Intervention de Martial Bourquin

Mission commune d'information sur Alstom — Réunion du 18 avril 2018 à 18h00
Adoption du rapport d'étape

Photo de Martial BourquinMartial Bourquin, rapporteur :

La pérennité des sites de La Rochelle et de Belfort dépend de cette commande... Et il faut espérer que les matériels roulants et les équipements de signalisation produits par Alstom seront les plus adaptés aux marchés publics qui seront lancés par la Société du Grand Paris dans les prochains mois et jusqu'en 2020 pour la réalisation du Grand Paris Express.

Ensuite, il faut accompagner l'ensemble de la filière. Alstom est un débouché-clé de la filière de l'industrie ferroviaire française, puisque 1,138 milliard d'euros de produits et de services lui sont livrés chaque année par des fournisseurs situés en France. Ces livraisons sont essentiellement destinées aux usines françaises d'Alstom - nous l'avons encore vu hier à Aytré. C'est dire à quel point le sourcing des sites français d'Alstom est centré sur le territoire français.

Le rapprochement de Siemens Mobility et d'Alstom va selon toute vraisemblance modifier les réseaux d'approvisionnement. L'uniformisation des process industriels entre les deux groupes, à terme, dans le cadre d'une recherche de rationalisation de son outil industriel, risque de remettre en cause certains réseaux actuels. Mais cette modification des réseaux d'approvisionnement pourrait, dans le même temps, offrir des opportunités de développement importantes pour les fournisseurs français d'Alstom qui seront capables de fournir Siemens-Alstom.

Toutefois, le benchmark Allemagne-France, à l'intérieur du futur groupe, risque d'être très difficile pour un très grand nombre des fournisseurs français actuels. Si le nombre des fournisseurs hexagonaux d'Alstom est considérable, les achats d'Alstom sont en réalité extrêmement concentrés sur un petit nombre d'ETI et de grosses PME. L'insuffisante concentration de la filière ferroviaire française est un facteur limitant leur potentiel dans les domaines de l'innovation, de l'exportation et de l'investissement dans l'outil et les procédés. La trop faible digitalisation de l'outil productif est aussi un obstacle.

Nous préconisons donc de mettre en place un plan d'accompagnement des PME et ETI équipementiers d'Alstom pour qu'ils puissent répondre aux besoins en sourcing de la future entité Siemens-Alstom. Il faut accélérer fortement le rapprochement des fournisseurs pour leur faire atteindre une taille critique ou développer des synergies collectives dans des logiques de clusters.

Il faut également donner au nouveau groupe les moyens financiers de se développer. La cession des titres détenus par Alstom dans ses coentreprises avec GE va générer une importante entrée de liquidités. S'il est d'ores et déjà prévu qu'une partie de cette somme soit reversée aux actionnaires, le solde devrait servir à consolider la trésorerie de Siemens-Alstom et être mis au service du développement de l'entreprise.

Dans ce cadre, il faut insister pour que la stratégie d'investissement de la nouvelle entité permette de renforcer les complémentarités industrielles des sites, tant en France qu'en Allemagne, et qu'en outre, les sommes disponibles continuent d'appuyer les activités de recherche et de développement déjà en cours, et pour partie aidées par la puissance publique, mais également les centres d'excellence situés sur le territoire français.

Le groupe Siemens a des capacités d'ingénierie de haut niveau, qu'il faut renforcer. Il est en effet essentiel que les sites français restent des sites d'innovation technologique. Tous les sites qui n'auront pas une activité de recherche et développement de haut niveau seront en danger. Les investissements du nouveau groupe doivent ainsi favoriser les activités de recherche et de développement sur les mobilités du futur, et assurer une montée en gamme de la production actuelle. À défaut d'un investissement suffisant, orienté en priorité sur ces objectifs, le risque serait grand de voir les sites d'excellence du groupe en France relégués au simple statut de sites d'assemblage. Et les sites d'assemblage sont condamnés à plus ou moins long terme. L'avenir d'Alstom ne s'écrirait alors plus en France, quand bien même son centre de décision demeurerait en Ile-de-France... C'est là que la question territoriale se pose.

Il faut aussi faire en sorte de garantir l'intégrité du périmètre industriel d'Alstom. Compte tenu de la dimension européenne des deux groupes, la Commission européenne sera amenée à rendre une décision dans les mois à venir, au titre du contrôle des concentrations, sur le projet de rapprochement entre Alstom et Siemens Mobility.

Nous estimons que la décision de la Commission européenne ne doit pas remettre en cause l'intégrité du périmètre industriel d'Alstom, qui nuirait nécessairement à la capacité de la nouvelle entité Siemens-Alstom de disposer d'une taille critique lui permettant de faire face aux concurrents mondiaux. Il y a déjà eu de nombreux exemples de ce type de mesures dans le passé. Ainsi, lorsque Faurecia a été vendu à Plastic Omnium, 22 sites ont été retirés et mis en vente, et le maire d'Audincourt que j'étais alors en était consterné. Heureusement qu'un Américain les a repris, sans quoi ces sites auraient été vendus à la découpe.

