ont rappelé aujourd'hui, lors de nos auditions, que la filière est un échelon essentiel de l'industrie.
Certes, des garanties ont été données par les parties intéressées, pendant une durée de quatre années à compter de la réalisation de l'opération, sur certains éléments relatifs à la gouvernance et à la stabilité des sites et des effectifs en France. Indéniablement, ces garanties ont été apportées à l'instigation de l'État, exerçant alors les prérogatives de premier actionnaire du groupe Alstom, compte tenu du prêt d'actions dont il bénéficiait de la part du premier actionnaire du groupe Alstom, le groupe Bouygues - nous avons entendu son PDG, Martin Bouygues, tout à l'heure. Mais on ne peut que regretter que l'État n'ait pas été plus loin dans la protection des intérêts d'Alstom en France.
L'État semble avoir pris le parti de soutenir une opération capitalistique très favorable à Siemens en misant sur l'effet d'entraînement à long terme qu'il pourrait induire pour l'industrie ferroviaire française et en souhaitant écarter définitivement les craintes d'un rapprochement entre Siemens et Bombardier qui aurait laissé Alstom seul, sans taille critique, pour affronter la concurrence mondiale.
Mais ce pari sur l'avenir n'aurait-il pas dû être assorti de garanties plus importantes pour le maintien de l'activité en France, alors même que dans les cinq prochaines années, c'est la commande publique française qui, pour l'essentiel, fera vivre le nouveau groupe et que Siemens prendra le contrôle de cette entité dotée d'une trésorerie potentiellement excellente sans lui apporter un seul euro d'argent frais ? Le niveau des garanties obtenu apparaît moindre que celui que l'État avait obtenu en 2014 lors du rachat de la branche énergie d'Alstom par le groupe General Electric, même si ce choix industriel était en lui-même très contestable...
D'autres modalités de rapprochement avec Siemens étaient envisageables, qui auraient pu rééquilibrer la relation industrielle et capitalistique. La stratégie du Gouvernement dans cette opération est discutable, tant il semble n'avoir pas cherché à rééquilibrer, en faveur des intérêts français, l'accord intervenu entre les directions d'Alstom et de Siemens.
Si la présence de l'État au capital ou le maintien de l'exercice des droits de vote dont il disposait dans le cadre de l'accord conclu avec Bouygues aurait certainement empêché le rapprochement lui-même, compte tenu - selon Martin Bouygues - du refus de Siemens de voir l'État au capital de l'entreprise, d'autres garanties auraient pu être envisagées pour assurer davantage la pérennité de l'outil de production en France.
Alstom, et la filière ferroviaire française dans son ensemble, méritaient qu'on les défende davantage, à l'instar de ce que la France avait su faire dans l'aéronautique, en prévoyant un partenariat équilibré entre les différents intérêts nationaux - ce que l'on pourrait qualifier d'Airbus du ferroviaire. Cet exemple fonctionne : la bi-nationalité d'un groupe n'est pas forcément un handicap ; elle n'implique pas qu'un État ou une entreprise prenne nécessairement le dessus. Cela peut aboutir à une opération industrielle de haut niveau. Si une opération capitalistique équilibrée sur le strict modèle d'Airbus s'avérait certes difficile à atteindre, des modalités de coopération industrielle plus favorables aux intérêts français étaient possibles, sous certaines conditions.
Si l'on admet l'impossibilité ou le défaut rédhibitoire du groupement d'intérêt économique (GIE) - défendu cependant par la CGT - en raison de sa lourdeur d'organisation et des limites d'activités inhérentes à ce modèle juridique, la variante de la filiale commune était théoriquement envisageable pour contourner l'obstacle que pouvait constituer le fort morcèlement de l'actionnariat d'Alstom. Elle aurait permis la mise en place d'un Airbus du ferroviaire plus équilibré que la solution retenue in fine. Elle pouvait rester, d'un point de vue capitalistique, une co-entreprise à structure légère et agile sur le modèle, par exemple, de celle qui lie la Snecma - devenue Safran - à General Electric depuis 50 ans et permet de construire les moteurs d'avions civils les plus vendus au monde. Pourquoi ce qui existe entre GE et Safran aurait été impossible là ? Mais ces pistes n'ont pas été retenues, et nous n'avons obtenu aucune réponse sur les raisons de ce choix.
La représentation nationale, dans ce dossier, est mise devant le fait accompli. C'est encore très dommage. Lorsqu'on évoque le ferroviaire, on parle de mobilité, et le ferroviaire joue un rôle décisif dans la crise climatique. Si l'État français protégeait le ferroviaire, il deviendrait un secteur de premier plan.
Le 23 mars 2018, les directions d'Alstom et de Siemens ont réitéré leur protocole d'accord signé le 27 septembre 2017. Le rapprochement entre les deux sociétés et ses modalités sont désormais pleinement actés. Sa mise en oeuvre reste néanmoins soumise à trois conditions cumulatives : d'abord, il faut l'approbation de l'accord par les organes délibérants des deux sociétés, et notamment l'assemblée générale des actionnaires d'Alstom, qui devrait se réunir en juillet 2018. L'assemblée donnera probablement son accord à l'opération, les actionnaires - et notamment l'actionnaire de référence Bouygues - ayant un intérêt financier évident à sa réalisation, compte tenu des primes et dividendes annoncés - Martin Bouygues nous avait assuré ne rien gagner dans l'affaire, mais il ne faut pas oublier les 500 millions d'euros qui résulte de ces distributions - tandis que l'État a marqué son approbation du projet. Ensuite, il faut obtenir l'autorisation de l'État au titre du contrôle des investissements étrangers. Là encore, compte tenu des garanties prises par les deux sociétés dans le cadre du rapprochement, que l'État considère comme suffisantes, il est très vraisemblable que l'autorisation sera accordée - les services de l'État nous ont assurés être prêts. Enfin, la Commission européenne doit autoriser le rapprochement dans le cadre du contrôle des concentrations. L'opération ne devrait vraisemblablement pas être jugée contraire au droit européen, notamment si le marché de référence est mondial. En revanche, il ne peut être exclu que la Commission demande aux deux acteurs des compensations, si le marché de référence est européen, afin que la concurrence sur les marchés concernés soit préservée. C'est donc probablement une décision d'autorisation qui sera délivrée par l'autorité européenne, sous réserve de mesures compensatoires.
Dans ces conditions, on ne peut que prendre acte du rapprochement annoncé. Pour autant, il est encore possible de mieux en accompagner les conséquences. C'est ce qui nous conduit à formuler plusieurs préconisations.
La première, c'est d'utiliser la commande publique pour maintenir l'activité des sites français. Compte tenu des achats publics massifs attendus en France dans les années à venir en matière d'équipements, de services et d'infrastructures ferroviaires, les pouvoirs publics doivent utiliser la commande publique comme un levier pour favoriser la localisation en France de la production des équipements ferroviaires, des centres de recherche et d'ingénierie. Il faut exploiter tous les leviers permis par le droit de la commande publique pour faire en sorte que ces investissements publics puissent sauvegarder et créer de l'emploi en France.
L'État, qui contrôle de grandes entreprises publiques clientes d'Alstom, doit peser sur les décisions d'achat de ces dernières afin d'offrir des débouchés à la production réalisée en France. On peut donc se réjouir de l'annonce faite par l'État de commander à Alstom 100 « TGV du futur ». J'étais hier à La Rochelle avec Daniel Laurent, Damien Gay, Corinne Imbert. C'est bien de faire des déclarations, mais les salariés sont comme saint Thomas, ils attendent la réalité de la commande. Chaque semaine qui passe sans commande ferme leur porte préjudice avec un nombre impressionnant de jours chômés...
Avec Sophie Primas et Alain Chatillon, nous avons rencontré hier la ministre, Élisabeth Borne, qui ne nous a rien garanti. Elle était même plutôt dubitative...