À cet égard, le marché pertinent pour le matériel roulant apparait clairement de taille mondiale, et une appréciation dynamique des forces et des positions de marchés des acteurs mondiaux devrait être favorisée. En effet, les ambitions du groupe chinois CRRC et son potentiel de puissance industrielle et commerciale sont tels qu'il est indispensable que la Commission européenne les prenne pleinement en considération pour évaluer les incidences de l'opération Siemens-Alstom sur la concurrence.

En outre, un démembrement de l'actuel outil industriel d'Alstom risquerait de fragiliser les sites retirés du périmètre du nouvel ensemble.

Il est aussi indispensable de mettre en place un suivi plus transparent des conséquences du rapprochement. Pour garantir une évaluation impartiale des impacts de la prise de contrôle d'Alstom par Siemens, nous demandons la mise en place d'un groupe de suivi parlementaire associant le Sénat et l'Assemblée nationale. On ne peut pas nous dire qu'il n'y a rien à voir !

Certes, l'accord de rapprochement prévoit déjà la mise en place d'un comité de suivi, qui associe le Gouvernement, les directions d'Alstom et de Siemens, ainsi que les syndicats. Mais le Parlement doit être associé à ce travail d'évaluation compte tenu de l'importance stratégique de la filière ferroviaire pour notre pays. Par ailleurs, dans la mesure où les inquiétudes ne portent pas seulement sur la période de quatre ans suivant le closing, mais concernent aussi la période postérieure, il est nécessaire que le suivi des effets du rapprochement ne s'achève pas en 2022 mais se prolonge au-delà.

Ce groupe de suivi pourra se faire assister, en tant que de besoin, par des experts dans les domaines industriels, financiers et juridiques, afin d'examiner l'état d'exécution des obligations à la charge du nouveau groupe ainsi que les effets concrets, sur les territoires, de son fonctionnement, non seulement dans les douze sites du groupe Alstom en France, mais également sur la chaîne des sous-traitants.

Enfin, il faut veiller à l'avenir des coentreprises entre General Electric (GE) et Alstom. Alstom a fait part de son intention de se retirer du capital des coentreprises créées en 2015 avec GE, ce qui devrait obliger GE à racheter la part du capital actuellement détenue par Alstom en application de l'option de vente contenue dans l'accord cession de 2015.

La situation est différente pour chacune des trois coentreprises.

En ce qui concerne les énergies renouvelables et les réseaux (Grid), la sortie du capital par Alstom est prévue et ne pose pas de difficulté.

Le cas est différent pour la coentreprise nucléaire (GEAST), qui contient des actifs stratégiques tels que les turbines Arabelle. Alstom a également vocation à se désengager de cette coentreprise, sans que la date soit connue à ce jour, et suivant des modalités qui restent à déterminer. L'hypothèse d'une revente ultérieure de ses parts par GE a été anticipée au moment de la signature de l'accord entre Alstom, GE et l'État : dans cette hypothèse, comme dans tous les scénarios, l'État conserverait en tout état de cause son action de préférence lui conférant des droits de gouvernance spécifiques. En outre, une procédure d'autorisation au titre des investissements étrangers en France serait requise si le repreneur n'était pas français.

Voilà donc les propositions d'accompagnement que nous formulons dans le rapport, que je souhaiterais compléter sur quelques points à la suite du déplacement d'hier à Aytré, sur le site d'Alstom qui assemble les rames TGV et les tramways.

Les cinq ajouts prennent en compte les éléments que nous avons recueillis sur ce site qui est en sous-capacité, et cela constitue un risque dans le cadre de la fusion. La commande publique française doit donc s'exercer pleinement à son profit.

Par ailleurs, j'apporte certaines précisions sur les préconisations. D'abord, le sourcing du nouveau groupe doit s'inscrire dans le réseau historique des sous-traitants d'Alstom.

Ensuite, si les mesures de compensation exigées par la Commission européenne devaient conduire à diminuer fortement le périmètre industriel de la nouvelle entité, il faudra appeler les deux groupes ainsi que l'État à renoncer à ce rapprochement, qui ne revêtirait alors plus qu'une nature capitalistique et serait dépourvue de contenu industriel.

Enfin, il est indispensable que GE respecte l'ensemble des engagements qu'il a contractés en 2014 lors de l'acquisition de la branche « Énergie » d'Alstom. Sur 1 000 emplois, 400 sont créés, reste 600 !

Vous avez sous les yeux notre rapport. Le président et moi-même avons pu consulter la lettre du PDG de Siemens à Bruno Le Maire. Nous ne pouvons vous en divulguer le contenu, couvert par le secret des affaires, mais je peux vous dire que nous y avons cherché en vain d'autres garanties que celles évoquées publiquement par le ministre. Je suis atterré par leur absence. Les garanties sur quatre ans ne sont pas un cadeau : elles viennent essentiellement de la commande publique. Or ces quatre ans, comme par hasard, nous mènent... après la présidentielle ! La pérennité des douze sites français sera due à la commande publique. Cela a été décidé sans que ni l'État ni les groupes ne demandent l'avis du Parlement. Nous essayons désormais d'accompagner ce projet de fusion pour éviter le pire, qui serait la désindustrialisation de certains territoires, suite à des sous-capacités.

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