Alstom a délocalisé une partie de sa production en Inde, à la différence de Siemens. Comment obtenir la garantie que la commande sera produite en France et non en Inde ?
La pérennité des sites de La Rochelle et de Belfort dépend de cette commande... Et il faut espérer que les matériels roulants et les équipements de signalisation produits par Alstom seront les plus adaptés aux marchés publics qui seront lancés par la Société du Grand Paris dans les prochains mois et jusqu'en 2020 pour la réalisation du Grand Paris Express.
Ensuite, il faut accompagner l'ensemble de la filière. Alstom est un débouché-clé de la filière de l'industrie ferroviaire française, puisque 1,138 milliard d'euros de produits et de services lui sont livrés chaque année par des fournisseurs situés en France. Ces livraisons sont essentiellement destinées aux usines françaises d'Alstom - nous l'avons encore vu hier à Aytré. C'est dire à quel point le sourcing des sites français d'Alstom est centré sur le territoire français.
Le rapprochement de Siemens Mobility et d'Alstom va selon toute vraisemblance modifier les réseaux d'approvisionnement. L'uniformisation des process industriels entre les deux groupes, à terme, dans le cadre d'une recherche de rationalisation de son outil industriel, risque de remettre en cause certains réseaux actuels. Mais cette modification des réseaux d'approvisionnement pourrait, dans le même temps, offrir des opportunités de développement importantes pour les fournisseurs français d'Alstom qui seront capables de fournir Siemens-Alstom.
Toutefois, le benchmark Allemagne-France, à l'intérieur du futur groupe, risque d'être très difficile pour un très grand nombre des fournisseurs français actuels. Si le nombre des fournisseurs hexagonaux d'Alstom est considérable, les achats d'Alstom sont en réalité extrêmement concentrés sur un petit nombre d'ETI et de grosses PME. L'insuffisante concentration de la filière ferroviaire française est un facteur limitant leur potentiel dans les domaines de l'innovation, de l'exportation et de l'investissement dans l'outil et les procédés. La trop faible digitalisation de l'outil productif est aussi un obstacle.
Nous préconisons donc de mettre en place un plan d'accompagnement des PME et ETI équipementiers d'Alstom pour qu'ils puissent répondre aux besoins en sourcing de la future entité Siemens-Alstom. Il faut accélérer fortement le rapprochement des fournisseurs pour leur faire atteindre une taille critique ou développer des synergies collectives dans des logiques de clusters.
Il faut également donner au nouveau groupe les moyens financiers de se développer. La cession des titres détenus par Alstom dans ses coentreprises avec GE va générer une importante entrée de liquidités. S'il est d'ores et déjà prévu qu'une partie de cette somme soit reversée aux actionnaires, le solde devrait servir à consolider la trésorerie de Siemens-Alstom et être mis au service du développement de l'entreprise.
Dans ce cadre, il faut insister pour que la stratégie d'investissement de la nouvelle entité permette de renforcer les complémentarités industrielles des sites, tant en France qu'en Allemagne, et qu'en outre, les sommes disponibles continuent d'appuyer les activités de recherche et de développement déjà en cours, et pour partie aidées par la puissance publique, mais également les centres d'excellence situés sur le territoire français.
Le groupe Siemens a des capacités d'ingénierie de haut niveau, qu'il faut renforcer. Il est en effet essentiel que les sites français restent des sites d'innovation technologique. Tous les sites qui n'auront pas une activité de recherche et développement de haut niveau seront en danger. Les investissements du nouveau groupe doivent ainsi favoriser les activités de recherche et de développement sur les mobilités du futur, et assurer une montée en gamme de la production actuelle. À défaut d'un investissement suffisant, orienté en priorité sur ces objectifs, le risque serait grand de voir les sites d'excellence du groupe en France relégués au simple statut de sites d'assemblage. Et les sites d'assemblage sont condamnés à plus ou moins long terme. L'avenir d'Alstom ne s'écrirait alors plus en France, quand bien même son centre de décision demeurerait en Ile-de-France... C'est là que la question territoriale se pose.
Il faut aussi faire en sorte de garantir l'intégrité du périmètre industriel d'Alstom. Compte tenu de la dimension européenne des deux groupes, la Commission européenne sera amenée à rendre une décision dans les mois à venir, au titre du contrôle des concentrations, sur le projet de rapprochement entre Alstom et Siemens Mobility.
Nous estimons que la décision de la Commission européenne ne doit pas remettre en cause l'intégrité du périmètre industriel d'Alstom, qui nuirait nécessairement à la capacité de la nouvelle entité Siemens-Alstom de disposer d'une taille critique lui permettant de faire face aux concurrents mondiaux. Il y a déjà eu de nombreux exemples de ce type de mesures dans le passé. Ainsi, lorsque Faurecia a été vendu à Plastic Omnium, 22 sites ont été retirés et mis en vente, et le maire d'Audincourt que j'étais alors en était consterné. Heureusement qu'un Américain les a repris, sans quoi ces sites auraient été vendus à la découpe.
À cet égard, le marché pertinent pour le matériel roulant apparait clairement de taille mondiale, et une appréciation dynamique des forces et des positions de marchés des acteurs mondiaux devrait être favorisée. En effet, les ambitions du groupe chinois CRRC et son potentiel de puissance industrielle et commerciale sont tels qu'il est indispensable que la Commission européenne les prenne pleinement en considération pour évaluer les incidences de l'opération Siemens-Alstom sur la concurrence.
En outre, un démembrement de l'actuel outil industriel d'Alstom risquerait de fragiliser les sites retirés du périmètre du nouvel ensemble.
Il est aussi indispensable de mettre en place un suivi plus transparent des conséquences du rapprochement. Pour garantir une évaluation impartiale des impacts de la prise de contrôle d'Alstom par Siemens, nous demandons la mise en place d'un groupe de suivi parlementaire associant le Sénat et l'Assemblée nationale. On ne peut pas nous dire qu'il n'y a rien à voir !
Certes, l'accord de rapprochement prévoit déjà la mise en place d'un comité de suivi, qui associe le Gouvernement, les directions d'Alstom et de Siemens, ainsi que les syndicats. Mais le Parlement doit être associé à ce travail d'évaluation compte tenu de l'importance stratégique de la filière ferroviaire pour notre pays. Par ailleurs, dans la mesure où les inquiétudes ne portent pas seulement sur la période de quatre ans suivant le closing, mais concernent aussi la période postérieure, il est nécessaire que le suivi des effets du rapprochement ne s'achève pas en 2022 mais se prolonge au-delà.
Ce groupe de suivi pourra se faire assister, en tant que de besoin, par des experts dans les domaines industriels, financiers et juridiques, afin d'examiner l'état d'exécution des obligations à la charge du nouveau groupe ainsi que les effets concrets, sur les territoires, de son fonctionnement, non seulement dans les douze sites du groupe Alstom en France, mais également sur la chaîne des sous-traitants.
Enfin, il faut veiller à l'avenir des coentreprises entre General Electric (GE) et Alstom. Alstom a fait part de son intention de se retirer du capital des coentreprises créées en 2015 avec GE, ce qui devrait obliger GE à racheter la part du capital actuellement détenue par Alstom en application de l'option de vente contenue dans l'accord cession de 2015.
La situation est différente pour chacune des trois coentreprises.
En ce qui concerne les énergies renouvelables et les réseaux (Grid), la sortie du capital par Alstom est prévue et ne pose pas de difficulté.
Le cas est différent pour la coentreprise nucléaire (GEAST), qui contient des actifs stratégiques tels que les turbines Arabelle. Alstom a également vocation à se désengager de cette coentreprise, sans que la date soit connue à ce jour, et suivant des modalités qui restent à déterminer. L'hypothèse d'une revente ultérieure de ses parts par GE a été anticipée au moment de la signature de l'accord entre Alstom, GE et l'État : dans cette hypothèse, comme dans tous les scénarios, l'État conserverait en tout état de cause son action de préférence lui conférant des droits de gouvernance spécifiques. En outre, une procédure d'autorisation au titre des investissements étrangers en France serait requise si le repreneur n'était pas français.
Voilà donc les propositions d'accompagnement que nous formulons dans le rapport, que je souhaiterais compléter sur quelques points à la suite du déplacement d'hier à Aytré, sur le site d'Alstom qui assemble les rames TGV et les tramways.
Les cinq ajouts prennent en compte les éléments que nous avons recueillis sur ce site qui est en sous-capacité, et cela constitue un risque dans le cadre de la fusion. La commande publique française doit donc s'exercer pleinement à son profit.
Par ailleurs, j'apporte certaines précisions sur les préconisations. D'abord, le sourcing du nouveau groupe doit s'inscrire dans le réseau historique des sous-traitants d'Alstom.
Ensuite, si les mesures de compensation exigées par la Commission européenne devaient conduire à diminuer fortement le périmètre industriel de la nouvelle entité, il faudra appeler les deux groupes ainsi que l'État à renoncer à ce rapprochement, qui ne revêtirait alors plus qu'une nature capitalistique et serait dépourvue de contenu industriel.
Enfin, il est indispensable que GE respecte l'ensemble des engagements qu'il a contractés en 2014 lors de l'acquisition de la branche « Énergie » d'Alstom. Sur 1 000 emplois, 400 sont créés, reste 600 !
Vous avez sous les yeux notre rapport. Le président et moi-même avons pu consulter la lettre du PDG de Siemens à Bruno Le Maire. Nous ne pouvons vous en divulguer le contenu, couvert par le secret des affaires, mais je peux vous dire que nous y avons cherché en vain d'autres garanties que celles évoquées publiquement par le ministre. Je suis atterré par leur absence. Les garanties sur quatre ans ne sont pas un cadeau : elles viennent essentiellement de la commande publique. Or ces quatre ans, comme par hasard, nous mènent... après la présidentielle ! La pérennité des douze sites français sera due à la commande publique. Cela a été décidé sans que ni l'État ni les groupes ne demandent l'avis du Parlement. Nous essayons désormais d'accompagner ce projet de fusion pour éviter le pire, qui serait la désindustrialisation de certains territoires, suite à des sous-capacités.
Je remercie le rapporteur pour cette synthèse. Avec ces propositions, nous entendons prendre acte du passé - que nous regrettons, même si nous avons souhaité le faire sur un mode objectif et apaisé - pour nous tourner vers l'avenir.
Je vous laisse la parole pour formuler des observations ou, le cas échéant, proposer des modifications du rapport.
Je propose d'écrire à la page 61 : « Il semble néanmoins que les responsables du syndicat IG Metall expriment des inquiétudes similaires aux syndicats français quant à l'emploi et la préservation des sites en Allemagne. » J'ai rencontré des membres d'IG Metall il y a quelques jours : ils ont les mêmes craintes que nos syndicats, et se demandent si les sites français ne seront pas privilégiés ! Le Directoire de Siemens a discuté avec leurs représentants, mais ils n'ont pas connaissance d'un accord signé.
C'est ma première mission d'information. Je me félicite de notre travail collectif car, malgré les divergences politiques, j'ai senti une vraie volonté commune d'avancer et de comprendre. Ce rapprochement a soulevé une réelle inquiétude chez les salariés. Au moment où le secret des affaires était instauré dans l'hémicycle, nous demandions davantage de transparence. Je partage la plupart des analyses et des propositions formulées, surtout dans la première partie, qui décrit le démantèlement de cette belle entreprise qu'était Alstom. Alstom avait plusieurs activités, et la stratégie industrielle a été de découper des branches pour ne garder que le ferroviaire, ce qui a fragilisé l'entreprise : dès 2015, il était évident qu'un rapprochement allait s'imposer. Mais pas dans ces conditions !
J'ai bien compris, au fil des auditions, l'opération capitalistique. On nous l'a vendue comme un mariage entre égaux, mais un chef d'entreprise nous a bien expliqué qu'une telle chose n'existe pas, et qu'il n'y a que des fusions-absorption, où l'un prend le pas sur l'autre. Cette fusion-absorption soulève de vraies questions sur la pérennité des sites industriels et des emplois. Au bout de quatre ans de commande publique, il faudra nécessairement une restructuration, et on ne pourra pas garder douze sites en France. Quelle est, au fond, la stratégie industrielle ? Le TGV ? Nous avons vu que la direction, comme les employés, en parlaient avec passion. Ou l'Intercity Express ? La nouvelle entité pourra-t-elle garder ces deux produits ? La signalisation, dont le taux de marge est peut-être de 10 ou 15 %, sera basée à Berlin. Certains sites français pâtissent depuis longtemps de sous-investissement. J'ajouterais aux propositions du rapport une interpellation commune sur la commande publique de TGV qui a été promise. Alstom va prendre le pouvoir mais personne ne peut nous assurer que, dans cinq ans, la commande publique française sera fabriquée en France. Les syndicalistes m'expliquent qu'en chaudronnerie, par exemple, alors qu'ils sont en sous-charge, ils sous-traitent au site de Katowice, qui lui-même, parce qu'il est en surcharge, sous-traite autour de lui. J'approuverai ce rapport.
Moi aussi. Le comité de suivi est un point très important, qui associera parlementaires et industriels, car cette mission ne doit pas s'arrêter à la remise du rapport.
La position que nous avons prise, avec le rapporteur, est de dire qu'il faut que l'État accompagne, mais que ce n'est pas à lui de décider de la stratégie, qui doit rester du ressort du chef d'entreprise et de ses employés. La deuxième partie du rapport dira comment nous voyons les choses, du point de vue de l'agence des participations de l'État, et comment le Parlement peut accompagner les évolutions. L'erreur a été de laisser trop souvent l'État à la manoeuvre.
Nous sommes mis devant le fait accompli, et le comité de suivi est indispensable. Certes, ce n'est pas notre rôle d'influencer la stratégie industrielle de l'entreprise. Mais nous avons demandé au PDG quelle était sa stratégie de long terme... Après la fusion, l'entreprise devra nous rendre des comptes sur sa stratégie globale et sa déclinaison sur chaque site industriel français. Notre volonté est que l'activité soit maintenue sur chacun d'entre eux. Nous sommes très performants et innovants en ingénierie ; il n'empêche, il nous faut des assurances.
Certains sites ont eu la chance d'être visités et ont bénéficié d'un bel encart, contrairement à d'autres. Ne pourrions-nous procéder autrement et présenter en un mot chacun des douze sites français ? Par ailleurs, page 43, il est précisé : « Alstom France principal acteur de l'industrie ferroviaire française ». Il est certes important de rappeler la dimension centrale d'Alstom, mais ne pourrions-nous pas indiquer que d'autres entreprises du secteur ferroviaire sont tout aussi puissantes ? Alstom est une pièce maîtresse, mais dans une industrie globale.
Je salue également la qualité du rapport, mais nous n'en sommes qu'à mi-parcours. Notre fonction de contrôle doit s'exercer au travers de cette mission d'information, mais devra également se poursuivre dans le temps en prenant par la suite une forme innovante, pourquoi pas un comité de suivi ? Nous pourrions ainsi répondre à la demande de Fabienne Keller et continuer à visiter les différents sites d'Alstom. Il convient de prendre date régulièrement avec les dirigeants d'Alstom pour savoir où ils en sont dans leur stratégie, en respectant bien sûr le secret des affaires. En tant qu'acteurs de l'aménagement du territoire, nous devons anticiper en matière d'aménagement industriel et comprendre les risques.
Je suis frappée par un chapitre dans lequel vous précisez que nous aurions pu faire autrement et prendre un certain nombre de précautions industrielles.
Puisqu'il est question du ferroviaire européen, il y a près de chez moi un site industriel d'Airbus. Nous avons procédé autrement avec les Allemands et cela fonctionne plutôt bien puisque nous assistons à un retour industriel. Nous sommes d'ailleurs attentifs à ce que chaque pays soit correctement traité dans le déploiement de la stratégie industrielle.
Pour finir, je suis inquiète du niveau des commandes de l'État. Hier soir, Élisabeth Borne a paru peu désireuse de passer quelque commande que ce soit et a émis un certain nombre de reproches à l'encontre d'Alstom, en particulier en ce qui concerne le site de Belfort. Pour y avoir rencontré peu d'ouvriers et beaucoup d'ingénieurs d'études, elle a estimé que ce site était aujourd'hui avant tout une plateforme d'études.
Il est difficile de raisonner à horizon de trente ans... N'aurions-nous pas pu établir un schéma retraçant les évolutions des données relatives aux capitaux, aux chiffres d'affaires, aux dettes, aux dividendes, aux emplois, etc. de toutes les entreprises du secteur ?
Ce rapport est riche. Quels enseignements en tirer du point de vue de l'État ?
Dernière question, quid de la dimension européenne ? Cet aspect a été abordé au travers de la création d'un « Airbus du ferroviaire ». Dans un contexte mondial de concurrence exacerbée, y compris dans ce domaine, l'Europe pourrait-elle, et comment, apporter une valeur ajoutée à ce secteur d'industrie ?
Le deuxième volet de notre mission portera sur la stratégie industrielle du pays. Les exemples ne manqueront pas. Je pense aux chantiers navals : si nous avions été réactifs plus tôt, nous aurions peut-être pu intervenir. Je pense aussi au site d'Airbus à Toulouse, qui suscite quelques inquiétudes. Or 44 000 emplois sont concernés. Nous devons donc être vigilants et la mission doit poursuivre son travail.
Nous devons veiller à ne pas nous mêler de la stratégie des entreprises. Ce n'est pas à nous de décider si la répartition des activités entre les différents sites d'Alstom - les contacteurs à Tarbes, etc. - est pertinente ou non. En revanche, il est intéressant de créer un comité de suivi pour examiner la stratégie industrielle, l'État étant venu au secours d'Alstom à différentes reprises. Néanmoins, je suis perplexe lorsque j'entends dire que nous commanderons « x » trains. J'en doute, tant les appels d'offres sont verrouillés ! Il serait utile d'améliorer la procédure des appels d'offres. À défaut, malgré les annonces, nous ne pourrons pas faire grand-chose.
Je suis ravi de la manière dont s'est déroulée la mission et je voterai ce rapport d'étape.
J'ai pris bonne note de la proposition de Fabienne Keller, mais il faut être conscient que visiter l'ensemble des douze sites est un gros effort.
À l'ensemble des personnes auditionnées et bien sûr au Gouvernement. S'il gère le dossier Airbus comme a été géré celui d'Alstom, nous allons au-devant de gros problèmes, parce que les Allemands veulent construire l'avion complet...
Il nous faut maintenant nous prononcer sur le titre du rapport. Nous avons retenu, Martial Bourquin et moi-même, un titre apaisé, tourné vers l'avenir : « Siemens-Alstom : pour un géant du ferroviaire véritablement franco-allemand ».
Le titre du rapport est adopté.
Je vais désormais mettre au vote l'ensemble du rapport, incluant les modifications qui ont été acceptées.
Le rapport est adopté.
Conformément à l'usage, il va être laissé un délai aux groupes politiques pour formuler leurs contributions écrites qui seront annexées au présent volume. Ces contributions devront parvenir au secrétariat de la mission au plus tard le mercredi 25 avril à 16 heures. Selon l'usage, elles ne devront pas dépasser 4-5 pages en format rapport. La mise en ligne du rapport est prévue pour le jeudi 26 avril en fin de journée. Un tirage papier suivra.
La réunion est close à 19 h 15.